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01/07/2022 | FRANCE | N°18/15572

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-3, 01 juillet 2022, 18/15572


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-3



ARRÊT AU FOND



DU 01 JUILLET 2022



N° 2022/ 138



RG 18/15572

N° Portalis DBVB-V-B7C-BDEA6







SASU SUPER AZUR





C/



[W] [G]

























Copie exécutoire délivrée le 1er Juillet 2022 à :



-Me Maud ANDRIEUX, avocat au barreau de MARSEILLE



- Me Michel KUHN, avocat au barreau de MARSEILLE

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Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de MARSEILLE en date du 13 Septembre 2018 enregistré au répertoire général sous le n° F 16/00526.





APPELANTE



S.A.S SOCIETE D'EXPLOITATION AMIDIS ET COMPAG...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-3

ARRÊT AU FOND

DU 01 JUILLET 2022

N° 2022/ 138

RG 18/15572

N° Portalis DBVB-V-B7C-BDEA6

SASU SUPER AZUR

C/

[W] [G]

Copie exécutoire délivrée le 1er Juillet 2022 à :

-Me Maud ANDRIEUX, avocat au barreau de MARSEILLE

- Me Michel KUHN, avocat au barreau de MARSEILLE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de MARSEILLE en date du 13 Septembre 2018 enregistré au répertoire général sous le n° F 16/00526.

APPELANTE

S.A.S SOCIETE D'EXPLOITATION AMIDIS ET COMPAGNIE, venant aux droits de la Société SUPER AZUR, laquelle venait aux droits de la S.A.S ERTECO France, demeurant [Adresse 4]

représentée par Me Maud ANDRIEUX de la SCP SCP BRAUNSTEIN & ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMEE

Madame [W] [G], demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Michel KUHN, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 Mai 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Estelle De REVEL, Conseiller, chargée du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre

Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller faisant fonction de Président

Madame Estelle De REVEL, Conseiller

Greffier lors des débats : Mme Agnès BAYLE.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 01 Juillet 2022.

ARRÊT

CONTRADICTOIRE

Prononcé par mise à disposition au greffe le 01 Juillet 2022

Signé par Madame Estelle De REVEL, Conseiller et Madame Suzie BRETER, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE

Mme [W] [G] a été engagée par la société ED, exploitant sous l'enseigne Dia, aux droits de laquelle est venue la société Super Azur, puis la société d'Exploitation Amidis et Compagnie, en qualité d'employée commerciale, en vertu d'un contrat de travail à durée indéterminée à temps complet du 26 mai 2008.

Par avenant du 1er juin 2012, Mme [G] a été promue adjointe au chef de magasin au statut agent de maîtrise.

Dans le dernier état de la relation contractuelle régie par les dispositions de la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire, la salariée occupait le poste d'adjointe chef de magasin, statut agent de maîtrise, niveau 5, au sein du magasin Dia de [Localité 3].

A compter du 8 septembre 2015, le contrat de travail de Mme [G] a été suspendu en raison d'un arrêt maladie pour accident du travail survenu après un incident au sein du magasin le 3 décembre 2015, alors que Mme [G] était présente.

Une plainte a été déposée devant les services de police par M. [H], salarié également présent au moment des faits, pour des faits qualifiés de 'vol simple, destruction ou dégradation de biens privés et menace' qui a fait l'objet d'un classement sans suite avec rappel à la loi à l'auteur identifié.

Le 3 mars 2016, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes de Marseille aux fins de résiliation judiciaire de son contrat de travail pour manquement de son employeur à son obligation de sécurité de résultat et condamnation de ce dernier au paiement de diverses indemnités.

Le 8 juin 2016, le médecin du travail l'a déclarée 'inapte à la reprise de son poste. A revoir le 12 juillet'.

Le 12 juillet 2016, lors de la seconde visite de reprise, le médecin du travail a déclaré la salariée inapte à son poste et a précisé : 'L'avis spécialisé demandé contre-indique la reprise d'activité professionnelle dans l'entreprise même avec reclassement ou aménagement de poste ou de temps de travail. Etude de poste le 11 juillet 2016".

Par courrier du 19 décembre 2016, la salariée a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 28 décembre suivant.

Le 10 janvier 2017, Mme [G] a été licenciée en ces termes :

« (...) Vous avez été engagée au sein de notre société en date du 26 mai 2008.

