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22/07/2022 | FRANCE | N°18/12823

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-3, 22 juillet 2022, 18/12823


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-3



ARRÊT AU FOND



DU 22 JUILLET 2022



N°2022/ 148





RG 18/12823

N° Portalis DBVB-V-B7C-BC3YE







Société SOLUTION RESEAU D'ACHAT





C/



[T] [P]





































Copie exécutoire délivrée

le 22 Juillet 2022 à :



- Me Sandra JUSTON, avocat au barreau d'AIX-

EN-PROVENCE







- Me Christelle SANTIAGO, avocat au barreau de MARSEILLE









Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE en date du 12 Juillet 2018 enregistré au répertoire général sous le n° 18/00245.







APPELANTE



Société SOLUTION RE...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-3

ARRÊT AU FOND

DU 22 JUILLET 2022

N°2022/ 148

RG 18/12823

N° Portalis DBVB-V-B7C-BC3YE

Société SOLUTION RESEAU D'ACHAT

C/

[T] [P]

Copie exécutoire délivrée

le 22 Juillet 2022 à :

- Me Sandra JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

- Me Christelle SANTIAGO, avocat au barreau de MARSEILLE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE en date du 12 Juillet 2018 enregistré au répertoire général sous le n° 18/00245.

APPELANTE

Société SOLUTION RESEAU D'ACHAT, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Sandra JUSTON de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Laurence SMER-GEOFFROY, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMEE

Madame [T] [P], demeurant [Adresse 2]

comparante en personne, assistée de Me Christelle SANTIAGO, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 05 Avril 2022 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre, et Madame Estelle DE REVEL, Conseiller, chargées du rapport.

Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre, a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre

Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller faisant fonction de Président

Madame Estelle DE REVEL, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Florence ALLEMANN-FAGNI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 17 Juin 2022, délibéré prorogé en raison de la survenance d'une difficulté dans la mise en oeuvre de la décision au 22 Juillet 2022.

ARRÊT

CONTRADICTOIRE

Prononcé par mise à disposition au greffe le 22 Juillet 2022.

Signé par Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre et Madame Florence ALLEMANN-FAGNI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* * * * * * * * * *

FAITS- PROCEDURE-PRETENTIONS DES PARTIES

Le 1er septembre 2008, Mme [T] [P] a été embauchée par la société Principe Actif en qualité d'animatrice de groupement par contrat de travail à durée indéterminée.

Le 1er mai 2010, le contrat de travail de Mme [P] a été repris par la société Solution Réseau d'Achat (SRA) à temps partiel.

Le 1er juillet 2011, un nouveau contrat de travail a été régularisé entre les parties par lequel Mme [P] était promue au poste de directrice de réseau, à temps plein.

Aux termes de trois avenants successifs, Mme [P] a occupé le poste de directrice des ventes puis directrice marketing et achat et bénéficié d'une augmentation de sa rémunération à hauteur de 3 800,00€ bruts concernant la partie fixe.

La convention collective nationale applicable était celle applicable au personnel des bureaux d'études techniques, des Cabinets d'ingénieurs-conseils et des sociétés de conseil du 15 décembre 1987 dite Syntec.

Le 27 mai 2016, Mme [P] a été placée en arrêt maladie.

Le 24 juin 2016, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes de Marseille afin d'obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail notamment en raison de harcèlement moral.

Le 13 juin 2017, la société SRA a licencié Mme [P] pour inaptitude et impossibilité de reclassement, en ces termes :

« Conformément aux dispositions légales, nous vous avons convoquée par courrier RAR en date du 24 mai 2017 à un entretien préalable portant sur une éventuelle mesure de licenciement le 8 juin 2017, au sein de notre entreprise sis à [Localité 3].

Lors de cet entretien, au cours duquel vous avez été assistée par Madame [G] [U], nous vous avons exposé les raisons pour lesquelles nous envisageons la rupture de votre contrat de travail.

Nous vous rappelons ci-après les motifs de notre décision.

Vous avez fait l'objet d'une décision d'inaptitude le 4 mai 2017.

Plus précisément, vous avez été reçue par le Docteur [V], médecin du travail, d'abord le 24 avril 2017, puis le 4 mai 2017, dans le cadre d'une visite médicale réalisée à sa demande, au terme de laquelle cette dernière, après avoir pris soin d'étudier votre poste de travail et vos conditions de travail, et actualiser la fiche d'entreprise, mais également d'échanger avec notre Direction lors d'un entretien tenu le 27 avril 2017 au siège de la société SRA, a considéré que votre « état de santé [...] [faisait] obstacle à tout reclassement dans l'entreprise ».

Le Docteur [V] nous ayant indiqué lors de notre entretien du 27 avril 2017, que nous serions dispensés de toute recherche de reclassement, conformément à la loi Travail du 8 août 2016, nous l'avons sollicitée par courrier en date du 11 mai 2017 afin de savoir si, en l'état de cette mention, nous devions toutefois procéder à une recherche de reclassement au niveau du réseau de la Société SRA, avant d'envisager, le cas échéant, une procédure de licenciement à votre encontre.

A cet égard en effet, et comme vous le savez, si la société SRA n'appartient pas à un groupe à proprement parler, elle s'inscrit en revanche dans un réseau constitué de plusieurs entreprises.

En réponse, le médecin du travail nous répondait le 12 mai 2017 qu'il fallait en réalité entendre que votre « état de santé [...] [faisait] obstacle à tout reclassement dans un emploi », en renvoyant à l'article 102 de la loi Travail modifiant l'article L.1226-2-1 du code du travail, confirmant que nous serions dispensés de reclassement.

Cependant, le Docteur [V] ne répondait pas précisément à la question de la nécessité ou non d'effectuer des recherches de reclassement au niveau de notre réseau.

