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27/10/2022 | FRANCE | N°14/05155

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-6, 27 octobre 2022, 14/05155


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-6



ARRÊT AU FOND

DU 27 OCTOBRE 2022



N° 2022/384

N° RG 14/05155



N° Portalis DBVB-V-B66-2U2S



[RS] [G]





C/



[N] [V]

[F] [K]

Société ESPIC HOPITAUX PEDIATRIQUES CHU [E] NICE

Société CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES ALPES MARITIMES



Partie intervenante:



[HF] [MZ] épouse [G]







Copie exécutoire délivrée

le :

à :



-SCP

JOURDAN / WATTECAMPS ET ASSOCIES



-SCP LATIL PENARROYA-LATIL



-SCP ERMENEUX-CAUCHI & ASSOCIES



-SELAS AGN AVOCATS [Localité 15]



-SCP BOLLET & ASSOCIES











Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal de Grande Instance de...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-6

ARRÊT AU FOND

DU 27 OCTOBRE 2022

N° 2022/384

N° RG 14/05155

N° Portalis DBVB-V-B66-2U2S

[RS] [G]

C/

[N] [V]

[F] [K]

Société ESPIC HOPITAUX PEDIATRIQUES CHU [E] NICE

Société CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES ALPES MARITIMES

Partie intervenante:

[HF] [MZ] épouse [G]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

-SCP JOURDAN / WATTECAMPS ET ASSOCIES

-SCP LATIL PENARROYA-LATIL

-SCP ERMENEUX-CAUCHI & ASSOCIES

-SELAS AGN AVOCATS [Localité 15]

-SCP BOLLET & ASSOCIES

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de NICE en date du 28 Janvier 2014 enregistré (e) au répertoire général sous le n° 05/06445.

APPELANT

Monsieur [RS] [G]

Appelant et intervenant volontaire :

En leur nom personnel et en qualité de représentants de leur fils mineur [EB] [G], né le [Date naissance 5] 2002, devenu majeur le [Date décès 6] 2020, et selon jugement d'habilitation familiale du 13 octobre 2020,

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2014/4171 du 24/04/2015 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de [Localité 9])

né le [Date naissance 1] 1969,

demeurant [Adresse 19]

représenté par Me Jean-François JOURDAN de la SCP JOURDAN / WATTECAMPS ET ASSOCIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, postulant et assisté par Me Marie-Claire FREUNDLICH, avocat au barreau de NICE, plaidant.

Madame [R] épouse [G]

Appelant et intervenant volontaire :

Intervenant volontaire par conclusions du 12/06/2014 :

En leur nom personnel et en qualité de représentants de leur fils mineur [EB] [G], né le [Date naissance 5] 2002, devenu majeur le [Date décès 6] 2020, et selon jugement d'habilitation familiale du 13 octobre 2020,

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2014/4171 du 24/04/2015 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de [Localité 9])

née le [Date naissance 3] 1963,

demeurant [Adresse 13]

représentée par Me Jean-François JOURDAN de la SCP JOURDAN / WATTECAMPS ET ASSOCIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, postulant et assistée par Me Marie-Claire FREUNDLICH, avocat au barreau de NICE, plaidant.

INTIMES

Monsieur [N] [V],

demeurant [Adresse 10]

représenté par Me Jérôme LATIL de la SCP LATIL PENARROYA-LATIL, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, postulant et assisté par Me Véronique ESTEVE, avocat au barreau de NICE, plaidant.

Madame [F] [K]

née le [Date naissance 2] 1966 à [Localité 17] 15ÈME,

demeurant [Adresse 4]

représentée par Me Agnès ERMENEUX de la SCP ERMENEUX-CAUCHI & ASSOCIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, postulant et assisté par Me Philippe CHOULET, avocat au barreau de LYON.

EPIC ESPIC HOPITAUX PEDIATRIQUES CHU [E] NICE

Etablissement de santé privé d'interêt collectif Hôpitaux pédiatriques CHU [E] NICE se substituant au groupement de coopération sanitaire HÔPITAUX pédiatriques CHU [E],

demeurant [Adresse 8]

représentée par Me Sandra FIORENTINI-GATTI de la SELAS AGN AVOCATS MARSEILLE, avocat au barreau de MARSEILLE, postulant et assistée par Me CHAS de la SELARL CABINET CHAS, avocat au barreau de NICE, plaidant.

Société CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES ALPES MARITIMES,

Signification de conclusions en date du 02/03/2022 à personne habilitée,

demeurant [Adresse 7]

représentée par Me Thibault PINATEL de la SCP BOLLET & ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE.

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 13 Septembre 2022 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Madame Anne VELLA, Conseillère, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Monsieur Jean-Wilfrid NOEL, Président

Madame Anne VELLA, Conseillère

Madame Fabienne ALLARD, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Charlotte COMBARET.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 27 Octobre 2022.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 27 Octobre 2022,

Signé par Monsieur Jean-Wilfrid NOEL, Président et Madame Charlotte COMBARET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

Exposé des faits et de la procédure

Le [Date décès 6] 2002, à 14h17, Mme [G], âgée de 38 ans, a donné naissance à la clinique [Localité 20] à [Localité 16] à son premier enfant, [EB] [G], né après une grossesse normale, suivie par le docteur [V]. L'accouchement a été pratiqué par une sage femme en présence du docteur [K], gynécologue obstétricienne.

L'enfant, souffrant d'une détresse respiratoire importante, a été transféré à 21 heures à l'Hôpital [E] à [Localité 16]. Il présente depuis une encéphalopathie grave entraînant un handicap psychomoteur majeur, l'enfant ne parlant pas et ne marchant pas.

Les parents de [EB] [G] ont saisi la [Adresse 11] d'une demande d'indemnisation de leur préjudice moral pour ne pas avoir pu se préparer à la naissance de leur enfant handicapé. La commission a rejeté leur demande le 29 novembre 2007, après avoir ordonné une expertise confiée au docteur [D], chirurgien, chef de service de gynécologie obstétrique et au docteur [RD], chef de service de réanimation néo-natale, qui ont déposé leur rapport le 25 juin 2007.

