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01/07/2022 | FRANCE | N°18/15578

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-3, 01 juillet 2022, 18/15578


COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

Chambre 4-3



ARRÊT AU FOND



DU 01 JUILLET 2022



N°2022/ 139



RG 18/15578

N° Portalis DBVB-V-B7C-BDEBK







SASU SUPER AZUR





C/



[U] [I]











Copie exécutoire délivrée le 1er Juillet 2022 à :



-Me Maud ANDRIEUX, avocat au barreau de MARSEILLE



- Me Michel KUHN, avocat au barreau de MARSEILLE











Décision déféré

e à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de MARSEILLE - section C - en date du 13 Septembre 2018, enregistré au répertoire général sous le n° F 16/00523.





APPELANTE



S.A.S SOCIETE D'EXPLOITATION AMIDIS ET COMPAGNIE, venant aux...

COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

Chambre 4-3

ARRÊT AU FOND

DU 01 JUILLET 2022

N°2022/ 139

RG 18/15578

N° Portalis DBVB-V-B7C-BDEBK

SASU SUPER AZUR

C/

[U] [I]

Copie exécutoire délivrée le 1er Juillet 2022 à :

-Me Maud ANDRIEUX, avocat au barreau de MARSEILLE

- Me Michel KUHN, avocat au barreau de MARSEILLE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de MARSEILLE - section C - en date du 13 Septembre 2018, enregistré au répertoire général sous le n° F 16/00523.

APPELANTE

S.A.S SOCIETE D'EXPLOITATION AMIDIS ET COMPAGNIE, venant aux droits de la Société SUPER AZUR, laquelle venait aux droits de la S.A.S ERTECO France,, demeurant [Adresse 3]

représentée par Me Maud ANDRIEUX de la SCP SCP BRAUNSTEIN & ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMEE

Madame [U] [I], demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Michel KUHN, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 Mai 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Estelle De REVEL, Conseiller, chargée du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre

Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller faisant fonction de Président

Madame Estelle De REVEL, Conseiller

Greffier lors des débats : Mme Agnès BAYLE.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 01 Juillet 2022.

ARRÊT

CONTRADICTOIRE

Prononcé par mise à disposition au greffe le 01 Juillet 2022

Signé par Madame Estelle De REVEL, Conseiller et Madame Suzie BRETER, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE

Mme [U] [I] a été engagée en qualité d'employée commerciale, par la société ED, exploitant sous l'enseigne Dia, devenue Erteco, puis société Super Azur, aux droits de laquelle vient désormais la société d'Exploitation Amidis et Compagnie, selon contrat à durée déterminée à temps partiel du 8 avril 2002, puis selon contrat à durée indéterminée à partir du 6 octobre 2002.

Par avenant du 29 octobre 2009, Mme [I] a été promue au poste de chef de magasin statut agent de maîtrise, à temps plein.

A compter du 1er octobre 2010, la salariée a été affectée au magasin de [Localité 2] 10e.

Dans le dernier état de la relation contractuelle, régie par les dispositions de la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire, elle occupait le poste de chef de magasin, statut agent de maîtrise, niveau 5C, au sein du magasin Dia de [Localité 2].

A partir du 4 décembre 2015, son contrat de travail a été suspendu du fait d'un arrêt maladie pour accident du travail suite à un incident survenu au sein du magasin le 3 décembre 2015 alors que Mme [I] était présente.

Une plainte a été déposée devant les services de police par M. [F], salarié également présent au moment des faits, pour des faits qualifiés de 'vol simple, destruction ou dégradation de biens privés et menace' qui a fait l'objet d'un classement sans suite avec rappel à la loi à l'auteur identifié.

Le 3 mars 2016, Mme [I] a saisi le conseil de prud'hommes de Marseille aux fins de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de son employeur et condamnation de ce dernier au paiement de diverses indemnités.

Le 15 septembre 2016, le médecin du travail a déclaré la salariée 'inapte à la reprise de son poste. A revoir le 7 octobre 2016".

