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02/11/2022 | FRANCE | N°21/02295

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 2-4, 02 novembre 2022, 21/02295


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 2-4



ARRÊT AU FOND

DU 02 NOVEMBRE 2022



N° 2022/ 223













Rôle N° RG 21/02295 - N° Portalis DBVB-V-B7F-BG6PR







[M] [N]

[P] [L]





C/



[W] [I]





















Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Marc CONCAS

Me Nathalie BRICOUT













Déci

sion déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal Judiciaire de GRASSE en date du 21 Janvier 2021 enregistré (e) au répertoire général sous le n° 19/02158.





APPELANTS



Madame [M] [N] veuve [L]

née le 27 Octobre 1936 à VIETNAM (HUE)

de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]représentée par Me Marc CONCAS, avocat au...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 2-4

ARRÊT AU FOND

DU 02 NOVEMBRE 2022

N° 2022/ 223

Rôle N° RG 21/02295 - N° Portalis DBVB-V-B7F-BG6PR

[M] [N]

[P] [L]

C/

[W] [I]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Marc CONCAS

Me Nathalie BRICOUT

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal Judiciaire de GRASSE en date du 21 Janvier 2021 enregistré (e) au répertoire général sous le n° 19/02158.

APPELANTS

Madame [M] [N] veuve [L]

née le 27 Octobre 1936 à VIETNAM (HUE)

de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]représentée par Me Marc CONCAS, avocat au barreau de NICE

Monsieur [P] [L]

né le 04 Août 1966 à [Localité 8]

de nationalité Française, demeurant [Adresse 3]

Tous deux représentés et assistés par Me Marc CONCAS, avocat au barreau de NICE, avocat ayant plaidé

INTIMEE

Mademoiselle [W] [I]

née le 13 Septembre 1996 à [Localité 5], demeurant C/O M. [V] [I] - [Adresse 1]

représentée par Me Nathalie BRICOUT, avocat au barreau de GRASSE et ayant pour avocat plaidant Me Nathalie PEYNAUD de la SCP BLANC BUROSSE GOURGUE PEYNAUD, avocat au barreau de BAYONNE, avocat ayant plaidé

PARTIE(S) INTERVENANTE(S)

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 14 Septembre 2022 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Mme GINOUX, Conseillère a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Madame Michèle JAILLET, Présidente

Madame Nathalie BOUTARD, Conseillère

Madame Myriam GINOUX,

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Céline LITTERI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 19 Octobre 2022. Acette date le délibéré a été prorogé au 02 novembre 2022

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 02 Novembre 2022,

Signé par Madame Michèle JAILLET, Présidente et Madame Anne-marie BLANCO, greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOS'' DU LITIGE

[G] [L], né le 10 février 1924 et [M] [N], née le 27 octobre 1936, se sont mariés le 18 octobre 1965 sous le régime de la séparation de biens.

Trois enfants sont issus de cette union:

[P], né le 4 août 1966,

[D], née le 20 septembre 1968 et décédée accidentellement le 25 mars 1988,

[F], née le 30 mars 1971.

Suivant acte authentique en date du 18 mars 1974, [G] [L] a consenti au profit de son épouse, une donation au dernier survivant de la totalité des biens et droits mobiliers et immobiliers qui composeront sa succession.

Une enfant est issue le 13 septembre 1996 de l'union de [F] [L] et [V] [I], [W] [I], qui est donc la petite-fille de [G] [L] et de [M] [N] .

[G] [L], qui était chirurgien, a cessé son activité professionnelle en 1990 alors qu'il était âgé de 56 ans. Il était atteint du syndrome de "Gilles de la Tourette" et avait sollicité en 2012 auprès de la CPAM la reconnaissance d'affection de longue durée.

II avait souscrit de son vivant un contrat d'assurance-vie n° 1143882 39fT 122001 auprès de la MASCF à effet au 1er janvier1991.

Le 12 janvier 2018, il a modifié la clause bénéficiaire de ce contrat, instituant comme bénéficiaire en cas de décès, sa petite-fille [W] [I] et, à défaut, son épouse [M] [N]. Le capital constitué sur ce contrat s'élevait au 31 décembre 2016 à la somme de 1.698.229,65 €.

[G] [L] est décédé accidentellement le 20 septembre 2018 à l'âge de 84 ans, en l'état d'un testament olographe daté du 05 février 2009, aux termes duquel il a institué son épouse légataire de l'usufruit de la totalité des biens composant sa succession et consenti divers legs particuliers.

