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07/07/2022 | FRANCE | N°21/02003

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 2-1, 07 juillet 2022, 21/02003


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 2-1



ARRÊT AU FOND

DU 07 JUILLET 2022



N° 2022/282









Rôle N° RG 21/02003

N° Portalis DBVB-V-B7F-

BG5VL







[Y] [S] [E]



C/



[N] [Z] [X] [J]



PARQUET GENERAL































Copie exécutoire délivrée

le :

à :



Me Gérard CAULE



Me Rém

y DURIVAL



MINISTERE PUBLIC





Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal de Grande Instance de Marseille en date du 15 décembre 2020 enregistré au répertoire général sous le n° 19/01548





APPELANTE



Madame [Y] [S] [E], agissant en son nom et en sa qualité de représentant légal de l'enfant mineur [M] [J]

né...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 2-1

ARRÊT AU FOND

DU 07 JUILLET 2022

N° 2022/282

Rôle N° RG 21/02003

N° Portalis DBVB-V-B7F-

BG5VL

[Y] [S] [E]

C/

[N] [Z] [X] [J]

PARQUET GENERAL

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Gérard CAULE

Me Rémy DURIVAL

MINISTERE PUBLIC

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de Marseille en date du 15 décembre 2020 enregistré au répertoire général sous le n° 19/01548

APPELANTE

Madame [Y] [S] [E], agissant en son nom et en sa qualité de représentant légal de l'enfant mineur [M] [J]

née le 11 juin 1973 à [Localité 3] (MAROC) (99)

de nationalité marocaine,

demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Gérard CAULE, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIME

Monsieur [N] [Z] [X] [J]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 2021/009212 du 01/10/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de AIX-EN-PROVENCE)

né le 03 janvier 1954 à [Localité 6]

de nationalité française,

demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Rémy DURIVAL, avocat au barreau de MARSEILLE

PARTIE INTERVENANTE

PARQUET GENERAL,

sis [Adresse 5]

en la personne de M. Thierry VILLARDO, avocat général

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 10 mai 2022 en chambre du conseil. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Madame Monique RICHARD, Conseillère, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Madame Michelle TORRECILLAS, Présidente

Madame Monique RICHARD, Conseillère

Madame Laurence GODRON, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier lors des débats : Madame Jessica FREITAS.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 07 juillet 2022.

MINISTERE PUBLIC :

Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 07 juillet 2022,

Signé par Madame Michelle TORRECILLAS, Présidente et Madame Jessica FREITAS, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Vu l'appel interjeté le 10 février 2021 par Mme [Y] [S] [E] à l'encontre du jugement rendu le 15 décembre 2020 par le tribunal judiciaire de Marseille,

Vu les dispositions de l'article 388-1 du code civil et l'avis adressé par le greffe aux parties le 25 mars 2021,

Vu les conclusions de Mme [Y] [S] [E] en date du 3 mai 2021,

Vu les conclusions de M. [N] [J] en date du 21 juillet 2021,

Vu les réquisitions écrites du ministère public en date du 29 avril 2022,

Vu l'ordonnance de clôture du 10 mai 2022 pour l'affaire fixée à l'audience du même jour.

EXPOSE DU LITIGE

Mme [Y] [S] [E], de nationalité marocaine, a donné naissance le 21 octobre 2011 à [Localité 4] à un enfant prénommé [M], qui a été reconnu le 29 mai 2012 par M. [N] [J], de nationalité française, et qui porte le nom de celui-ci suite à la déclaration conjointe de changement de nom effectuée le 4 juin 2012.

Par actes d'huissier en date du 31 janvier 2020 et du 12 février 2020, régulièrement dénoncés au Ministère public, M. [J] a fait assigner devant le tribunal judiciaire de Marseille Mme [S] [E] à la fois en son nom personnel et en sa qualité de représentante légale de l'enfant mineur [M], afin de voir annuler sa reconnaissance de paternité.