Le 7 octobre 2016, lors de la seconde visite de reprise, le médecin du travail l'a déclarée inapte à son poste et a précisé : 'L'avis spécialisé demandé contre-indique la reprise de l'activité dans l'entreprise même avec reclassement ou aménagement de poste ou du temps de travail. Etude de poste le 29 septembre 2016. Le maintien dans l'entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé".

Par courrier du 3 février 2017, la salariée a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 15 février suivant et reporté au 13 mars suivant.

Le 16 mars 2017, Mme [I] a été licenciée pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement en ces termes :

'Vous avez été engagée au sein de notre entreprise en date du 8 avril 2002.

Au dernier état de notre collaboration, vous occupiez le poste de chef de magasin et étiez affectée au sein de notre point de vente situé à [Localité 2].

Dans le cadre d'une visite médicale de reprise intervenue en date du 15 septembre 2016, vous avez été reçue par le médecin du travail (AISMT 13).

A l'issue de cet examen médical, le médecin du travail a rendu un avis d'inaptitude en ces termes : Inapte à la reprise de son poste. A revoir.

Après étude du poste et des conditions de travail dans l'entreprise réalisée le 29 septembre 2016, à l'occasion d'un second examen médical intervenu en date du 7 octobre 2016, le médecin du travail a, de nouveau, conclu à votre inaptitude. (...)

En mentionnant expressément dans son avis d'inaptitude que 'votre maintien dans l'entreprise serait gravement préjudiciable à votre santé, le médecin du travail, nous exempte ipso facto de toute recherche de reclassement conformément aux dispositions de l'article L.1226-12 du code du travail.

Toutefois, désireux de nous assurer que le médecin du travail avait mesuré la portée d'un tel avis, nous lui avons écrit à de multiples reprises pour en obtenir confirmation.

Par retour, le médecin du travail nous a confirmé son avis d'inaptitude et la dispense de reclassement.

Toutefois, soucieux de la sauvegarde de votre emploi, et bien que nous en étions dispensés, nous avons procédé à des recherches loyales et personnalisées de reclassement tant au sein de notre entreprise que du groupe auquel elle appartient.

C'est ainsi que nous avons pu identifier 4 postes ci-après détaillés: [...]

Cependant, le médecin du travail s'est opposé à ce que nous vous proposions les postes précités, en nous renvoyant à son avis d'inaptitude avec dispense de reclassement.

Dès lors, le 1er février 2017, nous vous avons énoncé par écrit les motifs s'opposant à votre reclassement.

Dans ces conditions, nous n'avons pas eu d'autres choix que de vous convoquer à un entretien préalable.

Vous n'avez pas souhaité assister à l'entretien précité lequel, était fixé le lundi 13 mars 2017 à 11h30.

Nonobstant votre absence et compte tenu des motifs ci-avant exposés nous sommes contraints de vous notifier, par la présente, votre licenciement pour inaptitude physique médicalement constatée assortie d'une dispense de reclassement expressément mentionnée par le médecin du travail dans son avis d'inaptitude à savoir que 'votre maintien dans l'entreprise serait gravement préjudiciable à votre santé'.

Votre licenciement prend effet dès l'envoi de la présente lettre. (....)'

Par jugement du13 septembre 2018, le conseil de prud'hommes, en sa formation de départage, a statué ainsi :

'Déboute Madame [I] de sa demande de résiliation judiciaire aux torts exclusifs de la Société SUPER AZUR et de ses demandes indemnitaires subséquentes

Dit que le licenciement pour inaptitude d'origine professionnelle et impossibilité de reclassement de [U] [I] par la SAS SUPER AZUR est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

Condamne la SAS SUPER AZUR à verser à [U] [I] la somme de 33.000 euros de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

Dit que cette somme portera intérêts au taux légal à compter du jugement et ce jusqu'à parfait paiement,

Ordonne la capitalisation annuelle des intérêts, sous réserve qu'il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière,

Condamne d'office la société SUPER AZUR à rembourser à Pôle Emploi, les indemnités de chômage perçues par [U] [I] dans la limite des six premiers mois indemnisés,

Dit que le présent jugement sera notifié, à la diligence du Greffe de cette juridiction à Pôle emploi

Condamne la société SUPER AZUR, à verser [U] [I] la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

Condamne la société SUPER AZUR aux entiers dépens de la présente procédure,

Dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire des dispositions du présent jugement qui ne seraient pas de plein droit exécutoires par application de l'article R1454-28 du code du travail

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires'.

