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07/09/2022 | FRANCE | N°19/18631

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-8, 07 septembre 2022, 19/18631


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-8



ARRÊT AU FOND

DU 07 SEPTEMBRE 2022



N° 2022/ 386









N° RG 19/18631



N° Portalis DBVB-V-B7D-BFIKR







[IL] [K]



[EN] [V] épouse [K]





C/



Société GRAND DELTA HABITAT









































Copie exécutoire délivrée

le :
>à :



Me Olivier LANTELME



Me Paul GUEDJ











Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal d'Instance de MARTIGUES en date du 22 Octobre 2019 enregistrée au répertoire général sous le n° 1118001465.





APPELANTS



Monsieur [IL] [K]

né le 13 Janvier 1955 à [Localité 2] (Algérie), demeurant [Adresse 3]



Madame [EN] ...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-8

ARRÊT AU FOND

DU 07 SEPTEMBRE 2022

N° 2022/ 386

N° RG 19/18631

N° Portalis DBVB-V-B7D-BFIKR

[IL] [K]

[EN] [V] épouse [K]

C/

Société GRAND DELTA HABITAT

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Olivier LANTELME

Me Paul GUEDJ

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal d'Instance de MARTIGUES en date du 22 Octobre 2019 enregistrée au répertoire général sous le n° 1118001465.

APPELANTS

Monsieur [IL] [K]

né le 13 Janvier 1955 à [Localité 2] (Algérie), demeurant [Adresse 3]

Madame [EN] [V] épouse [K]

née le 14 Juillet 1959 à [Localité 2] (Algérie), demeurant [Adresse 3]

représentés par Me Olivier LANTELME, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

INTIMEE

SCIC D'HLM GRAND DELTA HABITAT

venant aux droits de VAUCLUSE LOGEMENT, venant elle-même aux droits d'HABITAT MARSEILLE PROVENCE, poursuites et diligences de son représentant légal en exercice domicilié ès qualité au siège social sis [Adresse 1]

représentée par Me Paul GUEDJ, membre de la SCP COHEN GUEDJ MONTERO DAVAL GUEDJ, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, et ayant pour avocat plaidant Me Tanguy BARTHOUIL, membre de la SCP GASSER-PUECH-BARTHOUIL-BAUMHAUER, avocat au barreau d'AVIGNON

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 Mai 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-Paul PATRIARCHE, Conseiller, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Philippe COULANGE, Président

Madame Céline ROBIN-KARRER, Conseillère

Monsieur Jean-Paul PATRIARCHE, Conseiller

Greffier lors des débats : Mme Maria FREDON.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 07 Septembre 2022.

ARRÊT

Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 07 Septembre 2022, signé par Monsieur Philippe COULANGE, Président et Madame Maria FREDON, greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE ANTÉRIEURE

Aux termes d'un contrat conclu le 13 avril 1987, la société d'HLM dénommée LE NOUVEAU LOGIS PROVENÇAL a donné à bail d'habitation à Madame [EN] [V] un logement de type 4 situé au troisième étage du bâtiment E de la cité ' [Adresse 3] ' édifiée [Adresse 3].

En vertu d'un avenant du 11 octobre 2012, le bail s'est poursuivi au profit de l'intéressée et de son époux [IL] [K], tandis que les sociétés VAUCLUSE LOGEMENT puis GRAND DELTA HABITAT ont succédé aux droits du bailleur initial.

Les époux [K] vivent dans ce logement avec leurs six enfants [T], [KL], [JN], [SN], [PP] et [UP], leurs deux belles-filles [RN] et [FL], et leurs deux petits-enfants [NP] et [XN].

Par jugement rendu le 1er décembre 2017 en comparution immédiate, désormais définitif, le tribunal correctionnel d'Aix-en-Provence a déclaré [T] [K] coupable des délits de menace de mort et de violence avec usage ou menace d'une arme commis au préjudice de deux ouvriers occupés à élaguer un arbre sur les parties communes de la résidence.

Le 15 mars 2018, le bailleur a requis Maître [KP], huissier de justice, afin de recueillir de manière anonyme, en présence du maire de la commune Monsieur [N] [X], les doléances exprimées par plusieurs locataires à l'encontre des familles [K] et [TL], tenues pour responsables de nombreuses nuisances au sein de la cité, notamment du fait d'un trafic de stupéfiants.

Par exploit d'huissier du 10 septembre 2018, la société GRAND DELTA HABITAT a fait assigner les époux [K] à comparaître devant le tribunal d'instance de Martigues pour entendre prononcer la résiliation judiciaire de leur bail en raison de manquements graves à l'obligation de jouissance paisible et ordonner leur expulsion, ainsi que celle de tous occupants de leur chef.

Il a été fait droit à cette action aux termes d'un jugement contradictoire prononcé le 22 octobre 2019 et assorti de l'exécution provisoire.

Les époux [K], qui ont reçu signification de cette décision le 7 novembre 2019, en ont relevé appel par déclaration adressée le 6 décembre 2019 au greffe de la cour, le bailleur ayant de son côté sursis à son exécution.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par conclusions récapitulatives notifiées le 25 avril 2022, les époux [IL] [K] et [EN] [V] contestent avec force les griefs qui leur sont adressés, et produisent de nombreuses attestations émanant d'autres locataires indiquant que les membres de leur famille observent un comportement respectueux vis-à-vis du voisinage et ne sont pas impliqués dans un trafic de stupéfiants au sein de la cité.

Ils font valoir que la condamnation pénale de leur fils aîné [T] constitue un fait isolé qui ne saurait justifier la résiliation judiciaire de leur bail et l'expulsion de toute la famille.