Suivant acte d'huissier en date du 1er mars 2019, et après avoir obtenu l'autorisation de se faire remettre la copie de la dernière clause bénéficiaire régularisée par [G] [L] par ordonnance sur requête en date du 30 novembre 2018, [M] [N] veuve [L] a formé opposition auprès de la MACSF à la remise à [W] [I] des fonds détenus au titre du contrat d'assurance-vie souscrit par [G] [L].

Suivant ordonnance sur requête en date du 13 mars 2019, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de BAYONNE a autorisé [M] [N] veuve [L] à pratiquer une saisie- conservatoire à hauteur de 1.700.000 € sur les sommes appartenant à [W] [I] et détenues par la MACSF.

[W] [I] a sollicité la mainlevée de cette saisie-conservatoire suivant assignation en date du 13 mai 2019. Suivant jugement définitif en date du 24 octobre 2019, le juge de l'exécution l'a déboutée de cette demande.

Suivant acte d'huissier en date du 11 avril 2019, [M] [N] veuve [L] a assigné sa petite- fille [W] [I] devant le tribunal de grande instance de GRASSE aux fins de voir annuler l'avenant du contrat d'assurance-vie souscrit au profit de cette dernière ou, à titre subsidiaire, de voir ordonner la réduction de cette libéralité portant atteinte, selon elle, à la réserve héréditaire.

[P] [L], fils de [M] [N] veuve [L] et oncle de [W] [I], est intervenu volontairement à l'instance.

Par jugement contradictoire du 21 Janvier 2021 auquel il convient de se référer pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, le tribunal judiciaire de Grasse a statué ainsi :

'Déclare [P] [L] recevable en son intervention volontaire principale ;

Déboute [M] [N] veuve [L] et [P] [L] de leur demande tendant à voir prononcer la nullité pour insanité d'esprit de la modification de clause bénéficiaire régularisée le 12 janvier 2018 par [G] [L] ;

Déboute [M] [N] veuve [L] et [P] [L] de l'intégralité de leurs demandes subsidiaires en réduction pour atteinte à la réserve héréditaire et de leur demande tendant à voir ordonner que la totalité des sommes figurant sur le contrat d'assurance-vie soient remises au notaire en charge de la succession d' [G] [L] ;

Déboute [M] [N] veuve [L] et [P] [L] de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

Condamne [M] [N] veuve [L] et [P] [L] in solidum à payer à [W] [I] la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

Condamne [M] [N] veuve [L] et [P] [L] in solidum aux entiers dépens, qui seront distraits conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile;

Dit n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire de la présente décision.'

Les parties ne justifient pas de la signification de cette décision.

Par déclaration reçue le 15 février 2021, Madame [M] [N] Veuve [L] et Monsieur [P] [L] ont interjeté appel de cette décision en toutes ses dispositions à l'exception de celle ayant déclaré Monsieur [P] [L] recevable en son intervention volontaire principale.

Dans le dernier état de leurs conclusions récapitulatives déposées par voie électronique , le 23 Mai 2022 à 17H26, dont le dispositif est strictement identique à celui de leurs précédents conclusions notifiées le 21 Mars 2022, Madame [M] [N] Veuve [L] et Monsieur [P] [L] demandent à la cour de :

'Vu les articles 414-1 et suivants et 1096 et suivants du code civil,

Vu les articles 901 et suivants et 924 et suivants du code civil, 953 à 958 du code civil,

Vu l'article L 132-13 du code des assurances,

Vu les articles 63 et suivants et 325 et suivants du CPC

Vu les pièces versées aux débats,

-DÉCLARER Mme [M] [N] veuve [L] et Monsieur [P] [L] recevables et fondés en leur appel,

-INFIRMER la décision de première instance en ce qu'elle a débouté [M] [N] veuve [L] et [P] [L] de leur demande tendant à voir prononcer la nullité pour insanité d'esprit de la modification de clause bénéficiaire effectuée par [G] [L] le 12 janvier 2018

-INFIRMER la décision de première instance en ce qu'elle a débouté [M] [N] veuve [L] et [P] [L] de l'intégralité de leurs demandes subsidiaires en réduction pour atteinte à la réserve héréditaire et de leur demande tendant à voir ordonner que la totalité des sommes figurant sur le contrat d'assurance-vie soient remises au notaire en charge de la succession d' [G] [L] ;