Au dernier état de notre collaboration, vous occupiez le poste d'adjoint au chef de magasin et étiez affectée au sein de notre magasin de [Localité 3].

Dans le cadre d'une visite médicale de reprise intervenue en date du 23 juin 2016, vous avez été reçue par le Médecin du travail, Madame le Docteur [R] (AISMT13).

A l'issue de cet examen médical, le Médecin du travail, a rendu un avis d'inaptitude en ces termes :

« Inapte à la reprise de son poste. A revoir mardi 12 juillet 2016 à 15h30 sur le centre Valentine (ART R.4624-31 du code du travail) ».

Après étude de poste et des conditions de travail réalisée dans l'entreprise par le Médecin du travail, conformément à l'article R.4624-31 du code du travail, à l'occasion d'un second examen médical intervenu en date du 12 juillet 2016, le Médecin du travail a, de nouveau, émis un avis d'inaptitude libellé comme suit :

« Inapte à son poste (2ème visite selon ART R4624-31 du code du travail). L'avis spécialisé demandé contre-indique la reprise d'activité professionnelle dans l'entreprise même avec reclassement ou aménagement de poste ou du temps de travail. Etude de poste le 11 juillet 2016.»

Dans ce contexte, nous avons aussitôt sollicité du Docteur [R] (médecin du travail) des explications complémentaires de nature à nous permettre d'envisager un reclassement compatible avec votre état de santé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations ou aménagements.

A l'occasion de nos échanges, le Médecin du travail nous a confirmé votre inaptitude.

En revanche, malgré nos multiples courriers et relances, le médecin du travail ne nous a apporté aucune précision supplémentaire de nature à nous éclairer sur notre obligation de vous proposer un emploi approprié à vos capacités.

Face à l'inertie du médecin du travail, nous avons pris en considération dans nos recherches de reclassement les indications lapidaires énoncées dans les avis d'inaptitude émis par le médecin du travail.

En parallèle, désireux de faire le point sur votre situation, le 2 août 2016 nous vous avons invitée par lettre recommandée avec avis de réception, à un entretien professionnel qui était fixé le 12 août 2016 à 11h00.

Néanmoins, aux termes d'une correspondance du 12 août 2016, vous nous avez informés de votre refus d'assister à l'entretien précité.

Partant, le 17 août 2016, nous vous avons adressé par lettre recommandée avec avis de réception, un questionnaire afin de connaître certaines informations vous concernant notamment quant à vos qualifications professionnelles, votre formation initiale, votre mobilité géographique et votre possibilité de diminuer votre durée du travail.

Cependant, vous ne nous avez pas retourné ledit questionnaire.

Compte tenu des éléments en notre possession, nous avons procédé à des recherches effectives, loyales et personnalisées de reclassement tant au niveau du périmètre de notre entreprise, qu'au niveau de celui de notre Groupe.

- Au niveau du groupe :

Nous avons adressé aux responsables de ces structures des demandes de reclassement en leur communiquant toutes les informations utiles vous concernant et notamment les conclusions du médecin du travail.

Malheureusement, tous ont été au regret de nous informer par écrit, qu'ils ne disposaient pas de poste compatible avec les contraintes liées à votre situation médicale.

- Au niveau du périmètre de notre entreprise :

S'agissant de la direction régionale et du siège : nous nous sommes interrogés sur les possibilités de rendre un emploi disponible par des mesures telles que création, mutations, transformations de postes ou aménagements.

Celles-ci se sont malheureusement révélés infructueuses.

En effet, aucun poste au sein de la direction régionale et du siège n'est disponible.

Au surplus, vous ne disposez pas des qualifications et des compétences correspondances : les postes occupés au sein de la direction régionale et du siège sont principalement des postes d'encadrement qui exigent des compétences et qualifications spécifiques.

