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14/10/2022 | FRANCE | N°22/04885

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-3, 14 octobre 2022, 22/04885


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-3



ARRÊT



DU 14 OCTOBRE 2022



N° 2022/ 186



RG 22/04885

N° Portalis DBVB-V-B7G-BJFIF







[M] [X]





C/



S.A. ORPEA

























Copie exécutoire délivrée le 14 Octobre 2022 à :



- Me Etienne MARGOT-DUCLOT, avocat au barreau de PARIS



- Me Gilles BONLARRON, avocat au barreau de PARIS



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Décision déférée à la Cour :



Ordonnance du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARTIGUES en date du 25 Mars 2022 enregistrée au répertoire général sous le n° R22/00006.





APPELANTS



[M] [X], demeurant [Adresse 2]



représenté par Me Etien...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-3

ARRÊT

DU 14 OCTOBRE 2022

N° 2022/ 186

RG 22/04885

N° Portalis DBVB-V-B7G-BJFIF

[M] [X]

C/

S.A. ORPEA

Copie exécutoire délivrée le 14 Octobre 2022 à :

- Me Etienne MARGOT-DUCLOT, avocat au barreau de PARIS

- Me Gilles BONLARRON, avocat au barreau de PARIS

Décision déférée à la Cour :

Ordonnance du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARTIGUES en date du 25 Mars 2022 enregistrée au répertoire général sous le n° R22/00006.

APPELANTS

[M] [X], demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Etienne MARGOT-DUCLOT, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

S.A. ORPEA, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Gilles BONLARRON de la SELARL MRB, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Bruno ADOLPHE, avocat au barreau de PARIS

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 Septembre 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre, chargée du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre

Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller faisant fonction de Président

Madame Isabelle MARTI, Président de Chambre suppléant

Greffier lors des débats : Madame Florence ALLEMANN-FAGNI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 14 Octobre 2022.

ARRÊT

CONTRADICTOIRE

Prononcé par mise à disposition au greffe le 14 Octobre 2022

Signé par Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre et Madame Florence ALLEMANN-FAGNI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS- PROCEDURE-PRETENTIONS DES PARTIES

Le 18 juillet 2005, Mme [M] [X] a été embauchée en contrat à durée indéterminée à temps partiel, par la SA ORPEA en qualité de préparatrice en pharmacie et exerçait ses fonctions au sein de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) « La Bastide des Oliviers » situé à [Localité 3].

La convention collective nationale applicable est celle de l'hospitalisation privée du 18 avril 2002 selon les modalités prévues à l'annexe concernant les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes du 10 décembre 2002.

Depuis le 9 novembre 2019, la salariée a été désignée déléguée syndicale supplémentaire CGT.

Fin septembre 2020, l'agence régionale de santé Provence-Alpes-Côte-d'Azur a réalisé un contrôle au sein de l'établissement et par lettre recommandée du 13 janvier 2021, lui a enjoint de prendre des mesures correctives sous trois mois, concernant deux écarts dont celui concernant «la préparation des piluliers par une préparatrice sans contrôle d'un pharmacien diplômé».

Suite à cette lettre, la société a notifié le 18 février 2021 un courrier à la salariée afin de suspendre l'exécution de son contrat de travail, mesure contestée par Mme [X] par lettre recommandée du 19 février, laquelle réclamait sa réintégration.

Le 16 mars 2021, Mme [X] a été informée par la société des différents postes disponibles.

Le 25 mars 2021, Mme [X] a demandé à nouveau à réintégrer son poste de travail.

L'employeur a engagé une procédure de licenciement mais par décision du 13 août 2021 devenue définitive en l'absence de recours, l'inspection du travail a rendu une décision de refus d'autorisation du licenciement.

Le 16 novembre 2021, la société a adressé à Mme [X] une liste de postes disponibles et suite au refus de la salariée, l'a convoquée le 2 décembre à un entretien préalable au licenciement prévu pour le 15 décembre 2021.

A cette date, de nouvelles propositions de postes ont été formulées à Mme [X], et par lettre recommandée du 23 décembre 2021, la salariée les a refusées, demandant à nouveau à être réintégrée à son poste.

Le 26 janvier 2022, Mme [X] a saisi le conseil de prud'hommes de Martigues en sa formation de référé afin d'obtenir notamment sa réintégration sous astreinte.

Le 25 mars 2022, la formation de référé du conseil de prud'hommes a rendu l'ordonnance suivante:

DIT qu'il n'y a pas lieu à référé

DECLARE la formation de référé incompétente

RENVOIE Mme [X] à mieux se pourvoir au fond

DIT Mme [X] infondée en ses prétentions au titre des frais irrépétibles

MET les entiers dépens à la charge de Mme [X].

Le 1er avril 2022, le conseil de Mme [X] a interjeté appel de la décision.