-INFIRMER la décision de première instance en ce qu'elle a débouté [M] [N] veuve [L] et [P] [L] de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

- INFIRMER la décision de première instance en ce qu'elle a condamné [M] [N] veuve [L] et [P] [L] in solidum à payer à [W] [I] la somme de 3.000 € au titre de I'article 700 du code de procédure civile;

- INFIRMER la décision de première instance en ce qu'elle a condamné [M] [N] veuve [L] et [P] [L] in solidum aux entiers dépens, qui seront distraits conformément aux dispositions de I'article 699 du code de procédure civile;

statuant à nouveau,

AU PRINCIPAL

-DIRE ET JUGER que le Docteur [G] [L] n'avait pas la pleine conscience de la portée de ses actes lorsqu'il a modifié le 12 janvier 2018, le nom du bénéficiaire du contrat d'assurance-vie souscrit par lui en date du 1er janvier 1991, auprès de la MASCF numéro d'adhésion n° 000011

- En l'absence de consentement valablement donné, PRONONCER la nullité de l'avenant au contrat d'assurance vie régularisé le 12 janvier 2018 par le Docteur [G] [L] et modifiant la clause bénéficiaire au profit de Madame [W] [I].

- DIRE ET JUGER que demeure seule applicable la clause bénéficiaire du contrat d'assurance vie souscrit par le Docteur [G] [L] auprès de la MACSF en son état antérieur au 12 janvier 2018, et dont le bénéficiaire était Mme [M] [N] veuve [L].

- DIRE ET JUGER que sur présentation de la grosse de l'arrêt à intervenir,Mme [M] [N] veuve [L] se fera remettre par la MACSF, la totalité des sommes figurant sur le contrat d'assurance-vie numéro d'adhésion n° 0000011 souscrit par Monsieur [G] [L] à effet au 1er janvier 1991.

SUBSIDIAIREMENT

et à défaut de nullité de l' avenant du 12 janvier 2018 modifiant la clause bénéficiaire,

- DIRE ET JUGER que la libéralité consentie par Monsieur [L] le 12 janvier 2018 au profit de Madame [W] [I], porte atteinte à la réserve héréditaire par application des articles 924 et suivants du code civil.

-CONSTATER le caractère excessif des primes versées et faire application de l'article L. 132-13 du Code des assurances.

- DIRE et JUGER que sur présentation de la grosse de l'arrêt à intervenir, Maître [R] [J] notaire à [Localité 4] en charge de la succession [L], se fera remettre par la MACSF la totalité des sommes figurant sur le contrat d'assurance-vie numéro d'adhésion n0000011 souscrit par Monsieur [G] [L] à effet au l " janvier 1991, afin de procéder à l' établissement de l' acte de partage successoral dans les formes des articles 924 et suivants du code civil.

EN TOUT ÉTAT DE CAUSE

- CONDAMNER Madame [W] [I] à payer à M. [G] [L] et M. [P] [L] la somme de 5.000 € par application des dispositions de I'article 700 du Code de procédure civile,

- Condamner Madame [W] [I] aux entiers dépens de première instance et d'appel, recouvrés conformément à l'article 699 du Code de Procédure Civile.'

Dans le dernier état de ses conclusions récapitulatives déposées par voie électronique le 12 Avril 2022, Madame [W] [I] demande à la cour de :

Vu les pièces versées aux débats,

Vu les dispositions des articles 414-1 et suivants du Code Civil, 901 et 902 du Code Civil,

Vu l'article L132-8 du code des Assurances,

Vu la jurisprudence citée,

DEBOUTER Mme [N] veuve [L] et M. [P] [L] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions.

CONFIRMER en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal de Grasse n °2021/133 en date du 21 janvier 2021.

y AJOUTANT

CONDAMNER conjointement et solidairement Mme [N] veuve [L] et M. [P] [L] à régler à Mlle [W] [I] une somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

CONDAMNER conjointement et solidairement Mme [N] veuve [L] et M. [P] [L] aux entiers dépens de l'instance dont distraction au profit de de la SCP BLANC BUROSSE GOURGUE PEYNAUD conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.'

Par requête aux fins de fixation prioritaire en date du 10 Mars 2022, exposant que l'affaire présentait un état d'urgence et qu'elle était en l'état d'être jugée, les appelants sollicitaient la fixation de cette dernière à bref délai.