Statuant sur les assignations délivrées les 27 octobre 2005 et 28 avril 2011 par le père de l'enfant, M. [RS] [G], à l'Hôpital [E], au docteur [V] et à la CPAM des Alpes maritimes, aux fins de réparation du préjudice corporel de l'enfant, au vu du rapport d'expertise médicale déposé par les docteurs [D] et [RD], et par jugement du 28 janvier 2014, le tribunal de grande instance de Nice a :

- déclaré irrecevable l'exception de nullité de l'assignation soulevée par les docteurs [K] et [V],

- déclaré irrecevable, pour défaut de qualité à agir du demandeur, l'action en responsabilité de M. [G], à titre personnel, et non en qualité de représentant légal de son fils mineur, [EB], en réparation du seul préjudice corporel de cet enfant,

- déclaré irrecevable le recours subrogatoire de la CPAM des Alpes maritimes,

- dit n'y a voir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Le tribunal a déclaré l'action irrecevable en raison du défaut de qualité de M. [RS] [G] à solliciter la réparation du préjudice de son fils, alors qu'il agissait en son nom propre et non en qualité de représentant légal de son enfant.

Par déclaration du 13 mars 2014, M. [RS] [G], a formé appel à l'encontre de cette décision, en son nom personnel et a conclu, en son nom personnel et, en tant que de besoin, en qualité de présentant légal de son fils mineur. Mme [G], son épouse et mère de l'enfant, est intervenue volontairement à la procédure en son nom personnel et en qualité de représentante légale de son fils mineur, [EB] [G].

Selon arrêt du 10 septembre 2015, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a :

- infirmé le jugement,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

- déclaré recevable l'intervention volontaire de M. [G] en qualité de représentant légal de son fils mineur, [EB] ;

- déclaré recevable l'intervention volontaire de Mme [G] en son nom personnel et en qualité de représentante légale de son fils mineur, [EB] ;

- déclaré les actions de M. et Mme [G] en leur nom personnel et au nom de leur fils [EB] recevables,

- dit que le docteur [V] et l'hôpital [E] ont engagé leur responsabilité envers [EB] [G].

- dit qu'ils ont fait perdre à l'enfant [EB] [G] une chance de 50%, d'éviter le préjudice qu'il a subi,

- sursis à statuer sur les demandes d'indemnisation du préjudice de [EB] [G] et de celui de ses parents,

- avant dire droit, ordonné une expertise médicale, confiée au docteur [Y] [B], avec notamment pour mission :

* d'examiner [EB] [G] et prendre connaissance de l'ensemble de son dossier médical ainsi que de l'expertise réalisée par les docteurs [D] et [RD],

* décrire la pathologie qu'il présente, les conséquences qu'elle entraîne au plan physique et psychique chez l'enfant, en décrivant son état de santé actuel et en retraçant son évolution depuis sa naissance,

* décrire le mode et les conditions de vie de [EB] [G],

* décrire les aides techniques (matériel médical) dont [EB] [G] a eu, a et aura besoin et préciser la périodicité de leur renouvellement,

* décrire les principaux soins médicaux et pharmaceutiques dont il a eu, a et aura besoin à l'avenir,

- condamné in solidum M. [V] et l'hôpital [E] à verser à M. et Mme [G] en qualité de représentant l'égaux de leur fils [EB], une provision de 150.000€ ;

- condamné in solidum M. [V] et l'hôpital [E] à verser à M. et Mme [G] une provision de 5.000€ chacun ;

- condamné in solidum M. [V] et l'hôpital [E] à verser à la CPAM des Alpes Maritimes une provision de 18.107,92€ ;

- dit que dans leurs rapports entre eux, la charge finale de la dette sera supportée à hauteur de 75% par M. [V] et de 25% par l'hôpital [E] ;

- renvoyé à la mise en état ;

- réservé la demande d'indemnité forfaitaire formée par la CPAM des Alpes Maritimes, les dépens et la demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

La cour a retenu que l'encéphalopathie trouve sa cause dans le fait prouvé qu'au moment de l'accouchement, le nouveau-né a été victime d'une contamination materno f'tale par le streptocoque B, qualifiée de sévère, qui n'a pas été correctement traitée, qu'une méningite constitue une complication classique de l'infection natale à streptocoque B, connue pour être responsable de séquelles à long terme comparable à celle présentées par l'enfant, et que les autres documents médicaux ne permettent pas de conclure à une autre étiologie de l'encéphalopathie. Elle a considéré que les fautes du docteur [V] et de l'hôpital ont entraîné une perte de chance directe et certaine pour l'enfant de ne pas présenter de séquelles, et qu'elle a évalué à 50 %.

Après avoir statué sur les responsabilités, la cour a ordonné une expertise aux fins d'examiner [EB] [G], qui n'était pas consolidé jusque là.

Le docteur [N] [V] et l'ESPIC Hôpitaux pédiatriques CHU [E] Nice (hôpital [E]) ont formé un pourvoi à l'encontre de cette décision.

Par arrêt du 25 janvier 2017, la Cour de cassation a rejeté les pourvois.

L'expert [B] [Y] a déposé son rapport le 29 janvier 2018 en concluant à un état non consolidé et à la nécessité de revoir [EB] lorsqu'il aura atteint 15 ou 16 ans.

Selon conclusions du 28 mai 2018 M. et Mme [G], en leur nom personnel et en leur qualité de représentants de leur fils mineur, [EB] [G], ont demandé à la cour d'ordonner une contre-expertise, au motif que le rapport du docteur [B] [Y] comporte des lacunes et des erreurs manifestes.

Ils ont fait valoir que la cour a statué sur la faute du docteur [V] et de l'hôpital [E] en retenant que leur responsabilité était engagée au titre d'une perte de chance d'éviter le dommage qui présente un caractère direct et certain, l'enfant ayant été privé d'une éventualité favorable. Le docteur [Y], expert désignée par la cour a cherché d'autres raisons médicales à l'état de la santé de [EB] sans mettre en évidence son état actuel permettant d'évaluer le montant des indemnisations dues par les parties, dont la faute a été retenue et caractérisée. Ils ont souligné que l'expertise qui a duré fort longtemps a débuté lorsque [EB] avait presque 13 ans et que le rapport a été rendu alors qu'il avait 15 ans et demi. Il est manifeste que l'expert n'a pas répondu à la demande de la cour et qu'elle s'est perdue dans d'autres investigations pendant presque trois ans, et dont les résultats sont loin d'être probants.

Ils ont soutenu que le diagnostic d'autisme posé par le professeur [C] [U] ne peut être accepté compte tenu des conditions de l'examen de l'enfant et alors que les précédents experts n'ont jamais décelé une telle pathologie et qu'enfin, l'étude génétique aurait été possible sans que l'enfant n'ait à faire le déplacement de [Localité 16] à [Localité 14].