Le 2 octobre 2018, la SASU Super Azur a relevé appel du jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 28 avril 2022, la société d'Exploitation Amidis et Compagnie (venant aux droits de la société Super Azur) demande à la cour de:

'CONFIRMER le jugement en ce qu'il a jugé que l'employeur n'a pas manqué à son obligation légale de sécurité,

En conséquence

DEBOUTER Madame [I] de sa demande de dommages et intérêts à hauteur de 5.000 euros de ce chef,

REFORMER le jugement sur le licenciement et JUGER que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse,

En conséquence,

DEBOUTER Madame [I] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d'un montant de 40.000 euros,

DEBOUTER Madame [I] de sa demande d'indemnité de 3.000,00 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

CONDAMNER Madame [I] à la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

La CONDAMNER aux entiers dépens'.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 16 décembre 2020, Mme [I] demande à la cour de :

'Sur la demande de résiliation judiciaire : réformer le jugement du 13 septembre 2018 rendu par le Conseil des Prud'hommes de Marseille,

Constater la violation de l'obligation de sécurité par la société ERTECO.

Prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail et dire et juger qu'elle produira les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En conséquence de quoi,

Condamner la société ERTECO aux sommes suivantes :

Dommages et intérêts : 40 000€ pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Dommages et intérêts : 5 000€ pour violation de l'obligation de sécurité de résultat

A titre subsidiaire, confirmer le jugement sur la contestation du licenciement pour dire et juger que le licenciement pour inaptitude ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse,

Condamner à ce titre la société à la somme de 40.000 € à titre de dommages intérêts.

Assortir ces condamnations des intérêts légaux capitalisés depuis le jour de la saisine de la juridiction.

Il sera également ordonné la condamnation de la société à verser à Madame [I] les entiers dépens et une somme due au titre de l'article 700 en cause d'appel à hauteur de 3000€'.

Pour l'exposé plus détaillé des prétentions et moyens des parties, il sera renvoyé, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, aux conclusions des parties.

MOTIFS DE LA DECISION

A titre liminaire, la cour rappelle qu'en application des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile « la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif » et que les 'dire et juger' et les 'constater' ne sont pas des prétentions en ce que ces demandes ne confèrent pas de droit à la partie qui les requiert hormis les cas prévus par la loi ; en conséquence, la cour ne statuera pas sur celles-ci, qui ne sont en réalité que le rappel des moyens invoqués .

I. Sur la résiliation judiciaire

Le juge prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur en cas de manquements suffisamment graves de ce dernier à ses obligations, de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail.

En cas de saisine de la juridiction prud'homale d'une demande de résiliation judiciaire suivie d'un licenciement du salarié, le juge doit examiner prioritairement la demande de résiliation judiciaire, avant de se prononcer sur la régularité du licenciement.

En application de l'article L. 4121-1 du code du travail, dans sa version applicable au litige, l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité envers ses salariés, prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent des actions de prévention des risques professionnels, des actions d'information et de formation, la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

Ne méconnaît pas l'obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par l'article L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail.

En cas d'action en résiliation du contrat de travail par un salarié qui, étant victime d'un accident du travail, invoque une inobservation des règles de prévention et de sécurité, il appartient à l'employeur qui la considère injustifiée de démontrer que la survenance de cet accident est étrangère à tout manquement à son obligation de sécurité de résultat.

