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02/09/2022 | FRANCE | N°18/14410

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-3, 02 septembre 2022, 18/14410


COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

Chambre 4-3



ARRÊT AU FOND



DU 02 SEPTEMBRE 2022



N°2022/ 163



RG 18/14410

N° Portalis DBVB-V-B7C-BDALD







[Z] [F]





C/



EARL [L] [S]





























Copie exécutoire délivrée le 2 Septembre 2022 à :



-Me Pascale MAZEL, avocat au barreau de MARSEILLE



- Me Fabrice ANDRAC, avocat au barreau de MAR

SEILLE









Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE - section A - en date du 17 Décembre 2015, enregistré au répertoire général sous le n° 15/753.





APPELANTE



Madame [Z] [F], demeurant [Adresse 1]



représent...

COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

Chambre 4-3

ARRÊT AU FOND

DU 02 SEPTEMBRE 2022

N°2022/ 163

RG 18/14410

N° Portalis DBVB-V-B7C-BDALD

[Z] [F]

C/

EARL [L] [S]

Copie exécutoire délivrée le 2 Septembre 2022 à :

-Me Pascale MAZEL, avocat au barreau de MARSEILLE

- Me Fabrice ANDRAC, avocat au barreau de MARSEILLE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE - section A - en date du 17 Décembre 2015, enregistré au répertoire général sous le n° 15/753.

APPELANTE

Madame [Z] [F], demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Pascale MAZEL, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMEE

EARL [L] [S], demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Fabrice ANDRAC, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Anne LAMARCHE, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 10 Mai 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre, chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre

Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller faisant fonction de Président

Madame Estelle DE REVEL, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Florence ALLEMANN-FAGNI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 02 Septembre 2022.

ARRÊT

CONTRADICTOIRE

Prononcé par mise à disposition au greffe le 02 Septembre 2022

Signé par Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre et Madame Florence ALLEMANN-FAGNI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* * * * * * * * * *

FAITS- PROCEDURE-PRETENTIONS DES PARTIES

Le 12 septembre 2011, Mme [Z] [F] a été embauchée par l'EARL [L] [S] par contrat saisonnier en qualité d'ouvrière horticole qualifiée.

Suite à quatre contrats à durée déterminée successifs, la situation s'est pérennisée par la signature le 1er septembre 2012 d'un contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel (à hauteur de 25 heures hebdomadaires), la convention collective applicable étant celle des exploitations agricoles de Bouches du Rhône.

Le 18 mars 2015, Mme [F] a saisi le conseil de prud'hommes de Marseille d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail caractérisé par des faits constitutifs de harcèlement moral.

Le 17 décembre 2015, le conseil de prud'hommes a rendu son jugement en ces termes:

CONDAMNE L'EARL [L] [S] à payer à Mme [F] les sommes suivantes :

- 1 000 € de dommages et intérêts pour non-respect des obligations en matière de visites médicales

- 250 € de dommages et intérêts au titre de l'article 700 du code de procédure civile

DEBOUTE Mme [F] du surplus de ses demandes

DEBOUTE l'EARL [L] [S] de sa demande reconventionnelle

CONDAMNE l'EARL [L] [S] aux entiers dépens.

Le 24 décembre 2015, Mme [F] a interjeté appel du jugement.

La salariée a été déclarée inapte par la médecine du travail en un seul examen le 20 octobre 2016 après étude de poste le 29 septembre et licenciée pour inaptitude non professionnelle et impossibilité de reclassement le 28 novembre 2016.

Par lettre du 6 novembre 2017, Mme [F] a été avisée par la MSA Provence Azur de la prise en charge à compter du 6 octobre 2016 de la maladie professionnelle «troubles anxio dépressifs sévères».

L'affaire avait été radiée par arrêt du 29 septembre 2017 et a été remise au rôle de la cour sur conclusions du 27 août 2018.

Les parties ont été convoquées pour l'audience du 10 mai 2022.

Aux termes de ses dernières écritures reprises oralement lors des débats,Mme [F] demande à la cour de :

«Infirmer dans toutes ses dispositions la décision rendue par la juridiction de 1ère instance.