Selon arrêt rendu le 21 mars 2019, la cour a :

- débouté M. et Mme [G] en leur nom personnel et en qualité de représentants de leur fils mineur [EB] [G] de leur demande de contre-expertise ;

- débouté la CPAM des Alpes Maritimes de ses demandes en paiement dirigées contre Mme [K], gynécologue obstétricienne ;

- réservé les demandes au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion et des frais exposés ;

- condamné M. et Mme [G] en leur nom personnel et en qualité de représentants de leur fils mineur [EB] [G] aux dépens de l'instance en demande de contre-expertise, avec distraction ;

- renvoyé l'affaire et les parties à la mise en état ;

- invité M. et Mme [G] en leur nom personnel et en qualité de représentants de leur fils mineur [EB] [G] à conclure avant le 17 juin 2019.

Pour statuer ainsi la cour a retenu que :

- le docteur [Y] chargée de décrire la pathologie de [EB] [G], a estimé devoir mesurer la part de l'état de santé de l'enfant imputable aux accidents médicaux fautifs retenus par la cour dans son arrêt du 10 septembre 2015 et donc les préjudices strictement imputables aux manquements caractérisés, et la part éventuellement imputable à d'autres considérations médico-légales et elle a posé la question de l'imputabilité de l'intégralité de l'état actuel de l'enfant aux conséquences de la méningite péri-natale dont il a été atteint, alors qu'il appartient en effet à l'expert de distinguer dans l'état de [EB] [G] ce qui relève de l'indemnisation que le docteur [V] et la fondation Laval devront prendre en charge de ce qui, dans son état, relève d'une autre origine,

- la preuve de conditions prétendument inacceptables dans lesquelles l'expertise menée par le professeur [U] se serait déroulée ne résultent d'aucun élément objectif,

- l'expert et son sapiteur ont répondu à l'ensemble des questions contenues dans la mission et ils ont conclu à un état non-consolidé dans l'attente que [EB] [G] atteigne l'âge de sa majorité.

Selon arrêt du 10 septembre 2020, la cour a :

Avant dire droit sur la liquidation du préjudice de [EB] [G],

- ordonné une expertise ;

- désigné pour y procéder le docteur [B] [Y] avec mission habituelle en précisant :

la réalité des lésions initiales et la réalité de l'état séquellaire, l'imputabilité directe et certaine des séquelles aux lésions initiales en précisant au besoin l'incidence d'un état antérieur, la date de la consolidation, et en autorisant l'expert à s'adjoindre l'avis d'un sapiteur,

dire notamment, dans quelle proportion l'état actuel de [EB] [G] est imputable à l'infection aux streptocoques B en période néonatale dont il a été victime et dont la cour d'appel d'Aix-en-Provence a définitivement jugé que les conséquences étaient imputables à hauteur d'une perte de chance évaluée à 50%, au docteur [V] et à l'hôpital [E] et dans quelle proportion à d'autres circonstances ;

- réservé l'ensemble des demandes ;

- renvoyé la cause à la mise en état ;

- réserve les dépens et les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.

La cour a retenu que l'expert [Y] qui soutient, avec son sapiteur le professeur [U], que [EB] [G] souffre d'autisme, pathologie responsable en grande partie de son état, n'a pas fixé le pourcentage imputable à cet autisme et celui résultant de l'infection aux streptocoques B en période néonatale et alors qu'il convient de déterminer dans quelle proportion l'état de [EB] [G] est imputable aux comportements fautifs et définitivement jugés du docteur [V] et de l'hôpital [E]. La cour a souligné que [EB] [G] atteindrait ses dix huit ans en novembre 2020 et qu'il importait de fixer son préjudice une fois consolidé.

L'expert a établi son rapport définitif le 22 novembre 2021.

L'affaire et les parties reviennent en liquidation du préjudice de [EB] [G].

La procédure a été clôturée par ordonnance du 30 août 2022.

Prétentions et moyens des parties

En l'état de leurs dernières conclusions du 17 juin 2022, M. [RS] [G] et Mme [R] épouse [G] en leur nom personnel et en qualité de représentants de leur fils mineur [EB] [G], né le [Date naissance 5] 2002, devenu majeur le [Date naissance 5] 2020, et selon jugement d'habilitation familiale du 13 octobre 2020 demandent à la cour de :

' constater et juger que le litige relève de l'application des dispositions de l'article L. 1142 -1-I du code de la santé publique et de condamner M. [V] et l'hôpital [E] in solidum à leur verser la somme de 1.800.000€ pour les préjudices corporels de l'enfant [EB] [G], et de ses parents, en déduisant les sommes provisionnelles déjà versées ;

' juger que la dette sera supportée à hauteur de 75 % par le docteur [V] et de 25 % par la fondation [E] ;

' réserver les droits de la CPAM ;

' débouter purement et simplement les demandes fins et conclusions des intimées ;

' condamner le docteur [V] et l'hôpital [E] à leur payer la somme de 6000€ en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, distraits au profit de leur conseil.

Ils relatent les différents éléments contenus dans les rapports d'expertise et relèvent que le dernier en date a conclu :

- sur la nature des lésions initiales, qu'il s'agit d'une infection néo-natale précoce (septicémie certaine) avec contamination lors de l'accouchement, s'étant manifestée par des signes de détresse respiratoire.

- sur les lésions sequellaires, et en se fondant sur l'évolution autistique, qu'il n'existe pas de relation directe et certaine entre l'infection néo-natale et les lésions séquellaires actuelles, alors que l'enfant a été suivi sa vie durant par le professeur [X] qui n'avait jamais détecté un tel autisme.

Ils formulent des demandes indemnitaires à hauteur de 1.800.000€ correspondant aux postes suivants :

- déficit fonctionnel permanent 90% : 250.000€

- taux d'incapacité : 250.000€

- souffrances endurées majorées 5/7 : 400.000€

- assistance par tierce personne :

le 15 juin 2006 16h/24 : 20.000€

à compter du 15 juin 2006 jusqu'au 1er septembre 2008 5h/24, l'enfant étant pris en charge par une structure adaptée à son état (CAMPS) : 10.000€

de l'âge de 6 ans à 17 ans 5h/24, [EB] étant pris en charge par 'les hirondelles' : 20.000€, et 8h/24 lorsque ses parents le gardent : 10.000€

nécessité de placement de [EB] à l'âge adulte dans un centre à [Localité 18] dans le Var, puis à l'hôpital San Salvadour à [Localité 12] : 50.000€

- préjudice esthétique permanent 5/7 : 250.000€

- répercussion sur sa scolarité et son avenir professionnel : 250.000€

- préjudice d'agrément : 100.000€

- aides techniques :

un fauteuil roulant adapté à renouveler tous les deux ans : 20.000€

un verticalisateur adapté à renouveler tous les 9 mois : 20.000€

un fauteuil pour la maison à renouveler tous les deux ans : 20.000€

un fauteuil dit 'vélo' à renouveler tous les 18 mois : 20.000€

- frais d'adaptation du logement : 50.000€

- frais d'adaptation du véhicule 15.000€.