Aussi, et parce qu'au surplus, cette dernière n'est pas le médecin du travail rattaché aux autres entreprises du réseau, qu'elle ne connaît donc pas précisément, et que nous sommes en tout état de cause, soucieux de préserver au mieux votre emploi, nous avons interrogé le 17 mai 2017 chacune de ces Société, lesquelles ont toutes pris sérieusement connaissance des différents éléments que nous leur avons transmis.

Or, malheureusement, celles-ci nous ont toutes indiqué qu'elles ne disposaient d'aucun poste disponible.

A toutes fins utiles, et bien que nous n'y fussions pas contraints, nous avons également effectué des recherches de reclassement au sein même de la société SRA, en passant en revue tous les postes existants, y compris en envisageant des mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail, lesquelles se sont révélées tout aussi infructueuses.

Notre société ne dispose d'aucun poste disponible, même temporairement.

Poursuivant et malheureusement, en dépit de nos recherches effectuées dans l'intervalle, aucun poste n'a été identifié.

Par conséquent, nos diligences, que nous avons souhaité, au-delà de nos obligations légales, effectuer de manière sérieuse et loyale, ne nous ont pas permis d'entrevoir une solution de reclassement.

Il en résulte qu'à ce jour, et après une analyse approfondie de votre dossier ainsi que des éléments y afférents, et en l'état de l'absence même de tout poste de travail disponible, nous sommes contraints par la présente de vous notifier votre licenciement en raison de votre inaptitude définitive à votre poste de travail et de notre impossibilité à vous reclasser.

Nous vous précisons en outre que la rupture de votre contrat de travail prend effet dès l'envoi de cette lettre, votre solde de tout compte étant arrêté à cette date, sans indemnité de préavis.[...] »

Le 12 juillet 2018, le conseil de prud'hommes de Marseille a rendu son jugement en ces termes :

Prononce la résiliation judiciaire du contrat de Madame [T] [P] aux torts de l'employeur à la date du 13 juin 2017,

En conséquence,

Condamne la société SRA au paiement de :

- 40 000,00€ de dommages et intérêts pour rupture abusive

- 16 800,00€ d'indemnité compensatrice de préavis outre 1 680,00€ au titre des congés payés afférents,

- 5 716,67€ d'indemnité conventionnelle de licenciement

Ordonne le remboursement par l'employeur aux organismes concernés, des indemnités de chômage versées à la salariée dans la limite de 6 mois et dit qu'une copie certifiée conforme du présent jugement sera adressée par le greffe aux dits organismes,

Condamne la société SRA au paiement de :

- 500,00€ de rappel de salaire (solde de tout compte erroné) outre 50,00€ au titre des congés payés afférents,

- 1 070,00€ de rappel prime de vacances conventionnelle outre 107,00€ au titre des congés payés afférents,

Déboute le demandeur sur les demandes de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

Déboute le demandeur sur les rappels de salaire (partie variable),

Condamne le défendeur au paiement de 2 000,00€ au titre de l'article 700 du CPC et aux entiers dépens,

Dit que le présent jugement bénéficiera de l'exécution provisoire de droit sur les créances et dans la limite des plafonds définis par l'article R.1454-28 du code du travail.»

Le 27 juillet 2018, le conseil de la société a interjeté appel du jugement, puis par déclaration du 13 août 2018, le conseil de Mme [P] a également saisi la cour d'un appel.

Aux termes de ses dernières écritures, transmises par voie électronique le 10 février 2021, la société demande à la cour de :

«A titre principal,

DIRE le jugement dont appel non motivé

Par conséquent,

DIRE nul le jugement dont appel

A titre subsidiaire et en tout état de cause

1. Sur la demande de résiliation judiciaire et ses conséquences

CONSTATER l'absence de toute inexécution grave et fautive du contrat de travail de l'employeur

CONSTATER l'absence de tout harcèlement moral

Par conséquent,

RÉFORMER le jugement déféré en ce qu'il a prononcé la résiliation aux torts de l'employeur

Par conséquent,

REFORMER le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société SRA au paiement de :

- 40 000,00€ de dommages et intérêts pour rupture abusive

- 16 800,00€ d'indemnité compensatrice de préavis outre 1 680,00€ au titre des congés payés afférents

- 5 716,67€ d'indemnité conventionnelle de licenciement

REFORMER le jugement déféré en ce qu'il a ordonné le remboursement par l'employeur aux organismes concernés, des indemnités de chômage versées à la salariée dans la limite de 6 mois

REFORMER le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société SRA au paiement de la somme de 2000,00€ au titre de l'article 700 du CPC et aux entiers dépens

Statuant à nouveau :

REJETER la demande de résiliation judiciaire formulée par Mme [P]

REJETER l'ensemble des demandes formulées par Mme [P] au titre de la rupture du contrat de travail (demandes afférentes aux dommages et intérêts pour rupture prétendument abusive, à l'indemnité compensatrice de préavis, à l'indemnité de licenciement, à la demande de remboursement par l'employeur aux organismes concernés des indemnités de chômage versées à la salariée dans la limite de 6 mois) et au titre de l'article 700 du CPC et aux entiers dépens

2. Sur les autres demandes formulées par Mme [P]

CONFIRMER le jugement déféré en ce qu'il a limité la condamnation de la société SRA au paiement de la somme de 1 070,00€ de rappel de prime de vacances conventionnelle outre 107 euros au titre des congés payés y afférents

CONFIRMER le jugement déféré en ce qu'il a débouté Mme [P] de sa demande sur le rappel de salaires (partie variable)

CONFIRMER le jugement déféré en ce qu'il a débouté Mme [P] de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral

3. Sur la demande reconventionnelle formulée par la société SRA

CONSTATER que Mme [P] n'a pas réalisé ses objectifs et ne peut plus prétendre au versement d'une prime depuis le mois de janvier 2016

CONDAMNER Mme [P] à rembourser entre les mains de la société SRA, le trop perçu d'un montant de 5 380,00€ versé en 2016

CONDAMNER Mme [P] à rembourser entre les mains de la société SRA, le trop perçu d'un montant de 2 100,00€ versé en 2015,

Enfin,

RETENIR que le salaire mensuel brut de référence de Mme [P] est de 3 800,00€

DEBOUTER Mme [P] pour le surplus de ses demandes, fins et conclusions

CONDAMNER Mme [P] à verser à la société SRA la somme de 5 000,00€ au titre de l'article 700 du CPC.»

