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25/11/2022 | FRANCE | N°18/12786

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-3, 25 novembre 2022, 18/12786


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-3



ARRÊT AU FOND



DU 25 NOVEMBRE 2022



N° 2022/ 206





RG 18/12786

N° Portalis DBVB-V-B7C-BC3VT







[Y] [S]





C/



[X] [N]

Association AGS CGEA DE [Localité 4]

























Copie exécutoire délivrée le 25 Novembre 2022 à :



-Me Christine SOUCHE-MARTINEZ, avocat au barreau de MARSEILLE



-Me Stéphanie BESSET-LE CESNE, avocat au barreau de MARSEILLE

























Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE en date du 03 Juillet 2018 enregistré au répertoire général sous le n° F 17/01314.





APPEL...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-3

ARRÊT AU FOND

DU 25 NOVEMBRE 2022

N° 2022/ 206

RG 18/12786

N° Portalis DBVB-V-B7C-BC3VT

[Y] [S]

C/

[X] [N]

Association AGS CGEA DE [Localité 4]

Copie exécutoire délivrée le 25 Novembre 2022 à :

-Me Christine SOUCHE-MARTINEZ, avocat au barreau de MARSEILLE

-Me Stéphanie BESSET-LE CESNE, avocat au barreau de MARSEILLE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE en date du 03 Juillet 2018 enregistré au répertoire général sous le n° F 17/01314.

APPELANT

Monsieur [Y] [S], demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Christine SOUCHE-MARTINEZ de la SCP MASSILIA SOCIAL CODE, avocat au barreau de MARSEILLE substituée par Me Jérôme AUGIER, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMES

Maître [X] [N], Liquidateur judiciaire de la SARL LE 15, demeurant [Adresse 3]

Défaillant

Association AGS CGEA DE [Localité 4], demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Stéphanie BESSET-LE CESNE de la SELARL BLCA AVOCATS, avocat au barreau de MARSEILLE substituée par Me Julie GRIMA, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 Septembre 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre, chargée du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre

Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller faisant fonction de Président

Madame Isabelle MARTI, Président de Chambre suppléant

Greffier lors des débats : Madame Florence ALLEMANN-FAGNI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 18 Novembre 2022, délibéré prorogé au 25 Novembre 2022.

ARRÊT

REPUTE CONTRADICTOIRE

Prononcé par mise à disposition au greffe le 25 Novembre 2022

Signé par Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre et Madame Florence ALLEMANN-FAGNI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS- PROCEDURE-PRETENTIONS DES PARTIES

Le 9 août 2013, M. [Y] [S] a été engagé, sans contrat écrit, en qualité d'employé polyvalent par la société «Le 15» exploitant un restaurant à [Localité 4].

Le 10 janvier 2014, les parties ont signé un contrat à durée déterminée à temps partiel (17,54 h par semaine), M. [S] étant embauché en qualité d'aide cuisinier.

Selon avenant du 9 janvier 2014, les parties sont convenus que la relation contractuelle se poursuivait en contrat à durée indéterminée.

Le salarié a été convoqué le 9 novembre 2016 pour un entretien préalable au licenciement prévu le 17 novembre 2016 au motif d'un abandon de poste.

Par lettre recommandée du 24 novembre 2016, M. [S] était licencié par la société.

Le 31 mai 2017, M. [S] a saisi le conseil de prud'hommes de Marseille de diverses demandes concernant l'exécution et la rupture de son contrat de travail.

