COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-1
ARRÊT AU FOND
DU 09 SEPTEMBRE 2022
N° 2022/284
Rôle N° RG 18/18742 - N° Portalis DBVB-V-B7C-BDM3X
[R] [P]
C/
SARL KAIMAN
Copie exécutoire délivrée le :
09 SEPTEMBRE 2022
à :
Me Mouna BOUGHANMI, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
Me Stéphanie JACOB BONET, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'AIX-EN-PROVENCE en date du 06 Novembre 2018 enregistré au répertoire général .
APPELANT
Monsieur [R] [P], demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Mouna BOUGHANMI, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
INTIMEE
SARL KAIMAN, demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Stéphanie JACOB BONET, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 25 Avril 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller faisant fonction de Président, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller faisant fonction de Président
Mme Stéphanie BOUZIGE, Conseiller
Mme Emmanuelle CASINI, Conseiller
Greffier lors des débats : Monsieur Kamel BENKHIRA
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 22 Juillet 2022 et prorogé au 09 septembre 2022
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 09 septembre 2022
Signé par Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller faisant fonction de Président et Monsieur Kamel BENKHIRA, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Monsieur [R] [P] a été embauché en qualité d'ingénieur d'études, statut cadre, niveau 2.1, coefficient 115, le 5 janvier 2015 par la SARL KAIMAN.
Il percevait en dernier lieu un salaire mensuel brut de 2917 euros.
Les parties ont conclu une rupture conventionnelle le 25 août 2015, avec date de fin du contrat de travail le 2 octobre 2015.
Un contrat d'assistance technique été conclu entre Monsieur [P] et la société KAIMAN le 6 octobre 2015 pour une durée initiale de 60 jours.
Reprochant à son employeur de lui avoir imposé une rupture du contrat de travail aux fins de conclure un contrat d'assistance technique, Monsieur [P] a saisi la juridiction prud'homale le 4 avril 2016 d'une demande de requalification du contrat d'assistance technique en contrat de travail et de demandes en paiement de rappels de salaires, d'indemnité forfaitaire de travail dissimulé et d'indemnités de rupture.
Par jugement du 6 novembre 2018, le conseil de prud'hommes d'Aix-en-Provence a dit que Monsieur [R] [P] ne démontrait aucune subordination technique, économique ni juridique à l'égard de la société KAIMAN, a condamné Monsieur [R] [P] à payer à la société KAIMAN la somme de 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, a débouté Monsieur [R] [P] de l'ensemble de ses demandes et l'a condamné aux entiers dépens.
Ayant relevé appel, Monsieur [R] [P] demande à la Cour, aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 12 janvier 2021, de :
INFIRMER le jugement rendu par le conseil de prud'hommes d'Aix-en-Provence le 6 novembre 2018 en toutes ses dispositions,
FIXER le salaire de référence à 5314,13 euros,
CONDAMNER la société KAIMAN à payer à Monsieur [P] les sommes suivantes :
- 15'942,39 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
- 1594,24 euros au titre des congés payés afférents,
- 21'256,52 euros au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 20'572,56 euros au titre du rappel de salaires pour la période du 5 janvier 2015 au 3 octobre 2015,
-2057,26 euros au titre des congés payés afférents,
- 343,10 euros au titre du rappel de salaires pour la période du 5 octobre 2015 au 29 novembre 2015,
- 34,31 euros au titre des congés payés afférents,
- 3169,68 euros au titre de l'indemnité compensatrice de contrepartie obligatoire en repos pour 2015,
- 316,97 euros au titre des congés payés afférents,
- 31'884,78 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de travail dissimulé,
ces sommes seront assorties des intérêts au taux légal à compter du 30 mars 2016, date de saisine du conseil de prud'hommes avec capitalisation des intérêts à compter de l'année suivante,
CONDAMNER la société KAIMAN à remettre sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du 15ème jour suivant la signification de l'arrêt à intervenir les documents suivants :
- certificat de travail
- attestation destinée à pôle emploi
- solde de tout compte
- bulletins de salaire du 5 octobre 2015 au 30 novembre 2015
CONDAMNER la société KAIMAN à verser à Monsieur [P] la somme de 3000 euros en application de l'article 700 du CPC au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en appel
CONDAMNER la société KAIMAN aux entiers dépens.