Alors que l'affaire devant le conseil de prud'hommes avait été plaidée et était en délibéré,

l'inspection du travail a rejeté par décision du 9 mars 2022 la demande d'autorisation de licenciement de la salariée protégée.

La société a formé un recours hiérarchique devant le Ministre du travail le 11 mai 2022 reçu le 12 mai 2022 et le recours est réputé rejeté par décision implicite au 12 septembre 2022, mais la société n'a pas indiqué si un recours devant la juridiction administrative avait été formalisé.

Aux termes de ses dernières conclusions, transmises par voie électronique le 2 septembre 2022, Mme [X] demande à la cour de :

«INFIRMER l'ordonnance rendue le 25 mars 2022 par la formation de référé du Conseil de prud'hommes de Martigues en ce qu'elle a :

Dit qu'il n'y a pas lieu à référé ;

Déclaré la formation de référé incompétente ;

Renvoyé Madame [M] [X] à mieux se pourvoir au fond ;

Dit Madame [M] [X] infondée en ses prétentions au titre des frais irrépétibles ;

Mis les dépens à sa charge ;

Et, statuant à nouveau, de :

DÉCLARER recevable et bien-fondée Madame [M] [X] en l'ensemble de ses demandes, fins, moyens et prétentions ;

ORDONNER à la société ORPEA de réintégrer Madame [M] [X] à son poste de préparatrice en pharmacie et de lui fournir du travail ;

ASSORTIR cette obligation d'une astreinte de 300 euros par jour de retard, sur le fondement des

articles L.131-1 à L.131-4 du code des procédures civiles d'exécution;

ORDONNER à la société ORPEA de verser à Madame [M] [X] une provision sur dommages et intérêts pour manquement à l'obligation d'exécution loyale du contrat de 10 000 euros ;

CONDAMNER la société ORPEA à verser à Madame [M] [X] 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

CONDAMNER la société ORPEA aux dépens.»

Aux termes de ses dernières écritures transmises par voie électronique le 27 juin 2022, la SA ORPEA demande à la cour de débouter Mme [X] de l'intégralité de ses demandes et de la condamner aux entiers dépens.

MOTIFS DE LA DÉCISION

L'article R.1455-6 du code du travail prévoit «La formation de référé peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent pour prévenir un dommage imminent ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite.»

Aux termes de l'article R.1455-7 du code du travail, «Dans le cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, la formation de référé peut accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.»

Sur la demande de réintégration

Une injonction de l'agence régionale de santé a été notifiée à la SA ORPEA le 13 janvier 2021. Cette injonction mentionne l'obligation de faire contrôler la préparation des piluliers par un pharmacien diplômé. C'est dans ce contexte que l'employeur a décidé de suspendre le contrat de travail de Mme [X].

Mme [X] soutient que la suspension unilatérale de ses fonctions par l'employeur constitue un trouble manifestement illicite, pour trois motifs :

- l'injonction de l'ARS ne précise pas que ce contrôle implique que la préparatrice soit placée sous un lien de subordination par rapport au pharmacien,

- l'employeur refuse d'exécuter les décisions de l'inspection du travail lui enjoignant de réintégrer la salariée à son poste,

- l'employeur porte atteinte au statut protecteur découlant de son mandat de déléguée syndicale.

La SA ORPEA expose que :

- la suspension du contrat de Mme [X] était nécessaire afin d'éviter un risque de commission d'un délit correctionnel pénalement réprimé,

-tous les actes mentionnés dans les attributions de sa fiche de poste relèvent du monopole du pharmacien,

- elle s'est trouvée dans l'impossibilité de fournir un travail de préparateur en pharmacie, le poste ne pouvant subsister, faute de pharmacie à usage interne autorisée,

- la durée de la supension est liée aux refus répétés de Mme [X] à envisager une mobilité, malgré les nombreuses propositions de reclassement qui lui ont été faites.

Il résulte du rapport de l'ARS qu'un écart n°11 a été relevé page 13 & 14, à savoir «la préparation des piluliers par une préparatrice doit être effectuée sous le contrôle d'un pharmacien diplômé» donnant lieu à la remarque 6 :«la convention avec la pharmacie doit être mise à jour, notamment en tenant compte de l'écart relatif à la préparatrice en pharmacie».

L'inspection a donc noté une distribution des médicaments non conforme, la préparation des piluliers étant réalisée sans la supervision d'un pharmacien diplômé.

Comme l'a fait ressortir l'inspection du travail dans sa dernière décision mais aussi la salariée, tant lors de l'entretien préalable au licenciement que dans ses écritures, l'autorité de tutelle a demandé que la préparation des piluliers par Mme [X] s'effectue sous l'égide d'un pharmacien diplômé et n'a donc pas demandé à ce que les fonctions de préparatrice en pharmacie soient externalisées ou qu'il existe un lien de subordination entre le pharmacien et la préparatrice.