Le 3 juillet 2018, le conseil de prud'hommes a rendu son jugement en ces termes :

«DIT que la prise d'acte ne peut être retenue car non reçue par l'employeur et non reformulée de façon explicite par le salarié suite aux lettres recommandées avec accusé de réception de l'employeur en rapport à son absence injustifiée ;

DIT que la rupture du contrat de travail s'analyse en un licenciement avec cause réelle et sérieuse;

CONDAMNE à ce titre la SARL LE 15, prise en la personne de son représentant légal en exercice, à régler à Monsieur [Y] [S] les sommes suivantes :

- 1 469,84 euros à titre de préavis,

- 411,55 euros à titre d'indemnité de licenciement,

DIT que les sommes perçues en espèces relèvent d'un paiement direct sans cotisations

CONDAMNE à ce titre la SARL LE 15, pris en la personne de son représentant légal en exercice, à payer à Monsieur [Y] [S] au titre de travail dissimulé la somme de 4 409,52 euros

CONDAMNE la SARL LE 15, prise en la personne de son représentant légal en exercice, à régler à Monsieur [Y] [S] le solde de congés payés, soit une somme brute de 2 005,74 euros

CONDAMNE la SARL LE 15 prise en la personne de son représentant légal en exercice, à régler à Monsieur [Y] [S] la somme de 1 500 euros à titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile

CONDAMNE la SARL LE 15, prise en la personne de son représentant légal en exercice à produire tous les documents de fin de contrats, rectifiés selon ledit jugement, à Monsieur [Y]

[S]

DIT que la moyenne des trois derniers mois de salaires s'élève à la somme de 734,92 euros

DÉBOUTE les deux parties de toutes autres demandes plus amples et contraires

CONDAMNE la SARL LE 15 aux entiers dépens.»

Le 27 juillet 2018, le conseil de M. [S] a interjeté appel du jugement.

Par jugement du 29 juillet 2019, le tribunal de commerce de Marseille a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société.

Le plan de continuation arrêté le 4 janvier 2021 a été résolu et une procédure de liquidation judiciaire a été ouverte par jugement du 14 février 2022, nommant Me [X] [N] en qualité de liquidateur.

Dans ses dernières écritures, transmises par voie électronique le 7 mars 2022, M.[S] demande à la cour de :

«DIRE ET JUGER Monsieur [S] bien fondé en son appel.

CONFIRMER le jugement rendu le 3 juillet 2018 par le Conseil de prud'hommes de MARSEILLE, section Commerce, en ce qu'il a constaté que les documents de fin de contrat de

Monsieur [S] ne lui ont jamais adressés ni ses indemnités de rupture réglées (indemnité légale de licenciement, indemnité compensatrice de préavis, indemnité compensatrice de congés payés).

CONFIRMER le jugement rendu le 3 juillet 2018 par le Conseil de prud'hommes de MARSEILLE, section Commerce, en ce qu'il a jugé l'infraction de travail dissimulé caractérisée, compte tenu des espèces versées par la société LE 15 à Monsieur [S], de la main à la main, lesquelles espèces n'apparaissent sur aucun des bulletins de paie du salarié.

REFORMER le jugement rendu le 3 juillet 2018 par le Conseil de prud'hommes de MARSEILLE, section Commerce, pour le surplus.

En conséquence,

REQUALIFIER l'intégralité de la relation de travail en contrat à durée indéterminé, à effet du 9 août 2013.

DIRE ET JUGER que Monsieur [S] a exécuté sa prestation de travail moyennant un horaire mensuel de travail de 130 heures.

DIRE ET JUGER que la société LE 15 ne pouvait ignorer le fait que les bulletins de paie de Monsieur [S] mentionnent un nombre d'heures de travail inférieur à celui effectivement réalisé.

CONSTATER que les bulletins de paie de Monsieur [S], notamment celui du mois d'août 2016, font apparaître un solde de 64,50 jours de congés payés acquis non pris, que la société LE 15 ne conteste pas devoir.

DIRE ET JUGER l'infraction de travail dissimulé caractérisée compte tenu des espèces versées par la société LE 15 de la main à la main, lesquelles n'apparaissent sur aucun des bulletins de paie de Monsieur [S].

CONSTATER que Monsieur [S] a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts exclusifs de la société LE 15, par courrier recommandé du 12 septembre 2016.

