COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-8
ARRÊT AU FOND
DU 16 NOVEMBRE 2022
N° 2022/ 511
N° RG 20/12745
N° Portalis DBVB-V-B7E-BGVMP
[Y] [D]
C/
[N] [Z] épouse [R]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Sébastien BADIE
Me Gilles ALLIGIER
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal Judiciaire de Nice en date du 23 Octobre 2020 enregistrée au répertoire général sous le n° 11-20-0005.
APPELANT
Monsieur [Y] [D]
né le 28 Mai 1974 à [Localité 4], demeurant [Adresse 1]
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/001722 du 25/06/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de AIX-EN-PROVENCE)
représenté par Me Sébastien BADIE, membre de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, ayant pour avocat plaidant Me Nathalie CAVIGIOLO, avocat au barreau de NICE
INTIMEE
Madame [N] [Z] épouse [R]
née le 08 Juillet 1961 à [Localité 2], demeurant [Adresse 3], agissant tant a titre personnel qu'es qualité de représentante légale de son fils mineur [F] [R] né le 21 septembre 2004 à [Localité 2]
représentée par Me Gilles ALLIGIER, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 Septembre 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-Paul PATRIARCHE, Conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Philippe COULANGE, Président
Madame Céline ROBIN-KARRER, Conseillère
Monsieur Jean-Paul PATRIARCHE, Conseiller
Greffier lors des débats : Mme Maria FREDON.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 16 Novembre 2022.
ARRÊT
Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 16 Novembre 2022, signé par Monsieur Philippe COULANGE, Président et Madame Maria FREDON, greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE ANTÉRIEURE
Suivant contrat conclu sous signatures privées, Madame [N] [Z] veuve [R] a donné en location à Monsieur [Y] [D] un appartement meublé au sein d'un ensemble immobilier dénommé 'Résidence Tennis Palace' situé [Adresse 1], moyennant un loyer mensuel de 620 euros, outre une provision pour charges de 30 euros, et ce pour une durée de quatre mois à compter du 1er mars 2017, laquelle a été prorogée d'un commun accord pour une nouvelle période de quatre mois, soit jusqu'au 31 octobre 2017.
Le locataire s'étant maintenu dans les lieux au delà du terme fixé, la bailleresse a saisi le juge des référés d'une demande aux fins d'expulsion, dont elle a été cependant déboutée par une ordonnance rendue le 12 mars 2018 et confirmée par un arrêt de la cour de céans du 2 mai 2019, en raison de l'existence d'une contestation sérieuse relative à la qualification du contrat.
Par acte d'huissier du 30 octobre 2019, Madame [R] a fait signifier à Monsieur [D] un commandement de payer un arriéré de loyer de 13.024 euros et de justifier de la souscription d'un contrat d'assurance, visant la clause résolutoire stipulée au contrat.
Puis, par assignation délivrée le 27 novembre suivant, elle l'a cité à comparaître devant le tribunal d'instance de Nice pour entendre principalement juger qu'il était occupant sans droit ni titre depuis le 1er novembre 2017 et voir prononcer son expulsion, ainsi que sa condamnation au paiement de la dette locative et d'une indemnité d'occupation jusqu'à la libération effective des lieux, outre des dommages-intérêts pour résistance abusive.
Subsidiairement, elle concluait à la résiliation du bail par l'effet de l'acquisition de la clause résolutoire, et formulait les mêmes demandes sur cet autre fondement.
En défense, Monsieur [D] a présenté une demande tendant à la requalification du contrat en bail d'habitation de trois ans reconductible soumis à la loi du 6 juillet 1989 et a conclu à la nullité du commandement de payer, ainsi qu'à l'irrecevabilité de l'assignation.