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 12 novembre 2018, Mme [P] demande à la cour de :

«DEBOUTER la société SRA de sa demande tendant à voir prononcer la nullité du jugement querellé

En tout état de cause ou statuant de nouveau :

REFORMER le jugement rendu par le conseil de prud'hommes au titre des demandes reconventionnelle formulées par Mme [P] et le CONFIRMER des points critiqués par la société SRA en y ajoutant:

CONSTATER que Mme [P] a été victime de faits de harcèlement moral de la part de son employeur

CONSTATER que la demande de résiliation judiciaire formulée par Mme [P] est bien fondée

PRONONCER la résiliation judiciaire du contrat de Mme [P] aux torts de l'employeur à la date du 13 juin 2017

CONDAMNER la société SRA à verser à Mme [P] les sommes suivantes :

Dommages et intérêts pour rupture abusive : 100 800,00€

Indemnité compensatrice de préavis : 16 800,00€

Congés payés y afférents : 1 680,00€

Indemnité conventionnelle de licenciement : 5 716,67€

Rappels de salaire (partie dite variable) : 10 320,00€

Congés payés y afférents : 1 032,00€

Rappel de salaire (solde de tout compte erroné) : 500,00€

Congés payés y afférents : 50,00€

Rappel de prime de vacances conventionnelle : 16 800,00€

Congés payés y afférents : 1 680,00€

Dommages et intérêts pour harcèlement moral : 56 000,00€

CONDAMNER la société SRA à rembourser aux organismes intéressés les indemnités de chômage versées à Mme [P] du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage

CONDAMNER la société SRA à verser à Mme [P] la somme de 5 000,00€ sur le fondement de l'article 700 du CPC

DIRE ET JUGER que l'ensemble des sommes mises à la charge de la société produiront intérêts au taux légal capitalisés à compter de la saisine de la juridiction de céans

CONDAMNER la société SRA aux entiers dépens de première instance et d'appel

DEBOUTER la société SRA de toutes ses éventuelles demandes, fins et conclusions.»

Pour l'exposé plus détaillé des prétentions et moyens des parties, il sera renvoyé, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, aux conclusions des parties .

MOTIFS DE L'ARRÊT

A titre liminaire, la cour rappelle qu'en application des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile , elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et que les «dire et juger» et les «constater» ainsi que les «donner acte» ne sont pas des prétentions en ce que ces demandes ne confèrent pas de droit à la partie qui les requiert hormis les cas prévus par la loi; en conséquence, la cour ne statuera pas sur celles-ci, qui ne sont en réalité que le rappel des moyens invoqués.

Sur la demande en nullité du jugement

Au visa des articles 455 & 458 du code de procédure civile, la société soutient que la lecture du jugement ne permet pas de comprendre le sens de la décision, soulignant que la demande de résiliation judiciaire - laquelle a été accueillie - était exclusivement basée sur la situation de harcèlement moral et la diminution de la rémunération et que Mme [P] a été déboutée de ses demandes indemnitaires et salariales à ces titres.

L'intimée considère que le jugement fait état des argumentations de chacune des parties avant de se prononcer et qu'en tout état de cause, la nullité ne porte pas grief en l'état des appels interjetés.

La cour constate que la construction du jugement est inappropriée comme reprenant in extenso les argumentaires des parties et laissant une part infime à la motivation, laquelle est confuse et contradictoire.

Cependant, comme l'indique à juste titre l'intimée, la cour étant saisie d'appels croisés est à même de répondre par le présent arrêt à l'ensemble des moyens, sans nécessité de prononcer la nullité du jugement.

Sur la demande de résiliation judiciaire

Lorsqu'un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, tout en continuant à travailler à son service, et que ce dernier le licencie ultérieurement pour d'autres faits survenus au cours de la poursuite du contrat, le juge doit d'abord rechercher si la demande de résiliation du contrat était justifiée. C'est seulement dans le cas contraire qu'il doit se prononcer sur le licenciement notifié par l'employeur.

Lorsque le salarié n'est plus au service de son employeur au jour où il est statué sur la demande de résiliation judiciaire, cette dernière prend effet, si le juge la prononce, au jour du licenciement.

Mme [P] invoque une inexécution grave et fautive en raison d'une diminution brutale et illicite de sa rémunération, et une atteinte incessante à ses droits et à sa dignité, stigmatisant les manquements suivants : non versement de la part variable du salaire, non paiement de la prime de vacances, et harcèlement moral.

A- Sur la part variable du salaire

Au soutien d'une demande de rappel de salaire et d'un manquement résultant de la réduction abusive de 1 800 euros par mois de sa rémunération, constituant une modification unilatérale d'un élément substantiel du contrat de travail, Mme [P] fait valoir que:

- le 28 avril 2016, l'employeur a décidé de dénoncer l'usage selon lequel la prime pour atteinte des objectifs quadrimestriels était versée mensuellement sous forme d'avance,

- cette suppression était prévue à compter du 1er juin 2016 mais a été effective dès le 1er avril 2016 de sorte que le délai de prévenance de 2 mois n'a pas respecté,

- elle n'a jamais eu d'objectifs quadrimestriels et n'avait d'ailleurs même pas d'objectifs définis pour l'année 2016,

- les objectifs allégués par son employeur sont sans lien avec ses nouvelles attributions,

- la société a décidé de la sanctionner en la privant de sa partie variable en se fondant sur des objectifs irréalisables.