DIRE ET JUGER que la prise d'acte ci-dessus mentionnée s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

DIRE ET JUGER le licenciement intervenu postérieurement à la prise d'acte de la rupture du contrat de travail de Monsieur [S] sans effet et en tout état de cause dépourvu de cause réelle et sérieuse compte tenu du caractère très insuffisamment motivé de la lettre de licenciement fixant les limites du litige

En conséquence,

FIXER la rémunération mensuelle brute de Monsieur [S] à la somme de 1.342,47 €.

FIXER au passif de la société LE 15 les créances suivantes :

- 1.342,47 € à titre d'indemnité de requalification ;

- 12.286,10 € à titre de rappel d'heures complémentaires ;

- 1.228,61 € au titre des congés payés afférents ;

- 8.054,82 € à titre de dommages-intérêts pour travail dissimulé ;

- 4.366 € à titre de rappel d'indemnité compensatrice de congés payés ;

- 2.684,94 à titre de rappel d'indemnité compensatrice de préavis ;

- 760,73 € à titre de rappel d'indemnité légale de licenciement ;

- 8.000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 5.000 € à titre de dommages-intérêts pour exécution fautive et déloyale du contrat de travail ;

- 1.500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

RENDRE OPPOSABLE au CGEA-AGS l'arrêt rendu par la Cour d'appel d'AIX EN PROVENCE

ORDONNER la délivrance des documents de fin de contrat et bulletins de paie rectifiés, sous astreinte de 150 € par jour de retard.

ORDONNER la capitalisation des intérêts de droit, à compter de la demande en justice.

CONDAMNER la société LE 15 aux entiers dépens.»

Aux termes de ses dernières écritures, transmises par voie électronique le 11 juillet 2022, l'Unedic délégation AGS CGEA de [Localité 4] demande à la cour de :

«INFIRMER le jugement déféré en ce qu'il a condamné la SARL LE 15 aux sommes suivantes:

-1 469.84 euros au titre du préavis

-411.55 euros au titre de l'indemnité de licenciement

-4 409.52 euros au titre du travail dissimulé

-2 005.74 euros au titre du solde de congés payés

-1500 euros au titre de l'article 700 du CPC.

CONFIRMER le jugement déféré en ce qu'il a débouté M.[S] du reste de ses demandes.

En conséquence,

DEBOUTER M.[S] de toutes ses demandes.

CONDAMNER M.[S] à rembourser à la SARL LE 15 la somme de 1 198.74 euros .

Subsidiairement,

Diminuer le montant des dommages et intérêts sollicités dans d'importantes proportions

Ordonner la compensation entre la somme de 1 198.74 euros due par M.[S] à la SARL LE 15 et les éventuelles créances qui seront fixées au passif de la SARL LE 15.

Débouter Monsieur [Y] [S] de toute demande de condamnation sous astreinte ou au paiement d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile, aux dépens en tout état déclarer le montant des sommes allouées inopposables à l'AGS CGEA.

En tout état constater et fixer en deniers ou quittances les créances de Monsieur [Y] [S] selon les dispositions de articles L 3253 -6 à L.3253-21 et D 3253 -1 à D 3253-6 du Code du Travail.

Dire et juger que l'AGS ne devra procéder à l'avance des créances visées à l'article L 3253-8 et suivants du Code du Travail que dans les termes et conditions résultant des dispositions des articles L 3253-19 et L 3253-17 du Code du Travail, limitées au plafond de garantie applicable, en vertu des articles L 3253-17 et D 3253-5 du Code du Travail, plafonds qui inclus les cotisations et contributions sociales et salariales d'origine légale, ou d'origine conventionnelle imposée par la loi, ainsi que la retenue à la source prévue à l'article 204 A du code général des impôts,

Dire et juger que les créances fixées, seront payables sur présentation d'un relevé de créance par le mandataire judicaire en vertu de l'article L.3253-20 du Code du Travail.

Dire et juger que le jugement d'ouverture de la procédure collective a entraîné l'arrêt des intérêts légaux et conventionnels en vertu de l'article L.622-28 du Code de Commerce.»