En conséquence,

A titre principal,

Sur le harcèlement moral

Dire et juger que Madame [F] démontre des faits laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral à son encontre.

Dire et juger que l'EARL [L] ne démontre pas, de quelque façon que ce soit, que les agissements caractérisés par Madame [F] ne sont pas constitutifs d'un harcèlement moral et que les comportements inappropriés établis de l'employeur étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Dire et juger que Madame [F] a été victime d'un harcèlement moral caractérisé.

Condamner l'EARL [L] à verser à Madame [F] une somme de 35.000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral compte tenu du préjudice subi au quotidien pendant presque 3 ans et de ses conséquences durables sur la santé de Madame [F] depuis lors.

Sur le défaut de visite médicale d'embauche

Dire et juger que l'EARL [L] n'a pas fait bénéficier à Madame [F] de la visite médicale d'embauche.

Condamner l'EARL [L] à verser à la salariée une somme de 500,00 euros à titre de dommages et intérêts pour non organisation de la visite médicale d'embauche.

Sur le défaut de visite médicale périodique

Dire et juger que l'EARL [L] n'a pas fait bénéficier à Madame [F] des visites médicales périodiques.

Condamner l'EARL [L] à verser à la salariée une somme de 1.000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour non organisation des visites médicales périodiques.

Sur le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat

Dire et juger que l'EARL [L] ne démontre nullement avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L.4121-1 et L.4121-2 du Code du Travail.

Dire et juger que l'EARL [L] ne démontre nullement avoir pris les mesures correctives pour faire cesser le harcèlement moral de Madame [F].

Dire et juger que l'EARL [L] a manqué à ses obligations concernant le suivi médical de la salariée.

Constater la reconnaissance de la maladie professionnelle de Madame [F] pour « troubles anxio-dépressifs sévères » le 6.11.2017.

Condamner l'EARL [L] à verser à la salariée une somme de 12.000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de sécurité.

Sur la résiliation judiciaire

Constater la gravité des manquements caractérisés de l'EARL [L] à l'encontre de Madame [F].

Dire et juger bien fondée la demande de résiliation judiciaire formulée par la salariée.

Prononcer la résiliation judiciaire aux torts exclusifs de l'employeur.

Dire et juger que la résiliation judiciaire doit produire les effets d'un licenciement nul.

Dire que le contrat de travail de Madame [F] a été rompu en date du 28.11.2016.

Prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail de Madame [F] à la date d'envoi de la lettre de licenciement, le 28.11.2016, aux torts de l'EARL [L]

Constater la nécessaire connaissance par l'employeur des démarches de reconnaissance de maladie professionnelle entreprise par Madame [F] ainsi que l'origine professionnelle de la maladie de la salariée.

Dire et juger que l'EURL [L] aurait dû payer à Madame [F] :

- 100% de son salaire à titre d'indemnité temporaire d'inactivité pendant le mois qui a suivi la seconde visite de reprise médicale

- une indemnité légale d'ancienneté doublée,

- un préavis comme le préconise les textes applicables en matière de maladie professionnelle.

Condamner l'EURL [L] à verser à la salariée les sommes de :

- 1.104,64 euros à titre de rappel de salaire du 20.10.2016 au 20.11.2016

- 110,46 euros à titre de congés payés y afférents

- 802,92 euros à titre d'indemnité légale

- 2.144,94 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis

- 214,49 euros à titre de congés payés y afférents

- 12.000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture nulle du contrat de travail en raison de faits de harcèlement moral

avec intérêts de droit au jour de la demande en justice.

Sur la rectification des documents sociaux de rupture et les rappels de salaires afférents

Constater l'irrégularité des documents sociaux de rupture et l'inexécution par l'EURL [L] de son obligation à régularisation.

Dire que l'EURL [L] ne justifie nullement qu'une telle inexécution serait justifiée par un cas de force majeure.

Condamner l'EURL [L] à remettre à Madame [F] une attestation pôle emploi et un bulletin de salaire pour le mois de novembre 2016 régularisés sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter de la notification de la décision à intervenir.