Par ordonnance du 25 Mars 2022, la demande de fixation prioritaire a été rejetée et l'affaire fixée à plaider le 14 septembre 2022 , l'ordonnance de clôture devant intervenir le 25 Mai 2022

La procédure a été clôturée le 25 Mai 2022 .

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'étendue de la saisine de la cour

En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé pour plus de précisions sur les faits, prétentions et arguments des parties aux conclusions récapitulatives régulièrement déposées.

Il convient de rappeler qu'en application de l'article 954 du code de procédure civile, la Cour ne doit statuer que sur les prétentions énoncées au dispositif.

Ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile les demandes des parties tendant à voir 'constater' ou 'donner acte', de sorte que la cour n'a pas à y répondre.

Par ailleurs l'effet dévolutif de l'appel implique que la Cour connaisse des faits survenus au cours de l'instance d'appel et depuis le jugement déféré et statue sur tous les éléments qui lui sont produits même s'ils ne se sont révélés à la connaissance des parties qu'en cours d'instance d'appel.

Toutes les dispositions du jugement entrepris qui ne sont pas contestées par les parties sont devenues définitives : il en est ainsi de celle ayant déclaré Monsieur [P] [L] recevable en son intervention volontaire.

Toutes les autres dispositions du jugement sont critiquées.

Sur le fond

Sur la nullité de l'avenant à la clause bénéficiaire du contrat d'assurance vie souscrit au profit de Madame [W] [I]:

L'examen des pièces révèle que le n° du contrat d'assurances vie souscrit auprès de la MASCF par feu M. [G] [L] à effet au 1er janvier 1991 porte le n° 1143882 39/T 122 001 et non le n° 000011 comme indiqué dans les conclusions des appelants.

Madame [M] [N] Veuve [L] et Monsieur [P] [L] soutiennent que le changement brutal de clause bénéficiaire par l'éviction de l'épouse au profit d'une seule de ses trois petites filles par M. [G] [L] le 12 janvier 2018 n'obéit à aucune logique et trouve sa cause exclusive dans l'altération du discernement de son rédacteur , cet acte portant en lui même la preuve d'un trouble mental.

L'intimée expose que M. [G] [L] avait la pleine capacité de ses moyens jusqu'à son décès accidentel en septembre 2018, et que les appelants n' en apportent pas la preuve contraire.

Le premier juge a débouté Madame [M] [N] Veuve [L] et Monsieur [P] [L] de cette demande relevant que l'acte ne portait pas en lui -même la preuve d'un trouble mental de son auteur, la désignation de Madame [W] [I] en qualité de bénéficiaire de l'assurance vie correspondant à une volonté ancienne et non équivoque de doter directement cette petite fille.

L'article 414-1 du code civil pose le principe selon lequel,' pour faire un acte valable, il faut être sain d'esprit. C'est à ceux qui agissent en nullité pour cette cause de prouver l'existence d'un trouble mental au moment de l'acte.'

L'article 414-2 du même code rappelle que 'de son vivant, l'action en nullité n'appartient qu'à l'interessé. Après sa mort, les actes faits par lui, autres que la donation entre vifs et le testament, ne peuvent être attaqués par ses héritiers , pour insanité d'esprit, que dans les cas suivants:

1° Si l'acte porte en lui -même la preuve d'un trouble mental

2° S'il a été fait alors que l'interessé était sous sauvegarde de justice

3° Si une action a été introduite avant son décès aux fins d'ouverture d'une curatelle ou d'une tutelle ou aux fins d'habilitation familiale ou si effet a été donné au mandat de protection future.

Contrairement à ce que soutiennent les appelants, ce sont ces articles qui sont applicables à l'espèce et non l'article 901 du code civil.

Il est constant que M. [G] [L] n'a jamais fait l'objet d'une mesure de protection judiciaire et qu'aucune action n'a été introduite à cette fin avant son décès.

Il appartient en conséquence aux appelants d'apporter la preuve de ce que l'acte litigieux porte en lui-même la preuve d'un trouble mental.

M. [G] [L] a souscrit auprès de la MASCF un contrat d'assurance-vie à effet au 1er janvier 1991.

Il n'est pas justifié en cause d'appel du contrat initial et de le/la bénéficiaire du capital assuré désigné-é par M.[L].