Monsieur [R] [P] soutient que la société KAIMAN lui a imposé la rupture du contrat de travail, lui demandant de formaliser une demande de rupture conventionnelle par courrier ; que le contrat de travail de Monsieur [P] était rompu à compter du 3 octobre 2015 ; que la société KAIMAN souhaitait en réalité poursuivre la relation de travail avec Monsieur [P] en se soustrayant aux obligations relatives au salariat ; qu'un contrat d'assistance technique était conclu dès le 5 octobre 2015 pour une durée initiale de 3 mois, la société KAIMAN lui indiquant qu'elle prévoyait bien évidemment le renouvellement de ce contrat d'assistance ; que cependant, contre toute attente, la société KAIMAN mettait fin à la relation de travail le 29 novembre 2015 ; qu'il s'agissait en réalité pour la société KAIMAN de contourner les règles relatives au licenciement ; que Monsieur [P] remplissait les mêmes fonctions d'ingénieur d'études, poursuivait les mêmes tâches, travaillant principalement sur deux projets dont il avait déjà la charge pendant l'exécution de son contrat de travail (pour le client Airbus Helicopter Standard Upgrades et également le projet Matis/Manis) ; qu'il traitait avec les mêmes clients de la société KAIMAN, lesquels n'étaient pas informés de la modification du statut de Monsieur [P] ; qu'il continuait d'utiliser l'adresse mail "[Courriel 3]" qu'il utilisait en tant que salarié de la société KAIMAN ; qu'il était rémunéré sur la base d'un tarif journalier de 220 euros nettement inférieur aux tarifs pratiqués dans ce secteur par des autoentrepreneurs aux mêmes compétences et avec la même expérience, ce qui a permis à la société KAIMAN de faire de substantielles économies ; que Monsieur [P] était soumis au contrôle de la société KAIMAN, exerçant son pouvoir de direction à l'instar d'un employeur ; qu'il effectuait les mêmes horaires de travail et exerçait les mêmes missions sur les directives précises de la société KAIMAN ; qu'il a travaillé exclusivement pour le compte de ladite société (CREW ME a bien été soumis par la société KAIMAN à Monsieur [P] pendant son contrat de travail, il ne s'agissait pas d'un client personnel du salarié) ; que les conditions d'exécution des prestations prévues par le contrat d'assistance technique (articles 5, 6 et 9) démontrent le contrôle des prestations effectuées et les directives précises de la société KAIMAN; que Monsieur [P] devait chaque mois remplir une fiche de suivi de production qu'il devait remettre pour validation à la société KAIMAN, fiche qu'il devait déjà compléter lorsqu'il était salarié ; que Monsieur [P] apparaît dans l'organigramme de la société ; qu'il était soumis aux horaires de travail imposés par la société KAIMAN ; qu'aucune modification des conditions d'exercice n'est intervenue dans l'activité de Monsieur [P] qui était initialement salarié puis recruté en tant qu'autoentrepreneur ; qu'il conviendra en conséquence de requalifier le contrat d'assistance technique en relation salariée et de faire droit aux demandes indemnitaires subséquentes.
Monsieur [P] soutient qu'il a été congédié par Monsieur [O], directeur, qui estimait qu'il n'était plus rentable et l'a rendu responsable du retard pris sur le projet Airbus ; que la SARL KAIMAN, qui prétend que Monsieur [P] aurait « disparu », ne verse aucune lettre adressée à son cocontractant pour matérialiser la rupture anticipée du contrat d'assistance technique, comme le prévoit le contrat ; que la rupture du contrat de travail s'analyse nécessairement en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Il réclame par ailleurs sa reclassification à la position 3.1, coefficient 170 de la convention collective des bureaux d'études, le paiement d'heures supplémentaires, d'heures de nuit et de dimanche effectuées, d'une indemnité compensatrice de la contrepartie obligatoire en repos, d'une indemnité de travail dissimulé, faisant valoir qu'il bénéficiait d'une ancienneté de 15 mois (préavis inclus) et que son salaire de référence comprenant les heures supplémentaires doit être fixé à 5314,13 euros. Il sollicite également le paiement de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La SARL KAIMAN demande à la Cour, aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 2 avril 2019, de :
CONFIRMER le jugement du 6 novembre 2018 dans toutes ses dispositions et
DIRE ET JUGER que Monsieur [P] ne démontre aucune subordination technique, ni économique, ni juridique, à l'égard de la société KAIMAN.
DÉBOUTER Monsieur [P] de sa demande de requalification de la relation de travail -autoentrepreneur- en contrat à durée indéterminée et de ses demandes indemnitaires subséquentes.