Ils précisent que l'indemnisation des préjudices des parents est incluse dans la demande.

Par conclusions du 19 août 2022, le docteur [V] demande à la cour de :

' juger que les pathologies dont l'enfant est atteint (autisme, microcéphalie, hypotonie axiale, prognathisme, macroglossie, malformations des mains et des pieds) n'ont pas pour origine une infection néo-natale et ne sont pas imputables aux manquements constatés dans l'arrêt du 10 septembre 2015 ;

' juger que les époux [G] ne rapportent pas la preuve de l'imputabilité des séquelles de [EB] [G] ;

' les débouter de toute indemnisation au titre d'une perte de chance en rapport avec les séquelles de [EB] [G] ;

' débouter les époux [G] de leur demande d'indemnisation ;

' les condamner au remboursement de la provision qu'il a versée d'un montant de 120'000€ en vertu de l'arrêt du 10 septembre 2015 ;

' les condamner aux dépens, pris en charge par l'État ;

à titre subsidiaire si la cour entendait indemniser les appelants à la suite de l'infection néo-natale présentée par [EB] [G] :

' allouer une indemnisation au titre du déficit fonctionnel temporaire total et des souffrances endurées, outre un préjudice moral aux époux [G] en réparation de l'hospitalisation de leur enfant pendant 11 jours ;

' ramener les demandes formulées à ce titre à de plus justes proportions ;

' appliquer le taux de perte de chance retenue dans l'arrêt du 10 septembre 2015 ;

' débouter les appelants de leurs demandes au titre des autres postes de préjudice non imputables ;

' juger que dans les rapports entre les intimés, il supportera 75 % et l'hôpital [E] 25% des sommes allouées ;

' déduire du montant de l'indemnisation allouée par la cour la provision de 120'000€ qu'il a d'ores et déjà versée ;

' condamner les époux [G] à restituer le reliquat ;

' débouter les époux [G] de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

' s'agissant de la créance de la CPAM, appliquer le taux de perte de chance à la créance à condition qu'elle soit dûment justifiée ;

' statuer ce que de droit sur les dépens.

A la suite de l'expertise ordonnée par la cour dans son arrêt du 20 septembre 2020, il y a lieu d'évaluer le préjudice en relation directe et certaine avec ses comportements et ceux de la l'hôpital [E] retenus pour fautifs.

Il appartenait donc à l'expert de déterminer, d'une part les séquelles dues à une méningite infectieuse qui a caractérisé le comportement fautif, et d'autre part l'autisme puis la microcéphalie et le prognathisme ; ces deux infections étant des malformations anté-natales de façon certaine et enfin hypotonie axiale qui n'est pas retrouvée dans les séquelles méningées.

L'expert qui a inclus dans son rapport une note du professeur [O] [H], chef du service de médecine néonatale au CHU de [Localité 16] n'a pas contredit le fait que les séquelles de méningite aux streptocoques B, néonatales n'ont jamais pour conséquence une hypotonie isolée et des troubles de la sphère autistique, tout comme une microcéphalie à la naissance, une brachycéphalie et une macroglossie ne peuvent être liées à une méningite.

À la lecture des conclusions de l'expert il n'existe aucune relation directe et certaine entre l'infection néo-natale et les lésions séquellaires actuelles si bien qu'elle n'a pas pu attribuer un pourcentage à chacune des séquelles graves présentées par l'enfant qui n'ont strictement rien à voir avec les conséquences d'une méningite. Elle a attribué 90 % de déficit fonctionnel permanent aux séquelles majeures présentées par [EB] [G] en précisant qu'elles ne sont pas imputables à la prise en charge de l'enfant.

Ainsi quand bien même l'enfant aurait fait une méningite infectieuse, ce que la cour a décidé en fixant une perte de chance de l'éviter, il demeure qu'il ne présente aucune séquelle liée à cette affection. Par contre, il n'est pas indemne de pathologies anté-natales, dont le spectre autistique fait partie selon le professeur [U], rejoignant en cela l'avis donné par les généticiens de l'hôpital de la Timone à [Localité 15].

L'hypotonie axiale ne peut en aucun cas être liée à une méningite d'origine infectieuse car si tel avait été le cas [EB] [G] aurait présenté une hypotonie pyramidale, ce que confirme de façon unanime tous les experts consultés sur ce point.

La dernière réunion d'expertise du 14 juin 2021, alors que la consolidation a été acquise, a permis de confirmer l'existence d'une microcéphalie. En l'état des documents et analyses versés aux débats il apparaît que le petit périmètre crânien peut provenir de deux causes, soit primitive dès la naissance, soit secondaire c'est-à-dire qu'il y a une cassure de la courbe du périmètre crânien lié à un événement de la vie de l'enfant telle une méningite. En l'occurrence le périmètre crânien d'un enfant en bonne santé à la naissance était de 35cm. Dès sa naissance [EB] [G] présentait un petit périmètre crânien de 31,5cm en deçà de la normale avec un écart de -2/-3. La microcéphalie correspond à une croissance anormalement faible du cerveau et du crâne et entraîne des séquelles cognitives graves se rapportant au développement de l'individu. Elle ne peut en aucun cas avoir pour cause une infection aux streptocoques B.

Il en va de même des autres pathologies constatées, à savoir une dysmorphie faciale et une macroglossie.

En résumé les pathologies précitées ne peuvent résulter des manquements relevés ce qui signifie que même sans la survenue de l'infection néo-natale l'enfant aurait été lourdement handicapé.

En l'état de la discussion qui s'est instaurée devant l'expert, le docteur [P] [Z] n'a pas jugé utile de prendre l'avis d'un généticien, et elle a considéré que les pathologies constatées ne peuvent être imputées à une infection post-natale aux streptocoques B, voire à une méningite. L'expert a par ailleurs souligné que le traitement antibiotique administré par l'hôpital [E] avait permis de traiter cette infection et de la guérir.

