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30/09/2022 | FRANCE | N°18/20475

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-3, 30 septembre 2022, 18/20475


COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

Chambre 4-3



ARRÊT AU FOND



DU 30 SEPTEMBRE 2022



N°2022/ 184



RG 18/20475

N° Portalis DBVB-V-B7C-BDROU







[U] [E]





C/



AGS - CGEA DE [Localité 4] - UNEDIC AGS - DELEGATION REGIONALE SUD-EST

[X] [O]















Copie exécutoire délivrée le 30 Septembre 2022 à :



-Me Nathalie BRUCHE, avocat au barreau de MARSEILLE



-Me François ARNOULD, a

vocat au barreau de MARSEILLE



-Maître [X] [O]



Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de MARSEILLE - section AD - en date du 23 Octobre 2014, enregistré au répertoire général sous le n° 10/...

COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

Chambre 4-3

ARRÊT AU FOND

DU 30 SEPTEMBRE 2022

N°2022/ 184

RG 18/20475

N° Portalis DBVB-V-B7C-BDROU

[U] [E]

C/

AGS - CGEA DE [Localité 4] - UNEDIC AGS - DELEGATION REGIONALE SUD-EST

[X] [O]

Copie exécutoire délivrée le 30 Septembre 2022 à :

-Me Nathalie BRUCHE, avocat au barreau de MARSEILLE

-Me François ARNOULD, avocat au barreau de MARSEILLE

-Maître [X] [O]

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de MARSEILLE - section AD - en date du 23 Octobre 2014, enregistré au répertoire général sous le n° 10/2525.

APPELANTE

Madame [U] [E], demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Nathalie BRUCHE, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMES

Maître [X] [O], Mandataire ad'hoc de l'Association LIRE LA VILLE, demeurant [Adresse 1]

non comparant

AGS - CGEA DE MARSEILLE - UNEDIC AGS - DELEGATION REGIONALE SUD-EST, demeurant [Adresse 3]

représenté par Me François ARNOULD, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Stéphanie BESSET-LE CESNE, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 17 Mai 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre, chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre

Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller faisant fonction de Président

Madame Estelle DE REVEL, Conseiller

Greffier lors des débats : Mme Agnès BAYLE.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 02 Septembre 2022, délibéré prorogé en raison de la survenance d'une difficulté dans la mise en oeuvre de la décision au 23 Septembre 2022 puis au 30 Septembre 2022.

ARRÊT

REPUTE CONTRADICTOIRE

Prononcé par mise à disposition au greffe le 30 Septembre 2022

Signé par Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre et Madame Florence ALLEMANN-FAGNI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* * * * * * * * * *

FAITS- PROCEDURE-PRETENTIONS DES PARTIES

L'association «Lire la ville» créée par Mme [F] [N] qui en était la directrice, avait pour objectif de favoriser l'accès à la lecture et réinsérer des personnes en difficulté, en utilisant comme base de travail, la pratique du récit de vie.

Le 1er septembre 2007, Mme [U] [E] a été embauchée par l'association par contrat à durée indéterminée à temps complet, en qualité de consultante, la convention collective applicable étant celle de l'animation socioculturelle.

Mme [E] a été placée en arrêt maladie du 12 au 23 février 2010 puis du 17 mars au 30 avril 2010.

Le 13 août 2010, la salariée a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Le 14 septembre 2010, Mme [I] et deux autres salariées ont saisi le conseil de prud'hommes de Marseille afin de solliciter la nullité de leur licenciement, invoquant notamment des actes de harcèlement moral.

L'association a été placée en redressement judiciaire par jugement du 15 février 2012 converti en liquidation judiciaire le 27 juin 2012.

Le 23 octobre 2014, le conseil de prud'hommes, en sa formation de départage, a rendu le jugement suivant :

Rejette la demande formulée au titre du harcèlement moral

Fixe la créance de Mme [E] sur la liquidation de l'association Lire la ville à la somme de 1 000€ au titre de la résistance abusive

Déclare le jugement opposable au CGEA dans les limites légales de sa garantie

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile

Condamne Mme [E] aux entiers dépens.

Le 14 novembre 2014, le conseil de Mme [B] a interjeté appel de la décision.