Madame Veuve [L] soutient avoir été, pendant de longues années, la seule bénéficiaire de ce contrat.

Le 27 Mai 2002, M. [G] [L] a procédé à une modification de cette clause 'bénéficiaire', instituant son épouse comme bénéficiaire de la totalité du capital mais précisant que si cette clause ne trouvait pas à s'appliquer, les sommes seraient à répartir par tiers et à égalité entre son fils [P] , sa fille [F] , et sa petite fille [W] , fille de [F] , prévoyant précisemment le contrôle de la part de cette petite fille par sa propre épouse, ou un tuteur nommé par un juge en cas de minorité de [W] à son décès .

Le 12 janvier 2018, M. [G] [L] procède à une dernière modification de cette clause désignant, en qualité de bénéficiaire, aux termes d'une phrase écrite de sa main, [W] [I] , née le 13 septembre 1966 à [Localité 5] , à défaut son épouse, [M] [L].

Il est constant que feu [G] [L] a toujours eu à coeur de préserver la situation patrimoniale de son épouse après son décès et la donation qu'il lui a consentie le 18 Mars 1974 portant sur la totalité des biens, droits mobiliers et immobiliers qui composeront sa succession, sa lettre manuscrite explicitant à son épouse le mécanisme de sa succession à venir et ses conseils, et comme en atteste le testament olographe du 5 février 2009 par lequel il lègue à son épouse l'usufruit de la totalité des biens dépendant de sa succession le démontrent.

Néanmoins, et malgré plus de 50 années de mariage, [G] [L] n'a pas fait le choix d'un changement de régime matrimonial, restant sous le régime de la séparation de biens plutôt que d'adopter le régime de la communauté d'acquêts ou celui de la communauté universelle.

Il n'a donc pas souhaité transmettre à cette dernière la totalité de ses biens.

Il a démontré au contraire un attachement particulier à la petite [W] , au travers de la procédure qu'il a engagée avec son épouse courant 1999 afin d'obtenir un droit de visite et d'hébergement avec cette enfant, et sa volonté d'établir avec elle un lien pérenne malgré ses difficultés relationnelles très conflictuelles , à l'époque, avec sa fille [F].

Il résulte des termes de l'enquête sociale ordonnée par le juge aux affaires familiales de [Localité 5] dans le cadre de cette procédure, et établie le 25 juin 2000 que:

'une des questions essentielles que se posait M. [L] au moment de notre rencontre portait sur les moyens légaux à envisager pour la dotation future de sa petite fille',

et que :

' son souci est actuellement de doter [W], sans que [F], puisse dilapider ce qu'il compte laisser à sa petite fille.'

Il résulte de ces pièces, que, 18 ans avant la modification litigieuse de la clause bénéficiaire de ce contrat d'assurance vie, feu [G] [L] cherchait à doter particulièrement et directement sa petite fille.

Madame [W] [I] expose avoir rencontré régulièrement ses grands parents et maintenir des liens avec eux, postérieurement à cette procédure , sans être véritablement contredite par les appelants sur ce point.

En conséquence, c'est à juste titre et après avoir fait une analyse exacte des faits de l'espèce, que le premier juge a retenu que la dernière modification de la clause bénéficiaire de l'assurance vie intervenue en 2018, alors que sa petite fille était devenue majeure, s'inscrit dans le prolongement de la préoccupation manifestée dès 2000 par [G] [L], à l'endroit de cette dernière.

Il s'en suit que la dernière modification ne présente aucun caractère d'aberration, d'incongruité, ou d'illogisme particulier et ne porte pas en lui-même la preuve d'une trouble mental de son auteur .

Par ailleurs, les appelants s'attachent à démontrer l'insanité d'esprit d'[G] [L].

Il est établi que le de cujus était atteint depuis de très nombreuses années d'une pathologie neurologique dénommée syndrôme 'Gilles de la Tourette' qui se manifeste' par des tics multiples associés à des grognements, des reniflements et des vocalisations involontaires et dont l'évolution se déroule sur des années, occasionnant des troubles du comportement . Il peut y avoir des troubles de l'attention et des perturbations des tests psychomatriques mais il n'y a pas de démence et les traitements appliqués sont peu satisfaisants.'