Par avis du 21 mai 2019, le Ministère public a requis une expertise génétique.

Puis, M. [J] et Mme [S] [E] confirmant conjointement que M. [J] n'est pas le père de l'enfant [M], le Ministère public s'en est rapporté par nouvel avis du 12 mars 2020.

Dans ses dernières conclusions, M. [J] sollicitait l'annulation de sa reconnaissance de paternité sur le fondement de l'article 332 du code civil et le changement du nom patronymique de l'enfant, en faisant valoir :

- d'une part que l'enfant était déjà né lorsqu'il a rencontré Mme [S] [E], qu'il avait reconnu à la demande de Mme [S] [E] alors qu'il était affaibli sur le plan psychologique,

- d'autre part que l'enfant n'a jamais eu la possession d'état.

Mme [S] [E] s'y opposait à ces demandes, en soulignant que M. [J] n'a pas été contraint à reconnaître l'enfant, qui porte son nom depuis qu'il a sept mois.

Par jugement en date du 15 décembre 2020 dont appel, le tribunal judiciaire de Marseille a pour l'essentiel :

- dit que M. [N] [J] n'est pas le père de [M],

- annulé la reconnaissance de paternité effectuée le 29 mai 2012 à [Localité 4] (13),

- dit que [M] reprendra le nom patronymique de sa mère, Mme [S] [E],

- et ordonné la transcription du dispositif du jugement sur les registres de l'état civil.

Mme [S] [E] a interjeté appel de ce jugement et demande à la cour à de le réformer, de déclarer irrecevable la demande d'annulation formulée par le requérant et de le condamner au paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

L'appelante rappelle les dispositions de l'article 333 du code civil et soutient que l'enfant a depuis plus de cinq ans la possession d'état conforme à la reconnaissance de paternité effectuée le 29 mai 2012. Seul le Ministère public aurait pu dans ces conditions contester la reconnaissance de paternité.

M. [J] conclut pour sa part à la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions et demande à la cour, y ajoutant, de condamner l'appelante au paiement de la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, ainsi qu'à la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

L'intimé rappelle avoir fait la connaissance de l'appelante le 10 mai 2012, après que celle-ci ait donné naissance à [M] le 21 octobre 2011.

Il explique qu'il était dans un contexte d'extrême détresse psychologique avec des idées suicidaires, parce que son épouse venait de le quitter brutalement, après 32 ans de mariage et cinq enfants en commun, pour vivre une idylle avec son amant.

Il devait en outre faire face à de graves difficultés financières suite aux dettes accumulées par son épouse qui ont donné lieu à une procédure de surendettement et au harcèlement menaçant de l'amant de son épouse.

C'est dans ces conditions qu'il a rencontré Mme [S] [E] qui lui a proposé une aide amicale et qu'il a reconnu moins de 20 jours plus tard l'enfant de celle-ci né quelques mois avant leur rencontre.

L'appelant précise qu'ils n'ont jamais vécu ensemble et qu'il n'a pris conscience des conséquences de sa reconnaissance que bien plus tard, lorsqu'il est revenu à une meilleure santé psychique, ce qui explique l'action engagée en début d'année 2020.

Il s'étonne de l'appel interjeté par Mme [S] [E] tendant à voir sa demande déclarée irrecevable sur le fondement de l'article 333 du code civil, dans le cadre de moyen développé pour la première fois en cause d'appel, et sans aucun élément probant à l'appui.

Il rappelle que l'enfant n'a jamais eu la possession d'état. M. [J] indique être inconnu dans l'école que fréquente l'enfant, il n'a jamais été sollicité par la mère pour exercer une quelconque autorité parentale conjointe, ses cinq enfants ignorent tout de cette reconnaissance et n'ont jamais rencontré [M], aucun livret de famille n'a été établi et lui même n'a plus revu ni la mère, ni l'enfant depuis 2016.