Pour l'exposé plus détaillé des prétentions et moyens des parties, il sera renvoyé, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, aux conclusions des parties sus-visées.

Le liquidateur, assigné en intervention forcée par M. [S] par acte d'huissier du 3 juin 2022 (remise à personne habilitée), n'a pas constitué avocat.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, la cour rappelle qu'en application des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile , elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et que les «dire et juger» et les «constater» ainsi que les «donner acte» ne sont pas des prétentions en ce que ces demandes ne confèrent pas de droit à la partie qui les requiert hormis les cas prévus par la loi; en conséquence, la cour ne statuera pas sur celles-ci, qui ne sont en réalité que le rappel des moyens invoqués.

I. Sur l'exécution du contrat de travail

1-Sur la requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée

L'intimée considère la demande infondée et de surcroît prescrite, considérant que le premier contrat a été rompu d'un commun accord.

M. [S] soutient que c'est la société qui a souhaité que la relation de travail se poursuive dans le cadre d'un CDD et non plus d'un CDI et que c'est elle qui a mis fin au contrat le 20 décembre 2013, sans qu'aucune procédure ne soit respectée.

Il fait valoir que la relation de travail a toujours été conclue sans détermination de durée et en vue de pourvoir à un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise, le motif du CDD (accroissement temporaire d'activité) étant un motif fallacieux qui n'est pas caractérisé.

Il estime que sa demande n'est pas prescrite comme ayant été formulée dans les douze mois de la rupture.

La cour relève que les premiers juges ne se sont prononcés ni dans leurs motifs ni dans le dispositif de la décision concernant cette demande.

La loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, a institué, en son article 21 III, l'article L. 1471-1 du code du travail rédigé en ces termes (dans sa version applicable au litige) : «Toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.»

En l'espèce, le salarié se prévaut d'une part d'un défaut d'écrit pour la période du 9 août au 21 décembre 2013 et d'autre part, d'un motif non justifié pour la période du 10 janvier au 9 avril 2014 où un contrat écrit a été formalisé.

Il est constant que l'employeur ne démontre par aucun document avoir rompu régulièrement le premier contrat, et en l'absence de contrat écrit, il ne peut écarter la présomption légale instituée par l'article L.1242-12, alinéa 1 du code du travail.

En conséquence, M. [S] était bien fondé à solliciter la requalification de la relation contractuelle à durée indéterminée à compter du 9 août 2013.

Cependant, sa demande formulée pour la première fois le 31 mai 2017 se heurte à la prescription édictée ci-dessus, sa connaissance des faits lui permettant d'exercer l'action en requalification ayant comme point de départ le 21 décembre 2013 et subsidiairement sur le contrat conclu pour un motif non démontré d'accroissement temporaire d'activité, à compter de la fin du contrat soit le 9 avril 2014.

Dès lors, la demande de M. [S] doit être déclarée irrecevable comme prescrite ainsi que celle relative au paiement d'une indemnité de requalification.

2-Sur le rappel d'heures complémentaires

Il résulte des dispositions de l'article L. 3171-4 du code du travail qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées.

En l'espèce, M. [S] soutient qu'il effectuait réellement 30 heures de travail par semaine comme étant présent de 18h à 00h, soit 130 heures par mois et non pas 17h54 comme indiqué au contrat ou 76h mensuelles visées dans les bulletins de salaire.

Il relève en outre l'absence de répartition du temps de travail dans les contrats.

Il produit un tableau en pièce n°11.

L'Unedic délégation AGS CGEA de [Localité 4] a pointé 9 exemples d'incohérences concernant des dates où M. [S] était absent, notant que le salarié a retranché dans ses dernières écritures 80 jours litigieux.

Elle considère que tout au plus, le salarié effectuait des horaires de 18h45 à 22h30, compte tenu des heures de service du mardi au samedi, de 19h à 22h30 en moyenne et produit des attestations en ce sens, en pièces n°5 à 9.