Les appelants produisent de très nombreux documents remontant aux années 1990 ( compte rendus manuscrits d'[G] [L] sur son état de santé et l'évolution de celui-ci pendant plusieurs années) 1994( bilan cardiologique), 1999,( attestation de [S] [X] [L] non recevable faute de production de sa pièce d'identité)2006, 2010 , 2011( auto prescription du Dr [L]) .

Ces éléments corroborent la pénibilité de cette maladie , l'impact qu'elle a pu avoir sur le mode de vie du de cujus par périodes, et l'existence du grave épisode dépressif subi par ce dernier suite au décès de sa fille [D] en 1988.

Ils confirment également avec certitude l'observation aigüe, professionnelle et critique d'[G] [L] sur sa maladie , en suivant l'évolution pas à pas et testant les divers traitements possibles susceptibles d'améliorer son état, ce qui démontre une acuité intellectuelle restée vigilante et vive qui correspond à la fiche descriptive de cette maladie laquelle n'affecte pas les capacités cognitives ni l'espérance de vie.

L'expertise psychiatrique et psychologique diligentée en 2000 dans le cadre du contentieux ayant opposé les époux [L] à leur fille [F] pour l'établissement d'un droit de viste et d'hébergement sur la petite [W] relate:

'il s'agit d'un homme dont la conscience au sens de vigilance n'est en rien altérée ; il est bien orienté dans le temps et l'espace et nous n'avons jamais pu mettre en évidence de carence du jugement ou du raisonnement. Il s'agit d'un sujet intelligent chez qui rien ne fait suspecter un début d'affaiblissement intellectuel...

Mr [L] souffre d'une affection neuro-psychiatrique dont le pôle psychiatrique est absent. Chez lui, il n'y a pas de tendances compulsives à toucher autrui. Il ne répète pas les mots ou phrases, n'a pas d'émissions explosives d'obscénités et l'exploration psychologique clinique et aux tests n'a pas montré de troubles du comportements mais un certain humour , une absence de signes de la série psychotique , pas de signe de détérioration intellectuelle. '

Ce rapport conclut:

'le sujet est atteint de troubles neurologiques et non de troubles psychologiques ou psychiatriques.

Ne souffrant pas de maladie mentale ni de troubles du comportement, il n'y a pas lieu d'envisager un quelconque traitement à visée psychiatrique ou de traitement psychologique.'

Il est également établi que jusqu'à son décès, [G] [L] a effectué en toute autonomie des actes de disposition sur son patrimoine, rédaction d'un testament olographe le 5 février 2009, vente le 1er Août 2014 d'un local commercial , de studios et d'un appartement en duplex , puis le 8 avril 2016 , vente de lots de copropriété à [Localité 6] dont il était propriétaire indivis avec son épouse et sa fille , sans que ces actes n'aient jamais été remis en cause par sa famille, ni que les notaires aient cru bon s'interroger sur les facultés intellectuelles et la capacité de ce dernier.

Enfin, il a continué à gérer le patrimoine familial seul , en toute conscience , sans que le fait qu'après sa mort , des redressements fiscaux minimes opérés par/pour oubli de déclaration de rente soient de nature à remettre en cause cette capacité.

Les appelants ne peuvent s'emparer d'un chèque annoté par feu [G] [L] ' quand je perds la tête' du 7 décembre 2016, pour lui attribuer des épisodes confusionnels alors qu' à la même époque, ils n'ont pas contesté sa capacité à disposer de biens immobiliers et qu'au contraire cette mention démontre le regard critique et parfaitement conscient de M. [G] [L] sur ses actes.

En tout état de cause, du 12 janvier 2018 à son décès accidentel en septembre 2018 alors qu'il revenait d'une séance de natation en pleine mer, [G] [L], qui en avait la possibilité et continuait de gérer en toute confiance et autonomie son patrimoine et celui de son épouse , n'a pas modifié la clause bénéficiaire litigieuse et a donc maintenu une volonté non équivoque de doter sa petite fille.

C'est en faisant une exacte appréciation des faits de la cause que le premier juge a débouté Madame [M] [N] Veuve [L] et Madame [W] [I] de leur demande de ce chef.

Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur l'atteinte à la réserve héréditaire:

Madame [M] [N] Veuve [L] et Monsieur [P] [L] soutiennent , à titre subsidiaire que ce contrat d'assurance vie constitue une donation indirecte au profit de Madame [W] [I] , portant nécessairement atteinte à la quotité disponible par application des articles 924 et suivants du code civil , Madame [M] [N] Veuve [L] n'ayant reçu qu'un peu plus de 6 % du patrimoine total de son époux. Ils sollicitent que la totalité des sommes figurant sur le contrat d'assurances vie soient remises au notaire chargé de la succession .