Il en déduit que son action est parfaitement recevable et demande la confirmation de l'annulation de sa reconnaissance de paternité qui a en réalité permis à l'appelante, de nationalité marocaine, d'obtenir la nationalité française en étant la mère d'un enfant français.

Il demande par voie de conséquence que l'enfant reprenne le nom patronymique de sa mère et que cette dernière soit condamnée au paiement de légitimes dommages et intérêts au vu des man'uvres préjudiciables opérées pour obtenir avec une totale mauvaise foi la nationalité française.

Le Parquet général, auquel la procédure a été régulièrement transmise pour avis, conclut en premier lieu à l'application de la loi française au litige, l'enfant [M] étant né et élevé en France.

Sur le fond, le Ministère public relève que l'acte introductif d'instance a été délivré les 31 janvier et 12 février 2020, soit avant l'expiration de la prescription, et que dès lors l'action en contestation de reconnaissance est recevable.

En outre, les écritures et pièces produites en appel ne sont pas de nature à remettre en cause l'analyse du juge de première instance sur l'absence de possession d'état. En l'état, le Ministère public requiert la confirmation du jugement entrepris.

Au delà de ce qui sera repris pour les besoins de la discussion et faisant application en l'espèce des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour entend se référer, pour l'exposé plus ample des moyens et prétentions des parties, à leurs dernières écritures ci-dessus visées.

SUR CE

L'appelante remet en cause le jugement annulant la reconnaissance de paternité de l'enfant que l'intimé souhaite voir confirmer.

Sur la compétence des juridictions françaises et l'application de la loi française au litige

En présence d'un élément d'extranéité, l'appelante étant de nationalité marocaine, il résulte de l'article 3 du code civil, de l'article 13 du code de procédure civile et des principes du droit international privé, que le juge français doit d'office, et sous réserve du respect du principe de la contradiction, mettre en application la règle de conflit de lois pour les droits indisponibles.

En l'espèce, [M] est né le 21 octobre 2011 sur le sol français d'une mère marocaine et a été reconnu par un père français.

Aux termes de l'article 6 du code de la nationalité marocaine, cet enfant né d'une mère marocaine est marocain.

La Cour de cassation considère que le juge français a en l'état l'obligation d'appliquer d'office la règle de conflit de loi.

Selon l'article 311-7 du code civil, la reconnaissance volontaire de paternité ou de maternité est valable si elle a été faite en conformité soit de la loi personnelle de son auteur, soit de la loi perosnnelle de l'enfant.

Selon la Cour de cassation, ce texte s'applique tant à l'action en nullité de la reconnaissance qu'à l'action en contestation, actions qui doivent être possibles à la fois au regard de la loi de l'auteur de celle-ci que de la loi de l'enfant.

La conception française de l'ordre public international en matière de filiation repose sur une égalité des filiations et un droit aménagé de l'enfant à rechercher sa filiation.

En prohibant par principe à l'enfant né, élévé et résidant en France la recherche ou la contestation de la filiation naturelle ou en réservant son exercice qu'au seul époux dans le cadre du mariage, la loi marocaine contrevient à l'ordre public de la filiation.

Il convient dès lors d'appliquer au litige la loi française au profit du jeune [M], né et résidant en France.

L'enfant étant domicilié avec sa mère à [Localité 4] (13), la juridiction de première instance, tout comme la cour, sont compétentes pour connaître du litige.

Sur l'action en contestation de paternité

L'article 332 alinéa 2 du code civil prévoit expressément : « la paternité peut être contestée en rapportant la preuve que le mari ou l'auteur de la reconnaissance n'est pas le père. »

Conformément à l'article 333 du code civil, lorque la possession d'état est conforme au titre (soit à l'acte de naisance, soit à la reconnaissance), seuls peuvent agir l'enfant représenté s'il est mineur, l'un de ses père et mère ou celui qui se prétend le parent véritable.