En conséquence les consorts [G] seront déboutés de leurs demandes indemnitaires et condamnés à restituer la provision qui leur a été versée.

Il formule des observations s'agissant de la pièce datée du 9 juin 2022 provenant du service de génétique médicale de l'hôpital de l'Archet à [Localité 16] selon laquelle une analyse chromosomique sur puce ADN de [EB] [G] se serait révélée normale. Cet examen ne prouve rien et en outre 30 % des encéphalopathies sont de cause inconnue.

Dans l'hypothèse très éventuelle où la cour entendrait procéder à une indemnisation des dommages, il soutient qu'elle devra distinguer entre les préjudices liés à l'infection néo-natale d'une part et ceux découlant de l'état de l'enfant et de ses diverses pathologies d'autre part.

Sur les demandes indemnitaires,

- le déficit fonctionnel permanent a été fixé à 90 % mais pour l'ensemble des pathologies non imputables à l'infection. Ce taux ne pourra ouvrir droit à indemnisation,

- le déficit fonctionnel temporaire partiel a été fixé de façon erronée à 90 % par l'expert. En effet l'enfant ne présentait à la sortie de l'hôpital [E] aucune pathologie et il y a eu un intervalle libre de plusieurs mois. En tout état de cause ce déficit fonctionnel temporaire partiel n'est pas imputable à une pathologie infectieuse,

- les souffrances endurées en lien avec la pathologie infectieuse ont duré 11 jours, ce qui correspond au temps de la prise en charge infectieuse. L'indemnisation ne pourra intervenir que sur un taux évalué à 2/7,

- l'assistance par tierce personne n'est pas indemnisable puisque les besoins en aide humaine ne sont pas imputables à une pathologie infectieuse mais aux autres pathologies décrites dans le rapport,

- le préjudice esthétique permanent qui n'est pas en lien avec la pathologie infectieuse ne peut être indemnisé,

- les répercussions sur la scolarité de l'enfant et son avenir professionnel trouvent leur origine dans un autisme profond sur fond d'arriération mentale et de microcéphalie, ce qui empêche toute scolarité et un avenir professionnel sans qu'il soit imputable à une pathologie infectieuse. Il en est de même pour l'hypotonie axiale et la microcéphalie. La demande fera l'objet d'un rejet,

- le préjudice d'agrément n'est pas lié aux séquelles d'une pathologie infectieuse. La demande sera rejetée,

- le préjudice moral des parents est constitué par le fait d'avoir dû laisser leur nouveau-né hospitalisé pendant 11 jours. Les montants alloués seront largement minorés,

- les aides techniques sont liées à l'état général de l'enfant et ne découlent pas de l'infection néonatale.

Les époux [G] seront tenus de rembourser les montants provisionnels qu'ils ont perçus.

Par conclusions du 5 août 2022 , L'ESPIC Hôpitaux pédiatriques de Nice CHU [E] (hôpital [E]) demande à la cour de :

' juger que l'état de [EB] [G] n'est pas imputable à la faute retenue à l'encontre de l'hôpital [E] ;

' rejeter l'intégralité des demandes indemnitaires formulées par les consorts [G] ;

' pour les mêmes motifs rejeter les demandes formulées par la CPAM ;

' condamner les consorts [G] et la CPAM à lui rembourser les provisions qu'elle a versées en exécution de l'arrêt du 10 septembre 2015 ;

' condamner Monsieur et Madame [G] aux entiers dépens ;

si par extraordinaire une quelconque somme été mise à la charge de l'hôpital [E] de :

' ne lui mettre à sa charge qu'une somme symbolique.

Il met en avant que de façon très claire le docteur [P] [Z] a conclu qu'il n'existe aucune relation directe et certaine entre l'infection néo-natale et les lésions séquellaires actuelles, ce qui revient à dire qu'à la question que la cour lui avait posé de savoir dans quelle proportion l'état de [EB] [G] est imputable au comportement fautif de M. [V] et de l'hôpital [E], l'expert a conclu qu'il n'y avait pas d'imputabilité.

Pour être complet il rappelle que s'agissant d'une infection néonatale, l'expert a indiqué qu'il s'agissait d'une septicémie néo-natale, ayant reçu un traitement adapté, conforme aux données acquises actuelles de la science lors des faits, avec une évolution favorable au neuvième jour par normalisation des constantes biologiques. En d'autres termes la prise en charge a permis une guérison. En l'absence de ponction lombaire et donc de preuve formelle, l'expert a écarté la probabilité qu'il ait pu s'agir d'une méningite, aucun signe d'une telle infection n'ayant été relevé.

S'agissant de la pièce versée dernièrement aux débats par les consorts [G], le nouveau résultat permet d'exclure une anomalie chromosomique mais en aucun cas toutes les pathologies génétiques, comme le docteur [A] [W] [J] l'a indiqué dans un courrier du 17 juin 2021 en ajoutant que [EB] [G] était certainement porteur d'un syndrome génétique.

Aucun lien de causalité n'existe entre la faute retenue à l'encontre de l'hôpital [E] et l'état de [EB] [G]. L'intégralité des demandes indemnitaires sera donc rejetée tout comme les demandes de la CPAM et les époux [G] devront rembourser le montant des provisions versées en exécution de l'arrêt du 10 septembre 2015.

Tenant compte de la situation des requérants, il ne sollicite pas de condamnation à des frais irrépétibles.

Si la cour devait mettre à la charge de l'hôpital [E] un paiement de sommes, l'évaluation des postes de préjudice sera revue à la baisse.

Selon conclusions du 26 avril 2022, Mme [K] demande à la cour :

' d'ordonner sa mise hors de cause dans le respect de l'arrêt définitif du 10 septembre 2015 rendu par la cour d'appel d'Aix-en-Provence mais également de l'arrêt avant-dire droit rendu le 10 septembre 2020 ;

' d'ordonner sa mise hors de cause en l'absence de demandes indemnitaires dirigées contre elle devant la cour ;

' de condamner dans tous les cas les époux [G] à lui verser la somme de 3 000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens distraits au profit de son conseil.