La cour relève que le décompte du salarié est calculé de façon linéaire, sans aucun résultat intermédiaire par an, dans un format quasi-illisible avec au demeurant un retranchement de 80 jours fait globalement et uniquement dans les écritures, ce qui ne permet pas de reconstituer un calcul exact. Par ailleurs, ce décompte n'est corroboré par aucune pièce extrinsèque, comme des témoignages.

L'employeur n'a pas fourni d'éléments personnalisés sur le contrôle du temps de travail de M. [S], mais il s'évince des attestations d'employés en cuisine et en salle dans la période 2014-2016 que la cuisine s'arrêtait à 22h pour une fin de service à 22h30, l'horaire du service commençant à 18h30-18h45.

Tenant compte de l'ensemble de ces éléments lesquels induisent que le salarié effectuait au moins 18,75 h par semaine et 81h25 par mois, soit un nombre d'heures supérieures à celles payées, étant précisé que malgré l'absence de répartition du temps de travail figurant dans le contrat, M. [S] n'a pas sollicité de requalification à temps complet, la cour a la conviction que le salarié a effectué des heures complémentaires non rémunérées, lesquelles n'ont pas dépassé le dixième de l'horaire hebdomadaire ou mensuel.

En conséquence, la cour fixe la créance du salarié à la somme globale de 1 773,03 euros outre 177,30 euros au titre des congés payés afférents.

3-Sur le rappel de congés payés

M. [S] soutient qu'il bénéficiait d'un grand nombre de jours de congés payés acquis qu'il n'a pas pu prendre en grande partie car ces derniers étaient assimilés par l'employeur à des absences injustifiées.

L'intimée fait valoir qu'il résulte des bulletins de salaire que M. [S] a pris des congés payés tout au long de la relation contractuelle mais ne dénie pas que la société devait un solde de 64,5 jours de congés payés, solde résultant du bulletin de salaire d'août 2016.

Elle fait cependant état d'avances en espèces consenties à M. [S] à hauteur de 2 760 euros qui doivent être compensées à due concurrence.

En vertu de l'article L.3124-28 du code du travail, lorsque le contrat de travail est rompu avant que le salarié ait pu bénéficier de la totalité du congé auquel il avait droit, il reçoit pour la fraction de congé dont il n'a pas bénéficié une indemnité compensatrice de congés déterminée d'après les articles L.3141-24 à L.3141-27 ; cette indemnité est due que cette rupture résulte du fait du salarié ou du fait de l'employeur.

Il y a lieu de préciser que conformément à la jurisprudence de la CJCE, dès lors que l'employeur a accepté le report des congés payés tel que figurant sur le dernier bulletin de salaire, le salarié est fondé à demander une indemnité correspondant aux jours non pris.

La décision déférée a retenu une somme de 2 005,74 euros, sans aucun calcul dédié alors que M. [S] sollicitait à ce titre la somme de 4 366 euros.

Le calcul de ce dernier est erroné tant dans la règle appliquée, comme ne correspondant pas à la méthode du 1/10ème de la rémunération brute totale perçue par le salarié au cours de la période de référence, ou au montant de la rémunération qui aurait été perçue pendant la période de congé si le salarié avait continué à travailler (règle du maintien de salaire).

La cour établit la créance selon la méthode la plus favorable du dixième, à la somme de 2 427,88 euros.

Cette somme ne saurait être compensée avec des versements en espèces, dont le principe n'est pas dénié mais dont la cause n'est pas en lien avec la créance, étant précisé que les bulletins de salaire ne mentionnent aucune avance faite à ce titre.

II. Sur la rupture du contrat de travail

1- Sur la prise d'acte

La prise d'acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l'employeur empêchant la poursuite du contrat de travail.

Lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit d'un licenciement nul si les manquements reprochés à l'employeur sont de nature à entraîner la nullité du licenciement, soit dans le cas contraire, d'une démission.

C'est au salarié qu'il incombe de rapporter la preuve des faits qu'il reproche à son employeur, s'il subsiste un doute, celui-ci profite à l'employeur.

