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21/09/2022 | FRANCE | N°20/11450

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-8, 21 septembre 2022, 20/11450


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-8



ARRÊT AU FOND

DU 21 SEPTEMBRE 2022



N° 2022/ 397







N° RG 20/11450



N° Portalis DBVB-V-B7E-BGRPO







[M] [P]



[B] [P]



[K] [P]





C/



[F] [P]



[R] [G] épouse [J]



[C] [J] épouse [N]



[W] [J]



[O] [J]



[V] [J]



[S] [N]

















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Copie exécutoire délivrée

le :

à :



Me Annabelle BOUSQUET



Me Sandra JUSTON



Me Alexandra BOISRAME



Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal de proximité de MARSEILLE en date du 06 Novembre 2020 enregistrée au répertoire général sou...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-8

ARRÊT AU FOND

DU 21 SEPTEMBRE 2022

N° 2022/ 397

N° RG 20/11450

N° Portalis DBVB-V-B7E-BGRPO

[M] [P]

[B] [P]

[K] [P]

C/

[F] [P]

[R] [G] épouse [J]

[C] [J] épouse [N]

[W] [J]

[O] [J]

[V] [J]

[S] [N]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Annabelle BOUSQUET

Me Sandra JUSTON

Me Alexandra BOISRAME

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de proximité de MARSEILLE en date du 06 Novembre 2020 enregistrée au répertoire général sous le n° 1119002051.

APPELANTS

Monsieur [M] [P]

né le 27 Mars 1952 à [Localité 6] (84), demeurant [Adresse 7]

Monsieur [B] [P]

né le 12 Août 1983 à [Localité 8] (13), demeurant [Adresse 7]

Monsieur [K] [P]

né le 21 Août 1984 à [Localité 8] (13), demeurant [Adresse 7]

représentés par Me Annabelle BOUSQUET, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, et plaidant par Me Hervé DUPONT, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMES

Monsieur [F] [P]

né le 03 Novembre 1959 à [Localité 8] (13), demeurant [Adresse 5]

représenté par Me Sandra JUSTON, membre de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE et plaidant par Me Caroline RANIERI, avocat au barreau de MARSEILLE

Madame [R] [G] épouse [J]

née le 20 Novembre 1956 à [Localité 9] (44), demeurant [Adresse 1]

Madame [C] [J] épouse [N]

née le 28 Mars 1980 à [Localité 9] (44), demeurant [Adresse 4]

Madame [W] [J]

née le 01 Mars 1983 à [Localité 9] (44), demeurant [Adresse 10] (PHILIPPINES)

Monsieur [O] [J]

né le 03 Février 1986 à [Localité 9] (44), demeurant [Adresse 10] (PHILIPPINES)

Madame [V] [J]

née le 06 Novembre 1995 à [Localité 9] (44), demeurant [Adresse 1]

Monsieur [S] [N]

né le 27 Avril 1979 à [Localité 9] (44), demeurant [Adresse 3]

tous représentés par Me Alexandra BOISRAME, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, et ayant pour avocat plaidant par Me Sophie BOMEL, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 07 Juin 2022 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Monsieur Jean-Paul PATRIARCHE, Conseiller a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Monsieur Philippe COULANGE, Président

Madame Céline ROBIN-KARRER, Conseillère

Monsieur Jean-Paul PATRIARCHE, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Mme Maria FREDON.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 21 Septembre 2022.

ARRÊT

Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 21 Septembre 2022, signé par Monsieur Philippe COULANGE, Président et Madame Maria FREDON, greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE ANTÉRIEURE

Suivant acte sous signatures privées, MM. [M] et [F] [P], agissant en qualité de copropriétaires indivis, ont donné à bail d'habitation meublée aux époux [U] [J] et [R] [G] à compter du 15 septembre 2007 une maison en bord de mer située [Adresse 2].