Elle rappelle qu'aux termes de l'arrêt rendu le 10 septembre 2015, devenu définitif sa responsabilité n'a pas été engagée. Depuis la notification du nouveau rapport d'expertise du 22 novembre 2021, les consorts [G] ne dirigent aucune demande indemnitaire à son encontre. Il y a donc lieu de la mettre hors de cause. En tant que de besoin elle conclut au rejet de toute demande indemnitaire qui viendrait à être dirigée contre elle.

Selon conclusions du 25 août 2022, la CPAM des Alpes Maritimes demande à la cour de :

' condamner M. [V], l'hôpital [E] et Mme [M] [I] à lui rembourser la somme de 637'552€ avec intérêts aux taux légaux à compter du jour de la demande jusqu'au jour du règlement de cette somme ;

' condamner M. [V], l'hôpital [E] et Madame [K] au paiement de l'indemnité forfaitaire due en application de l'article L. 376-1 complété par l'ordonnance 96. 51 du 24 janvier 1996 soit 1114 € ;

' réserver ses droits au remboursement de toutes autres sommes qui peuvent ou pourront lui être dues ;

' condamner M. [V], l'hôpital [E] et Mme [M] [I] aux entiers dépens, distraits au profit de son conseil.

Elle produit un état des débours actualisés et définitifs pour un montant total de 637'552€ dont elle réclame le paiement. Elle communique aux débats une attestation d'imputabilité en précisant qu'a priori ses débours ne seront pas revus à la hausse mais qu'il convient malgré tout de réserver ses droits pour toutes autres sommes qui pourraient lui être dues.

Motifs de la décision

Dans les conclusions de son rapport de non-consolidation de [EB] [G], déposé le 29 janvier 2018, le docteur [Y], après avoir reçu l'avis du professeur [U], pédiatre, son sapiteur, a considéré que :

- l'infection néo-natale ne peut expliquer à elle seule, l'état actuel de l'enfant, on ne peut pas conclure à une atteinte centrale, en l'absence de ponction lombaire, pour attester une méningite ou une encéphalite,

- il pourrait s'agir d'un dysfonctionnement cérébral avec embryopathie préalable entraînant un tableau d'arriération psychose,

- avec actuellement un trouble du spectre autistique, sur une encéphalite antérieure possible.

Dans son avis du 15 septembre 2016, ayant servi d'étayage à ces conclusions, le professeur [U] a souligné la question posée par le très important retard mental de [EB] [G], qui présente à la fois un trouble de communication et des troubles mentaux. Il a considéré que ce tableau évoque un trouble autistique, dont il a estimé surprenant qu'il n'ait jamais été posé tout au long du cursus médical, et qui pourtant selon lui, aurait pu être constaté dès les premières consultations, signifiant que ce diagnostic est pourtant évident. Il a marqué son questionnement sur la cause de ce tableau, évoquant l'infection aux streptocoques B en période néo-natale objectivée par hémoculture positive, sans pouvoir toutefois conclure à une atteinte centrale, puisque seule la ponction lombaire, qui n'a pas été réalisée, aurait pu attester d'une méningite et d'une encéphalite. Il a ajouté que le reste du développement est en faveur du spectre autistique sur une encéphalopathie antérieure possible, en pointant la microcéphalie et les troubles de la motricité avec hypotonie axiale.

Dans son arrêt, avant dire droit sur la liquidation du préjudice de [EB], rendu le 10 septembre 2020, la cour d'appel a noté que le docteur [Y] avec son sapiteur, ont retenu qu'il souffrait d'un autisme, responsable en grande partie de son état. Toutefois l'expert n'a pas fixé le pourcentage imputable à cet autisme, et celui résultant de l'infection aux streptocoques B dont il a été victime en période péri-natale. C'est dans ces conditions qu'une nouvelle expertise a été ordonnée et confiée au docteur [Y] avec notamment pour mission de dire dans quelle proportion l'état actuel de [EB] [G] est imputable à l'infection aux streptocoques B en période néo-natale dont il a été victime, et dont la cour d'appel d'Aix-en-Provence a définitivement jugé que les conséquences étaient imputables à hauteur d'une perte de chance évaluée à 50%, à M. [V] et à l'hôpital [E] et dans quelle proportion à d'autres circonstances.

L'expert a déposé son rapport le 30 novembre 2021 au greffe de la cour d'appel.

Dans ses conclusions l'expert a rappelé que [EB] [G], âgé de 18 ans au moment de la dernière expertise, présente un poly-handicap nécessitant un placement dans un établissement adapté cinq jours par semaine. Il vit avec ses parents et sa grand-mère maternelle, hémiplégique, dans un appartement de 70 m². Il a présenté une infection néo-natale précoce traitée par tri antibiothérapie avec une PCR normale après neuf jours et une disparition des signes inflammatoires et que les doléances des parents portent sur leur quotidien difficile en raison des soins soutenus de jour comme de nuit qu'ils doivent prodiguer à leur fils, et de l'exiguïté de leur logement. Elle a dit que [EB] [G] présente un retard de développement global extrêmement important avec un grand retard psychomoteur, une incapacité à se déplacer, à communiquer, le rendant totalement dépendant de son entourage.

Elle a analysé la nature des lésions initiales en retenant que [EB] [G] a été victime d'une infection néo-natale précoce, correspondant de façon certaine à une septicémie néo-natale, avec une contamination au cours de l'accouchement, qui s'est manifestée par des signes de détresse respiratoire, et qui a été traitée de façon adaptée par l'association de trois antibiotiques à des doses également adaptées pendant cinq jours, ayant donné des résultats positifs, établis par un PCR (indice d'inflammation) qui est revenu négatif au neuvième jour. Elle a conclu, ce qui n'a jamais été contesté par les consorts [G], que la prise en charge curative a été conforme aux données acquises de la science à l'époque des faits, avec une évolution favorable au neuvième jour par normalisation des constantes biologiques.

Dans ce dernier rapport du 30 novembre 2021 le docteur [Y] a conclu en substance que si la septicémie néo-natale est incontestable, elle ne retrouve pas chez [EB] [G] d'arguments en faveur d'une méningite néo-natale. Cette analyse vient compléter et commenter les éléments précédemment évoqués, notamment le questionnement du professeur [U], sur l'origine de l'atteinte centrale, possiblement en lien avec une méningite.