En l'espèce, Mme [I] fonde sa demande de résiliation judiciaire sur la violation par l'employeur de son obligation de sécurité considérant que celui-ci n'a pas pris les mesures nécessaires et suffisantes pour prévenir les incidents et les faits du 3 décembre 2015 et préserver la sécurité des salariés, notamment à l'égard d'un groupe de jeunes gens.

Elle soutient que les mesures de prévention et d'information pour prévenir les violences et incivilités commises dans le magasin par des clients ont été insuffisantes et que les salariés n'étaient pas informés ni formés au dispositif. Elle reproche une présence limitée des vigiles et non permanente, et l'absence d'armoire verrouillée pour les bouteilles d'alcool qui aurait pu décourager les voleurs.

Elle déplore n'avoir obtenu ni aide, ni soutien de l'employeur après les faits.

Elle indique avoir été profondément perturbée par les violences même si elle n'en a pas été victime directement, ni aucun de ses collègues.

La société soutient avoir pris les mesures nécessaires à la prévention et la protection de la santé physique et mentale des salariés du magasin de [Localité 2] en adoptant un accord collectif sur la santé et la sécurité au travail depuis 2011, en ayant élaboré des consignes contre les braquages et agressions et diverses procédures de sécurité, outre un document unique d'évaluation des risques, et en ayant formé ses salariés en terme de sécurité, dont Mme [I].

La société indique avoir mis en place un dispositif de vidéosurveillance et de gardiennage par vigile et maître-chien, d'ailleurs présents le 3 décembre 2015.

Elle précise avoir fait le nécessaire auprès de ses salariés après les faits en ayant déclenché le système de prise en charge et l'accompagnement psychologique de ses salariés en cas d'événement traumatisant.

Elle indique avoir informé le CHSCT des mesures prises et mises en place et des incidents survenus au cours de l'année, lequel n'a pas considéré le magasin comme sensible et n'a pas déclenché d'enquête, et ajoute que le médecin du travail n'a jamais fait d'alerte spécifique sur de quelconque manquement.

La société déplore les griefs qui lui sont faits alors que Mme [I], en qualité d'agent de maîtrise, était chargée de procéder aux affichages dans le magasin des procédures et des consignes de sécurité et d'en aviser les employés et a été formée sur les dispositifs de prévention et de sécurité.

Mme [I] produit un relevé d'incidents internes (pièce 1) qui concerne aussi bien les dysfonctionnements techniques que les incidents et agressions survenus dans le magasin depuis 2013. Ce relevé, qui a fait l'objet d'une analyse détaillée par le premier juge, fait apparaître des vols et incivilités, notamment un braquage à la fin de l'année 2014, des vols et incivilités entre janvier et avril 2014, puis septembre 2014, des vols en automne 2015 et le fait que des jeunes scolarisés dans un lycée voisin soient venus insulter les employés le 16 novembre 2015.

L'employeur justifie avoir mis en place :

- dès 2012, un système de vidéosurveillance comprenant 14 caméras en 2014 (pièce 20).

- depuis 2013, un système de surveillance du magasin dont les planning produits aux débats montrent une augmentation de l'amplitude horaire des gardiens entre 2013 et 2015 pour aboutir à 322,5 heures par mois en décembre 2015 (127 heures en 2013), étant précisé qu'il s'agit du plus gros volume d'heures en comparaison avec les magasins de la région sans que le magasin de [Localité 2] ne soit classé 'sensible' par le CHSCT. Il est encore observé qu'outre un agent de surveillance, il y avait la présence d'un maître-chien dans le magasin notamment le jour des faits.

- des formations à la sécurité et au risque d'agression auprès des salariés, que ce soit lors de l'entrée dans la société (pièce 26 et 27) ou au cours du contrat de travail. Mme [I] ne s'est pas inscrite à la formation à laquelle elle a été invitée en janvier 2015 sur 'la formation à l'agressivité 25 mars 2015" et 'savoir anticiper et manager les situations de crises relationnelles sur le lieu de travail',

- un suivi après les faits du 3 décembre 2015 avec prise en charge des salariés et information du médecin du travail, inspection du travail.