Aux termes d'un premier jugement rendu le 2 novembre 2010 par le tribunal d'instance de Marseille et confirmé par un arrêt de la cour de céans du 21 février 2013, ce contrat a été requalifié en bail d'habitation de locaux nus soumis à la loi du 6 juillet 1989, et les propriétaires ont été condamnés à réaliser certains travaux.

[U] [J] est décédé accidentellement le 25 mai 2009 des suites d'une chute depuis un étage supérieur de la maison.

Le bail s'est poursuivi au profit de sa veuve jusqu'à la délivrance d'un congé pour vendre le 4 mars 2019, un état des lieux de sortie ayant été établi le 16 septembre suivant.

Par exploits d'huissier en date du 22 mai 2019, réitéré le 19 juin 2019 à l'égard de M. [F] [P], Madame [R] [G] veuve [J] a saisi de nouveau le tribunal d'instance de Marseille pour entendre condamner solidairement les bailleurs à l'indemniser du préjudice de jouissance subi du fait du défaut de délivrance d'un logement décent et de l'absence d'entretien des lieux loués, ainsi qu'à lui remettre l'ensemble des quittances de loyer depuis la prise d'effet du bail.

Ses quatre enfants [C], [W], [O] et [V] [J], ainsi que son gendre [S] [N], se sont joints à son action visant à réclamer d'autre part l'indemnisation du préjudice d'affection subi du fait du décès d'[U] [J], qu'ils imputent à l'absence de garde-corps sur la fenêtre depuis laquelle ce dernier aurait chuté.

Par actes signifiés le 20 novembre 2019, les demandeurs ont appelé en intervention forcée MM. [B] et [K] [P], auxquels leur père [M] [P] avait fait donation de la nue-propriété de ses droits indivis sur la maison dès le 10 décembre 2009.

Les défendeurs ont soulevé une exception d'incompétence matérielle du tribunal d'instance pour connaître de l'action en réparation du préjudice d'affection au profit du tribunal de grande instance, ainsi qu'une fin de non recevoir fondée sur la prescription pour ce qui concerne M. [F] [P].

Sur le fond ils ont conclu au rejet de l'ensemble des demandes, M. [F] [P] réclamant reconventionnellement paiement d'une somme de 11.250 euros au titre des loyers échus entre février et septembre 2019.

Par jugement rendu le 6 novembre 2020 la juridiction saisie, devenue entre-temps le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire, a :

- rejeté l'exception d'incompétence matérielle par application de l'article R 221-38 (ancien) du code de l'organisation judiciaire, attribuant compétence exclusive au tribunal d'instance pour connaître de toutes les actions dérivant d'un contrat de bail,

- écarté la fin de non recevoir tirée de la prescription, considérant que l'action en réparation du préjudice d'affection avait été introduite dans le délai de dix ans à compter du décès d'[U] [J], conformément à l'article 2226 du code civil,

- retenu la responsabilité des bailleurs dans la survenance de l'accident, et condamné en conséquence solidairement MM. [M] et [F] [P] à payer les sommes de 40.000 euros à [R] [G] veuve [J], 30.000 euros à [W], [C] et [O] [J], 84.000 euros à [V] [J] (mineure à l'époque des faits), et 5.000 euros à [S] [N] (et non pas [J] comme indiqué par erreur de plume au dispositif),

- réservé les droits des consorts [J] au titre du préjudice économique,

- condamné d'autre part les bailleurs, sous la même solidarité, à payer à Madame [R] [G] veuve [J] la somme de 25.000 euros en réparation du préjudice de jouissance subi au cours de la période de juin 2016 à mai 2019, toute demande antérieure étant prescrite en application de l'article 7-1 de la loi du 6 juillet 1989,

- condamné les bailleurs à remettre à la locataire sortante l'ensemble des quittances de loyer depuis la date de prise d'effet du bail, et ce sous peine d'astreinte,

- débouté M. [F] [P] de sa demande reconventionnelle en paiement des derniers loyers, au motif que ceux-ci avaient été réglés à son coïndivisaire,

- condamné solidairement MM. [M] et [F] [P] aux dépens de l'instance, ainsi qu'au paiement d'une somme de 1.500 euros au titre des frais irrépétibles exposés par Madame [R] [G] veuve [J],

- et ordonné l'exécution provisoire de sa décision.

