COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-5
ARRÊT AU FOND
DU 27 OCTOBRE 2022
N°2022/
MS
Rôle N° RG 19/14002 - N° Portalis DBVB-V-B7D-BE2TS
SAS AUTOMOTIV
C/
[A] [P]
Copie exécutoire délivrée
le : 27/10/22
à :
- Me Nino PARRAVICINI de la SELARL NINO PARRAVICINI, avocat au barreau de NICE
- Me Nathalie KOULMANN, avocat au barreau de NICE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de NICE en date du 25 Juillet 2019 enregistré(e) au répertoire général sous le n° F17/00636.
APPELANTE
SAS AUTOMOTIV, demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Nino PARRAVICINI de la SELARL NINO PARRAVICINI, avocat au barreau de NICE
INTIMEE
Madame [A] [P], demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Nathalie KOULMANN, avocat au barreau de NICE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 23 Juin 2022 en audience publique, les avocats ayant été invités à l'appel des causes à demander à ce que l'affaire soit renvoyée à une audience collégiale s'ils n'acceptaient pas de plaider devant les magistrats rapporteurs et ayant renoncé à cette collégialité, l'affaire a été débattue devant Madame Michelle SALVAN, Président de Chambre, et Monsieur Antoine LEPERCHEY, Conseiller.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Michelle SALVAN, Président de Chambre
Madame Mariane ALVARADE, Conseiller
Monsieur Antoine LEPERCHEY, Conseiller
Greffier lors des débats : Mme Karen VANNUCCI.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 13 Octobre 2022, prorogé au 27 octobre 2022.
ARRÊT
contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 27 Octobre 2022.
Signé par Madame Michelle SALVAN, Président de Chambre et Mme Karen VANNUCCI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* * *
FAITS ET PROCÉDURE
Mme [A] [P] a été engagée par la société Gaudel Nice, à compter du 1er juin 2001 en qualité de secrétaire commerciale suivant contrat de travail à durée indéterminée à temps complet, contrat transféré à la SAS Automotiv courant 2005. Par avenant au contrat de travail, Mme [P] s'est vue confier des fonctions d'assistante de direction à compter du 1er mars 2011.
A la date de la rupture du contrat de travail, elle percevait une rémunération brute mensuelle de 2 723, 24 euros.
Les relations contractuelles étaient soumises à la convention collective nationale des services de l'automobile.
Mme [P] s'est trouvée placée en arrêt de travail pour maladie de droit commun à compter du 25 août 2016. Le 1er juillet 2017 la caisse primaire d'assurance maladie l'a informée de l'arrêt du versement de ses indemnités journalières.
Le 12 juillet 2017, Mme [P] a saisi le conseil de prud'hommes de Nice d'une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur en invoquant un harcèlement moral, le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité ainsi qu'un travail dissimulé.
Après une visite de pré-reprise en date du 23 juin 2017, le médecin du travail à l'issue de la visite de reprise du 17 juillet 2017 l'a déclarée définitivement inapte en ces termes : 'j'estime que le maintien de cette salariée dans son emploi serait gravement préjudiciable à sa santé, dont l'état fait par ailleurs obstacle à tout reclassement dans l'entreprise' avec mention d'un 'danger immédiat'.
A la suite de la contestation de cet avis par l'employeur, le médecin expert désigné a confirmé l'inaptitude définitive de Mme [P] 'à son poste de travail dans l'entreprise Automotiv et dans son état actuel à tout poste de secrétaire de direction'. Par ordonnance de référé du 5 février 2018, le conseil de prud'hommes de Nice a confirmé l'avis d'inaptitude.
Après avoir été convoquée à un entretien préalable fixé le 7 février 2018, auquel elle ne s'est pas présentée, Mme [P] a été licenciée pour inaptitude avec impossibilité de reclassement par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 22 février 2018.