Le rapport de l'inspection du travail daté du 1er février 2016, réalisé après une visite de l'établissement en janvier 2016, suite 'aux agressions extérieures survenues à l'encontre du personnel en 2015", fait état des mesures de surveillance et de sécurité du magasin, tant en moyens matériels qu'humains, notamment 'la présence entre le lundi et le samedi sur toute l'amplitude horaire d'ouverture du magasin d'un agent de sécurité et d'un maître-chien entre 12 h et 15 h'. Sont encore relevés au titre des mesures de sécurité existantes au moment des faits, la présence de diverses cameras de vidéo-surveillance avec enregistrement momentané des données et le fait de fermer le rideau avant les opérations de caisse en fin de journée. Si aux termes de ce rapport, l'inspecteur du travail recommande de rendre plus visible la signalétique de sécurité déjà en place 'mais par trop discrète' et de faire des modifications dans le sens de circulation du magasin relevant de manière générale qu''une trop grande facilité pour accéder et surtout ressortir d'un magasin contribue à un plus grand risque de survenance d'agressions et de vol', il note qu'il ne peut y 'avoir de mesure de sécurité absolue, compte tenue de la nature du risque lié à des agressions extérieures, la prévention des risques professionnels consiste, en la matière, à prévenir et plus précisément le plus possible le risque de renouvellement de tels accidents'.

Aux termes des deux rapports CHSTC de l'année 2015, produits aux débats, le magasin n'était pas signalé comme sensible et aucune demande complémentaire n'a été faite par rapport aux dispositifs existants. Selon l'attestation de la secrétaire du CHSTC, l'employeur avait réagi bien avant les faits de 2015 aux incidents dont le magasin pouvait être l'objet ; elle indique en effet 'compte tenu du fait qu'il y avait un vigile et un maître-chien sur le magasin mais également qu'à ma connaissance, les salariés du magasin n'avaient pas été personnellement attaqués ce jour-là, je n'ai pas jugé utile en ma qualité de secrétaire et en demandant l'avis des autres membres de cette instance, de faire une enquête. De plus, dans ce magasin il y avait un membre élu en tant que délégué du personnel qui y travaillait, lequel avait signalé à la direction en réunion courant 2015 les incivilités dont le magasin faisaient l'objet et que compte tenu des faits, la direction avait mis en oeuvre tous les moyens nécessaires en termes de protection, notamment du gardiennage supplémentaire avec un maître-chien'.

Le document unique d'évaluation des risques a été mis à jour pour la dernière fois en novembre 2015 notamment par Mme [I] elle-même qui a noté, s'agissant de la sécurité, que le point de vente avait subi plusieurs agressions et braquages et que des améliorations avaient été pratiquées par l'équipement de 'surveillance multicaméras en 2011 + présence agent de sécurité aux heures sensibles'. Elle n'y évoque aucune amélioration à effectuer.

La cour relève avec le juge départiteur que le reproche fait par Mme [I] de ne pas interdire l'accès du magasin aux lycéens est inopérant dès lors qu'il s'analyserait en un refus de vente illicite.

Il est établi que Mme [I] s'est vue remettre le livret d'accueil comme c'est le cas pour tous les salariés, et qu'elle a été avisée des fiches de procédures détaillant les conduites à tenir en cas d'agression, de cambriolage, de dégradation, d'incendie ou encore de vol. Elle a été formée aux consignes de prévention lors de sa promotion au poste de chef de magasin tel que cela de l'attestation produite.

Il est démontré par les pièces et attestations que les formations en matière de sécurité étaient proposées (pièce 43) notamment aux agents de maîtrise, dont Mme [I].

S'agissant des faits du 3 décembre 2015, M. [F], autre salarié de la société, indique dans sa plainte qu'un groupe de jeunes est venu dans le magasin, que l'agent de sécurité et le maître-chien leur ont interdit l'accès les connaissant pour des vols, qu'il y a eu des insultes et une bagarre et que le maître-chien a lâché le chien. Il précise que cela a permis aux salariés de se retrancher dans le magasin pour se protéger.