Subsidiairement, si la Cour devait, par extraordinaire, requalifier la relation de travail en contrat à durée indéterminée
DÉBOUTER Monsieur [P] de sa demande tendant à voir son ancienneté du 5 janvier 2015 au 6 décembre 2015.
DIRE son ancienneté au 5 octobre 2015 au 29 novembre 2015.
DÉBOUTER Monsieur [P] de sa demande de fixation de son salaire de référence à 5314,13 euros.
DIRE ET JUGER que son salaire de référence pourrait être fixé à 2420 euros par mois pour les 33 jours travaillés.
DIRE ET JUGER que Monsieur [P] ne peut pas plus revendiquer un salaire correspondant à une position 3.3, coefficient 270 .
DÉBOUTER Monsieur [P] de sa demande de préavis.
CONSTATER que c'est Monsieur [P] qui a quitté la mission manifestant une volonté claire et non équivoque de ne plus se tenir à la disposition de la SARL KAIMAN.
DIRE ET JUGER que cela caractérise une démission exclusive de tout droit à indemnité de préavis mais également à dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse pour Monsieur [P].
DÉBOUTER Monsieur [P] de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
DÉBOUTER Monsieur [P] de sa demande de dommages-intérêts pour travail dissimulé.
DÉBOUTER Monsieur [P] de sa demande de salaires du 5 octobre 2015 au 31 janvier 2016 en la disant irrecevable.
DÉBOUTER Monsieur [P] de sa demande de délivrance de documents sous astreinte.
CONDAMNER Monsieur [P] à payer à la SARL KAIMAN la somme de 3000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de l'instance.
La SARL KAIMAN soutient que Monsieur [P], avant son embauche, possédait un statut d'autoentrepreneur (attestation de Mr [W]) ; que lors des négociations préalables à l'établissement du contrat de travail, la société KAIMAN lui a demandé de cesser toute activité personnelle ; que Monsieur [P] s'y était engagé formellement (article 12 du contrat de travail) lors de la signature du contrat de travail le 5 janvier 2015 ; que durant 8 mois, Monsieur [P] a travaillé pour l'agence KAIMAN, en particulier sur le projet Airbus Standard Upgrades ; que la société KAIMAN a appris par la suite que Monsieur [P] avait aussi travaillé pour son propre compte ; que ce dernier a demandé, par lettre du 5 août 2015, à bénéficier d'une rupture conventionnelle pour se mettre à son compte ; qu'il avait pour projet d'être indépendant, gagner plus d'argent et pouvoir voyager (il avait notamment pour projet de partir plus d'un mois en Australie entre décembre 2015 et janvier 2016, période incompatible avec les besoins sur les projets de la société KAIMAN en cours) ; que devant la détermination de Monsieur [P], la société KAIMAN acceptait le principe d'une rupture conventionnelle ; que lors des négociations, il est très vite apparu que la présence de Monsieur [P] sur le projet Airbus Standard Upgrades était nécessaire afin que la société KAIMAN puisse respecter ses engagements contractuels ; que la société KAIMAN a donc proposé à Monsieur [P] un contrat de prestation de services concernant les mois d'octobre à décembre au tarif journalier moyen de 220 euros ; que Monsieur [P] a réalisé dans ce cadre des interventions ponctuelles (18 jours sur octobre, 7,25 jours sur novembre et 7,25 jours sur décembre) ; qu'au regard du statut d'autoentrepreneur de Monsieur [P], il existe une présomption de non salariat (article L.8221-6 du code du travail) ; que le tarif convenu démontre, si besoin était, que la société KAIMAN ne cherchait pas à économiser sur Monsieur [P] ; que ce dernier n'était assujetti à aucun horaire de travail ; que Monsieur [P] décidait seul de la conduite de ses travaux et la quantité d'heures à y consacrer pour une fin de mission fixée mi-décembre 2015 ; que c'est de la seule volonté de Monsieur [P] que celui-ci ne travaillait "que" 18 jours en octobre 2015, 7,5 en novembre et 7,5 jours en décembre ; qu'il ne peut en conséquence demander à la juridiction prud'homale d'extrapoler un salaire de "référence" sur un "temps complet" qu'il n'a, de son seul chef, pas