Par jugement rendu le 23 octobre 2020 et assorti de l'exécution provisoire, la juridiction saisie, devenue entre-temps le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire, a :
- requalifié la convention en contrat de bail meublé à usage d'habitation principale d'une durée minimale d'un an soumis aux dispositions de la loi du 6 juillet 1989,
- débouté en conséquence la bailleresse de sa demande principale aux fins d'expulsion fondée sur l'expiration du titre d'occupation à compter du 1er novembre 2017,
- déclaré irrecevable la demande subsidiaire aux fins de constat de la résiliation du bail par l'effet de la clause résolutoire, au motif qu'il s'était écoulé moins de deux mois entre la délivrance du commandement et l'assignation, et rejeté en conséquence la demande d'expulsion reposant sur cet autre fondement,
- condamné en revanche [Y] [D] à payer la somme de 18.090,92 euros au titre des loyers et charges échus au cours de la période comprise entre le 1er mars 2018 et le 31 octobre 2019, ainsi que celle de 3.000 euros à titre de dommages-intérêts,
- débouté [Y] [D] de ses autres demandes,
- et condamné le défendeur aux dépens, ainsi qu'au paiement d'une somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Monsieur [D] a relevé appel principal de cette décision par déclaration adressée le 18 décembre 2020 au greffe de la cour, Madame [R] formant pour sa part un appel incident.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Aux termes de ses conclusions notifiées le 18 mars 2021, Monsieur [Y] [D] fait grief en premier lieu à la décision rendue de l'avoir débouté de sa demande aux fins d'annulation du commandement de payer, alors que cet acte ne contenait pas l'intégralité des mentions prescrites par l'article 24 de la loi du 6 juillet 1989.
Il soutient ensuite que le premier juge ne pouvait le condamner au paiement de la dette locative, alors que l'assignation était irrecevable pour avoir été délivrée moins de deux mois après la signification du commandement.
Il fait valoir en troisième lieu qu'aucune condamnation au paiement de dommages-intérêts n'avait lieu d'être prononcée à son encontre, dans la mesure où le défaut de paiement du loyer procédait uniquement de ses difficultés financières.
Il demande à la cour d'infirmer de ces chefs le jugement entrepris, et statuant à nouveau d'annuler le commandement de payer du 30 octobre 2019, de déclarer irrecevable l'assignation délivrée le 27 novembre 2019, de débouter en conséquence Madame [R] de l'ensemble de ses prétentions et de la condamner aux entiers dépens, ainsi qu'au paiement d'une somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions en réplique notifiées le 18 juin 2021, Madame [N] [Z] veuve [R], agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité de représentante légale de son fils mineur [F] [R], soutient en premier lieu que le tribunal ne pouvait retenir le moyen tiré du caractère prématuré de l'assignation, alors que celui-ci s'analyse en une exception de procédure qui aurait dû être soulevée avant toute défense au fond conformément à l'article 74 du code de procédure civile.
Elle fait valoir d'autre part que le commandement de payer contenait bien l'ensemble des mentions prescrites par la loi.
Elle conclut donc principalement à l'infirmation du jugement déféré en ce qu'il l'a déboutée de sa demande aux fins de constat de la résiliation du bail par l'effet de la clause résolutoire.
Subsidiairement, elle poursuit le prononcé de la résiliation judiciaire du bail en raison du défaut de paiement du loyer et des charges aux termes convenus, en violation de l'article 7 a) de la loi du 6 juillet 1989.
En tout état de cause, elle demande à la cour :
- d'ordonner l'expulsion de M. [D] et de tous occupants de son chef,
- de l'autoriser à faire séquestrer les meubles laissés dans les lieux dans tel garde-meubles qu'il lui plaira, aux frais et risques du preneur,
- de condamner M. [D] au paiement d'une somme de 30.847,27 euros correspondant à l'arriéré de loyer et de charges actualisé au mois de juin 2021, ainsi qu'à une indemnité d'occupation équivalente au montant du loyer et des charges jusqu'à son départ effectif des lieux,
- et de condamner enfin l'appelant aux entiers dépens et au paiement d'une somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
La clôture de l'instruction est intervenue le 6 septembre 2022.
DISCUSSION
Sur la demande d'annulation du commandement de payer :
En vertu de l'article 24 de la loi du 6 juillet 1989, le commandement de payer visant la clause résolutoire du bail doit contenir à peine de nullité :
- 1° la mention que le locataire dispose d'un délai de deux mois pour payer sa dette,
- 2° le montant mensuel du loyer et des charges,
- 3° le décompte de la dette réclamée,
- 4° l'avertissement qu'à défaut de paiement ou d'avoir sollicité des délais, le locataire s'expose à une procédure judiciaire de résiliation du bail et d'expulsion,
- 5° la mention de la faculté pour le locataire de saisir le fonds de solidarité pour le logement de son département, dont l'adresse doit être précisée, aux fins de solliciter une aide financière,
- 6° la mention de la faculté pour le locataire de saisir à tout moment la juridiction compétente aux fins de demander un délai de grâce sur le fondement de l'article 1343-5 du code civil.