Le premier juge les a déboutés de cette demande.

Aux termes de l'article 893 du code civil, la libéralité est l'acte par lequel une personne dispose à titre gratuit de tout ou partie de ses biens ou de ses droits au profit d'une autre personne. Il ne peut être fait de libéralité que par donation entre vifs ou par testament.

L'article 894 du même code précise que la donation entre vifs est une acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée, en faveur du donateur qui l'accepte.

II résulte des articles 920 et suivants du code civil que les libéralités, directes ou indirectes, qui portent atteinte à la réserve d'un ou plusieurs héritiers, sont réductibles à la quotité disponible lors de l'ouverture de la succession. La réduction se détermine en formant une masse de tous les biens existant au décès du donateur ou testateur et en réunissant fictivement à cette masse les biens dont il a été disposé par donations entre vifs. Lorsque la libéralité excède la quotité disponible, le gratifié, successible ou non successible; doit indemniser les héritiers réservataires à concurrence de la portion excessive de la libéralité, quel que soit cet excédent.

L'existence d'une donation indirecte implique que les conditions définies à l'article 894 du code civil soient réunies, c'est-à-dire qu'il soit fait la preuve, par celui qui invoque l'existence d'une donation, du dépouillement irrévocable du prétendu donateur et de son intention libérale, ainsi que de l'acceptation du bénéficiaire du vivant du donateur. II suffit que l'une de ces conditions manque pour que la qualification de donation soit écartée.

Ainsi, un contrat d'assurance-vie peut être requalifié en donation si les circonstances dans lesquelles son bénéficiaire a été désigné révèlent la volonté du souscripteur de se dépouiller de manière irrévocable; l'absence d'aléa peut notamment être caractérisée lorsque la disposition n'a été prise que quelques jours avant le décès du souscripteur.

Tel n'est pas le cas en l'espèce, M. [L] ayant eu la possibilité pendant plus de 8 mois de revenir sur la désignation de sa petite fille: il n'est donc pas démontré de dépouillement irrévocable d'autant que [W] [I] n'avait pas connaissance de la clause bénéficiaire la concernant.

En l'espèce, à hauteur d'appel, à ce sujet, aucune pièce nouvelle n' est produite par les appelants ; dans ces circonstances, adoptant les motifs pertinents du premier juge sans qu'il soit utile de les paraphraser, le jugement sera confirmé également, ayant à juste titre retenu qu'il n'est pas démontré qu'[G] [L] avait eu l'intention de se dépouiller de manière irrévocable au profit de sa petite-fille et qu'il n'y a pas lieu de requalifier cette modification de clause bénéficiaire en donation indirecte.

Sur la réduction des primes excessives:

L'article L 132-12 du code des assurances dispose que la capital ou la rente stipulés payables lors du décès de l'assuré à un bénéficiaire déterminé ou à ses héritiers ne font pas partie de la succession de l'assuré. Le bénéficiaire , quelles que soient la forme et la date de sa désignation, est réputé y avoir eu seul droit à partir du jour du contrat, même si son acceptation est postérieure à la mort de l'assuré.

Aux termes de l'article L 132-13 du code des assurances, le capital ou la rente payables au décès du contractant à un bénéficiaire déterminé ne sont soumis ni aux règles du rapport à la succession, ni à celles de la réduction pour atteinte à la réserve héréditaire du contractant. Ces règles ne s'appliquent pas non plus aux sommes versées par le contractant à titre de primes , à moins que celles ci n'aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés.

Une prime ne peut être jugée manifestement exagérée que si, au jour de son versement sur le contrat d'assurance-vie, est rapportée la preuve cumulative de la disproportion de ladite prime et de son absence d'utilité pour le soucripteur. L'établissement d'un seul de ces critères ne suffit pas à ce qu'une prime soit réputée manifestement exagérée.

Il résulte du seul relevé de situation de ce contrat d'assurance-vie produit aux débats, en date du 31 décembre 2016, que :

- le total des cotisations versées depuis l'origine du contrat est de 698 483,28 € sans aucune ventilation quant à l'origine des différentes primes versées,

- aucune cotisation n'a été versée en 2016,

- un rachat partiel de 30 000€ est intervenu en 2016

- le montant total des rachats partiels depuis l'origine du contrat est de 405 000 €.