réalisé, ce d'autant que l'on sait maintenant qu'il travaillait par ailleurs pour HIGHCOBOX ; que Monsieur [P] ne venant pas travailler dans les locaux de la société KAIMAN, un point d'avancement hebdomadaire entre Monsieur [P], la société KAIMAN et Airbus était prévu ; que jusqu'au vendredi 27 novembre 2015, date du dernier point d'avancement, la société KAIMAN comme Airbus pensaient que le projet était quasiment fini (il devait rester deux jours de travail); que le dimanche 29 novembre 2015, Monsieur [P] a annoncé qu'il avait trouvé un autre contrat et qu'il abandonnait purement et simplement la mission ; que la société KAIMAN apprendra après le départ de Monsieur [P] que, convaincu par Monsieur [S], porteur du projet BIM, il travaillait pour cette société pendant ses horaires de travail "KAIMAN" ; que Monsieur [P] ne démontre aucune subordination technique, ni économique, ni juridique, à l'égard de la société KAIMAN, qui n'avait aucun intérêt à cesser un contrat de travail donnant toute satisfaction, en apparence ; que la société KAIMAN s'est alors rendu compte du retard pris sur le dossier et face à l'urgence de la situation, a dû faire appel à deux autres indépendants ; qu'il convient de confirmer le jugement déféré et de débouter Monsieur [P] de sa demande de requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée et de ses demandes indemnitaires subséquentes. La société KAIMAN fait valoir que l'ancienneté de Monsieur [P] ne peut être décomptée que du 5 octobre 2015 ; que le salaire de référence ne peut que correspondre à la moyenne du temps consacré à l'exécution du contrat de travail, soit 33 jours à 220 euros par jour, soit 2420 euros par mois ; que Monsieur [P] ne peut pas revendiquer un salaire correspondant à une position 3.3, coefficient 170, puisqu'il ne remplit pas les conditions d'un tel coefficient (aucun diplôme, aucune responsabilité complète et permanente du projet) ; qu'à partir du dimanche 29 novembre, la société KAIMAN n'aura plus aucune nouvelle de Monsieur [P], laissant la mission inachevée ; qu'il a manifesté une volonté claire et non équivoque de ne plus se tenir à la disposition de la SARL KAIMAN, ce qui caractérise une démission ; qu'il convient de confirmer le jugement déféré et de débouter Monsieur [P] de l'ensemble de ses demandes.
La clôture de l'instruction de l'affaire a été prononcée par ordonnance du 7 avril 2022.
SUR CE :
Monsieur [R] [P], qui soutient que la SARL KAIMAN lui a imposé une rupture du contrat de travail et lui a demandé de formaliser une demande de rupture conventionnelle par courrier, produit un courriel du 3 septembre 2015 qu'il a adressé à [Z] [O], directeur de la SARL KAIMAN, en ces termes :
« [Z], ce modèle correspond t-il à la lettre manuscrite que tu veux ' http ://droit- finances.commentcamarche.net/faq 36691-demander-une-rupture-conventionnelle-modele-de-lettre
Merci [R] », et le courriel du 4 septembre 2015 en réponse d'[Z] [O] ayant pour "Objet : Rép: Lettre manuscrite RC" : « Oui ça va ! [Z] ».
Monsieur [P] fait valoir que, dans ces circonstances, sa lettre manuscrite de demande de rupture conventionnelle a été antidatée du 25 août 2015 et qu'il n'y a eu aucun entretien (date d'entretien du 25 août 2015 mentionnée dans la convention de rupture), et que la demande de rupture conventionnelle émanait donc unilatéralement de l'employeur.
La circonstance que l'acte de rupture conventionnelle du contrat de travail en date du 25 août 2015 ait été antidaté ne permet pas d'en déduire que l'employeur ait été à l'initiative d'une telle rupture et qu'il l'aurait imposée au salarié. De même, s'il ressort des échanges de courriels des 3 et 4 septembre 2015, cités ci-dessus que le directeur de la SARL KAIMAN a sollicité de Monsieur [P] la rédaction d'une lettre manuscrite de demande de rupture conventionnelle, il en résulte tout au plus que l'employeur a souhaité formaliser la demande sans qu'il puisse en être déduit qu'il en a été l'instigateur.