Par jugement du 25 juillet 2019, la formation de départage du conseil de prud'hommes de Nice a :
- déclaré sans objet la demande de résiliation judiciaire,
- jugé que le licenciement pour inaptitude est nul pour méconnaissance des dispositions relatives au harcèlement moral,
- condamné la SAS Automotiv à payer à Mme [P] :
6.659,02 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 665,902 euros au titre des congés payés y afférents,
39.954,12 euros au titre du licenciement nul,
4.000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral,
206, 61 euros à titre de rappel de salaire et 20, 661 euros au titre des congés payés y afférents,
1.800 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
- condamné la SAS Automotiv à payer en deniers ou quittances à Mme [P] le reste du solde de tout compte,
- ordonné la remise d'un exemplaire du contrat de mutuelle de groupe, ainsi que les bulletins de salaire de juillet, août, octobre, novembre et décembre 2017, sans astreinte,
- ordonné le remboursement par la SAS Automotiv des indemnités de chômage versées à Mme [P] dans la limite de six mois d'indemnités,
- dit que la moyenne des trois derniers mois de salaires s'élève à 3 329, 51 euros,
- débouté Mme [P] de ses plus amples demandes,
- condamné la SAS Automotiv aux dépens.
La SAS Automotiv a interjeté appel de cette décision dans des formes et délais qui ne sont pas critiqués.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 9 juin 2022.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par conclusions notifiées par voie électronique le 22 novembre 2021, la SAS Automotiv demande d'infirmer le jugement et :
Constater qu'aucun poste n'était disponible au sein de la société ou du groupe auquel elle appartient,
En conséquence,
juger que Mme [P] n'a pas subi de harcèlement moral,
juger que 1'inaptitude n'est pas due à ses conditions de travail,
juger que la société a valablement procédé à des recherches de reclassement, qui se sont révélées infructueuses,
juger que la société ne devait pas consulter les délégués du personnel,
juger que Mme [P] a bénéficié de formations internes,
juger que Mme [P] a perçu la somme de 14.057,93 euros au titre de son solde de tout compte, a refusé le chèque proposé à la barre de la section référé du Conseil de Prud'hommes de Nice et a formé opposition au prix de la cession du fonds de commerce, et qu'elle finira par être réglé de la totalité des sommes lui revenant outre 2.116,66 euros d'intérêts et frais.
En conséquence, de débouter Mme [P] de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions.
Elle demande de confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré sans objet la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail, débouté de ses plus amples demandes tenant notamment au manquement de l'employeur à l'ob1igation de sécurité et de résultat et à un prétendu avantage en nature.
A titre très subsidiaire, elle demande à la cour de réduire les sommes allouées au titre de la nullité du licenciement à de plus justes proportions en 1'absence de démonstration d'un préjudice justifiant des indemnités à hauteur de 40.000 euros et les ramener à 7236,87 euros, de débouter la salariée de la demande de dommages et intérêts distincts au titre du harcèlement moral, en tout état de cause, de condamner Mme [P] aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme de 1.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
La société appelante fait valoir :
*sur le harcèlement moral
- que Mme [P] ayant été licenciée en cours de procédure, antérieurement à la demande de résiliation judiciaire une telle demande ne peut prospérer, un même contrat de travail ne pouvant être rompu deux fois,
- que la salariée n'établit aucun élément concret et précis laissant présumer un harcèlement moral en produisant des échanges électroniques tronqués, sortis de leur contexte, ne la concernant pas tous s'étalant sur une très longue période, et montrant que la salariée mettait systématiquement en cause le travail de ses collègues sans avoir jamais été sanctionnée pour cela, et qu'elle souffrait de problèmes personnels sans lien avec le comportement de M. [S], qui n'est pas son supérieur direct et usait normalement de son pouvoir de direction en donnant des instructions, ainsi que deux attestations non probantes,
- que les problèmes de santé présentés par Mme [P] ne sont pas en lien de causalité avec une dégradation de ses conditions de travail mais des problèmes personnels qui ont fini par affecter la qualité de son travail et engendrer des remontrances, ce qui ressort en particulier du rapport de l'expert nommé par le conseil de prud'hommes (docteur [K]) qui ne met pas en cause la SAS Automotiv ;
- que six collègues de travail ont attesté que Mme [P] ne s'est jamais plainte d'un harcèlement et ont tous décrit jusqu'à son départ en maladie ses complaintes concernant son conjoint,
* sur le licenciement pour inaptitude
- que le licenciement n'est pas nul en l'absence de harcèlement moral mais fondé sur une cause réelle et sérieuse, l'inaptitude de Mme [P] à son poste de travail dans l'entreprise et à tout poste de secrétaire de direction,
* sur l'obligation de recherche d'un reclassement
- qu'aucun poste n'était disponible dans l'entreprise et que la SAS Automotiv n'avait pas l'obligation de créer un poste,
* sur le manquement à l'obligation d'adaptation
- que la salariée a été formée aux outils informatiques tout au long de la relation contractuelle soit directement par la société soit par le constructeur.