Il apparait qu'au 31 décembre 2016 , le capital constitué sur ce contrat s'élève à la somme de 1 698 229,65 €.

Il découle de ces élèments qu'[G] [L], qui a dû cesser son exercice professionnel de chirurgien compte tenu de sa maladie, a effectué régulièrement des rachats sur ce contrat constitué grâce aux sommes qui lui ont été versées lors de la cessation de cette activité ,rachat dont l'utilité économique est évidente .

En effet, ces sommes représentaient des compléments de revenus selon le mécanisme qu'il explicitait à son épouse dans son courrier d' octobre 1991 et constituent des opérations de prévoyance qui ne peuvent être qualifiées de manifestement excessives.

La déclaration de succession produite en cause d'appel révèle que , contrairement à ce que soutiennent les appelants, le patrimoine du de cujus n'était pas uniquement constitué du bien immobilier, domicile conjugal mais du solde de comptes bancaires du de cujus pour 274 117,24 € et de biens indivis sur la commune de [Localité 7] pour un total d'actif net de succession de 1 120 279,91 €, somme sur laquelle, Madame [M] [N] Veuve [L] a droit à 210 722,78 €.

Par ailleurs, il résulte du courriel, en date du 26 Mai 2019 , envoyé par Madame [M] [N] Veuve [L] à ses enfants, [P] et [F] [L], que Madame [M] [N] Veuve [L] dispose de pièces d'or et d'argent, acquises par feu [G] [L], et mentionne notamment ' 3 principales pièces d'or pesant chacune 1 kg , le kilogramme d'or étant estimé à la date de l'envoi à hauteur de 37 000 €.'

Ces biens mobiliers n'ont pas été déclarés comme faisant partie de la succession et ce courriel contient instruction par Madame [M] [N] Veuve [L] à Monsieur [P] [L] de procéder à un partage officieux de ces pièces.

Il résulte également de la pièce 53 des appelants, courriel de la direction des finances publiques que [G] [L] et son épouse disposaient d'une rente viagère dont le montant était de 8528 euros en 2017 et 6682 euros en 2018 , rente n'apparaissant pas non plus dans la déclaration de succession.

Enfin, et ainsi que l'a relevé le premier juge , le défunt avait constitué de son vivant un patrimoine non négligeable hérité pour partie de ses parents, il avait effectué des donations à ses enfants et également souscrit plusieurs contrats d'assurance-vie au regard du courrier qu'il écrivait à son épouse en octobre 1991 où il évoque à plusieurs reprises' les 'contrats d'assurance-vie, et qu'il avait fait des legs particuliers aux termes de son testament olographe du 5 novembre 2009.

C'est à juste titre que le premier juge a retenu qu'il n'était pas possible au regard des pièces versées d 'établir la consistance du patrimoine du défunt au jour de son décès, ni de déterminer les donations entre vifs qu'il conviendrait de réunir fictivement à cette masse afin de calculer la quotité disponible dont M. [G] [L] pouvait librement disposer.

Madame [M] [N] Veuve [L] et Monsieur [P] [L] seront également déboutés de leur demande à ce titre et le jugement confirmé de ce chef.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Le jugement entrepris doit être confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.

La solidarité ne se présume pas et elle est, soit soit légale soit conventionnelle.

Madame [M] [N] Veuve [L] et Monsieur [P] [L] qui succombent supporteront in solidum les dépens d'appel qui pourront être recouvrés par leur avocat.

Madame [W] [I] a exposé des frais de défense complémentaires en cause d'appel ; il convient de faire application de l'article 700 du code de procédure civile à son profit à hauteur de 5000 euros.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Condamne in solidum Madame [M] [N] Veuve [L] et Monsieur [P] [L] aux dépens d'appel qui seront recouvrés par la SCP BLANC BUROSSE GOURGUE PEYNAUD conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

Condamne in solidum Madame [M] [N] Veuve [L] et Monsieur [P] [L] à verser à Madame [W] [I] une indemnité complémentaire de 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

Signé par Madame Michèle JAILLET, présidente, et par Madame Anne-marie BLANCO, greffière, auxquelles la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.

la greffière la présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 2-4
Numéro d'arrêt : 21/02295
Date de la décision : 02/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-02;21.02295 ?
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