Monsieur [P] produit l'attestation du 30 août 2017 de Monsieur [G] [H], développeur informatique, ancien salarié de KAIMAN, qui rapporte : « [R] [P] et moi-même avons signé une rupture conventionnelle avec KAIMAN à quelques jours d'intervalles, dans mon cas le 25/08/2015, qui m'avait été proposé par Mr [O]. De mon côté, j'ai continué à travailler pour KAIMAN en assistance technique chez le client Watchever. Mr [P] a continué à travailler pour KAIMAN au sein de l'agence comme il le faisait avant la rupture conventionnelle. D'ailleurs il avait le matériel informatique de la société KAIMAN (MacBook Air) qu'il a dû restituer fin novembre début décembre lorsqu'il a cessé de travailler pour eux ».
Si le témoin précise que la rupture conventionnelle le concernant lui avait été proposée par Monsieur [O], sans pour autant prétendre qu'elle lui aurait été imposée, il n'apporte aucune précision quant aux circonstances ayant entouré la conclusion d'une rupture conventionnelle du contrat de travail de Monsieur [P].
Il ne peut être déduit du témoignage de Monsieur [H] que, s'agissant de la rupture conventionnelle conclue entre Monsieur [P] et la SARL KAIMAN, cette dernière aurait imposé unilatéralement à Monsieur [P] la conclusion d'une telle rupture conventionnelle, qui en tout état n'a jamais fait l'objet d'une rétractation du salarié (fin du délai de rétractation mentionné sur la convention de rupture le 9 septembre 2015) ni dans le délai d'instruction de 15 jours ouvrables du Directeur adjoint du travail (courrier du 26 septembre "2016" de la DIRECCTE, avec homologation de la rupture conventionnelle prononcée le 3 octobre 2015).
La SARL KAIMAN produit quant à elle l'attestation du 10 novembre 2016 de Monsieur [Z] [O], dirigeant et associé de la SARL KAIMAN, rapportant que [R] [P] lui avait demandé, fin juillet 2015, une augmentation de salaire puis une rupture conventionnelle pour bénéficier de l'ACRE, ainsi que l'attestation du 12 juillet 2014 de Monsieur [I] [D], ingénieur ("en discussion pour collaboration sur un projet de développement commercial outil de gestion crèches"), qui était "le responsable du service Airbus Hélicopters Standard Upgrades qui a confié à la société KAIMAN le projet de catalogue Web sur plate-forme Magento" et qui déclare : « [R] [P] a travaillé sur ce projet étant expert en développement Magento sur la REV 2 du catalogue en ligne des Standard Upgrades. Lors d'un point projet en octobre 2015 j'apprends que [R] [P] avait demandé une rupture conventionnelle de son contrat avec KAIMAN dans le but de pouvoir travailler à son propre compte "free lance" et pouvoir rejoindre un proche avec un voyage de longue durée à l'étranger. Le projet Web Catalogue était critique pour le service Airbus Standard Upgrades, je demande des assurances que le projet sera livré avant le départ de [R]. [R] le confirme directement que toutes les tâches du cahier de charges R2 seront terminées avant son départ de KAIMAN et son départ pour l'étranger.
Fin novembre, début décembre 2015 j'apprends que [R] a quitté l'entreprise KAIMAN, le projet Catalog n'est pas complet et des bugs restent à corriger. La société KAIMAN recrute et me présente un nouveau codeur Magento qui complète le projet avec plusieurs semaines de retard ».
L'appelant ne démontre pas, en conséquence, que la rupture conventionnelle de son contrat de travail lui aurait été imposée par la SARL KAIMAN, ni la signature du contrat d'assistance technique conclu le 5 octobre 2015 entre Monsieur [P] et la société KAIMAN pour une durée initiale de 60 jours (60 jours travaillés) avec date de fin des prestations le 31 janvier 2016, étant observé qu'il ressort d'un courriel du 28 octobre 2015 de [R] [P] que celui-ci déclarait vouloir s'absenter le vendredi après-midi "dans le cadre de (sa) demande ACCRE" [ACRE (ex ACCRE) : Aide à la création ou à la reprise d'une entreprise].
Le prix fixé entre les parties dans le cadre du contrat d'assistance technique s'élève à 12'600 euros HT "pour une prestation dont la durée est estimée à 60 jours travaillés ; soit 210 € HT par jour travaillé", étant précisé que "le tarif de 220€HT est accordé à Kaiman dans le cadre d'une négociation particulière. Il est valable pour une durée de 3 mois, soit 60 jours de facturation. A l'issue de cette période le tarif sera renégocié en fonction des opportunités de mission. Seuls les jours travaillés seront facturés".