La société expose que :

- le contrat de travail et ses avenants disposaient que la part variable dépendait de la réalisation d'objectifs et de quotas fixés dans le cadre du Plan annuel de Rémunération variable (PRV)

- le PRV est fixé à partir des objectifs atteints au cours de l'année précédente,

- cette part de rémunération variable n'avait donc pas un caractère automatique et convenu,

- les PRV étaient réalisés par accord entre la direction et la salariée de sorte qu'elle en a toujours été destinataire,

- Mme [P] ne remplissait plus ses objectifs depuis le mois de janvier 2016 de sorte qu'elle ne pouvait plus prétendre au règlement de ces primes.

A l'instar de la salariée, la cour constate que le conseil de prud'hommes n'a pas motivé le rejet de sa demande sur ce point.

Aux termes de l'avenant au contrat de travail à effet du 1er juillet 2014 (celui de 2015 n'ayant pas modifié ce point), la rémunération de la salariée était composée d'une part brute fixe versée par douzième soit 3 800 euros et d'une part variable.

Cette dernière était définie ainsi :

« Le Plan annuel de Rétnunération Variable (PRV) est déterminé chaque année unilatéralernent par la direction, ce que Madame [P] accepte d 'ores et déjà.

Dans le cadre du PRV la direction fixe les objectifs à atteindre et les montants des primes versées liées à la réalisation à 100 % des objectifs définis par votre hiérarchie.

Les éléments susceptibles de constituer un objectif sont ceux détaillés dans l 'article 4 du présent avenant au contrat de travail, en terme de missions.

Le PRVprécise le montant brut des primes pour chacun des objectifs prévus par la direction et vous est connnuniqué en début d 'exercice par votre responsable hiérarchique par mail ou par courrier.

Le PRVdétaille, pour chaque objectif sa nature, les éléments pris en compte pour le calculer et au moyen de quelles informations il est chiffré. Le PRV est une note d 'information qui ne constitue pas un document ayant une valeur contractuelle. Ainsi SRA se réserve le droit de la modifier éventuellement, même en cours d'exercice.

Un entretien individualisé sera organisé dans les premières semaines du début de l 'exercice pour que le PRV soit explicité par votre responsable hiérarchique et que vous puissiez poser toutes les questions nécessaires a son sujet.»

La salariée ne peut sérieusement à la fois dire page 14 de ses écritures que la rémunération variable était «une rémunération fixe convenue entre les parties sans qu'il n'ait jamais été prévu d'objectifs à atteindre» et page 15 qu'elle ne conteste pas le PRV pour 2014, et ne peut remettre en cause les dispositions contractuelles sus-visées.

Concernant le paiement de la part variable au cours des années précédentes, Mme [P] n'a émis aucun reproche à l'encontre de son employeur.

Ainsi, la salariée a perçu :

- 11 286 euros en 2011,

- 21 742 euros en 2012,

- 22 959 euros en 2013,

- 22 700 euros en 2014,

- 19 800 euros en 2015.

S'agissant des modalités de paiement, il ressort des bulletins de salaire que :

- avant 2014, il était procédé à des versements trimestriels et annuels,

- au cours de l'année 2014, la salariée a perçu des avances en mars (3 205 euros), juillet (5 500 euros) et octobre (2 000 euros), soit 10 705 euros, une régularisation étant intervenue en décembre par le versement d'une somme complémentaire de plus de 10 000 euros.

- de janvier à décembre 2015, sauf au mois de mars 2015, la salariée a reçu une avance mensuelle sur primes de 1 800 euros, aucune régularisation n'ayant été faite en fin d'année,

- en janvier 2016, Mme [P] a perçu une avance sur prime décembre de 1 800 euros, en février 2016, la somme de 1850 euros pour prime janvier, en mars 2016, une avance sur prime février de 1 750 euros et en avril 2016, une avance sur prime mars de 1 780 euros mais plus aucune somme à ce titre postérieurement, aucune régularisation n'ayant été faite en fin d'année.

Il est donc manifeste que l'employeur a décidé de façon unilatérale de verser à Mme [P] une avance mensuelle sur primes en 2015 pour éviter une grande fluctuation des salaires et que par un courrier du 28 avril 2016, il a mis fin à cette pratique.

Si effectivement, il peut être reproché à la société de n'avoir pas attendu le délai de prévenance de deux mois qu'il s'était fixé dans ce courrier pour mettre en oeuvre la suppression de l'usage, pour autant, la salariée n'est pas fondée à dire que sa rémunération a été amputée de façon illégitime.

En effet, Mme [P] a bien eu connaissance des objectifs à atteindre pour 2014 comme elle l'admet, mais aussi pour 2015 et 2016, contrairement à ses allégations, par les mails des 30 mars 2015 et 12 avril 2016 (pièces n°29 & 30 de la société).

Comme l'indique le mail du 18 août 2015 (pièce n°27 de la société), le changement de dénomination du poste de la salariée en septembre 2015 n'a eu aucune incidence sur le fait que sa part variable était dépendante de résultats commerciaux, tels que définis par l'entreprise dans les PRV visés ci-dessus.

L'employeur justifie des résultats pour 2015 par sa pièce n°26, laquelle démontre que Mme [P] avait atteint ses objectifs mais n'était en droit d'obtenir une rémunération variable qu'à hauteur de 17 700 euros, inférieure à l'avance payée mensuellement.

La salariée ne discute ni les montants figurant dans ce document, ni le calcul opéré de sorte qu'il existe bien un trop perçu d'un montant de 2 100 euros, justifiant de faire droit à la demande reconventionnelle de la société.