L'affaire a été radiée par arrêt du 6 Janvier 2017 et réinscrite selon conclusions du 17 décembre 2018.

Les salariées ont refusé la procédure sans audience proposée et l'affaire prévue à l'audience du 9 février 2021 a été renvoyée au 17 mai 2022.

Aux termes de ses dernières écritures, reprises oralement, Mme [E] demande à la cour de :

«INFIRMER le jugement déféré en toutes ses dispositions et, notamment, en ce qu'il a retenu l'absence de harcèlement moral et de nullité du licenciement

Ce faisant, statuant à nouveau,

A titre principal,

CONSTATER l'existence de faits de harcèlement moral

DIRE le licenciement nul,

FIXER AU PASSIF de l'association LIRE LA VILLE les créances suivantes de Madame [E] :

33 804,54 euros nets à titre de dommages-intérêts lié au harcèlement moral subi nets de toutes charges sociales

3 756,06 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis;

375, 60 euros bruts à titre de congés payés sur préavis

18 311,90 euros nets à titre de dommages-intérêts pour nullité du licenciement

3 000 euros nets à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive à la remise des documents et indemnités de rupture

1 600 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

DIRE le Jugement à intervenir opposable au CGEA et que ce dernier devra garantir l'ensemble des condamnations prononcées

A titre subsidiaire,

CONSTATER le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité

DIRE le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

FIXER AU PASSIF de l'association LIRE LA VILLE les créances suivantes de Madame [E] :

33 804,54 nets euros à titre de dommages-intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité

3 756,06 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis;

375, 60 euros bruts à titre de congés payés sur préavis

18 311,90 euros nets à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse

3 000 euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive à la remise des documents et indemnités de rupture

1 600 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

En toute hypothèse,

ORDONNER en application des dispositions de l'article L 1235-4 du code du travail le remboursement à POLE EMPLOI des allocations servies au salarié dans la limite de 6 mois ;

DIRE le Jugement à intervenir opposable au CGEA et que ce dernier devra garantir l'ensemble des condamnations prononcées

DIRE que les frais d'huissier nécessaire à l'exécution de la décision à intervenir seront supportés par la société en sus de la condamnation à article 700 du CPC.»

Aux termes de ses dernières conclusions développées oralement, l'Unedic délégation AGS CGEA de [Localité 4] demande à la cour de :

« Réformer le jugement attaqué en ce qu'il a alloué à Madame [E] une somme de 1.000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,

Débouter Madame [E] de sa demande formulée à ce titre

Confirmer pour le surplus le jugement attaqué en toutes ses dispositions et débouter Madame [E] de l'ensemble de ses demandes comme étant infondées et injustifiées,

En tout état rejeter les demandes infondées et injustifiées et ramener à de plus juste proportions les indemnités susceptibles d'être allouées au salarié,

Débouter Madame [E] de toute demande de condamnation sous astreinte ou au paiement d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en tout état déclarer le montant des sommes allouées inopposables à l'AGS CGEA.

En tout état constater et fixer en deniers ou quittances les créances de Madame [E] selon les dispositions de articles L 3253 -6 à L 3253-21 et D 3253 -1 à D 3253-6 du Code du Travail.

Dire et juger que l'AGS ne devra procéder à l'avance des créances visées à l'article L 3253-8 et suivants du Code du Travail que dans les termes et conditions résultant des dispositions des articles L 3253-19 et L 3253-17 du Code du Travail, limitées au plafond de garantie applicable, en vertu des articles L 3253-17 et D 3253-5 du Code du Travail, plafonds qui inclus les cotisations et contributions sociales et salariales d'origine légale, ou d'origine conventionnelle imposée par la loi, ainsi que la retenue à la source prévue à l'article 204 A du code général des impôts,

Dire et juger que les créances fixées, seront payables sur présentation d'un relevé de créance par le mandataire judiciaire, et sur justification par celui-ci de l'absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement en vertu de l'article L 3253-20 du Code du Travail.

Dire et juger que le jugement d'ouverture de la procédure collective a entraîné l'arrêt des intérêts légaux et conventionnels en vertu de l'article L.622-28 du Code de Commerce.»

Le mandataire ad hoc désigné selon ordonnance du tribunal judiciaire de Marseille du 11 juin 2021, Me [O], n'a pas constitué avocat et n'a pas comparu (accusé de réception signé le 28 décembre 2021).