La cour retient, après examen de ces éléments, que l'employeur a pris en compte les incidents et agressions répétitives commises entre 2013 et 2015 relevés dans le rapport interne concernant la sécurité du magasin de [Localité 2] en lien avec sa situation géographique à proximité d'un établissement scolaire sensible, et les demandes des salariés. Il a en effet agi pour prévenir le risque et faire en sorte qu'il ne se réalise pas en utilisant les outils juridiques et experts de la prévention (surveillance gardiennage), en établissant un document unique d'évaluation des risques professionnels, en formant ses salariés, en dialoguant avec le CHSCT, et avec le médecin du travail.

L'attestation d'une salariée collègue de Mme [I] (Mme [B] épouse [S]) qui se borne à affirmer que 'la clôture des tickets IRIS n'entraînait pas forcément la résolution des problèmes et ce dans tous les magasins' et que 'nous rencontrions dans tous les magasins des problèmes de sécurité car le nombre d'heures attribuée était minime comparé à l'amplitude horaire du magasin, est trop imprécise et, faute d'exemple de situation concrète, elle ne permet pas de corroborer que l'employeur ne traitait pas les incidents qui lui étaient signalés par les relevés susvisés.

Il en est de même de l'attestation d'un individu indiquant avoir été gardien du magasin de [Localité 2] pendant deux ans, sans aucune précision de date.

La salariée ne peut faire grief à la société de ne l'avoir pas informée en amont sur les mesures de prévention au vu de ce qui précède, de n'avoir pas réagi aux relevés d'incident et de ne pas avoir mis en place les mesures suffisantes pour assurer la sécurité des salariés dans le magasin.

Il convient, en l'espèce, de constater que les faits du 3 décembre 2015 et ceux antérieurs, étaient commis par des individus extérieurs à la société et sur lesquels celle-ci ne possédait aucune autorité de droit ou de fait.

La cour dit en conséquence que l'obligation de l'employeur concernant l'objectif de prévention qui est au fondement des dispositions légales et le souci d'en assurer l'effectivité, est en l'espèce satisfait dès lors que toutes les mesures nécessaires ont été prises.

Le jugement déféré doit être confirmé en ce qu'il a dit qu'aucun manquement à la sécurité ne peut justifier une résiliation judiciaire aux torts de l'employeur, et a en conséquence rejeté la demande de dommages et intérêts.

Sur le licenciement

a) S'agissant de l'obligation de sécurité:

Un licenciement pour inaptitude est dépourvu de cause réelle et sérieuse lorsque l'inaptitude est consécutive à un manquement préalable de l'employeur à son obligation de sécurité.

En l'espèce, la cour ayant considéré qu'aucun manquement de l'employeur à son obligation de sécurité n'était démontré, il en résulte que ce moyen doit être rejeté.

b) S'agissant de l'obligation de reclassement:

Mme [I] soutient que le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse dans la mesure où la lettre de licenciement ne vise pas l'impossibilité de reclassement.

Elle expose en outre que l'entreprise n'était pas dispensée de rechercher un reclassement, en l'état de l'avis rendu par le médecin du travail, notamment au sein du groupe auquel appartient la société.

La salariée fait enfin valoir l'absence de consultation des délégués du personnel.

La société soutient qu'elle s'est trouvée dans un cas de dispense légale de l'obligation de reclassement dès lors que le médecin du travail avait indiqué que le maintien de la salariée dans l'entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé, et qu'au vu de cet avis, elle n'avait donc pas à procéder à des recherches de reclassement, ni à faire figurer dans la lettre de licenciement l'impossibilité de reclassement, ni à consulter les délégués du personnel.