MM. [M], [B] et [K] [P] ont relevé appel par déclaration adressée au greffe de la cour le 23 novembre 2020 et enrôlée sous le numéro de répertoire général 20/11450.

M. [F] [P] a également interjeté appel par déclaration du 3 décembre 2020 enrôlée sous le n° 20/11966, avec déclaration rectificative du 8 décembre enrôlée sous le numéro 20/12151.

Les procédures n° 20/11450 et 20/12151 ont fait l'objet d'une jonction suivant ordonnance rendue le 25 octobre 2021 par le conseiller chargé de la mise en état.

Quant à la procédure n° 20/11966, elle a été jointe à la présente instance par arrêt distinct prononcé ce jour par la cour de céans.

Enfin, suivant ordonnance rendue le 16 avril 2021, le premier président de la cour a ordonné l'arrêt de l'exécution provisoire s'agissant uniquement des condamnations prononcées au profit des consorts [C], [W], [O] et [V] [J] ainsi que de [S] [N].

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par conclusions conjointes notifiées le 8 avril 2021, MM. [M], [B] et [K] [P] soutiennent en premier lieu qu'il résultait des articles L 211-4-1 et R 221-38 du code de l'organisation judiciaire, dans leur rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, que si le tribunal d'instance était seul compétent pour se prononcer sur la responsabilité contractuelle encourue par le bailleur, la demande en réparation d'un préjudice corporel subi à l'occasion de l'exécution du bail relevait en revanche de la compétence exclusive du tribunal de grande instance.

Ils demandent en conséquence à la cour d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il s'est déclaré compétent pour statuer sur les demandes en réparation des préjudices d'affection en lien avec l'accident, et de renvoyer de ce chef les parties devant le tribunal judiciaire de Marseille.

S'agissant de la demande en réparation du préjudice de jouissance, ils contestent l'intégralité des griefs qui leur sont adressés au sujet de l'indécence du logement ou d'un défaut d'entretien des lieux loués, et se réfèrent aux motifs des précédentes décisions de justice rendues entre les parties, qui avaient retenu un défaut d'entretien de la part des locataires.

Ils demandent donc à la cour d'infirmer également le jugement querellé en ce qu'il a alloué à ce titre à Madame [R] [J] une indemnité de 25.000 euros.

Ils poursuivent enfin la condamnation des parties intimées aux entiers dépens, ainsi qu'au paiement d'une somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions du 21 février 2022, Monsieur [F] [P] poursuit pour sa part l'infirmation de l'ensemble des chefs du jugement, excepté celui qui l'a débouté de sa demande reconventionnelle en paiement des derniers loyers.

Il soutient en premier lieu l'exception d'incompétence invoquée par son frère, et en tire les mêmes conséquences juridiques. Subsidiairement, il fait valoir que seule Madame [R] [G] veuve [J] pouvait agir en réparation de son préjudice d'affection devant le tribunal d'instance en raison de sa qualité de locataire, les autres demandeurs devant être renvoyés à se pourvoir devant le tribunal judiciaire.

Il oppose ensuite une fin de non recevoir de l'action en réparation de ces mêmes préjudices introduite à son encontre, en raison de l'expiration du délai de prescription décennal édicté par l'article 2226 du code civil. Il soutient en effet que la première assignation du 22 mai 2019 était dépourvue de tout effet interruptif dans la mesure où elle n'avait pas été délivrée à son domicile, mais à celui de son ex-épouse dont il était divorcé depuis 2007, alors même que les demandeurs connaissaient sa véritable adresse, et que la réitération de l'acte n'est intervenue que le 19 juin 2019, soit après l'expiration du délai de prescription.

Sur le fond il fait grief au premier juge d'avoir retenu la responsabilité des bailleurs dans la survenance de l'accident alors que les circonstances exactes de celui-ci n'auraient pas été élucidées par l'enquête de police, un témoin ayant déclaré avoir aperçu la victime à l'extérieur d'une balustrade avant qu'elle ne chute.