Pour l'année 2016, il résulte des mails alarmants de Mme [Z], directrice commerciale, présentés par la société en pièces n°34 et 35 des 15 mars et 14 avril 2016 dont Mme [P] était en copie, que les résultats étaient en chute pour le quadrimestre, prévoyant «si nous ne nous réveillons pas , l'atterrissage final sera très douloureux pour l'entreprise».

L'employeur justifie des résultats de l'année 2016 pour Mme [P] par sa pièce n°33 reproduite pages 15 & 16 de ses conclusions, dont il résulte que «l'atterrissage» - terme utilisé comme correspondant aux primes sur objectifs - n'a été que de 3 100 euros, alors qu'elle avait perçu au titre des avances la somme de 7 180 euros.

La salariée ne discute ni les montants figurant dans ce document, ni le calcul opéré de sorte qu'il existe bien un trop perçu d'un montant de 4 080 euros, justifiant de faire droit pour partie à la demande reconventionnelle de la société.

La cour constate que la salariée n'étaye d'aucune façon son propos introductif quant aux objectifs irréalisables et qu'au contraire l'employeur a justifié par les éléments contenus dans les tableaux explicatifs, des éléments sur lesquels il s'est fondé pour déterminer le niveau d'atteinte des objectifs par Mme [P] tant sur l'année 2015 et 2016.

En conséquence, non seulement le manquement n'était pas avéré, mais au regard de la baisse des résultats globaux dès le 1er trimestre 2016, l'employeur ne pouvait maintenir le système d'avance sur primes.

Dès lors que les avances perçues étaient supérieures aux résultats sur objectifs, la salariée n'est pas fondée à solliciter un rappel de salaire pour les mois d'avril et mai 2016.

Le droit à la rémunération variable n'est acquis que si la période concernée a été intégralement travaillée par le salarié et constatant que dès le 27 mai 2016, la salariée a été en arrêt maladie, elle ne peut solliciter un rappel de salaire au titre du maintien de salaire pour les mois de juin à août 2016, ni enfin au titre du mois d'avril 2017, mois au cours duquel elle ne justifie pas avoir mené des actions commerciales, arguant au contraire qu'elle a été «mise au placard».

En conséquence, le manquement n'est pas établi.

B- Sur la prime de vacances conventionnelle

Sur le fondement de l'article 31 de la convention collective applicable, Mme [P] indique qu'elle n'a pas été réglée au titre des années 2014, 2015 et 2016, ce dont la société convient ; cette dernière soutient cependant que son montant calculé à hauteur de 1 070,73€ sur 3 ans soit 29€/mois ne permet pas de caractériser une gravité suffisante à ce manquement.

La salariée réclame une indemnité forfaitaire équivalente à un mois de salaire par année, expliquant que seul l'employeur détient les éléments comptables permettant le calcul de cette prime mais qu'il continue de refuser de communiquer ceux-ci.

Les dispositions conventionnelles sont les suivantes : «l'ensemble des salariés bénéficie d'une prime de vacances d'un montant au moins égal à 10 % de la masse globale des indemnités de congés payés prévus par la convention collective de l'ensemble des salariés.»

Contrairement à ce qu'affirme la salariée, l'employeur a fourni d'une part les éléments comptables et la liste des salariés sur les années concernées et d'autre part, un tableau page 19 de ses écritures, justifiant ses calculs et aucun élément produit par Mme [P] ne vient les contredire et ne permet à cette dernière de justifier des sommes qu'elle réclame.

En conséquence, il y a lieu de confirmer le jugement quant aux sommes allouées à ce titre, étant précisé que ce manquement avéré n'était pas suffisamment grave à lui seul pour justifier la demande de résiliation judiciaire.

C- Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l'article L.1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

L'article L.1154-1 du même code dans sa version applicable à l'espèce (avant le 10 août 2016) prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, Mme [P] invoque les faits suivants survenus à partir de 2015:

- un comportement brutal et offensant de la part de M. [A] envers Mme [P] et sa collègue Mme [Z], manifesté par des brimades et colères, des insultes régulières par des propos vulgaires, mysogines et choquants,

- une rétrogradation punitive, M. [A] leur enjoignant de «retourner sur le terrain»,

- la privation brutale à compter du 28 avril 2016 d'un tiers de sa rémunération,

- la communication d'un projet d'avertissement,

- la délivrance d'un avertissement le 20 mai 2016,

- le déclenchement d'un épisode dépressif manifesté sur le lieu de travail le 27 mai 2016,

- l'absence d'accomplissement par l'employeur des diligences nécessaires pour le bénéfice des indemnités maladie, malgré de nombreuses relances,

- le retrait du véhicule, de l'ordinateur et du téléphone,

- l'affectation à des tâches subalternes à compter du 3 avril 2017.

La salariée produit notamment :

- des attestations de salariés et de clients,

- l'attestation d'un représentant de laboratoire M. [F] (pièce n° 41) indiquant avoir été le témoin au cours d'une soirée de séminaire d'un comportement tout à fait déplorable de M. [J] [A] : «Mme [P] a été déplacée par M. [A] ; celui-ci voulant prendre sa place en lui criant :Dégage de là, c'est pas ta place.» Il décrit «la situation humiliante pour Mme [P] qui s'est exécutée, laissant planer une ambiance de mal être»,

- le témoignage d'un salarié M [M] (pièce n°42): «Le 3 avril 2016, lors du salon Pharmagora, une discussion houleuse a eu lieu entre Mme [Z], Mme [P] et M. [A]». Il indique avoir appris ce jour avec la salariée un départ massif de clientèle vers un groupe concurrent. Il explique que M. [A] étant intervenu dans la discussion «a remis en question, sans détours ni formes, la compétence de Mme [P] et [Z] à gérer son affaire, et ce, en présence de l'ensemble des collaborateurs.» Il affirme que pendant cet échange «aucunes insultes ni propos désobligeants n'ont été formulés de la part de Mme [P] et Mme [Z] à l'encontre de M.[A] .»