Condamner l'EURL [L] à verser à Madame [F] les sommes suivantes :

- 723,60 euros à titre de rappel de salaires du 20 au 29.11.2016

- 72,36 euros à titre de congés payés y afférents

avec intérêts de droit au jour de la demande en justice

Condamner l'EURL [L] à verser à Madame [F] une somme de 5.000,00 euros à titre de provisions sur dommages et intérêts.

A titre subsidiaire,

Sur la nullité du licenciement intervenu

Constater que le harcèlement moral est à l'origine de l'inaptitude de Madame [F].

Constater la nécessaire connaissance par l'EURL [L] des démarches de reconnaissance de maladie professionnelle entreprise par Madame [F] ainsi que l'origine professionnelle de la maladie de la salariée préalablement à l'engagement de la procédure de licenciement.

Dire et juger le licenciement pour inaptitude nul.

Condamner l'EURL [L] à verser à Madame [F] les sommes suivantes :

- 1.104,64 euros à titre de rappel de salaire du 20.10.2016 au 20.11.2016

- 110,46 euros à titre de congés payés y afférents

- 802,92 euros à titre d'indemnité légale

- 2.144,94 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis

- 214,49 euros à titre de congés payés y afférents

- 12.000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture nulle du contrat de travail en raison de faits de harcèlement moral

avec intérêts de droit au jour de la demande en justice

En tout état de cause,

Condamner l'EURL [L] à verser à Madame [Z] [F] une somme de 5.000,00 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile pour la première instance et 5 000 euros pour la procédure d'appel

Ordonner les intérêts légaux à compter du jour de la demande en justice et leur capitalisation.

Condamner l'EURL [L] aux entiers dépens.»

Aux termes de ses dernières conclusions développées oralement, l'EARL [L] [S] demande à la cour de :

CONFIRMER le jugement rendu par le conseil de prud'hommes en ce qu'il a débouté Mme [F] de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail

DEBOUTER Mme [F] de toutes ses demandes en cause d'appel

JUGER que M. [S] [L] n'a commis aucun acte de harcèlement moral envers Mme [F]

REFORMER le jugement rendu par le conseil de prud'hommes en ce qu'il a condamné l'EARL [L] au paiement de la somme de 1000€ de dommages et intérêts pour non respect des visites médicales et au paiement de la somme de 250€ en application de l'article 700 du CPC

CONDAMNER Mme [F] au paiement de la somme de 5 000€ au titre de l'article 700 du CPC ainsi qu'aux entiers dépens.

Pour l'exposé plus détaillé des prétentions et moyens des parties, il sera renvoyé, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, aux conclusions des parties visées par le greffier à l'audience.

MOTIFS DE L'ARRÊT

A titre liminaire, la cour rappelle notamment à l'appelante qu'en application des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile , elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et que les «dire et juger» et les «constater» ainsi que les «donner acte» ne sont pas des prétentions en ce que ces demandes ne confèrent pas de droit à la partie qui les requiert hormis les cas prévus par la loi; en conséquence, la cour ne statuera pas sur celles-ci, qui ne sont en réalité que le rappel des moyens invoqués.

Sur le défaut de visites médicales

La cour relève que l'employeur n'a pas dénié l'absence de visite médicale d'embauche comme l'absence de visite médicale périodique.

Compte tenu de l'emploi occupé pendant plus de trois ans, l'absence de respect de cette obligation incombant à l'employeur a causé un préjudice certain à Mme [F] que le conseil de prud'hommes a justement apprécié dans sa globalité, sans qu'il y ait lieu de distinguer ou d'amplier la somme allouée.

Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L.1152-4 du même code oblige l'employeur à prendre toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.

L'employeur est tenu envers ses salariés d'une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l'entreprise, notamment de harcèlement moral ; l'absence de faute de sa part ou le comportement fautif d'un autre salarié de l'entreprise ne peuvent l'exonérer de sa responsabilité à ce titre.

L'article L.1154-1 du même code dans sa version applicable à l'espèce (avant le 10 août 2016) prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, Mme [F] indique avoir subi un harcèlement moral depuis 2012, évoquant des insultes régulières, des critiques sur son physique ainsi que sur ses origines, ainsi que l'absence de mise à disposition de toilettes.