Pour l'exposé plus détaillé des prétentions et moyens des parties, il sera renvoyé, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, aux conclusions des parties visées par le greffier à l'audience.

MOTIFS DE L'ARRÊT

A titre liminaire, la cour rappelle qu'en application des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile, elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et que les « dire et juger » et les « constater » ne sont pas des prétentions en ce que ces demandes ne confèrent pas de droit à la partie qui les requiert, hormis les cas prévus par la loi. En conséquence, la cour ne statuera pas sur celles-ci, qui ne sont en réalité que le rappel des moyens invoqués.

Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l'article L.1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

L'article L.1154-1 du même code dans sa version applicable à l'espèce (avant le 10 août 2016) prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Mme [E] soutient que les agissements constitutifs de harcèlement moral résultent de la personnalité de Mme [N], directrice de l'association, mais également de ses méthodes managériales et de l'ambiance qu'elle instaurait au sein de l'association.

Elle décrit un turn-over inhabituel, résultat d'une gestion affective du personnel par Mme [N], la directrice, laquelle après cette phase extrême, passait à des séances d'humiliation en public puis à une mise au placard.

Elle indique que pour sa part, elle n'a pas été appréciée au début puis est devenue «la confidente» de la directrice à l'été 2009 mais qu'après avoir défendu notamment M. [A], elle a subi un entretien informel le 16 décembre 2009 avec la directrice, laquelle l'a sommée de partir ou rester, sur un mode hystérique.

Elle évoque une séance d'humiliation lors de la réunion du 20 janvier 2010 suivie du retrait des clefs et enfin lors de sa reprise après un arrêt maladie, une surveillance de ses faits et gestes par le déplacement de son bureau le 12 mars 2010.

Elle invoque également une différence de traitement à l'embauche concernant sa rémunération.

Elle dénonce des sanctions disciplinaires injustifiées, un traitement inégal choquant, contribuant à une ambiance malsaine, relevant le plaisir pervers de la directrice à les déstabiliser et à les faire souffrir.

Elle fait état de la problématique du «récit de vie», méthode utilisée pour la réinsertion du public dont l'association avait la charge mais appliquée aux salariés et dont la directrice souhaitait avoir connaissance, celle-ci ayant utilisé les confidences forcées contre eux.

Elle indique fournir un dossier médical révélateur du traumatisme qu'elle a subi pendant plusieurs années.

Elle produit notamment à l'appui :

- les témoignages de six anciens salariés (pièces 67 à 70, 138, 141,144,), décrivant au début un relationnel bienveillant voire affectueux de la part de la directrice à leur égard, se transformant en malveillance et intrusion, et notamment les attestations de M. [A], salarié défendu fin 2009 par Mme [E], décrivant le processus ainsi : « Elle voulait me faire craquer, elle était agressive. C'était des litanies de petites phrases agressives. Intérieurement, pour moi, c'était horrible. Pendant les entretiens, j'avais des sensations de peur quand elle s'adressait à moi, les mains moites, les jambes en coton, des accélérations du rythme cardiaque. J'ai vu d'autres salariés ([U] [E], [Z] [I], [K] [B], [C] [G], [S] [M], [P] [L] etc) sortir de ce genre d'entretien complètement défaits et en larmes, certains avaient besoin de prendre des cachets pour se calmer. »,

- les mails du président de l'association des 17 juin 2009 et 3 janvier 2010 (pièces 72 & 73), suite à un échange avec Mme [I] se déclarant troublé et inquiet «à entendre ta propre inquiétude, pour ne pas dire plus» puis relatant le refus de la directrice de la mise en discussion collective d'un texte et ne voyant pas de possibilité de reprendre la question la concernant et lui conseillant de partir,

- le compte-rendu d'une réunion du 20/01/2010 dans lequel la directrice détaille d'une part des reproches faits à [Z] ([I]) et [K] ([B]) concernant l'élaboration et la diffusion du compte-rendu de la formation MST19 et d'autre part, présente une nouvelle organisation du travail dans l'association,