* sur le manquement à l'obligation de sécurité
- que la salariée n'était pas soumise à une obligation de surveillance médicale renforcée,
- que les délais de fréquence des visites médicales ont augmenté, passant de 2 à 5 ans,
* sur le travail dissimulé
- que Mme [P] ne disposait d'aucun véhicule de fonction,
- qu'elle produit à titre de preuve de son allégation une fausse « attestation de véhicule de direction » rédigée un mois avant son arrêt de maladie portant sa signature et le cachet du service commercial et mentionnant que le véhicule est assuré auprès d'Axa alors qu'il était assuré auprès de la Matmut.
* sur l'indemnisation
- que les sommes allouées par le conseil de prud'hommes dont une indemnité pour licenciement nul correspondant à 12 mois de salaire doivent être modérées.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 23 mars 2022, Mme [P] demande à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il a déclaré sans objet la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail qui est antérieure au licenciement, de juger que cette rupture s'analyse en un licenciement nul et à tout le moins sans cause réelle et sérieuse, subsidiairement, de constater le lien entre l'inaptitude et les manquements de la SAS Automotiv à ses obligations, très subsidiairement de constater l'absence de respect par la société de son obligation de recherche de reclassement et de consultation des représentants du personnel et de condamner l'employeur au paiement de la somme de 54.464, 80 euros à titre de dommages-intérêts (le conseil de prud'hommes ayant alloué la somme de 39.954,12 euros).
En tout état de cause, il est demandé de constater les manquements de la société dans le cadre de l'exécution de son contrat de travail, infirmant sur le quantum, de porter le montant des dommages intérêts pour préjudice subi du fait du harcèlement moral à la somme de 16.339, 44 euros (au lieu de 4.000 euros allouée par le conseil de prud'hommes) de condamner la SAS Automotiv au paiement des sommes suivantes :
- dommages intérêts pour préjudice subi du fait du manquement à l'obligation d'adaptation : 8.169, 72 euros (soit trois mois de salaire),
- dommages-intérêts pour préjudice subi du fait du manquement à l'obligation de sécurité de résultat : 8.169,72 euros,
- indemnité pour travail dissimulé : 16.339, 44 euros.
L'intimée demande de confirmer le jugement en ses autres dispositions et de condamner l'appelante à lui payer la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre aux entiers dépens de l'instance.
Mme [P] réplique que :
- le conseil de prud'hommes aurait dû se prononcer sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail fondée sur de graves et multiples manquement de l'employeur aux obligations du contrat de travail, en ce que :
- elle subissait un harcèlement moral de sa direction à l'origine de son inaptitude,
- en onze ans, elle n'a jamais bénéficié d'aucune formation qui aurait pu l'aider dans son évolution au sein de l'entreprise et lui permettre d'être au point sur les dernières technologies et outils utilisés dans son travail quotidien, ce qui contribuait à son état de dépression,
- lors de sa visite médicale d'embauche, elle a été qualifiée de salariée relevant d'une surveillance médicale renforcée. Elle devait donc non seulement bénéficier d'un examen périodique tous les vingt-quatre mois, mais aussi d'un examen de nature médicale.
- le licenciement est sans cause réelle et sérieuse en raison du manquement de l'employeur à son obligation de reclassement ; dans son rapport d'expertise du 19 décembre 2017, l'expert [K] a conclu qu'elle était inapte à son poste de travail dans l'entreprise et dans son état actuel à tout poste de secrétaire de direction ; cet avis ne dispensait pas l'employeur de son obligation de reclassement, or l'employeur ne justifie pas avoir recherché de reclassement dans un certain nombre de sociétés du groupe,
- le licenciement est sans cause réelle et sérieuse en raison du manquement de l'employeur à son obligation de consultation des représentants du personnel, règle qui s'applique à compter du 1er janvier 2017 même en cas d'inaptitude d'origine non professionnelle,
- le véhicule de fonction qui était mis à sa disposition n'était pas déclaré en tant qu'élément de salaire par son employeur ; si la signature de la salariée figure sur l'attestation de véhicule de direction contestée par l'employeur, celle-ci a été faite à la demande de la société ; elle n'a fait « qu'exécuter un ordre sans savoir que plus tard ce document « allait être utilisé contre elle »,
- si elle a aujourd'hui retrouvé un emploi après deux années difficiles de chômage elle a dû attendre deux ans après son licenciement pour percevoir l'intégralité du paiement de son solde de tout compte.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur les demandes relatives à l'exécution du contrat de travail
1- Sur le harcèlement moral
Selon l'article L. 1152-1 du code du travail aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
En application du même texte et de l'article L. 1154-1 du code du travail, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement.
Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
En l'espèce, Mme [P] explique qu'étant connue comme un « excellent élément du monde automobile », sacrifiant sa vie familiale pour son travail, elle était victime d'un management par le stress en recevant en permanence des instructions qu'elle devait exécuter en urgence, sur un ton insultant ; le harcèlement moral qu'elle subissait de la part de son directeur M. [S] est à l'origine de son état dépressif et elle a été licenciée sans cause réelle et sérieuse.
Au soutien de son allégation d'un harcèlement moral elle produit :
- des échanges de mails entre elle-même et M. [S], entre 2013 et 2016, en particulier :
* 10 mars 2015 : « Vous allez arrêter de prendre vos patrons pour des imbéciles
(') », « vous n'apportez aucune rigueur », « on ne peut plus rien vous demander. Par contre vous avez toujours un salaire très honorable pour votre fonction. Bref, vous n'êtes plus la [A] d'avant. Quand allez-vous, vous en rendre compte ' quand il sera trop tard ' IL Y A 6 MOIS CE N'EST PAS VOUS, QUI AURAIT PRIS L'INITIATIVE ' Remontez dans le temps ! »
*13 avril 2015 : « Vous êtes en train de passer votre temps à jouer au PING PONG avec la messagerie », « Il vous en faut combien pour faire un travail exact et sans retours ' On ne peut que constater une très grande lacune dans votre service !!! VEUILLEZ EFFECTUER UN TRAVAIL DE QUALITE ET SANS ETRE OBLIGER D'EFFECTUER DES INCESSANTES RECTIFICATIONS »
* 16 avril 2015 : « JE NE PRENDS PAS EN CONSIDERATION VOTRE REPONSE. SUR TOUT VOUS VOULEZ AVOIR RAISON. En étant la plus ancienne et la plus expérimentée, vous devez montrer l'exemple, mais loin de là. Vous vous fâchez avec toutes les personnes du service, en disant cela je ne les excuse pas du tout, je sais qu'ils ont une grande part de responsabilité mais vu les livraisons ' la semaine prochaine suis absent et [D] part demain soir !! et encore vous voulez avoir raison ' »
* 26 juin 2015 : « Cela ne me convient déjà pas. Vous n'avez rien à faire au bureau du fonds », « SURTOUT NE ME PRENEZ PAS POUR QUI JE NE SUIS PAS. Tout le hall RIGOLE !!!!! »
* 7 juillet 2015 : « Comme vous le savez [I] est en Congé cette semaine (4 jours). Pendant ses absences vous devez effectuer les livraisons administratives des clients », « Et aussi pour éviter tout amalgame futur. Votre présence entre 12h et 14h je ne vous ai pas demandé de le faire »
* 4 juillet 2016 : « Je commence en avoir plein le dos de poser une question et qu'on me réponde à côté. Soit je m'exprime mal. Soit vous comprenez rien (') C'EST SIMPLE ET ON DOIT ME REPONDRE OUI OU NON IL M'EN RESTE TANT A FAIRE. Je ne veux pas savoir COMBIEN VOUS EN AVEZ ENVOYE !!! ET COMBIEN ILS NOUS ONT PAYES !!! »
* 23 août 2016 : « MA QUESTION EST SIMPLE : VOTRE JOURNEE DE TRAVAIL CONSISTE EN QUOI ''' »
- sa fiche de poste « assistance de direction » et une liste de tâches effectives, montrant qu'elle était en relation avec la direction dont elle recevait des instructions,
- divers courriers de réclamations et d'annulations de commandes de clients, prouvant qu'elle avait bien des contacts avec des clients,
- l' attestation d'[R] [W] rapportant avoir été salarié de l'entreprise jusqu'en décembre 2015, avoir « constaté que Mme [P] se plaignait souvent que la direction lui en demandait trop et était continuellement harcelée et (...)avoir assisté à des colères de notre PDG M. [T] à l'égard de Mme [P], complètement injustifié(es) et déplacé(es) devant le personnel de l'entreprise »,
- des prescriptions médicales de son médecin psychiatre docteur [J] [C] (lexomil, Zolpidem) concomitantes à ses arrêts de travail entre 2016 et 2017 pour « état anxio-dépressif suite à harcèlement ».