Subsidiairement il conclut à une minoration des indemnités allouées en réparation du préjudice d'affection.

S'agissant de la demande en réparation du préjudice de jouissance, il développe sensiblement la même argumentation que celle de son frère pour conclure pareillement au débouté de la partie adverse

Quant à la délivrance des quittances de loyer, il conteste y être personnellement tenu pour le tout dans la mesure où il avait été convenu entre les parties que le montant de la location serait versé aux bailleurs à concurrence de moitié chacun, et qu'il n'a plus perçu aucun règlement de la part de la locataire à compter du 1er février 2019.

Il poursuit enfin la condamnation des parties intimées aux entiers dépens, ainsi qu'au paiement d'une somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions conjointes et récapitulatives notifiées le 23 mai 2022, les consorts [J] et [N] poursuivent pour leur part la confirmation du jugement entrepris, pour les mêmes motifs que ceux développés par le tribunal, auxquels il est ici renvoyé.

Sur l'exception d'incompétence, ils font subsidiairement valoir que le tribunal d'instance était à tout le moins compétent pour se prononcer sur le principe de la responsabilité des bailleurs du fait de l'accident, à charge pour le tribunal de grande instance d'évaluer le montant des réparations.

Sur la fin de non recevoir tirée de la prescription, ils ajoutent à la motivation du premier juge, fondée sur la force probante attachée aux mentions de l'exploit d'huissier, qu'à supposer même que la première assignation ait été irrégulièrement délivrée à M. [F] [P], cet acte aurait néanmoins produit un effet interruptif dans la mesure où il manifestait l'intention des demandeurs de ne pas laisser éteindre leur droit, et qu'en toute hypothèse l'effet interruptif attaché à l'assignation régulièrement délivrée à M. [M] [P] doit s'étendre à l'action dirigée contre son frère.

S'agissant des causes de l'accident, ils affirment que la fenêtre d'où a chuté la victime était dépourvue de tout garde-corps ou balustrade, et que la déclaration du témoin citée par les appelants apparaît peu crédible, voire 'fantaisiste'.

S'agissant enfin du préjudice de jouissance, ils font valoir que les travaux auxquels les bailleurs avaient été précédemment condamnés ont été bâclés.

Ils demandent accessoirement à la cour de condamner MM. [M], [B] et [K] [P] à leur payer une somme de 2.500 euros à chacun sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

DISCUSSION

Sur l'exception d'incompétence :

En vertu des dispositions de l'article L 211-4-1 du code de l'organisation judiciaire entrées en vigueur à compter du 1er mai 2017, le tribunal de grande instance (désormais le tribunal judiciaire) s'est vu attribuer une compétence exclusive pour connaître des actions en réparation d'un dommage corporel.

Suivant les articles R 221-38 (ancien) et L 213-4-4 (nouveau) du même code, le tribunal d'instance, et désormais le juge des contentieux de la protection, disposent pour leur part d'une compétence d'attribution pour connaître des actions dont un contrat de louage d'immeuble à usage d'habitation est l'objet, la cause ou l'occasion.

Statuant sur l'articulation entre ces textes, la cour de cassation a jugé que la demande en réparation d'un préjudice corporel fondée sur les obligations dérivant d'un contrat de bail relevait de la compétence exclusive du tribunal de grande instance (arrêt de la deuxième chambre civile du 22 octobre 2020, n° de pourvoi 19-18.707).

Il convient en conséquence d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il s'est déclaré matériellement compétent pour connaître des demandes en réparation des préjudices d'affection causés par le décès d'[U] [J].

Toutefois une telle décision n'emporte pas pour conséquence le renvoi du dossier devant le tribunal judiciaire de Marseille comme le sollicitent les appelants, puisqu'en application de l'article 90 alinéa 2 du code de procédure civile il incombe à la cour de céans, qui est également juridiction d'appel à l'égard de la formation compétente, de statuer sur le fond du litige.