Monsieur [P] a émis une première facture en date du 30 octobre 2015 pour un montant de 3960 euros (au titre de 18 jours travaillés en octobre 2015 à raison de 220 euros par jour travaillé), une deuxième facture du 12 novembre 2015 pour un montant de 1595 euros (au titre de 7,25 jours travaillés en novembre 2015 à raison de 220 euros par jour travaillé) et une troisième facture du 6 décembre 2015 pour un montant de 1650 euros (au titre de 7,50 jours travaillés en novembre 2015 à raison de 220 euros par jour travaillé, soit au total 14,75 jours travaillés en novembre 2015).
Monsieur [R] [P], prestataire de services, qui sollicite la requalification du contrat d'assistance technique en contrat de travail à durée indéterminée, a la charge de la preuve de l'existence d'un contrat de travail l'ayant lié à la SARL KAIMAN à partir du 5 octobre 2015.
Il produit les éléments suivants :
-l'attestation citée ci-dessus de Monsieur [G] [H], développeur informatique, ancien salarié de KAIMAN, qui rapporte que « Mr [P] a continué à travailler pour KAIMAN au sein de l'agence comme il le faisait avant la rupture conventionnelle. D'ailleurs il avait le matériel informatique de la société KAIMAN (MacBook Air) qu'il a dû restituer fin novembre début décembre lorsqu'il a cessé de travailler pour eux » ;
-le contrat d'assistance technique prévoyant notamment :
Article 1.3 "Prestations" : « Désignent l'ensemble des prestations d'assistance technique fournies par le PRESTATAIRE à l'initiative et sous la direction de KAIMAN. Le descriptif des prestations est détaillé en Annexe (en annexe : Développement iOS / PHP) »,
Article 2 "Objet" : « Le présent contrat a pour objet la fourniture de Prestations d'assistance technique à la demande de KAIMAN et dans le cadre de travaux définis et conduits par elle seule.
Conformément au présent Contrat, le PRESTATAIRE s'engage à assurer à KAIMAN les compétences techniques nécessaires à la réalisation des Prestations notamment par la qualification des équipes de personnel affectées aux Prestations et le recours aux autres ressources du PRESTATAIRE' »,
Article 5 "Conditions d'exécution des prestations" :
« [...] 5.2 "Obligations du PRESTATAIRE"
La bonne exécution des Prestations suppose de la part du prestataire :
- La désignation comme interlocuteur de KAIMAN d'un responsable qualifié pendant toute la durée du Contrat.
- L'information de KAIMAN sur toute difficulté d'exécution de ses Prestations et/ou toute conséquence d'éventuel changement d'orientation pendant toute la durée du Contrat.
- La détermination seule de la nature et de l'importance des moyens nécessaires à l'exécution du Contrat »,
Article 6 "Pouvoir hiérarchique et disciplinaire" :
« Le personnel du PRESTATAIRE appelé à des Prestations dans les locaux de KAIMAN (ou autre voir annexe) est tenu au respect du règlement intérieur de KAIMAN, et à une présence effective pendant la durée prévue pour l'intervention. Il reste en toutes circonstances sous l'autorité hiérarchique et disciplinaire du PRESTATAIRE qui assure en sa qualité d'employeur la gestion administrative, comptable et sociale de ses salariés' »,
Article 9 "Contrôle de l'avancement des prestations" :
« A la fin de chaque mois, les collaborateurs du PRESTATAIRE soumettent au visa du responsable désigné par KAIMAN un "Procès Verbal d'Avancement" mentionnant jour par jour et point par point les Prestations réalisées dans la semaine. Toutes les observations que ce responsable pourrait être amené à faire sur le travail des collaborateurs du PRESTATAIRE seront mentionnées sur ce document et notamment tout problème et/ou tout besoin concernant directement les collaborateurs' afin d'apporter le service au niveau de qualité que KAIMAN est en droit d'attendre. Le responsable s'engage à ne pas retarder la transmission de ces rapports au siège social du PRESTATAIRE » ;
-une fiche d'inscription de Monsieur [R] [P] au Répertoire SIRENE avec mention de l'inscription de son établissement actif depuis le 21 octobre 2015 ;
-les 3 factures émises par Monsieur [P] les 30 octobre, 12 novembre et 6 décembre 2015 au nom de la SARL KAIMAN et les virements correspondants reçus de KAIMAN (3960 euros le 16 novembre 2015, 1595 euros le 1er décembre 2015 et 1484,06 euros le 30 décembre 2015) ;