- l'attestation de Mme [B] (pièce 146) décrivant l'attitude de la directrice ainsi: «[F] me disait souvent qu'[U] n'avait pas d'humour, qu'elle était froide et distante (...), malgré tout, elle lui reconnaissait du sérieux et de la droiture. Fin 2009, [F] a commencé à la prendre à part pour décrypter avec elle le travail d'un autre consultant [H] [A]. Elle voulait lui prouver qu'il était mauvais. Mais [U] s'entêtait à trouver les progrès de [H] encourageants, alors [F] s'est mise à parler de coalition contre elle. Il semblait tout à coup qu'elle voulait «casser» [U], l'intimider, la ramener à la rasion, en la toisant froidement, la convoquant sans préambules à des entretiens privés en lui parlant brusquement ou en ne lui parlant plus du tout. A partir de décembre, la grande hantise d'[U] était d'être coincée dans un tête à tête avec [F]. A chaque fois que cela arrivait, elle sortait du bureau pâle et tremblante et elle devait prendre des cachets pour se calmer. Elle avait de fréquentes crises d'angoisse qui la faisaient pleurer.

En février 2010, elle a été profondément choquée qu'on la soupçonne d'avoir volé des choses et qu'on lui demande ses clés (...). Peu à peu sa confiance en elle et son éta mental se sont détériorés.

Le 12 mars 2010, [F] lui a imposé de venir travailler dans la même pièce qu'elle soit disant parce qu'il était plus logique qu'[W] [D] la gestionnaire s'installe à la place d'[U], à côté de moi. Or la seule présence de [F] paralysait [U]. A partir de là, elle n'a plus pu venir travailler. Ensuite alors qu'elle était en arrêt maladie, elle était souvent prise de panique à l'idée de devoir y retourner et de devenir le nouveau bouc émissaire de [F] ».

- des échanges de courriers avec la directrice, notamment celui du 7/05/2010, dans lequel la salariée indique «Je suis incapable de travailler à vos côtés en ce mement car votre attitude me stresse, m'empêche de travailler. J'ai tenté de reprendre après un premier arrêt maladie mais vous vous êtes déchaînée sur moi et je n'ose imaginer ce que vous avez pu dire de moi aux autres salariés tant j'ai été mise en quarantaine (...)»,

- plusieurs attestations de membres de son entourage qui mentionnent la dégradation de ses conditions de travail et les conséquences sur sa vie personnelle (pièce n°148, 153, 154, 155, 156, 157),

- les éléments médicaux : arrêts de travail, le dossier médical de la médecine du travail, indiquant que Mme [E] présente un syndrome anxio dépressif réactionnel, la salariée décrivant des convocations individuelles toutes les semaines, du mépris et de la souffrance morale, plusieurs certificats de son médecin traitant (pièce 66 notamment), le rapport expertal fait à la demande du médecin du travail le 06/05/2010, visant une souffrance morale avec sentiments d'injustice, d'autodévalorisation et vécu d'auto culpabilité, un syndrome anxieux avec labilité émotionnelle, avec notamment tension psychique, dyssomnie, angoisse et crises de panique (...), concluant à l'inaptitude à la reprise d'activité dans la même société,

- l'avis d'inaptitude du 28/05/2010 de la médecine du travail : «inapte à son poste de travail dans le contexte professionnel (organisationnel et relationnel) actuel.(...)»,

- la lettre de contestation du 11/06/2010 de la directrice Mme [N], de l'avis d'inaptitude,

- l'avis du médecin inspecteur du travail du 01/07/2010, considérant « Après avoir examiné la salariée et étudié les éléments de son dossier, il m'apparaît que son état de santé ne lui permet pas la reprise de son activité professionnelle antérieure dans ce contexte professionnel »,

- la décision de l'inspecteur du travail du 08/07/2010, confirmant l'avis d'inaptitude.

Ainsi la salariée établit des faits matériels lesquels pris dans leur ensemble peuvent laisser présumer l'existence d'un harcèlement moral.

L'Unedic délégation AGS CGEA de [Localité 4] fait observer que les attestations produites par Mme [E] concernent des faits généraux et non pas des faits qui l'auraient directement concernée. Elle précise que l'ancienne direction avait voulu rétablir la vérité, nonobstant la liquidation judiciaire, en recueillant le témoignage de nombreux salariés démontrant que les griefs sont infondés, décrivant une ambiance au travail détendue, n'ayant jamais eu à se plaindre de la direction ou du fonctionnement de l'association.