Si elle a souligné qu'en l'absence de ponction lombaire réalisée, elle ne pouvait être catégorique sur l'infirmation ou l'affirmation que [EB] [G] a été victime d'une méningite, en revanche, elle a argumenté son propos qui écarte cette dernière affection en se référant à une note technique détaillée, établie le 20 avril 2021 par le docteur [PO] [T], chef de service de médecine néo-natale au CHU de [Localité 16], qui a souligné que :

- les premiers signes neurologiques, comme par exemple l'hypotonie sont apparus de façon décalée, de plus de quatre mois, alors que [EB] [G] a été examiné par des pédiatres hospitaliers, informés de son hospitalisation néo-natale et donc vigilants et à l'affût. Il a expliqué qu'habituellement l'apparition des signes cliniques neurologiques inquiétants se présente de façon beaucoup plus précoce après l'infection, voire d'emblée. Il a qualifié de 'fortement inhabituelle' ce qu'il a appelé cette période de 'lune de miel'. Il en a conclu que ce tableau orientait fermement vers une autre étiologie de l'état clinique

- [EB] n'a pas présenté de convulsions cliniques ou électriques,

- l'échographie transfontanellaire n'a pas objectivé les trois composantes de la méningite néo-natale qui sont : la ventriculite, l'abcès et des lésions thrombo-emboliques,

- [EB] n'a pas présenté de lésions ischémiques cérébrales,

- il n'a pas présenté cliniquement, les signes neurologiques précoces de la méningite néo-natale que sont l'épilepsie, la paralysie cérébrale et la surdité,

- l'IRM cérébrale n'a objectivé aucun des signes évocateurs de séquelles cérébro-méningites néo-natales infectieuses, que sont l'hydrocéphalie, les lésions vasculaires, l'encéphalomalacie (atteinte soudaine et brutale des cellules cérébrales se traduisant par leur ramollissement, suivie de leur nécrose), l'infarcissement (formation ou création d'une lésion hémorragique liée à une obstruction veineuse dans un organe).

Le docteur [O] [H] a commenté l'état clinique de l'enfant qui dit-il, a présenté une microcéphalie importante (petit périmètre crânien) dès la naissance, une brachycéphalie (déformation du crâne) et une macroglossie (hypertrophie de la langue) en affirmant que ces signes ne sont en aucun cas du ressort de séquelles infectieuses néo-natales.

Cette position rejoint d'ailleurs celle des experts [D] et [RD] qui, en octobre 2007 avaient considéré que [EB] [G] présentait un 'tableau atypique' qui ne correspondait pas à une méningite.

Le docteur [T] a ajouté ceci n'est pas compatible avec une pathologie infectieuse néo-natale et évoque fortement la présence (ou l'association) d'une pathologie anté-natale, envisagée par d'autres experts. Après avoir exclu un tableau de méningite néo-natale, il a écrit que l'état de [EB] [G] évoque une pathologie constitutive évolutive de type autistique.

Le docteur [Y] a complété son avis en examinant la nature des lésions séquellaires qu'elle a personnellement constatées et en les classant en deux catégories,

Reprenant les conclusions du professeur [U], elle a retenu une première série de lésions évoquant une évolution autistique, à savoir le bruxisme, les auto-mutilations, l'évitement du regard, l'anxiété, les angoisses à tout changement, l'absence de langage, l'absence quasi nulle de développement cognitif, les troubles de l'alimentation consommée uniquement en produits mixés, et les difficultés globales de communication. Puis elle a attribué une seconde série de lésions, à savoir la dysmorphie faciale avec un important prognathisme et une grande hypotonie axiale majeure, à une étiologie génétique.

Le 18 juillet 2022, les consorts [G] ont communiqué une nouvelle pièce correspondant à un courrier du 9 juin 2022 du docteur [NN], exerçant au service de génétique médicale du Chu de [Localité 16], et adressé au docteur [L], médecin généraliste et traitant de [EB] [G], à qui il a été demandé de procéder à une analyse chromosomique sur puce de son ADN, et qui a écrit qu'elle s'était révélée normale, et qu'un remaniement chromosomique déséquilibré pathogène pouvant expliquer le tableau clinique, n'avait pas été identifié. On peut lire in fine de ce courrier que le docteur [NN] a ajouté que conformément à la demande des parents il n'y aurait pas d'autre examen complémentaire génétique chez [EB] dans le cadre d'un bilan étiologique, ce qui vient corroborer que cette analyse chromosomique n'équivaut pas à une analyse génétique qui était pourtant envisageable, et alors que l'histoire du dossier dans ses phases multiples d'expertise vient démontrer que les parents de [EB] [G] se sont toujours opposés à soumettre leur enfant à une analyse génétique.

Le docteur [S], médecin conseil de l'hôpital [E], ancienne praticienne hospitalière en génétique médicale, en retraite, dans un document repris par le rapport d'expertise dans un dire, a confirmé la spécificité de l'analyse génétique par rapport à l'analyse chromosomique. Elle a expliqué que le résultat de juin 2022 permet d'exclure une des causes génétiques pathogènes, à savoir une anomalie chromosomique, mais elle n'exclut en aucun cas toutes les pathologies génétiques en précisant que les nouvelles techniques de séquençage du génome très récemment utilisées en routine diagnostique, permettent d'étudier tous les gènes (20.000) ou la totalité du génome, et augmentent la chance de poser un diagnostic étiologique dans les déficiences intellectuelles et l'autisme.

Cette analyse chromosomique ne ferme donc pas la porte à une étiologie génétique des pathologies que [EB] [G] présente à ce jour, alors que tous les experts qui sont intervenus dans ce dossier s'accordent pour dire que 30% des encéphalopathies sont de cause inconnue et le reste à ce jour.

Il convient donc d'admettre qu'il n'existe aucune relation directe et certaine entre l'infection néo-natale et les lésions séquellaires actuelles.

Sur le préjudice corporel de la victime directe

Il doit être évalué au regard des données du dossier.

Il ressort de l'expertise du docteur [Y] que [EB] [G] a présenté, dans les suites immédiates de sa naissance, une infection néo-natale précoce aux streptocoques B, qui a été traitée au sein de l'hôpital [E] par tri-antibiothérapie, avec une évolution favorable au neuvième jour par normalisation des constantes biologiques, à savoir une donnée PCR (diagnostic rapide des infections) normale après neuf jours et une disparition des signes inflammatoires, et qu'aucune des pathologies qu'il présente à ce jour n'est imputable aux comportements déclarés fautifs de M. [V] et de l'hôpital [E].

Pour répondre à la mission qui lui a été confiée, et en dépit de ses conclusions, l'expert a évalué les préjudices en retenant une imputabilité totale de son état actuel aux manquements.