En l'espèce il apparaît que le commandement signifié le 30 octobre 2019 à Monsieur [Y] [D] contenait bien l'ensemble de ces mentions, contrairement à ce qui est soutenu dans les conclusions de l'appelant, de sorte que cet acte n'encourt aucune nullité.
Sur le moyen tiré de l'irrecevabilité de l'assignation :
En vertu de l'article 24 précité, toute clause prévoyant la résiliation de plein droit du contrat de location pour défaut de paiement du loyer ou des charges aux termes convenus ne produit effet que deux mois après un commandement de payer demeuré infructueux.
C'est à bon droit que le premier juge a relevé que la saisine prématurée du tribunal avant l'expiration de ce délai affectait le droit d'agir et constituait une fin de non recevoir au sens de l'article 122 du code de procédure civile, et non pas une exception de procédure, qui pouvait donc être opposée en tout état de cause conformément à l'article 124 du même code.
Le juge de première instance en a tiré en outre les exactes conséquences juridiques en déclarant irrecevable non pas l'assignation elle-même, mais uniquement la demande aux fins de constat de la résiliation du bail par l'effet de la clause résolutoire.
Il pouvait donc valablement examiner la demande en paiement des loyers qui lui était soumise par ailleurs.
Sur les dommages-intérêts :
C'est également à juste titre que le tribunal a condamné M. [D] à payer la somme de 3.000 euros à titre de dommages-intérêts en sus de sa dette locative, aux motifs qu'en s'abstenant de mauvaise foi de régler son loyer depuis plus de trente mois il avait privé la bailleresse de sommes importantes nécessaires à la gestion et à l'entretien de l'immeuble, lui occasionnant ainsi un préjudice financier distinct du simple retard.
En outre l'appelant ne produit aux débats aucune information relative à ses ressources et à ses charges qui permettrait à la cour d'appréhender réellement les difficultés matérielles dont il fait état.
Sur les demandes aux fins de résiliation judiciaire du bail et de réactualisation de la dette locative :
En application de l'article 565 du code de procédure civile, les parties sont recevables à formuler devant la cour des prétentions tendant aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent.
Suivant l'article 566 du même code, elles peuvent également ajouter à leurs prétentions initiales celles qui en constituent l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.
Madame [R] est donc en droit de poursuivre le prononcé de la résiliation judiciaire du bail sur le fondement de l'article 1227 du code civil en raison du défaut de paiement du loyer et des charges aux termes convenus, en violation d'une obligation essentielle incombant au preneur, qui s'est encore aggravé postérieurement à la décision rendue en premier ressort puisque le montant de la dette locative avait atteint la somme de 30.847,27 euros au mois de juin 2021 suivant décompte non contesté produit aux débats.
Il sera précisé à cet égard que, contrairement à ce qui avait été soutenu par le locataire devant le premier juge, l'assignation aux fins d'expulsion a été régulièrement notifiée au représentant de l'Etat dans le département le 28 novembre 2019.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qui concerne le montant de la dette locative,
Statuant à nouveau de ce chef, condamne Monsieur [Y] [D] à payer à Madame [N] [R] la somme de 30.847,27 euros au titre des loyers et charges échus au 30 juin 2021, sans préjudice des échéances ultérieures,
Y ajoutant,
Prononce la résiliation judiciaire du bail pour manquement grave du preneur à ses obligations,
Ordonne en conséquence l'expulsion de Monsieur [Y] [D] du logement qu'il occupe désormais sans droit ni titre au sein de la Résidence 'Tennis Palace' située [Adresse 1], ainsi que celle de tous occupants de son chef,
Condamne Monsieur [D] à payer à Madame [R] une indemnité d'occupation de 650 euros par mois à compter du prononcé du présent arrêt jusqu'à la libération effective du logement,
Dit que le sort des meubles laissés dans les lieux sera réglé conformément aux dispositions du code des procédures civiles d'exécution,
Condamne Monsieur [D] aux dépens de la procédure d'appel, ainsi qu'au paiement d'une somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés par l'intimée.
LA GREFFIERE LE PRESIDENT