L'ensemble des éléments ainsi produits, appréhendés dans leur ensemble, laisse supposer l'existence d'un harcèlement moral, auquel il appartient à l'employeur de répondre.
La SAS Automotiv répond que :
- Mme [P] ne se fonde que sur les échanges de courriers électroniques démontrant un changement d'attitude à compter de 2015 liés à une problématique personnelle et à un divorce très dur ; qu'elle n'a jamais rencontré le moindre problème dans la prise de ses congés payés ; qu'elle ne parvenait plus à gérer son travail qui depuis des années était le même, celui d'assistante de direction, qu'elle n'avait pas de surcroît de travail découlant d'attributions nouvelles ;
- si le 16 août 2016, Mme [P] prétend avoir alerté sa hiérarchie sur les dégradations de ses conditions de travail en indiquant qu'elle subissait des pressions terribles et qu'elle avait du mal à gérer sans recevoir de réponse pièce, elle ne précise pas « la » mais « ma directrice »,
- les deux attestations produites de MM. [W] et [O] ne sont pas probantes, le premier ayant quitté l'entreprise en 2015 et ne pouvant donc attester de faits survenus en 2016 et le second étant devenu le compagnon de Mme [P],
Or, il ressort de l'ensemble des éléments produits que M. [S] dans ses échanges électroniques avec sa subordonnée Mme [P], employait incessamment, et ce à partir du début d'année 2015 un ton comminatoire et insultant envers elle de nature à porter atteinte à la dignité de la salariée alors que dans le même temps, ainsi que cela ressort des mails, Mme [P] devait faire face à un surcroît de tâches, liées notamment au remplacement de collègues de travail et incluant, contrairement à ce qui est soutenu des relations directes avec les clients souvent mécontents pour des motifs étrangers à son action. C'est justement que le conseil de prud'hommes a relevé l'existence d'une méthode de management consistant en une critique permanente du travail réalisé par Mme [P].
Il en ressort également que cette situation a rejailli sur l'état de santé de Mme [P] au point que le médecin du travail l'a déclarée définitivement inapte en une seule visite avec notion de 'danger immédiat'. A cet égard, l'article L. 1152-1 du code du travail prohibe les agissements de harcèlement moral qui ont pour objet une dégradation de ses conditions de travail ne serait-ce que « susceptible » de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale. Il n'est pas exigé que soit démontrée l'altération effective de l'état de santé. Le fait que la salariée connaissait des problèmes personnels étrangers à son travail est en conséquence sans incidence. Il importe peu par ailleurs que la direction n'ait été informée des problèmes personnels graves que lors des entretiens du mois d'août « lorsque cette dernière a fini par exposer son contentieux conjugal », cette circonstance n'étant pas de nature à expliquer objectivement le management agressif dont elle a fait l'objet.
Le fait que le médecin expert [Z] [K] dans son rapport du 19 décembre 2017 n'ait pas relié l'état de santé de Mme [P] à un comportement fautif de la société Automotiv et a noté « qu'il n'y a pas que le travail qui est à l'origine de ses troubles, même si elle avait beaucoup de stress au travail » ne suffit pas à exclure l'existence d'un harcèlement moral au travail.
En conséquence la SAS Automotiv ne fournit aucun élément objectif de nature à expliquer les actes ci-dessus décrits qui constituent des agissements répétés de harcèlement moral ayant eu pour effet d'altérer la santé physique et mentale de Mme [P] comme le prouvent les constatations médicales, de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, et de compromettre son avenir professionnel.
Le harcèlement moral ainsi caractérisé ouvre droit à indemnisation du préjudice moral occasionné qui est intégralement réparé par l'allocation de dommages-intérêts à hauteur de la somme allouée par le conseil de prud'hommes, dont la décision sera sur ce point confirmée.