- un courriel de M. [A] du 10 mai 2016 (pièce 45), décidant d'une organisation différente dans laquelle « [O] et [T] seront supports terrain de la région PACA(géographiquement et stratégiquement importante pour notre développement)»,

- son agenda pour la période du 9 au 20 mai 2016 démontrant ses déplacements,

- un mail de M. [A] adressé à M. [X] le 9 mai 2016 (pièce 47) dont l'objet est un projet d'avertissement à l'égard de Mme [P], suite à un entretien du 25 avril 2016, décrivant en substance une insuffisance professionnelle,

- l'avertissement adressé le 20 mai 2016 (pièce n°48) par la société sous la plume de M. [A], reprochant à la salariée d'avoir le 2 avril 2016, lors du salon Pharmagora Plus, « tenu des propos injurieux, insultants et dénigrants à l'égard de notre société et de ses partenaires, de son offre de services en clamant que celle-ci n'était pas compétitive et de ses organes dirigeants, en les personnes de [I] [X], Directeur Général ès qualités, et [J] [A], Président ès qualités.»

- le courrier adressé par la salariée à M. [A] le 21 mai 2016 (pièce n°43), dans lequel elle décrit un comportement dégradé à son égard, de menaces incessantes, d'agressions verbales et insultes sur son physique, d'une rétrogradation masquée injustifiée, précisant «le harcèlement que vous exercez est devenu insupportable. Vos changements d'humeur, de comportement, vos hurlements et votre façon de m'humilier ne sont plus acceptables et doivent cesser.»

- le courriel de Mmes [P] et [Z] du 10 juin 2016, concernant le paiement de la prime d'avril 2016 (pièce n°44)

- le courrier adressé conjointement par Mmes [Z] et [P] le 10 juin 2016 (pièce n°44 bis), contestant l'avertissement, en précisant n'avoir eu aucun propos injurieux le 2 avril 2016 mais relatant de la part du président des propos violents et humiliants, sans retenue par remise en cause de leurs compétences, soulignant que « nous n'étions pas des cadres mais des femmes faibles et non combatives», rappelant qu'elles ont été rétrogradées à la suite de ce salon en leur imposant de faire les simples commerciales 2 jours par semaine et considérant dès lors avoir été sanctionnées deux fois pour des faits qu'elles contestent,

- les éléments médicaux suivants : certificat médical initial en accident du travail du 27 mai au 3 juin 2016 pour état anxio dépressif, les arrêts de prolongation établis par un psychiatre pour état dépressif majeur réactionnel, des prescriptions médicales, des certificats du psychiatre des 20 juin et 27 octobre 2016 décrivant «un état dépressif majeur qui paraît en relation directe avec une situation professionnelle conflictuelle selon ses dires», le procès-verbal d'audition devant l'enquêteur de la caisse primaire d'assurance maladie du 4 août 2016, un extrait du dossier médical de la médecine du travail lors de la visite de pré-reprise du 23/06/2016 et celle du 22/11/2016, les avis d'inaptitude,

- en pièces 59 à 65 : courriels et courriers de septembre, octobre et novembre concernant la subrogation et régularisation sur le bulletin de salaire de novembre 2016,

- une lettre du 29 juin 2016 de M. [A] demandant «la restitution du véhicule, de l'ordinateur professionnel, du cahier de notes des réunions réseaux et rendez-vous partenaires, laboratoires etc.. et de votre téléphone professionnel» sous 48h pour ce dernier,

- la réponse de la salariée le lendemain,

- une lettre du 8 juillet 2016 de Mme [P], indiquant que «l'avertissement injustifié adressé n'a été que la goutte d'eau qui a fait débordée un vase déjà bien rempli par des comportements répétés inqualifiables», rappelant la restitution du véhicule le 5 juillet mais également sa surprise et sa peine «que l'on me demande de rendre mes clés du bureau et que l'on me donne dans un carton, les effets personnels que j'avais laissé dans mon bureau. Je vous rappelle que je suis en maladie et que je suis toujours salariée de l'entreprise (...)»,

- l'attestation de Mme [D] présente le 5 juillet 2016 et attestant de la remise dudit carton,

- un mail adressé par Mme [P] aux dirigeants le 6 avril 2017 (pièce n°72) décrivant ses conditions de reprise suite à la réunion du matin : refus de lui restituer les clefs, horaires devant suivre ceux de la secrétaire, absence de code d'accès pour la plate forme interne, boîte mail réinitialisée, défense de rentrer en contact avec les commerciaux, pressions pour abandonner la procédure prud'homale pendante, leur demandant in fine de respecter leurs obligations quant à une réintégration dans des conditions normales,

-des mails du 7 avril 2017 de Mme [P] dans lesquels elle s'étonne de ne pas avoir accès aux données, des captures d'écran tendant à démontrer que pour les fichiers, elle est en lecture seule,

- un mail du 7 avril 2017 adressé à M. [A], «vous recommencez à m'insulter, me crier dessus et à me menacer alors que cela ne fait que deux jours que j'ai repris...»,

- en pièce n°82, la réponse du 11 avril 2017 à ces courriers remise en mains propres par laquelle le président notamment lui rappelle sa fiche de poste, contestant ses allégations, la rassurant sur sa volonté de lui permettre de retrouver ses prérogatives, précisant «votre retour a été décidé par le médecin du travail et je ne suis responsable en rien de sa décision même si elle est contraire à ce que vous sembliez manifestement espérer»,