Elle estime que la directrice n'a fait qu'user de son pouvoir de direction et d'organisation du travail, en reprenant un compte-rendu rédigé par Mmes [B] et [I].

Elle produit notamment :

- des attestations de salariés(pièces 4 à 35), décrivant d'une part, une ambiance détendue et une directrice à l'écoute et d'autre part, une manigance de la part des trois salariées visant à détruire l'association, comme Mme [Y] : « Il m'a été impossible d'être admise par 3 ([Z] ([I]), [H] et [K] ([B]) des 6 consultants formant l'équipe. J'ai essayé de ne pas faire attention à leurs manifestations d'ironie, de rejet ou d'agressivité, mais je me sentais de plus en plus mal, déprimée ». « L'image que j'ai eue de l'équipe de consultants est celle d'un groupe d'enfants gâtés, qui ne sait plus rien apprécier, qui devient exigeant, arrogant et qui s'oublie. »

- l'attestation du président de l'association M. [T], lequel indique que Mme [I] a sorti de son contexte le mail de janvier 2010 qui avait trait à la désorganisation de l'association, expliquant que la directrice était accaparée par les questions de financement et que rien à l'époque n'a été évoqué quant à des conditions de travail pathogènes,

- la lettre de la directrice à l'inspection du travail du 28/04/2010, demandant un rendez-vous en urgence, contestant l'avis d'inaptitude de la médecine du travail et indiquant que «trois salariées bloquent la production et mettent en péril l'association»,

- la pétition adressée par 7 salariés à l'inspection du travail le 28/04/2010, pour dénoncer l'attitude de Mmes [I], [E] et [B], «les absences orchestrées, les propos inexacts et manipulatoires», demandant à ce qu'il soit mis fin «à une entreprise de sabordage et de calomnie»,

- les échanges de courrier d'avril à juin 2010 entre la directrice et et la médecine du travail.

Les attestations d'anciens salariés produites par la salariée ne concernent pas directement Mme [E] mais permettent d'illustrer la méthode managériale adoptée par Mme [N], directrice de l'association, laquelle était vis à vis des salariés dans l'excès sur un mode très affectif puis de détestation, les termes utilisés dans ses écrits en étant la démonstration, le tout dans un contexte professionnel qui aurait nécessité un peu plus de retenue, peu important les relations amicales tissées entre les personnes.

A cet égard, les attestations produites par l'employeur émanent pour bon nombre d'entre elles soit de personnes ne travaillant pas dans l'association (pièces 5& 31-6-9-11& 33-12-18-19-20-22-26-28-29-34-36), soit de personnes entrées postérieurement aux faits évoqués (14-24), soit enfin de personnes évoquant une période non contemporaine de celle visée par la salariée (27-29-30-37).

Le compte-rendu de réunion du 20 janvier 2010 concerne dans sa première partie Mmes [I] et [B] mais dans la seconde, les trois salariées dont Mme [E], la directrice indiquant qu'elle a «proposé ici un cadre de travail qui ne soit pas celui de la subordination. Un cadre de confiance, c'est à dire en partie oral. Je suis bien obligée de me rendre compte qu'il n'y avait pas de réciprocité vis-à-vis de mes propositions. Et nous sommes donc obligés de revenir à un cadre écrit, le cadre contractuel strict: celui du droit du travail et de vos contrats. J'en ai avertie [U], [Z] et [K] dès nos entretiens de décembre (...). Je vous rappelle encore que je n'admets pas les obstructions ni les comportements incorrects à mon égard».

S'il ne peut être reproché à la directrice d'être revenue à un cadre de travail plus strict, notamment pour les horaires, le ton employé dans ce compte-rendu, le caractère ciblé des attaques, comme l'absence de toute liberté d'expression laissée aux intéressées, constitue un agisement entrant dans la définition du harcèlement moral, étant précisé qu'il n'y avait jamais eu auparavant de remontrance à l'endroit de Mme [E] concernant ses horaires.

Si la salariée n'a pas été sanctionnée disciplinairement de façon injustifiée - au contraire de Mmes [I] et [B] - il ressort des éléments produits qu'après avoir marqué son désaccord avec la directrice notamment sur M.[A], elle a subi des humiliations, par le biais d'entretiens systématiques et à sa reprise en mars 2010 par un changement de bureau, étant placée sous la surveillance directe et traumatisante de la directrice.