Elle précise qu'épuisée et dans un état de détresse certain, elle a été en arrêt maladie avec un traitement de psychotrope, compte tenu de la dégradation de son état de santé, traitement se poursuivant ; elle fait état de la reconnaissance de travailleur handicapé dès le 19 octobre 2016 et de la connaissance qu'avait l'employeur de sa démarche en vue de voir reconnaître le caractère professionnel de sa maladie.

Elle produit aux débats :

- un courrier du 4 novembre 2014 adressé selon elle à l'inspection du travail, dans lequel elle indique être «insulté de sale conasse, de Bonne à rien voir de sal Arabe», mettant en cause [O] [L], père de son patron,

- une déclaration de main courante déposée le 17 novembre 2014, indiquant que «(...)le père fait acte de présence intensément, il m'opresse et m'empêche de travailler tranquillement, je me sens surveillée et examinée au quotidien (...), il m'insulte régulièrement, critique mon physique ainsi que mes origines, je suis à bout moralement et physiquement (...), je pleure sans cesse dû au stress, je me sens très mal, j'ai peur d'aller travaillé, cela dure depuis deux ans»,

- des lettres et attestations de clients réguliers ou commerçants présents sur les marchés (pièces n°12 à 25), relatant des agressions verbales «de la part de ses employeurs» à l'égard de Mme [F], une façon de lui parler «vulgaire et dégradante», «des comportements indélicats et des propos insultants», «des propos ou réflexions racistes», Mme [D] rapportant notamment dans son attestation du 27/10/2014, s'être interposée en 2012 face à M. [O] [L] et avoir entendu ce dernier dire le samedi 18 octobre « sale conasse, bonne à rien», Mmes [W] et [V], employées du kiosque à poisson en face de l'étal de la société au marché de la Plaine, relatant la grossièreté des paroles envers Mme [F] tous les mercredis sans exception, et ne comprenant pas l'acharnement et les violences verbales envers la salariée, ajoutant que c'est la 3ème personne à subir leurs paroles désagréables et à en souffrir,

- des documents médicaux : l'arrêt de travail initial du 18 février 2015 de son médecin traitant, pour «état anxieux et dépressif évolué d'allure réactionnelle», des ordonnances, des certificats médicaux et courriers du Dr [G] psychiatre dont celui du 21/06/2016 décrivant les symptômes, du Dr [C] du 6 octobre 2016 rédigé en vue de la demande de reconnaissance professionnelle: «réaction mixte anxieuse et dépressive d'intensité sévère développée dans un contexte de souffrance au travail et nécessitant un arrêt maladie assujetti au traitement médicamenteux et spécialisé».

La salariée établit ainsi la matérialité de faits répétés, précis et concordants lesquels pris dans leur ensemble, sont de nature à laisser présumer un harcèlement moral de la part de M. [O] [L].

La société expose que la salariée avait signé 4 contrats saisonniers ce qui lui a ainsi laissé la liberté de ne pas reconduire sa relation contractuelle, relève que la main courante déposée par la salariée concerne M. [O] [L], le père de M. [S] [L] qui ne fait pas partie de l'entreprise, observe que le courrier du 4 novembre 2014 ne comporte aucune adresse et que ne sont produits ni l'enveloppe ni l'accusé de réception de l'inspection du travail,

Elle note aussi l'absence de plainte, de saisine de la médecine du travail ou de mise en demeure à l'employeur.

Elle indique que la reconnaissance de la maladie professionnelle est intervenue après le licenciement que les certificats médicaux datent tous de 2016, certificats «annulés par le Dr [G] lui-même».

Elle considère que toutes les attestations ne sont que des références à des généralités et indique que le mercredi, M. [S] [L] était sur le marché de [Localité 3] et non sur le marché de la Plaine.

Elle indique embaucher aussi bien des hommes que des femmes et ne fait aucune différence entre les salariés ayant des noms à connotation étrangère ou non.