M. [S] soutient que le 12 septembre 2016, il a envoyé un courrier en recommandé à la société afin de prendre acte de la rupture de son contrat de travail aux torts exclusifs de son employeur mais que ce dernier ne lui a jamais répondu.

Il prétend l'avoir relancé par courrier du 16 janvier 2017 et encore par courrier de son conseil le 28 mars 2017.

L'Unedic délégation AGS CGEA de [Localité 4] fait valoir que les pièces produites à l'appui de l'envoi d'une telle lettre, sont dépourvues de fiabilité et de valeur probante, comme l'a jugé le conseil de prud'hommes de Marseille.

a) sur la date d'envoi de la lettre

Par note transmise par voie électronique aux conseils des parties le 17 octobre 2022 en cours de délibéré , la cour a fait une demande de pièces au conseil de l'appelant, libellée ainsi:

«Aux termes des écritures de M. [S], page 13, il est indiqué :

«Surtout, il conviendra de réformer le jugement entrepris en ce qu'il a cru pouvoir juger que le document produit aux débats par Monsieur [S] ne porterait la mention d'aucune date, ni d'aucun numéro de recommandé, et ainsi douter de ce que ce courrier de prise d'acte a bien été adressé. C'est le seul argument relevé par le jugement entrepris pour débouter Monsieur [S] de sa demande de requalification de prise d'acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse. Or, il suffira à la Cour d'en prendre connaissance pour constater que ce courrier mentionne bien la date de son envoi, de même qu'il mentionne le numéro du recommandé.

Ce courrier, dont l'original a d'ailleurs été conservé, n'a pas même encore été décacheté.»

Or, la cour a été destinataire des mêmes pièces que le conseil de prud'hommes de Marseille soit la pièce n°6 comportant une lettre de prise d'acte dépourvue de date et la copie d'un envoi recommandé tronqué car sans date.

En revanche, la cour constate qu'il existe un numéro de recommandé : 1A 133 262 9920 1.

Dès lors, M. [S] peut demander à la Poste un relevé de suivi. (...)».

La cour, a dès lors invité le conseil de M. [S], en application des articles 16 et 442 & suivants du code de procédure civile, d'une part, à remettre l'original du courrier non décacheté au greffe de la cour et d'autre part, à communiquer par voie électronique au greffe et à la partie adverse, la copie de l'enveloppe recommandée avec le cachet de la poste et la mention du retour éventuel, mais également le relevé de suivi de ladite lettre recommandée pour justifier de la date de son envoi.

Par ailleurs, la cour a fixé un calendrier pour la remise et l'envoi de ces pièces ainsi que pour la réponse de l'intimé.

Le conseil de M. [S] s'est exécuté le 17 octobre 2022 et l'Unedic délégation AGS CGEA de [Localité 4] n'a pas envoyé de note en délibéré dans le délai prescrit.

Il résulte de la communication faite par l'appelant que M. [S] détient un volet d'envoi de la Poste d'une lettre recommandée le 12 septembre 2016 à 10h48 (bureau de [Adresse 5]) adressée à la société, lettre revenue non réclamée.

Selon la jurisprudence constante, la date de prise d'effet de la prise d'acte qui cristallise la rupture, est la date d'envoi de la lettre par le salarié, de sorte que l'appelant démontre que son acte est antérieur à l'engagement de la procédure de licenciement.

b) sur la teneur de la lettre

Le courrier du salarié est le suivant :

«Je vous informe que je ne peux reprendre mon poste de travail dans de telles conditions.

Je suis un adulte handicapé et j'aime mon travail.

Ma mère qui m'accompagne dans mes démarches de la vie courante a soulevé plusieurs problèmes.

J'ai un contrat de travail de 17,54 heures par semaine depuis janvier 2014 qui mentionne le paiement d'heures supplémentaires au-delà de mes heures.