Ils soutiennent en outre que cette expulsion aurait des conséquences manifestement excessives, compte tenu notamment des graves problèmes de santé de [IL] [K].

Ils ajoutent qu'ils demeurent dans l'attente de l'attribution d'un nouveau logement social depuis l'année 2015.

Ils demandent en conséquence à la cour d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, de débouter la partie intimée des fins de son action, et de la condamner aux entiers dépens, ainsi qu'au paiement d'une somme de 2.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions récapitulatives et en réplique notifiées le 27 avril 2022, la société GRAND DELTA HABITAT conclut pour sa part à la confirmation du jugement en toutes ses dispositions, considérant que les faits dénoncés constituent des violations graves et renouvelées de l'obligation de jouissance paisible incombant aux locataires en vertu de l'article 7 b) de la loi du 6 juillet 1989.

Outre les éléments évoqués plus avant dans l'exposé du litige, elle produit également aux débats un rapport de police en date du 2 juillet 2018, une lettre adressée le 4 juillet 2018 par le maire de la commune au commissaire de police de Vitrolles, et un jugement rendu le 6 avril 2020 par le tribunal correctionnel d'Aix-en-Provence déclarant [JN] [K] coupable d'avoir enfreint à plus de trois reprises les interdictions de sortir édictées dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire.

Elle conteste en revanche la sincérité des attestations produites par les appelants.

Elle réclame accessoirement paiement d'une somme de 4.500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel, outre ses dépens.

DISCUSSION

Suivant l'article 1728 du code civil, le preneur est tenu d'user de la chose louée 'raisonnablement'.

Cette obligation est reprise par l'article 7 b) de la loi du 6 juillet 1989, lui imposant d'user 'paisiblement' des lieux loués.

Il est d'autre part de jurisprudence constante que le locataire est responsable non seulement de son propre fait, mais également des agissements des membres de la famille hébergés sous son toit.

Enfin, en vertu de l'article 1228 du code civil, il appartient aux juges du fond d'apprécier, selon les circonstances, si la gravité des manquements de l'une des parties à ses obligations justifie de prononcer la résolution judiciaire du contrat.

En l'espèce il est constant que [T] [K] s'est rendu coupable le 30 novembre 2017 des délits de menace de mort et de violence avec usage ou menace d'une arme à l'encontre de deux ouvriers de la société PERA PAYSAGES, occupés à l'élagage d'un arbre dans le cadre du marché d'entretien des espaces verts de la cité [Adresse 3].

En revanche, contrairement à l'opinion du premier juge, la cour considère que les autres griefs formulés par le bailleur sont insuffisamment caractérisés.

En premier lieu, le procès-verbal dressé le 15 mars 2018 par Maître [KP] ne peut se voir reconnaître une valeur probante dans la mesure où cet officier ministériel ne relate pas des faits précis qu'il aurait personnellement constatés , mais relaie uniquement les doléances exprimées par 'une demie-douzaine de personnes' (sic) non identifiées à l'encontre de certains membres des familles [K] et [TL].

Or, si la procédure pénale admet dans certains cas les témoignages sous couvert d'anonymat, il n'en est pas de même des articles 199 et suivants du code de procédure civile qui encadrent la preuve testimoniale par des conditions de forme strictes, permettant notamment l'identification précise des personnes entendues.

En second lieu, le rapport de police en date du 2 juillet 2018 fait bien état de l'interpellation de [UP], [KL], [PP] et [T] [K] courant avril 2017 dans le cadre d'une enquête pour trafic de stupéfiants au sein de la cité, mais précise qu'ils ont été remis en liberté par les autorités judiciaires faute de preuves.

En troisième lieu, le courrier adressé le 4 juillet 2018 par le maire de la commune au commissaire de police de [Localité 4], exprimant la colère de ses administrés, ne contient pas davantage d'élément probant.

Enfin la condamnation de [JN] [K] pour infraction aux interdictions de sortie du domicile édictées dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire ne constitue pas un manquement aux obligations du locataire envers son bailleur.

Les appelants produisent en revanche aux débats de nombreux témoignages émanant d'autres locataires de la cité certifiant n'avoir jamais eu à se plaindre du comportement des membres de la famille [K], et excluant leur implication dans un trafic de stupéfiants (attestations de [W] [U], [HL] [L], [TN] [LL], [GP] [SP], [S] [LN], [TP] [J], [VN] [OP], [BM] [LP], [ZN] [KN], [D] [Z], [DN] [YN], [XN] [P], [NN] [GN], [EL] [G], [JP] [H], [IN] [UN], [IL] [AT], [R] [UN]-[AT], [W] [ON], [Y] [YP], [FN] [MP], [MN] [BO], [WN] [O], [ZP] [HP], [I] [RP], [B] [PN], [M] [HN], [IP] [C], [VP] [E], [FP] [A], [D] [CM] et [XP] [F]).

L'abondance même de ces témoignages tend à exclure qu'ils aient pu être dictés par la crainte ou par la complaisance, ainsi que le soutient l'intimée.

En définitive, il convient de considérer que la condamnation prononcée à l'encontre de [T] [K] constitue un fait isolé qui ne saurait entraîner la résiliation judiciaire du bail consenti à ses parents depuis plus de 35 ans désormais, une telle sanction étant de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives pour l'ensemble de la famille, alors que celle-ci reste dans l'attente de l'attribution d'un nouveau logement social depuis 2015.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau :

Déboute la société GRAND DELTA HABITAT des fins de son action,

La condamne aux entiers dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'à payer aux époux [K] la somme de 1.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIERELE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 1-8
Numéro d'arrêt : 19/18631
Date de la décision : 07/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-07;19.18631 ?
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