La société produit les pièces suivantes :

- son registre d'entrée et sortie,

- la liste des emplacements des marchés,

- 9 tickets du marché de [Localité 3] d'avril à juin 2014,

- des attestations d'employés ou de commerçants indiquant que Mme [F] venait utiliser les toilettes, des attestations de clients faisant état de la grossièreté de la salariée ou relatant une bonne entente entre cette dernière et son employeur,

- un procès-verbal de conciliation du 9 octobre 2017 suite à une plainte contre le Dr [G] pour infraction au code de déontologie et une attestation de ce dernier reconnaissant qu'il aurait dû employer le conditionnel, ne pas authentifier les dires de sa patiente et ne pas établir de lien de causalité entre la souffrance et l'employeur, précisant «mes observations cliniques concernant la nature de la pathologie et sa gravité, sont concordantes, et je les maintiens» mais ajoute «les éléments décrits reposent sur les dires de la patiente, je ne les ai pas constaté moi-même notamment en ce qui concerne le conflit avec son employeur».

Même si l'employeur l'EARL [L] [S] n'a pas été alerté par Mme [F] et même à supposer qu'il ignorait les faits dénoncés - ce qui est peu crédible s'agissant d'une très petite entreprise à caractère familial -, il est tenu envers ses salariés d'une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l'entreprise, notamment en matière de harcèlement moral et l'absence de faute de sa part ne peut l'exonérer de sa responsabilité .

Il doit également répondre des agissements des personnes qui exercent, de fait ou de droit, une autorité sur les salariés.

Or, en l'espèce, l'employeur échoue à justifier comme étrangers à une situation de harcèlement moral, une accumulation pendant plusieurs années de dénigrements et insultes de la part de M. [O] [L], père de M. [S] [L], décrit par la salariée comme par les témoins commerçants comme présent sur les marchés car conduisant les camions notamment et exerçant de fait une autorité sur Mme [F].

Compte tenu des circonstances du harcèlement subi, de sa durée, et des conséquences dommageables qu'il a eu pour Mme [F] telles qu'elles ressortent des pièces et des explications fournies et notamment des éléments médicaux, le préjudice en résultant pour la salariée doit être fixé à la somme de 8 000 euros.

Sur l'obligation de sécurité

Le code du travail impose une obligation de sécurité à l'employeur par les articles L.4121-1 & suivants, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 22 septembre 2017, en ces termes:

L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1 Des actions de prévention des risques professionnels;

2 Des actions d'information et de formation ;

3 La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

L'employeur met en oeuvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention prévus à l'article L.4121-2 du même code.

Il doit assurer l'effectivité de ces mesures .

L'absence d'organisation des visites médicales comme l'absence de toute mesure de prévention au harcèlement moral démontre la carence de l'employeur.

En conséquence, la cour constate que l'employeur a méconnu ses obligations légales et n'apporte aucun élément de nature à l'exonérer de sa responsabilité.

Cependant, la salariée ne peut former devant la juridiction prud'homale une action en dommages-intérêts pour manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité pour obtenir l'indemnisation des dommages résultant d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle. Dans ce cas en effet, seuls les tribunaux de sécurité sociale sont compétents dans le cadre du contentieux pour faute inexcusable.

Dès lors, il convient de limiter l'indemnisation de Mme [F] à la somme de 2 000 euros.

Sur la demande de résiliation judiciaire

Lorsqu'un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, tout en continuant à travailler à son service, et que ce dernier le licencie ultérieurement pour d'autres faits survenus au cours de la poursuite du contrat, le juge doit d'abord rechercher si la demande de résiliation du contrat était justifiée. C'est seulement dans le cas contraire qu'il doit se prononcer sur le licenciement notifié par l'employeur.

Lorsque le salarié n'est plus au service de son employeur au jour où il est statué sur la demande de résiliation judiciaire, cette dernière prend effet, si le juge la prononce, au jour du licenciement.

Le manquement à l'obligation de sécurité de résultat est patent, la société n'ayant pas protégé Mme [F] dans sa santé et dignité, et était suffisamment grave pour justifier la rupture aux torts de l'employeur.

La résiliation judiciaire du contrat de travail, prononcée aux torts de l'employeur en raison, notamment, du harcèlement moral dont le salarié a été victime, produit les effets d'un licenciement nul conformément aux dispositions de l'article L.1152-3 du Code du travail.