L'employeur indique qu'en dépit de cette dispense légale, il a tout de même tenté un reclassement en prenant attache avec le médecin du travail pour connaître ses préconisations lequel a répondu : 'aucune proposition de mutation, d'aménagement de poste et de reclassement à faire dans le dossier de Mme [I]' ; il a ensuite invité la salariée à un entretien professionnel de reclassement auquel elle ne s'est pas présentée; il a formulé par courrier du 23 janvier 2017 quatre propositions de reclassement identifiés dans le groupe, dans le cadre d'un dialogue avec le médecin du travail puis, celui-ci ayant indiqué qu'aucune d'entre elles n'étaient compatibles avec l'état de santé de l'intéressée, a notifié à la salariée son licenciement pour inaptitude.

Sous l'empire de la loi antérieure à celle du 8 août 2016, applicable à compter du 1er janvier 2017, l'avis du médecin du travail déclarant un salarié inapte à tout poste dans l'entreprise ne dispensait pas l'employeur, quelle que soit la position prise par le salarié, de son obligation légale de recherche de reclassement au sein de cette entreprise et, le cas échéant, du groupe auquel celle-ci appartient.

La loi n° 2015-994 du 17 août 2015 a cependant prévu une exception relative aux inaptitudes consécutives à un accident du travail ou à une maladie professionnelle. En vertu de l'article L.1226-12 du code du travail, dans sa rédaction issue de cette loi, l'employeur était en effet autorisé à rompre le contrat de travail si l'avis du médecin mentionne expressément que tout maintien du salarié dans l'entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé.

Selon l'article L.1226-12 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi du 8 août 2016, l'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L.1226-10, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse de l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans l'emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l'emploi.

L'obligation qui pèse sur l'employeur de rechercher un reclassement au salarié déclaré par le médecin du travail inapte à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment naît à la date de la déclaration d'inaptitude par le médecin du travail.

En l'espèce, dès lors que l'inaptitude a été constatée le 7 octobre 2016, et que l'avis du médecin du travail mentionne que le maintien de la salariée dans l'entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé, il en résulte que c'est donc la loi du 17 août 2015, en vigueur du 18 août 2015 au 31 décembre 2016, qui s'applique, nonobstant les recherches de reclassement par l'employeur et leur poursuite jusqu'au licenciement ainsi que la notification de celui-ci postérieurement au 1er janvier 2017 (16 mars 2017).

Conformément à ce qu'affirme la société appelante, par la mention susvisée dans l'avis d'inaptitude médicale, elle était déliée de toute obligation de recherche de reclassement du salarié et pouvait valablement procéder à son licenciement en l'état de l'inaptitude.

Elle n'avait pas non plus à faire figurer dans la lettre de licenciement la mention de l'impossibilité de reclassement dès lors qu'elle en était dispensée, la cour constatant que l'employeur énonce les motifs de licenciement et vise expressément cette dispense dans la lettre de rupture, respectant ainsi l'article L.1232-6 du code du travail sur l'obligation d'énoncer les motifs du licenciement.

Il ne peut enfin être fait grief à l'employeur de ne pas avoir consulté les délégués du personnel dès lors qu'en l'absence de l'existence de l'obligation de rechercher le reclassement du salarié, cette consultation n'avait pas lieu d'être et son inobservation ne pouvait être sanctionnée.

C'est donc à tort que le premier juge a dit que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse et a condamné la société au paiement de dommages et intérêts.

La décision doit par conséquent être infirmée et les demandes de la salariée doivent être rejetées.

Dès lors, la sanction de l'article L.1235-4 du code du travail n'est pas applicable.

Sur les autres demandes

Mme [I] qui succombe doit être condamnée aux dépens d'appel.

L'équité commande de ne pas faire application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, en matière prud'homale,

Infirme la décision entreprise SAUF en ce qu'elle a rejeté la demande de résiliation judiciaire,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et Y ajoutant:

Dit le licenciement pour inaptitude fondé sur une cause réelle et sérieuse,

Déboute Mme [U] [I] de l'ensemble de ses demandes,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article L.1235-4 du code du travail et de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne Mme [I] aux dépens d'appel.

LE GREFFIERPour Mme MARTIN empéchée,

Mme De REVEL en ayant délibéré


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-3
Numéro d'arrêt : 18/15578
Date de la décision : 01/07/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-07-01;18.15578 ?
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