En général, je travaille du mardi au samedi de 18 heures à minuit environ (selon les jours) et parfois même sur mes jours de repos le dimanche et le lundi.

Pourtant mes bulletins de salaire sont en général établis sur un salaire de base de 76 heures sans aucune heure supplémentaire payée.

J'ai un compteur de congés à fin mai 2016 de 58,5jours.

A chaque fois que vous me retenez des congés, ils sont déduits de mon salaire de base et donc non payés.

Je souhaiterais que vous puissiez justifier par un état comptable que tous les chèques que vous m'avez remis en main propre sont bien égaux au bulletin de paie car sans cesse, à de multiples reprises, il faut vous relancez pour avoir ces derniers.

A ce jour, il me manque tous ceux depuis mai 2016 ainsi que mon chèque du mois d'août.

Je vous remercie de bien vouloir me payer toutes les sommes dues qui me sont dus et de me foumir tous les bulletins manquants.»

Cette lettre indique la volonté claire du salarié de mettre fin au contrat du fait de manquements reprochés à l'employeur, peu important que le courrier suivant se contente de réclamer les documents de fin de contrat.

La cour ayant retenu le non paiement d'heures supplémentaires et constaté l'existence de nombreux jours de congés non pris et non payés dans leur intégralité, outre l'absence de répartition du temps de travail au contrat comme relevé dans les écritures de M. [S] considère qu'il s'agit de manquements suffisamment graves de la part d'un employeur de la restauration, face à un tout jeune homme reconnu travailleur handicapé, pour justifier la rupture à l'initiative du salarié.

En conséquence, le licenciement intervenu ultérieurement est sans objet.

2- Sur les conséquences financières de la prise d'acte

La cour observe que M. [S] ne procède à aucun calcul dans ses écritures de nature à démontrer que le salaire de référence à retenir serait de 1 342,47 euros, comme il le prétend.

Tirant les conséquences de l'octroi d'heures complémentaires, la cour fixe le salaire de référence à la somme de 785,69 euros .

Dès lors les indemnités de rupture doivent être fixées de la façon suivante :

- indemnité compensatrice de préavis : 2 mois : 1 571,38 euros et 157,13 euros,

- indemnité légale de licenciement : ancienneté 2 ans et 9 mois : 432,13 euros.

La prise d'acte a été déclarée fondée et dès lors la rupture s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

L'appelant invoque à l'appui de sa demande d'indemnisation les dispositions de l'article L.1235-3 du code du travail tandis que l'intimé fait valoir celles de l'article L.1235-5 du même code, indiquant qu'il n'y a aucun minimum prévu.

Si le salarié avait plus de deux ans d'ancienneté, il ressort de la pièce n°12 produite par lui que la société avait un effectif de moins de 11 salariés, de sorte que le licenciement doit être déclaré abusif et en l'absence d'élément concernant notamment la situation professionnelle postérieure de M. [S], la cour fixe le préjudice subi du fait de la perte de l'emploi à la somme de 3 500 euros.

III. Sur le travail dissimulé

En vertu de l'article L. 8221-5 du code du travail alors applicable, «est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :

1° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;

2° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 3243-2, relatif à la délivrance d'un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;

3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales.»

L'article L. 8223-1 du code du travail, dispose qu'en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l'article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

M. [S] soutient que la société ne pouvait ignorer ses heures complémentaires et qu'elle faisait apparaître sur les bulletins de paie un nombre d'heures de travail bien inférieur à celui effectivement réalisé ; il ajoute que la société lui versait des « avances en espèce », qui n'étaient pas mentionnées sur les bulletins de paie, ce qui caractérise l'infraction de travail dissimulé.

L'Unedic délégation AGS CGEA de [Localité 4] critique la décision entreprise laquelle n'a pas retenu l'existence d'heures supplémentaires ni caractérisé l'élément intentionnel.

La cour a constaté l'existence d'heures complémentaires non rémunérées et estime que les versements en espèces avérés constituent la démonstration de l'élément intentionnel de la dissimulation, de sorte que M. [S] est fondé à obtenir la somme de 4 714, 14 euros à ce titre.