L'action se prescrit par cinq ans à compter du jour où la possession d'état a cessé ou du décès du parent dont le lien de filiation est contesté.

A défaut de possession d'état, la contestation de la filiation établie par le seul titre se prescrit dans le délai de droit commun de dix ans prévu à l'article 321 du code civil.

En l'espèce, il est manifeste que M. [J] n'est pas le père biologique de [M]. Il fait valoir que l'enfant n'a jamais eu la possession d'état d'être son fils.

L'acte introductif d'instance a été délivré les 31 janvier et 12 février 2020, soit avant l'expiration de la prescription, [M] étant né le 21 octobre 2011. L'action en contestation de paternité est donc recevable.

A l'appui de son action, M. [J] explique avoir fait la connaissance de la mère de [M], Mme [S] [E], le 10 mai 2012, après qu'elle ait donné naissance à [M] le 21 octobre 2011.

Il explique qu'il était dans un état d'extrême détresse psychologique après que son épouse l'ait quitté subitement après 32 ans de mariage et cinq enfants en commun, pour vivre une idylle avec son amant.

S'ajoutaient à cette dépression des idées suicidaires et de graves difficultés financières à la suite des dettes accumulées par l'épouse qui ont donné lieu à une procédure de surendettement. Il indique avoir été en outre harcelé et menacé par l'amant de son épouse.

C'est dans un tel contexte d'épuisement et de faiblesse qu'il a rencontré Mme [S] [E], qui lui a proposé une aide simplement amicale, sans que s'instaure une relation intime entre eux, ni la moindre vie commune.

Il a alors accepté en quelques jours de reconnaître l'enfant qu'elle venait de mettre au monde quelques mois avant leur rencontre, sans réaliser les conséquences de cette reconnaissance, dont il a pris conscience que plus tard lorsqu'il a retrouvé un certain équilibre.

M. [J] fait valoir à bon droit que [M] n'a jamais eu la possession d'état. Il n'a jamais été sollicité par la mère pour exercer une quelconque autorité parantale conjointe, il n'a jamais pris la moindre décision pour l'enfant, il ne s'est jamais rendu dans l'établissmeent scolaire que fréquente l'enfant.

Ses propres enfants ignorent tout de la situation et ne connaissent pas [M].

Aucun livret de famille n'a été délivré et il est sans nouvelle de Mme [S] [E] depuis 2016. A la réflexion et avec du recul, il pense que celle-ci a vu, à travers cette reconnaissance, le moyen d'obtenir la nationalité française en devenant la mère d'un enfant né en France d'un père français.

C'est donc à bon droit que le juge de première isntance a, au vu de l'ensemble de ces éléments, fait droit à la demande d'annulation de la reconnaissance de paternité. Le jugement parfaitement motivé sera confirmé.

Sur la demande de dommages et intérêts

En dépit des circonstances dans lesquelles M. [J] explique avoir effectué cette reconnaisance de paternité fictive, il n'en demeure pas moins qu'il a participé aux manoeuvres de la mère et à la survenance du préjudice qu'il invoque, dont il entend demander réparation aujourd'hui. Mais nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude.

Sa demande de dommages et intérêts formulée sur le fondement de l'article 1240 du code civil à hauteur de 5.000 euros en réparation du préjudice subi sera donc rejetée.

Sur les demandes annexes

Compte tenu du caractère familial du litige, chaque partie conservera la charge de ses propres dépens d'appel, ceux de première instance restant répartis conformément à la décision entreprise.

Par ailleurs, l'équité ne justifie pas qu'il soit fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en faveur de l'une ou l'autre des parties.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats non publics,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Et y ajoutant,

Rejette la demande de dommages et intérêts formulée par l'intimé ;

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Laisse à chaque partie la charge de ses frais et dépens de l'appel ;

Rejette le surplus des demandes.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 2-1
Numéro d'arrêt : 21/02003
Date de la décision : 07/07/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-07-07;21.02003 ?
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