- en pièces 83,84,85, des mails adressés par Mme [P] à MM [A] et [X], les 13, 18 et 22 avril 2017, indiquant qu'il lui a été demandé de faire des photocopies pendant plusieurs heures, le fait qu'elle n'a toujours pas d'accès au serveur et a été écartée d'une réunion et enfin, précisant « j'ai découvert cette semaine que, même si vous m'aviez enfin demander de réaliser une tâche en lien avec mes attributions réelles, savoir préparer la nevsletter d'avril 2017, en réalité vous me faisiez faire du travail totalement inutile puisqu'en parallèle vous aviez confié cette même tâche à une autre collaboratrice et que seul son travail a fait l'objet de la procédure de validation adressée à l'ensemble des collaborateurs concernés», rappelant qu'elle a attiré durant ces trois semaines son attention sur l'illégalité de son comportement et l'état de souffrances psychologiques dans lequel celui-ci la plonge.

La cour constate que certaines attestations produites (pièces 35-36-37-38-39-40) émanent de personnes ayant soit travaillé très peu de temps dans l'entreprise soit à une période non contemporaine de celle invoquée par Mme [P] ; par ailleurs, ces personnes s'expriment en termes généraux sur le caractère de M. [J] [A] notamment à leur égard mais ne cite aucun fait précis et daté relatif à la situation de Mme [P].

Hormis la privation de rémunération que la cour n'a pas retenu et les propos insultants réguliers tels que rapportés dans les seuls érits de Mme [P] et non corroborés par des éléments extrinsèques, la salariée établit par les pièces produites, l'existence matérielle de faits précis et concordants, qui pris dans leur ensemble permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral à son encontre.

L'employeur fait valoir que les témoignages des anciens salariés et anciens clients ne sont pas probants, stigmatise le procédé par lequel la salariée met entre guillemets des expressions prétendument tenus par M. [A], sans aucun élément de preuve.

Il conteste toute rétrogradation considérant que les outils mis en place visaient à trouver une solution à la baisse significative du chiffre d'affaire constatée par Mme [P] elle-même dès le séminaire du mois de janvier 2016, et à permettre à la salariée de s'adapter à la nouvelle conjoncture économique tout en restant seule en charge d'optimiser les actions des différents intervenants.

Il rappelle que la salariée n'a pas perçu de prime en raison de la non réalisation de ses objectifs.

Il explique le décalage du versement des indemnités de prévoyance notamment en raison de l'attente de la décision de la caisse primaire d'assurance maladie.

Il indique que la restitution du véhicule et de l'ordinateur est conforme au contrat de travail dans le cas d'une suspension d'une durée supérieure à un mois.

Il considère avoir préparé au mieux le retour de la salariée par une réunion informelle le 6 avril 2017 puis un entretien professionnel de reprise d'activité, avec compte rendu sur lequel Mme [P] a indiqué RAS le 20 avril 2017.

Il rappelle les termes circonstanciés de son courrier du 11 avril 2017 sur la thèse de la placardisation.

La société produit notamment les pièces suivantes :

- l'attestation de M. [N] certifiant avoir assisté à tous les séminaires de la société depuis 2011 et n'avoir «aucun souvenir d'un comportement déplorable ou déplacé de la part de M. [J] [A] envers Mme [T] [P]»,

- l'attestation de Mme [B], pharmacienne chargée des formations, indiquant «Lors de l'apéritif qui clôturait la 1ère journée du Salon Pharmagora, [O] [Z] s'est énervée et a aggressé verbalement [J] [A] devant l'ensemble des salariés SRA et ce, sans aucune raison apparente. Devant cette attitude, [J] [A] lui a demandé d'arrêter car ce n'était ni le lieu, ni le moment.»

- l'attestation de l'épouse de M. [A] laquelle indique avoir également assisté à l'altercation avec Mme [Z],

- la fiche de poste de la directrice marketing & achats,

- les mails de Mme [Z] de mars et avril 2016, un document intitulé séminaire janvier 2016,

- l'attestation de Mme [K], laquelle déclare n'avoir entendu aucune altercation le 27 mai 2016,

- la décision de la caisse primaire d'assurance maladie du 13 octobre 2016 de refus de prise en charge de l'accident du travail du 27 mai 2016,

- le courrier du 11 avril 2017,

- la convocation du même jour à un entretien afin de «préparer au mieux votre retour au sein de notre entreprise» et invitant la salariée à consulter le site internet de l'organisme de formation,

- le compte-rendu de l'entretien professionnel signé le 20 avril 2017 par MM. [X] et [A] et Mme [P], avec pour conclusion RAS pour chacun (pièce n°54) et le même document avec des ajouts apportés par Mme [P] (pièce n°54 bis) le lendemain.

Après analyse des éléments produits de part et d'autre, la cour estime que du fait de l'attente de la décision de la caisse primaire d'assurance maladie sur le caractère professionnel de l'arrêt maladie du 27 mai 2016, le décalage dans le temps du versement des indemnités de prévoyance est étranger à une situation de harcèlement moral.

Si la restitution du véhicule de fonction est prévue aux termes du contrat de travail en cas de suspension de celui-ci pour une durée supérieure à un mois, la restitution de l'ordinateur comme du téléphone professionnel sollicitée moins de deux mois après l'arrêt de travail du 27 mai 2016 n'est légitimée par aucun document, comme la remise des effets personnels.

En l'état des témoignages versés aux débats par la société lesquels ne concernent que Mme [Z], la société ne justifie pas que Mme [P] ait tenu des propos injurieux, insultants et dénigrants à l'égard de la société lors d'un salon organisé le 2 avril 2016, et donc de l'avertissement à son égard, lequel se révèle injustifié, alors même que l'attitude du dirigeant ce soir là est décrite comme humiliante par les salariés de l'entreprise.