IV. Sur l'exécution fautive et déloyale du contrat de travail

L'Unedic délégation AGS CGEA de [Localité 4] rappelle qu'il n'existe aucune automaticité entre une éventuelle faute de l'employeur et l'octroi d'une indemnisation au profit du salarié.

En l'espèce, la demande faite à titre de dommages et intérêts n'est sous-tendue par aucun moyen dans la partie discussion des conclusions de l'appelant, lequel ne fait pas la démonstration d'un préjudice qui n'aurait pas déjà été indemnisé.

V. Sur la compensation

Ainsi que sollicité par l'intimée, il convient par application de l'article 1291 du code civil, d'opérer une compensation entre les sommes perçues en espèces par M. [S] dont la réalité et le montant à hauteur de 2 760 euros résultent de la pièce n°13 produite par l'Unedic délégation AGS CGEA de [Localité 4], - le salarié reconnaissant dans ses écritures page 11 que des sommes de 20 à 150 euros lui étaient remises à la fin de son service par son employeur -, et les créances fixées par la cour.

VI. Sur les autres demandes

Les sommes allouées à titre de salaires porteront intérêts au taux légal à compter de la date de convocation de l'employeur (présentation de la lettre recommandée) à l'audience de tentative de conciliation valant mise en demeure, soit le 31 mai 2017, mais le cours des intérêts s'est interrompu par l'ouverture de la procédure collective le 29 juillet 2019.

La capitalisation des intérêts sera ordonnée dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil.

L'Unedic délégation AGS CGEA de [Localité 4] doit sa garantie sur les sommes fixées par la cour.

Le liquidateur devra remettre à l'appelant les documents de fin de contrat et un bulletin de paie récapitulatif, conforme à la présente décision, mais il n'est pas nécessaire de prévoir une astreinte.

Les circonstances de la cause ne justifient pas de faire application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant par arrêt réputé contradictoire, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, en matière prud'homale,

Infirme la décision entreprise,

Statuant à nouveau et Y ajoutant,

Déclare prescrite l'action en requalification des contrats en contrat à durée indéterminée ainsi que la demande relative à l'indemnité de requalification,

Dit que la prise d'acte intervenue selon lettre recommandée du 12 septembre 2016 était fondée,

Dit que la rupture imputable aux manquements de l'employeur s'analyse en un licenciement abusif,

Fixe les créances de M. [Y] [S] au passif de la liquidation judiciaire de la Sarl Le 15, représentée par Me [X] [N] ès qualités de liquidateur, aux sommes suivantes :

- 2 427,88 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés,

- 1 773,03 euros au titre du rappel des heures supplémentaires,

- 177,30 euros au titre des congés payés afférents,

- 1 571,38 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 157,13 euros au titre des congés payés afférents,

- 432,13 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,

- 3 500 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,

- 4 714,14 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé,

Opère compensation partielle entre les créances fixées ci-dessus au profit de M. [S] et la somme de 2 760 euros versée en espèces au salarié par la société, avant rupture,

Dit que les intérêts au taux légal sur les créances salariales sont dûs du 31 mai 2017 au 29 juillet 2019, avec capitalisation à condition qu'ils soient dus au moins pour une année entière,

Déclare l'UNEDIC délégation AGS CGEA de [Localité 4] tenue à garantie pour les sommes fixées au passif, dans les termes des articles L.3253-8 et suivants du code du travail, en l'absence de fonds disponibles ;

Ordonne la remise à M. [S] par le liquidateur, d'un bulletin de salaire récapitulatif des sommes fixées et des documents de fin de contrat, le tout en conformité avec le présent arrêt,

Dit n'y avoir lieu à astreinte,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes,

Laisse les dépens d'appel à la charge de la société en liquidation.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-3
Numéro d'arrêt : 18/12786
Date de la décision : 25/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-25;18.12786 ?
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