Sur les conséquences financières de la rupture

Les règles protectrices applicables aux victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle s'appliquent dès lors que l'inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et que l'employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement.

Il est établi par la salariée qu'elle a informé son employeur de sa demande en vue de la reconnaissance de la nature professionnelle de son arrêt de travail du 18 février 2015 par courrier du 30 septembre 2016, reçu le 6 octobre 2016 (pièce n°31) soit avant la convocation à l'entretien préalable au licenciement. A cet égard, il importe peu que la décision de la MSA soit intervenue après le licenciement et que la prise en charge ne soit effective qu'à compter du 6 octobre 2016.

En effet, la reconnaissance du caractère professionnel est intervenue sur la base des mêmes pièces produites devant la cour et de la réponse au questionnaire de la MSA(pièce 32) dans lequel la salariée expose la situation de harcèlement moral et il existe une filiation médicale constante à compter du 18 février 2015, le Dr [E] psychiatre attestant donner ses soins à Mme [F] depuis le 24 février 2015.

En considération de ces éléments démontrant que l'inaptitude a au moins partiellement une origine professionnelle, l'employeur est redevable de :

- l'indemnité spéciale de licenciement prévue par l'article L. 1226-14 du code du travail, soit la somme de 802,92 euros, en supplément de la somme déjà versée,

- du salaire du 21 octobre au 29 novembre 2016, date de réception de la notification du licenciement, soit la somme totale de 1 415,32 euros outre l'incidence de congés payés,

- une indemnité compensatrice de préavis de deux mois s'élevant à 2 177,42 euros mais la salariée sollicitant une somme moindre, il convient de faire droit à sa seule demande.

En considération de l'ancienneté de Mme [F] (plus de trois ans), de son âge lors de la rupture (42 ans) et des conséquences dommageables de la rupture intervenue dans une entreprise de moins de 11 salariés, il convient de fixer l'indemnité due à Mme [F] à la somme de 8 000 euros.

La demande de provision à titre de dommages et intérêts n'a aucun sens et doit être rejetée.

Sur les autres demandes

Les sommes allouées à titre de salaires porteront intérêts au taux légal à compter de leur demande en justice soit les conclusions du 27 août 2018.

Les sommes allouées à titre indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter de la date de la présente décision.

La capitalisation des intérêts sera ordonnée dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil .

L'employeur devra remettre à Mme [F] le bulletin de salaire de novembre 2016 rectifié, l'attestation Pôle Emploi conformes à la présente décision mais il n'est pas nécessaire d'assortir cette obligation d'une astreinte.

L'intimée succombant au principal doit s'acquitter des dépens de la procédure, être déboutée de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à ce titre payer à Mme [F] la somme de 2 000 euros.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, en matière prud'homale,

Confirme le jugement dans sa seule disposition relative à l'indemnité pour non respect en matière de visites médicales,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et Y ajoutant,

Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur,

Dit qu'en l'état du harcèlement moral subi, la résiliation judiciaire a les effets d'un licenciement nul,

Condamne l'EARL [L] [S] à payer à Mme [Z] [F] les sommes suivantes:

- 8 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre du harcèlement moral,

- 2 000 euros au titre de la violation de l'obligation de sécurité,

- 8 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

- 802,92 euros au titre du complément de l'indemnité de licenciement,

- 1 415, 32 euros bruts au titre du rappel de salaire du 21 octobre au 29 novembre 2016,

- 141,53 euros bruts au titre des congés payés afférents,

- 2 144,94 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 214,49 euros bruts au titre des congés payés afférents,

- 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Dit que les sommes allouées à titre de salaires porteront intérêts au taux légal à compter du 27 août 2018 et les sommes allouées à titre indemnitaire, à compter de la présente décision,

Ordonne la capitalisation des intérêts à condition qu'ils soient dus au moins pour une année entière,

Ordonne à l'EARL [L] [S] de remettre à Mme [F] le bulletin de salaire de novembre 2016 rectifié, et l'attestation Pôle Emploi conformément à la présente décision,

Rejette les autres demandes des parties.

Condamne l'EARL [L] [S] aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIERLE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-3
Numéro d'arrêt : 18/14410
Date de la décision : 02/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-02;18.14410 ?
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