La rétrogradation mise en oeuvre dès le mois de mai et dont le caratère punitif est démontré par le projet d'avertissement adressé au service social, par l'institutionnalisation de déplacements commerciaux deux jours par semaine ne pouvant être assimilée à des visites ponctuelles, constitue un agissement caractérisé de harcèlement moral, ayant eu pour effet notamment de dégrader l'état de santé de Mme [P], laquelle a eu peu après une crise de panique, l'audition devant l'enquêteur de la caisse primaire d'assurance maladie, démontrant un processus de souffrance au travail.

Enfin, il est patent que lors de sa reprise plus de dix mois après, la salariée n'a pas été rétablie dans ses fonctions, a été privée des accès aux données de l'entreprise, a été cantonnée à des tâches subalternes et le courrier du 11 avril 2017 de M. [A] a contribué par son cynisme à ne lui laisser entrevoir aucune évolution possible.

L'employeur échoue ainsi à démontrer que les faits matériellement établis par Mme [P] sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le harcèlement moral est établi.

Complétant le jugement déféré lequel a reconnu la situation de harcèlement moral mais n'a pas indemnisé les conséquences dommageables de celui-ci, la cour décide de fixer le préjudice subi par Mme [P] à la somme de 10 000 euros.

Dans ces conditions, la demande de résiliation judiciaire doit être déclarée fondée sur ce seul manquement, et prendre effet au jour du licenciement, l'atteinte à la dignité et à la santé de la salariée étant imputable à la société et à ses dirigeants, et ayant conduit à son état d'inaptitude médicalement constaté.

Sur les conséquences financières de la rupture

La cour, en l'état des conclusions de Mme [P] visant un licenciement abusif, ne pouvant modifier l'objet du litige, dit que le licenciement dont la nullité était encourue, doit être déclaré sans cause réelle et sérieuse.

La salariée prétend à un salaire moyen de 5 600 euros bruts, sur la base duquel elle a calculé les indemnité de rupture, éléments chiffrés repris par le conseil de prud'hommes.

L'employeur considère que pour l'indemnité de licenciement, il y a lieu de retenir la période de trois mois ou de douze mois ayant précédé la rupture et pour l'indemnité compensatrice de préavis, le seul salaire fixe.

La cour fixe le salaire de référence, en fonction des douze derniers mois ayant précédé l'arrêt de travail du 27 mai 2016, méthode la plus favorable à la salariée, à la somme de 4 711,65 euros, prenant en compte le salaire fixe, la rémunération variable et la prime de vacances en fonction des éléments retenus précédemment par la cour.

La salariée est donc en droit d'obtenir au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, la somme de 14 134,95 euros outre l'incidence de congés payés, et une indemnité conventionnelle pour une ancienneté de 9 ans, du même montant (dont à déduire la somme déjà versée de 11 083,33 euros), la décision étant infirmée sur ces points.

Sans être contredite, la société indique qu'elle avait un effectif inférieur à onze salariés, de sorte que l'article L.1235-5 du code du travail est seul applicable. En considération de l'ancienneté de Mme [P], de sa rémunération et du fait qu'elle a retrouvé un emploi dès le mois de janvier 2018, la cour confirme la décision quant au montant de l'indemnisation du licenciement abusif.

La sanction de l'article L.1235-4 du code du travail a été juste titre appliquée par la décision déférée.

Sur les autres demandes

Il y a lieu de confirmer le jugement quant au solde de tout compte erroné, générant un rappel de salaire.

Les sommes allouées à titre de salaires porteront intérêts au taux légal à compter de la date de convocation de l'employeur (présentation de la lettre recommandée) à l'audience de tentative de conciliation valant mise en demeure, soit le 27 juin 2016.

 Les sommes allouées à titre indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter de la date du jugement pour les sommes confirmées et à compter de la présente décision, pour le surplus.

La capitalisation des intérêts sera ordonnée dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil .

La société qui succombe même partiellement doit s'acquitter des dépens lesquels ne peuvent être distraits, le ministère d'avocat n'étant pas obligatoire devant la juridiction statutant en matière sociale.

Il est équitable de voir mettre à la charge de la société une somme supplémentaire au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, en matière prud'homale,

Rejette la demande en nullité du jugement,

Confirme le jugement SAUF dans ses dispositions relatives aux indemnités de rupture, au rejet de la demande de dommages et intérêts au titre du harcèlement moral et au rejet de la demande reconventionnelle,

Condamne la société Solution Réseau d'Achat (SRA) à payer à Mme [T] [P] les sommes suivantes :

- 10 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

- 14 134,95 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 1 413,49 euros bruts au titre des congés payés afférents,

- 3 051,62 euros au titre du solde de l'indemnité conventionnelle de licenciement

Dit que les sommes allouées à titre de salaires porteront intérêts au taux légal à compter du 27 juin 2016 et celles fixées à titre indemnitaire à compter de la date du jugement pour les sommes confirmées et à compter de la présente décision, pour le surplus,

Ordonne la capitalisation des intérêts à condition qu'ils soient dus au moins pour une année entière,

Condamne Mme [P] à rembourser à la société Solution Réseau d'Achat (SRA) :

- la somme de 2 100 euros bruts, au titre d'un trop perçu sur la rémunération variable 2015,

- celle de 3 080 euros bruts, au titre d'un trop perçu sur la rémunération variable 2016,

Ordonne la compensation judiciaire partielle entre les créances respectives des parties,

Condamne la société Solution Réseau d'Achat (SRA) à payer à Mme [P] la somme de 2 500 euros en cause d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Solution Réseau d'Achat (SRA) aux dépens d'appel.

LE GREFFIERLE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-3
Numéro d'arrêt : 18/12823
Date de la décision : 22/07/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-07-22;18.12823 ?
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