La cour ajoute que le comportement de la directrice a persisté, en écrivant directement à l'inspection du travail pour signaler «le blocage de la production» par trois salariées, en interpellant le médecin du travail de façon déplacée dans sa lettre du 27 avril 2010 comme dans celle du 3 juin 2010 et en contestant son avis dans celle du 30 juin 2010, par des mots démontrant la négation de la souffrance de certaines de ses salariées, étant précisé que la théorie du complot avancée, n'a pas été démontrée.

En l'état des éléments produits de part et d'autre, l'employeur échoue à démontrer que les faits dénoncés par la salariée sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à un contexte de harcèlement moral.

Il est établi par Mme [E] que son état de santé s'est dégradé ainsi qu'il en est justifié par les arrêts de travail et les éléments de son dossier médical, pour aboutir à une inaptitude ayant pour origine un état anxio dépressif réactionnel aux agissements de harcèlement moral subis sur son lieu de travail.

Dès lors, en application de l'article L.1152-3 du code du travail, la rupture du contrat de travail intervenue pour le motif d'inaptitude - quand bien même il n'a pas été reconnu de maladie professionnelle - doit être déclarée nulle.

Sur les conséquences financières du licenciement nul

Il n'y a pas lieu d'ordonner le remboursement des indemnités de chômage tel que prévu à l'article L.1235-4 du code du travail, la modification de ce texte l'étendant aux licenciements nuls étant intervenue par la Loi du 8 août 2016, soit postérieurement à la rupture.

Compte tenu de l'ancienneté de la salariée, soit près de 3 ans, des circonstances de la rupture, du montant de sa rémunération mensuelle brute soit 1 878,30 euros, de son âge (36 ans), et des conséquences de la rupture à son égard, telles qu'elles résultent notamment desjustificatifs relatifs à sa prise en charge par le Pôle Emploi, il est alloué à Mme [E] la somme de 12 000 euros, à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul.

Compte tenu des circonstances du harcélement subi par la salariée, de sa durée et des conséquences dommageables qu'il a eues pour elle, telles qu'elles ressortent, notamment, des pièces médicales et témoignages de son entourage, le préjudice en résultant pour Mme [E] doit être réparé par l'allocation de la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts.

La rupture étant imputable à l'employeur, l'indemnité compensatrice de préavis de deux mois est dûe, son montant n'étant pas discuté par l'intimé.

Les sommes allouées par la présente juridiction doivent être garanties par l'Unedic délégation AGS CGEA de [Localité 4].

Sur les autres demandes

Il n'est pas démontré un préjudice plus ample que celui justement apprécié par les premiers juges, relatif à la résistance abusive de l'employeur dans le cadre de la délivrance des salaires et documents de fin de contrat.

Le préjudice moral ainsi indemnisé est une créance devant être garantie par l'Unedic délégation AGS CGEA de [Localité 4], s'agissant de l'inexécution des obligations contractuelles de l'employeur.

Il n'y a donc pas lieu à infirmation du jugement sur ce point.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant par arrêt réputé contradictoire, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, en matière prud'homale,

Infirme le jugement entrepris SAUF en ce qu'il a fixé la créance de Mme [U] [E] à la somme de 1 000 euros au titre de la résistance abusive et dit que l'Unedic délégation AGS CGEA de [Localité 4] devait sa garantie,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et Y ajoutant,

Fixe la créance de Mme [E] au passif de la liquidation judiciaire de l'association «Lire la ville» représentée par Me [O], mandataire ad'hoc, aux sommes suivantes:

- 3 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

- 12 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour nullité du licenciement,

- 3 756,06 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 375,06 euros bruts au titre des congés payés afférents,

Déclare l'Unedic délégation AGS CGEA de [Localité 4] tenue à garantie pour ces sommes dans les termes des articles L.3253-8 et suivants du code du travail, en l'absence de fonds disponibles,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

Laisse à la charge de la liquidation judiciaire de l'association «Lire la ville» représentée par Me [O], mandataire ad'hoc, les dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIERLE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-3
Numéro d'arrêt : 18/20475
Date de la décision : 30/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-30;18.20475 ?
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