Sur la fin de non recevoir tirée de la prescription :

En vertu de l'article 2226 du code civil, l'action en responsabilité née à raison d'un événement ayant entraîné un dommage corporel, engagée par la victime directe ou indirecte des préjudices qui en résultent, se prescrit par dix ans à compter de la date de la consolidation du dommage initial ou aggravé.

En l'espèce le moyen tiré de l'expiration de ce délai n'est invoqué que par Monsieur [F] [P], et repose sur l'irrégularité de la première assignation qui lui a été délivrée le 22 mai 2019.

Sur ce point le premier juge a justement relevé que les constatations rapportées par l'huissier de justice, suivant lesquelles le nom du destinataire de l'acte apparaissait sur la boîte aux lettres et le tableau des occupants de l'immeuble, font foi jusqu'à inscription de faux.

Il convient de relever en outre que, suivant l'article 2241 du même code, la demande en justice interrompt le délai de prescription même lorsque l'acte de saisine est annulé par l'effet d'un vice de procédure, le texte ne distinguant pas entre un simple vice de forme et une irrégularité de fond. Dès lors, à supposer même que la première assignation du 22 mai 2019 ait été irrégulièrement délivrée à M. [F] [P] au domicile de son ex-épouse, et non pas au sien propre, cet acte doit néanmoins se voir reconnaître un effet interruptif de prescription.

Sur les demandes en réparation du préjudice d'affection :

L'accident qui a coûté la vie à [U] [J] a fait l'objet d'une enquête de police.

Le procès-verbal de transport et de constatations dressé le jour même mentionne que, selon le seul témoin oculaire de l'accident Madame [L] [I], habitant l'immeuble voisin, la victime serait tombée de l'une des fenêtres de la salle à manger, située au deuxième étage de l'immeuble côté mer, laquelle était dépourvue de garde-corps.

Toutefois le procès-verbal d'audition de ce témoin, produit en pièce n° 22 du dossier de plaidoirie de M. [F] [P], ne confirme pas cette version des faits, puisque l'intéressée y déclare précisément : 'J'ai vu un homme qui se trouvait chez lui, à l'extérieur de sa balustrade, se situant à environ une dizaine de mètres des rochers, qui semblait vouloir réparer une fenêtre se situant plus bas sur sa droite, car il avait les mains occupées. Tout à coup je l'ai vu basculer dans le vide, perdre l'équilibre, et j'ai bien vu qu'il a tenté de se rattraper à la balustrade'.

Il résulte de la mise en relation de ce témoignage avec la photographie des lieux prise par les enquêteurs (pièce n° 10 du dossier de plaidoirie des consorts [J]) qu'au moment de sa chute la victime ne se trouvait pas au bord de l'une des fenêtres de la salle à manger du deuxième étage, mais sur la terrasse située au niveau supérieur, laquelle était bien équipée d'un garde-corps, qu'il avait vraisemblablement franchi.

Il en résulte que l'accident ne peut être imputé à un manquement aux normes de sécurité, mais à une imprudence de la victime.

Le jugement doit dès lors être infirmé en ce qu'il a retenu la responsabilité des bailleurs et alloué aux demandeurs diverses indemnités en réparation de leur préjudice d'affection.

Sur la demande en réparation du préjudice de jouissance :

En vertu de l'article 6 de la loi du 6 juillet 1989, le bailleur est obligé de délivrer au locataire un logement décent et en bon état d'usage et de réparation, de lui assurer une jouissance paisible des lieux et de le garantir des vices ou défauts de nature à y faire obstacle, d'entretenir les locaux en état de servir à l'usage prévu par le contrat et d'y faire toutes les réparations, autres que locatives, nécessaires à leur maintien en état.

Le décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002 relatif aux caractéristiques du logement décent dispose notamment que celui-ci doit assurer le clos et le couvert, que les menuiseries extérieures doivent présenter une protection suffisante contre les infiltrations d'eau ainsi qu'une étanchéité à l'air, et que les réseaux et branchements d'électricité doivent être conformes aux normes de sécurité en vigueur et en bon état de fonctionnement.