En effet, plus précisément l'autorité de tutelle a demandé à l'établissement de revoir la convention avec la pharmacie déjà prestataire sous cet angle, afin d'organiser ce contrôle requis par la loi.

Le choix opéré actuellement par la société a été différent puisqu'elle a demandé à la pharmacie externe de faire préparer les piluliers par une employée de l'officine, mais ne peut permettre à la SA ORPEA de dire qu'elle était dans l'impossibilité de fournir du travail à Mme [X] et ce d'autant que l'employeur ne démontre d'aucune façon que les autres tâches de la fiche de poste «relèvent du monopole d'un pharmacien».

Dès lors, l'employeur ne justifie pas qu'il était dans l'impossibilité totale et insurmontable d'organiser le contrôle de la préparation des piluliers sous la supervision d'un pharmacien, et donc de maintenir Mme [X] à son poste de travail.

La décision unilatérale de l'employeur de suspendre le contrat de travail, tout en continuant à rémunérer la salariée, est une modification des conditions d'exécution du contrat de travail qui ne pouvait qu'être très temporaire et a cependant perduré depuis plus d'une année, du fait non pas du refus de la salariée d'accepter un reclassement mais de l'obstination de la société à ne pas tenir compte des décisions de l'inspection du travail.

En effet, en dépit des deux refus d'autorisation de licenciement - étant précisé que le recours exercé en 2022 n'était pas suspensif -, des demandes réitérées de la salariée visant à sa réintégration, de la motivation des décisions rendues par l'autorité administrative «impliquant la réintégration de la salariée sur son poste» et des courriers adressés en ce sens à la société par l'inspection du travail, la société qui persiste à ne pas exécuter la réintégration effective de Mme [X] à son poste, commet une violation du statut protecteur.

Il convient à cet égard de rappeler que la salariée peut se prévaloir d'une réintégration de plein droit, dont l'effectivité doit être constatée par les juges, ce qui permet ainsi de déjouer une stratégie de l'employeur qui consisterait à faire durer ses recherches et à attendre l'expiration de la période de protection du salarié, pour procéder à son licenciement sans s'exposer à la sanction de la violation du statut protecteur.

En conséquence, en l'état du trouble manifestement illicite commis, il convient de prononcer la réintégration de la salariée sous astreinte.

Sur la demande de provision

L'appelante estime que, prétextant une mise en conformité avec la réglementation qu'il ne respectait pas depuis seize ans et pour éloigner une salariée qu'il jugeait trop revendicative, l'employeur l'a privée de son emploi, l'isolant des autres salariés.

Elle produit notamment à l'appui le jugement du 16 octobre 2020 du conseil de prud'hommes de Martigues ayant condamné la SA ORPEA pour harcèlement moral sur Mme [X], les décisions de l'inspection du travail et le témoignage d'une ancienne juriste de la DRH.

L'employeur considère que le préjudice est inexistant, et considère la référence à l'ouvrage «Les Fossoyeurs», comme inopérante.

La cour constate d'une part que l'employeur, en ne réintégrant pas la salariée dans son poste dès la première décision de l'inspection du travail du 13 août 2021, et d'autre part, en persistant dans son refus malgré les objurgations de l'autorité administrative dans sa décision du 9 mars 2022, a de fait, empêché la salariée de travailler et a donc failli dans son obligation essentielle de lui fournir du travail, alors même que par une décision récente- certes non définitive - il a déjà été condamné pour des actes de harcèlement moral à l'égard de cette même salariée.

Dès lors, il y a lieu de retenir la mauvaise foi dans l'exécution du contrat de travail et de faire droit pour partie à la demande de Mme [X].

Sur les frais et dépens

La société intimée succombant totalement doit s'acquitter des dépens de la procédure de première instance et d'appel, être déboutée de sa demande faite sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à ce titre, payer à Mme [X] la somme de 2 500 euros.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, en matière prud'homale,

Infirme l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions,

Ordonne la réintégration de Mme [M] [X] à son poste de préparatrice en pharmacie, au sein de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) « La Bastide des Oliviers» situé à [Localité 3],

Dit que cette mesure devra intervenir dans un délai de 15 jours calendaires à compter du prononcé de la présente décision,

Dit qu'à défaut d'exécution dans ce délai, la société ORPEA y sera contrainte sous astreinte de 1000 euros par jour de retard, pendant 100 jours,

Condamne la SA ORPEA à payer à Mme [X] la somme provisionnelle de 5 000 euros à valoir sur les dommages et intérêts pour manquement à l'obligation d'exécution loyale du contrat de travail,

Condamne la SA ORPEA à payer à Mme [X] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la SA ORPEA aux dépens de 1ère instance et d'appel de la présente procédure.

LE GREFFIERLE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-3
Numéro d'arrêt : 22/04885
Date de la décision : 14/10/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-10-14;22.04885 ?
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