2- Sur le manquement à l'obligation d'adaptation et de formation
Selon l'article L. 6321-1 du code du travail, l'employeur assure l'adaptation des salariés à leur poste de travail et veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l'évolution des emplois, des technologies et des organisations.
Le manquement de l'employeur à l'obligation de veiller au maintien de la capacité des salariés à occuper un emploi, au regard notamment de l'évolution des emplois, des technologies et des organisations, entraîne un préjudice distinct de celui réparant la rupture du contrat de travail.
En l'espèce, la SAS Automotiv soutient que Mme [P] a bénéficié de formations internes à l'entreprise et de formations auprès d'autres concessionnaires comme il ressortirait d'un propre mail de la salariée daté du 17 juin 2016. Il n'est cependant produit aucun document de l'entreprise justifiant du respect de cette obligation.
La décision entreprise sera infirmée en ce qu'elle déboute Mme [P] de sa demande et, statuant à nouveau, il sera lui alloué la somme de 2.000 euros à titre de dommages-intérêts réparant le préjudice découlant pour elle du manquement de l'employeur à son obligation d'adaptation et de formation.
3- Sur le manquement à l'obligation de sécurité
Aux termes de l'article L4121-1 du code du travail l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
En l'espèce, la salariée qui a subi deux visites médicales en 2005 et en 2010, ne relevait pas de l'obligation d'un suivi renforcé au sens de l'article R4624-10 du code du travail. Le médecin expert le docteur [K] l'a expressément mentionné dans son rapport en page 3.
Vainement la salariée se prévaut d'un préjudice découlant d'une insuffisance de périodicité des visites médicales.
Le jugement doit être confirmé en ce qu'il déboute la salariée de ce chef de prétention.
Sur les demandes relatives à la rupture du contrat de travail
1-Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail
Licenciée pour inaptitude avec impossibilité de reclassement par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 22 février 2018 Mme [P] a antérieurement saisi la juridiction prud'homale d'une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail, la saisine datant du 12 juillet 2017.
Or, en droit, lorsqu'un salarié a demandé la résiliation judiciaire de son contrat de travail et que son employeur le licencie ultérieurement, le juge doit d'abord rechercher si la demande de résiliation était justifiée sur les agissements de l'employeur constituant faute d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail.
Seul un manquement de l'employeur suffisamment grave pour faire obstacle à la poursuite du contrat de travail peut justifier la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur.
En l'espèce le harcèlement moral subi constitue à lui seul une faute d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail.
Infirmant le jugement déféré la cour prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [P] à la date du licenciement soit le 22 février 2018.
En application de l'article L1152-3 du code du travail, selon lequel toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, est nulle, la résiliation du contrat de travail de Mme [P] produit les effets d'un licenciement nul.
La somme allouée par le conseil de prud'hommes à titre d'indemnité pour licenciement nul constitue une juste indemnisation et sera sur ce point confirmée.
2-Sur le travail dissimulé
Il ne ressort pas des pièces produites la preuve que la SAS Automotiv a sciemment dissimulé à l'administration fiscale l'avantage en nature intégré dans la rémunération de Mme [P] que constituait le véhicule de « direction » dont elle a attesté elle-même avoir eu l'usage.
La demande en versement d'une indemnité forfaitaire pour travail dissimulé a été justement rejetée par le conseil de prud'hommes dont la décision sera sur ce point confirmée.
Sur les frais du procès
En application des dispositions des articles 696 et 700 du code de procédure civile, la SAS Automotiv sera condamnée aux dépens ainsi qu'au paiement d'une indemnité de 2.500 euros.
PAR CES MOTIFS :
La Cour, après en avoir délibéré, statuant par arrêt contradictoire, réputé contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe, en matière prud'homale,
Infirme partiellement le jugement déféré et statuant à nouveau des seuls chefs infirmés,
Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail à la date du 22 février 2018,
Condamne la SAS Automotiv à payer à Mme [P] la somme de 2.000 euros en réparation du préjudice découlant du manquement à son obligation de formation,
Confirme le jugement en ses autres dispositions soumises à la cour,
Y ajoutant,
Condamne la SAS Automotiv aux dépens de la procédure d'appel,
Condamne la SAS Automotiv à payer à Mme [P] une somme de 2.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute la SAS Automotiv de sa demande d'indemnité de procédure en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette toute autre demande.
LE GREFFIERLE PRESIDENT