En l'espèce il résulte d'un rapport de constatations techniques en date du 8 septembre 2019 émanant de M. [T] [D], expert près des tribunaux, que d'une part l'entretien de la structure du bâtiment ainsi que du clos et du couvert n'était pas correctement assuré, de sorte que l'intérieur du logement était affecté par des infiltrations en provenance de la terrasse, des façades et des fenêtres, et que d'autre part l'installation électrique, tant en ce qui concerne le câblage que les prises et contacteurs, n'était pas conforme aux normes en vigueur.

L'expert conclut que les chambres situées côté mer sont totalement inhabitables, tandis que les autres pièces ayant la même exposition sont partiellement impropres à leur destination.

Les constatations contenues dans ce rapport sont confirmées par d'autres éléments produits aux débats, à savoir un compte-rendu de la société DELTA FUITES du 13 novembre 2018, un procès-verbal de constat d'huissier du 5 décembre 2018, et une attestation de Monsieur [Y] [A], artisan électricien, en date du 14 mai 2019.

Les désordres incriminés ne sont pas imputables à un défaut d'entretien courant de la part du locataire, mais à la vétusté dont les effets ont été aggravés par la situation de la maison en front de mer, qui l'expose particulièrement aux embruns, et donc à la corrosion.

Monsieur [D] relève en outre dans son rapport que les ouvrages n'ont pas été correctement conçus au regard de ces contraintes particulières.

Enfin Madame [R] [J] justifie avoir signalé à plusieurs reprises l'existence de ces désordres aux propriétaires, sans qu'il y soit remédié efficacement. La cour se réfère ici aux courriers adressés par la locataire les 3 août 2015, 26 septembre 2015, 21 septembre 2017, 27 novembre 2018, 12 décembre 2018, 19 décembre 2018 et 15 janvier 2019.

C'est donc à bon droit que le premier juge a retenu que les bailleurs avaient manqué à leurs obligations, et les a condamnés solidairement à verser à la locataire sortante une somme de 25.000 euros en réparation de son préjudice de jouissance, correspondant à 25 % du montant du loyer pour la période non couverte par la prescription triennale.

Sur la demande de délivrance des quittances de loyer :

Monsieur [F] [P] ne conclut pas à l'infirmation du chef du jugement qui l'a débouté de sa demande en paiement des derniers loyers au motif que ceux-ci avaient été réglés entre les mains de son coïndivisaire, étant précisé que l'obligation était effectivement solidaire entre les créanciers au sens de l'article 1197 ancien du code civil, applicable au litige.

En contrepartie, il est solidairement tenu avec son frère à la délivrance de l'ensemble des quittances, et le jugement doit être confirmé de ce chef.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a :

- condamné solidairement MM. [M] et [F] [P] à payer à Madame [R] [G] veuve [J] la somme de 25.000 euros en réparation de son préjudice de jouissance,

- condamné les bailleurs sous la même solidarité à remettre à la locataire sortante l'ensemble des quittances de loyer depuis la date de prise d'effet du bail, et ce sous peine d'astreinte,

- débouté Monsieur [F] [P] de sa demande reconventionnelle en paiement des derniers loyers,

- condamné solidairement MM. [M] et [F] [P] aux dépens de l'instance, ainsi qu'au paiement d'une somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'infirme pour le surplus,

Dit que le tribunal de grande instance de Marseille était matériellement compétent pour connaître des demandes en réparation du préjudice d'affection en lien avec le décès accidentel d'[U] [J],

Statuant au fond,

Déboute les consorts [J] et [N] des demandes susdites,

Y ajoutant,

Dit que chacune des parties supportera la charge de ses propres dépens et frais irrépétibles exposés en cause d'appel.

LA GREFFIERELE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 1-8
Numéro d'arrêt : 20/11450
Date de la décision : 21/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-21;20.11450 ?
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