-une fiche de "tarifs de facturation pour la fonction : Ingénieur d'études" (issue d'un site internet "freelance") mentionnant pour un "profil médian" un tarif de 440 euros par jour ;
-un exemplaire de "fiche de suivi de production" et des fiches de suivi de production d'octobre et novembre 2015 du "Collaborateur [P]", dans lesquelles sont mentionnées les journées ou demi-journées passées sur chaque prestation (10 journées s'agissant de la prestation Airbus R2 et 10 journées s'agissant de la prestation Qualigène pour le mois d'octobre 2015 ; 16,75 journées s'agissant de la prestation Airbus R2 pour le mois de novembre 2015) ;
-des échanges de mails sur la période du 8 octobre 2015 au 29 novembre 2015 entre Monsieur [R] [P] (de l'adresse mail "[Courriel 3]"), étant observé qu'il est sollicité notamment par [Z] [O] des précisions sur l'avancement des projets et que [R] [P] présente par exemple, par courriel du 17 novembre 2015, un "Point de situation Airbus R2" ;
-un CV JTO de [M] [E], établi par KAIMAN Services, mentionnant que ce développeur a été missionné en 2015 sur le projet CREW ME (comme M. [P]) ;
-le CV de Monsieur [R] [P] (établi par lui-même - Profil Linkedin), sur lequel l'intéressé mentionne le projet développé pour le groupe HighCo de "décembre 2015-décembre 2016", postérieurement à sa prestation de travail pour KAIMAN ;
-un courriel du 28 octobre 2015 de [R] [P] adressé à [B] [Y] et [Z] [O] (de KAIMAN) : « [B], [Z],
Dans le cadre de ma demande ACCRE je souhaiterais m'absenter vendredi après-midi. Je vais à l'URSSAF, [Localité 4], qui est ouvert sans rendez-vous que l'après-midi de 13h30 à 16h.
Merci pour votre retour » ;
-un compte rendu de "réunion interne" du 2 novembre 2015, dans lequel [R] [P] apparaît dans l'équipe de production [sur l'emplacement des bureaux, la liste des membres de l'équipe, la liste des "collaborateurs" auxquels sont associés des "référents" - collaborateur : [R] [P], référent : "CP" soit "[N]" ([C]) (CP défini comme "le responsable final d'un projet du point de vue production, il est garant de la livraison en temps et de bonne qualité d'un projet")] ;
Dans ce compte rendu, il est mentionné au titre des "Horaires : L'agence ouvre à 8h30
Vous êtes priés d'être opérationnel à 9h00 maximum
sont excusés sans difficulté les retards passagers
Objectif : 35 heures minimum efficaces".
*
Il ressort des éléments versés que Monsieur [R] [P] travaillait dans les locaux de la société KAIMAN, avec le matériel fourni par cette dernière (ordinateur, messagerie...) et au sein d'un service organisé, s'agissant principalement de poursuivre et de terminer la mission pour Airbus Hélicopters Standard Upgrades, ce qui explique que Monsieur [P] était intégré comme collaborateur dans l'organigramme de la SARL KAIMAN.
S'il résulte du contrat d'assistance technique conclu entre les parties que Monsieur [P] exécutait sa prestation "à l'initiative et sous la direction de KAIMAN", "dans le cadre de travaux définis et conduits par elle seule" et dont la société KAIMAN contrôlait l'avancement par des procès-verbaux d'avancement remis par le prestataire, il est par ailleurs mentionné que le personnel du prestataire "reste en toutes circonstances sous l'autorité hiérarchique et disciplinaire du PRESTATAIRE". Ledit contrat d'assistance technique n'établit pas que Monsieur [P] était sous la subordination juridique de la SARL KAIMAN.
Par ailleurs, les courriels versés aux débats concernent des échanges sur la réalisation et l'avancement des projets, sans qu'ils traduisent des ordres donnés par la société KAIMAN à Monsieur [P].
Il n'est pas établi que Monsieur [P] était soumis à des horaires de travail (la mention des horaires dans le compte rendu de réunion du 2 novembre 2015 ne le vise pas particulièrement).
Seul le courriel du 28 octobre 2015 de [R] [P] de demande d'autorisation d'absence le vendredi après-midi (pour faire une demande d'ACCRE - Aide à la création d'une entreprise) pourrait permettre de supposer que Monsieur [P] était soumis au contrôle de la SARL KAIMAN, étant observé toutefois que la réponse de cette dernière n'est pas produite. De même, Monsieur [P] n'établit pas qu'il remplissait un planning sur lequel il aurait mentionné ses absences, tel que prévu dans le cadre de l'organisation des congés et absences décrite dans le document "réunion interne Lundi 02 Novembre".