Il convient, en conséquence de retenir au titre des préjudices imputables aux manquements caractérisés par arrêt de la cour d'appel du 10 septembre 2015 les seuls préjudices en lien de causalité direct et certain, à savoir :

- un déficit fonctionnel temporaire total de 11 jours du [Date décès 6] au 15 novembre 2002,

- des souffrances endurées évaluées à 3/7.

Préjudices patrimoniaux

temporaires (avant consolidation)

- Dépenses de santé actuelles 5016€

Ce poste est constitué des frais médicaux et pharmaceutiques, frais de transport, massages, appareillage pris en charge par la CPAM soit 5016€ au titre des frais hospitaliers du [Date décès 6] 2002 au 15 novembre 2002, les consorts [G] n'invoquant aucun frais de cette nature restés à leur charge, indemnisable par les tiers responsables à hauteur de 2508€.

Préjudices extra-patrimoniaux

temporaires (avant consolidation)

- Déficit fonctionnel temporaire330€

Ce poste inclut la perte de la qualité de la vie et des joies usuelles de l'existence et le préjudice d'agrément et le préjudice sexuel pendant l'incapacité temporaire.

Il doit être réparé sur la base de 900€ par mois, eu égard à la nature des troubles et de la gêne subie, chez un nourrisson dans les suites immédiates de sa naissance, soit la somme de 330€ au titre du déficit fonctionnel temporaire total de 11 jours, indemnisable par les tiers responsables à hauteur de 165€.

- Souffrances endurées5000€

Ce poste prend en considération les souffrances physiques et psychiques et les troubles associés supportés par la victime.

En l'espèce elles correspondent pour un nourrisson à une prise en charge hospitalière dès sa naissance, à la privation de la présence de sa mère mais aussi de celle de son père, et au traitement lourd par tri-thérapie à base d'antibiotiques ; évalué par la cour à 3/7 par l'expert, il justifie l'octroi d'une indemnité de 5.000€ chez un tout jeune enfant, indemnisable par les tiers responsables à hauteur de 2500€.

Le préjudice corporel global subi par [EB] [G], en relation de causalité directe et certaine avec les manquements de M. [V] et de l'hôpital [E], s'établit ainsi à la somme de 10.346€, indemnisable par les tiers responsables à hauteur de 50% soit 5173€, et après imputation des débours de la CPAM (2508€), une somme de 2665€ lui revenant qui, en application de l'article 1231-7 du code civil, porte intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt.

Sur le préjudice des victimes indirectes

Le préjudice moral et d'affection de M. et Mme [G] n'est pas discutable, et il convient de leur allouer à chacun une somme de 15.000€ venant indemniser l'anxiété liée à l'état de santé de leur bébé, qui était leur premier enfant, dont ils ont été séparés pendant onze jours et dans les suites immédiates de sa naissance, soit une somme à chacun de 7500€ indemnisable par les tiers responsables.

Sur les demandes de restitution

Il n'y a lieu de statuer sur la demande en remboursement présentée par M. [V] et l'hôpital [E]. En effet, le présent arrêt emporte de plein droit obligation de restitution des sommes versées dans le cadre de l'exécution provisoire attachée à l'arrêt du 10 septembre 2015, et constitue le titre exécutoire ouvrant droit à cette restitution, les sommes ainsi restituées portant intérêt au taux légal à compter de la signification, valant mise en demeure, dudit l'arrêt.

Sur les demandes de la CPAM

La créance de l'organisme social s'établit à 5016€ au titre des dépenses de santé actuelles exposés entre le [Date décès 6] 2002 et le 15 novembre 2002, indemnisable par les tiers responsables à hauteur de 50%, soit 2508€.

Il convient de lui allouer la somme de 1114€ au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Il n'y a pas lieu de réserver ses droits au remboursement de toutes autres sommes.

Sur les demandes annexes

Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux frais irrépétibles alloués à la victime sont confirmées.

M. [V] et l'hôpital [E] qui succombent partiellement dans leurs prétentions et qui sont tenue à indemnisation supporteront la charge des entiers dépens d'appel, issus des instances ayant donné lieu aux arrêts de la cour d'appel des 10 septembre 2015, 10 septembre 2020, et du présent arrêt.

L'équité ne commande pas d'allouer à Mme [K] une somme au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

L'équité justifie d'allouer aux consorts [G] une indemnité de 5000€ au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour.

Par ces motifs

La cour

Vu l'arrêt du 10 septembre 2015

Vu l'arrêt du 21 mars 2019

Vu l'arrêt du 10 septembre 2020

- Fixe le préjudice corporel global de [EB] [G] à la somme de 10.346€, indemnisable par les tiers responsables à hauteur de 50% soit 5173€ ;

- Dit que l'indemnité revenant à cette victime s'établit à 2665€ ;

- Condamne in solidum M. [V] et l'hôpital [E] à payer à [RS] [G] et Mme [R] épouse [G] en qualité de représentants de leur fils mineur [EB] [G], selon jugement d'habilitation familiale du 13 octobre 2020 la somme de 2665€, sauf à déduire les provisions versées, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

- Condamne in solidum M. [V] et l'hôpital [E] à payer à [RS] [G] et Mme [R] épouse [G], en leur nom personnel et à chacun la somme de 7500€ au titre de leur préjudice moral et d'affection ;

- Condamne in solidum M. [V] et l'hôpital [E] à payer à la CPAM des Alpes Maritimes, les sommes de

* 2508€ au titre de ses débours,

* 1114€ au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion due en application de l'article L.376-1 complété par l'ordonnance 96.51 du 24 janvier 1996 ;

- Dit n'y avoir lieu à statuer sur la demande de restitution des sommes versées en vertu de l'exécution provisoire attachée à l'arrêt du 10 septembre 2015 ;

- Déboute Mme [K] de sa demande au titre de ses propres frais irrépétibles exposés en appel ;

- Condamne in solidum M. [V] et l'hôpital [E] aux entiers dépens issus des instances ayant donné lieu aux arrêts de la cour d'appel des 10 septembre 2015, 10 septembre 2020, et du présent arrêt, et accorde aux avocats qui en ont fait la demande, le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile ;

- Rappelle que dans leurs rapports entre eux la charge de la dette finale sera supportée à hauteur de 75% par M. [V] et de 25% par l'hôpital [E] ;

Le greffier,Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 1-6
Numéro d'arrêt : 14/05155
Date de la décision : 27/10/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-10-27;14.05155 ?
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