Ce seul courriel est insuffisant à établir l'existence d'un lien de subordination entre les parties.
Enfin, il ressort des témoignages versés par la SARL KAIMAN que Monsieur [R] [P], qui avait selon Monsieur [I] [D] (responsable alors du service Airbus Helicopters Standard Upgrades) "demandé une rupture conventionnelle de son contrat avec KAIMAN dans le but de pouvoir travailler à son propre compte free lance et pouvoir rejoindre un proche avec un voyage de longue durée à l'étranger" (M. [P] a transmis par mail du 16 décembre 2015 une photographie de l'Australie où il était manifestement en voyage), avait donné l'assurance à Monsieur [D] que "toutes les tâches du cahier de charges R2 (seraient) terminées avant son départ de KAIMAN et son départ pour l'étranger" et que, selon le témoignage de Monsieur [N] [C], employé par la SARL KAIMAN en qualité de collaborateur en développement, « [R] [P] était en autonomie complète en matière de développement pendant plusieurs mois de développement lorsque M. [Y] a décidé de faire intervenir [A] [X] qui devait prendre en charge la qualification du projet suite au retours des clients défavorables sur l'état fonctionnel d'ASU. Suite à cette arrivée, [R] [P] a commencé à être visiblement plus stressé et également plus agressif lorsqu'on lui demandait des explications et démonstration de fonctionnalité. Peu après, [R] [P] nous a annoncé qu'il ne travaillerait plus sur ce projet car il prenait un poste dans une autre entreprise. Il a quitté l'agence avec le mail de l'agence contenant toutes les sources du projet (ASU). Suite à cela j'ai essayé de récupérer le projet via l'outil de sauvegarde de source de l'agence, le service extérieur Bibuchet. Sur celui-ci, j'ai pu m'apercevoir que plusieurs semaines de développement étaient manquantes. De plus ce qui était présent n'était pas fonctionnel et ne permettait pas de restaurer le projet à une date antérieure.
[R] [P] est venu remettre le poste après plusieurs jours. Nous, [B] [Y] et moi-même, lui avons demandé de bien laisser toutes les sources du projet fonctionnel sur son poste pendant qu'il supprimer ses informations personnelles. Lorsqu'il m'a remis le poste, il est parti sans me montrer où se trouvait celle-ci, quand je lui ai demandé, il m'a répondu qu'elles étaient dans le répertoire "classique" de développement sur Mac puis est parti car il était attendu par ailleurs.
Ayant tous les éléments en main, je peux confirmer que le poste n'était pas fonctionnel dans l'état. Les sources étaient présentes mais une réinstallation complète des outils était nécessaire pour les faire fonctionner. De plus en analysant celle-ci, il apparaît clairement que certain développement était destiné à donner l'apparence d'un fonctionnement correct mais n'était pas stables ou tout simplement non fonctionnels. De plus, les partis pris technique ne permettaient pas la réalisation du périmètre fonctionnel demandé. Les développements étaient non conformes aux normes de développement de la plateforme technique (Magente) utilisé pour le projet ASU et donc ne permettant pas la maintenance et sécurisation du projet ».
Il ressort de ces témoignages que Monsieur [R] [P] bénéficiait d'une indépendance dans l'accomplissement de sa prestation et qu'il avait annoncé cesser sa prestation avant l'échéance du contrat d'assistance technique.
En conséquence, au vu de l'ensemble des éléments versés aux débats, la Cour confirme le jugement en ce qu'il a rejeté l'existence d'un lien de subordination entre Monsieur [P] et la SARL KAIMAN et en ce qu'il a débouté Monsieur [P] de sa demande en requalification du contrat d'assistance technique en contrat de travail à durée indéterminée.
Il convient donc de débouter Monsieur [P] de l'ensemble de ses demandes de rappels de salaire, d'indemnité forfaitaire de travail dissimulé et d'indemnités de rupture.
Enfin, il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, tel que précisé au dispositif.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et en matière prud'homale,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions,
Condamne la SARL KAIMAN aux dépens et à payer à Monsieur [R] [P] 1200 euros supplémentaires au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
Ghislaine POIRINE faisant fonction