S'agissant de nos magasins : nos recherches approfondies nous ont ainsi permis d'identifier les 7 postes de reclassement ci-après détaillés : (...) »

Par jugement du 13 septembre 2018, le conseil de prud'hommes a statué ainsi :

Déboute Madame [G] de sa demande de résiliation judiciaire aux torts exclusifs de la Société SUPER AZUR et de ses demandes indemnitaires subséquentes,

Dit que le licenciement pour inaptitude d'origine professionnelle et impossibilité de reclassement d'[W] [G] par la Société SUPER AZUR est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

Condamne la société SUPER AZUR à verser à [W] [G] la somme de 21.500 euros de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

Dit que la somme portera intérêts au taux légal à compter du jugement et ce jusqu'à parfait paiement,

Ordonne la capitalisation annuelle des intérêts, sous réserve qu'il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière,

Condamne d'office la société SUPER AZUR à rembourser à Pôle Emploi, les indemnités de chômage perçues par [W] [G] dans la limite des six premiers mois indemnisés,

Dit que le présent jugement sera notifié, à la diligence du Greffe de cette juridiction, à Pôle emploi

Condamne la société SUPER AZUR, à verser [W] [G] la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

Condamne la société SUPER AZUR aux entiers dépens de la présente procédure,

Dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire des dispositions du présent jugement qui ne seraient pas de plein droit exécutoires par application de l'article R1454-28 du code du travail

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Le 2 octobre 2018, la société Super Azur a interjeté appel de la décision.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 28 avril 2022, la société d'exploitation Amidis et compagnie, venant aux droits de la société Super Azur, demande à la cour de :

'CONFIRMER le jugement en ce qu'il a jugé que l'employeur n'a pas manqué à son obligation légale de sécurité,

En conséquence,

DEBOUTER Madame [G] de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail,

DEBOUTER Madame [G] de sa demande de dommages et intérêts pour violation l'obligation de sécurité à hauteur de 5.000 euros,

REFORMER le jugement sur le licenciement et JUGER que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse,

En conséquence,

DEBOUTER Madame [G] de sa demande d'indemnité compensatrice de préavis de 4164 euros, et congés payés afférents de 416 euros,

DEBOUTER Madame [G] de sa demande d'indemnité de licenciement de 3700 euros,

DEBOUTER Madame [G] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d'un montant de 25.000 euros,

En tout état de cause,

CONDAMNER Madame [G] à la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du

Code de Procédure Civile,

La CONDAMNER aux entiers dépens.'

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 17 décembre 2020, Mme [G] demande à la cour de :

'INFIRMER sinon réformer le jugement du 13 septembre 2018 rendu par le Conseil des Prud'hommes de Marseille,

CONSTATER la violation de l'obligation de sécurité par la société ERTECO.

PRONONCER la résiliation judiciaire du contrat de travail et dire et juger qu'elle produira les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En conséquence de quoi,

CONDAMNER la société ERTECO aux sommes suivantes :

Dommages et intérêts : 25 000€ pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Dommages et intérêts : 5 000€ pour violation de l'obligation de sécurité de résultat

A titre subsidiaire dire et juger que le licenciement pour inaptitude ne repose pas sur une cause

réelle et sérieuse,

CONDAMNER à ce titre la société à la somme de 25.000 € à titre de dommages intérêts.

ASSORTIR ces condamnations des intérêts légaux capitalisés depuis le jour de la saisine de la juridiction.

Il sera également ordonné la condamnation de la société à verser à Madame [G] les entiers dépens et une somme due au titre de l'article 700 à hauteur 3000 € en cause d'appel.'

Pour l'exposé plus détaillé des prétentions et moyens des parties, il sera renvoyé, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, aux conclusions des parties.

MOTIFS DE LA DECISION

A titre liminaire, la cour rappelle qu'en application des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile « la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif » et que les 'dire et juger' et les 'constater' ne sont pas des prétentions en ce que ces demandes ne confèrent pas de droit à la partie qui les requiert hormis les cas prévus par la loi ; en conséquence, la cour ne statuera pas sur celles-ci, qui ne sont en réalité que le rappel des moyens invoqués .

Sur la résiliation judiciaire

Le juge prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur en cas de manquements suffisamment graves de ce dernier à ses obligations, de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail.

En cas de saisine de la juridiction prud'homale d'une demande de résiliation judiciaire suivie d'un licenciement du salarié, le juge doit examiner prioritairement la demande de résiliation judiciaire, avant de se prononcer sur la régularité du licenciement.

En application de l'article L. 4121-1 du code du travail, dans sa version applicable au litige, l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité envers ses salariés, prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent des actions de prévention des risques professionnels, des actions d'information et de formation, la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

Ne méconnaît pas l'obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par l'article L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail.

En cas d'action en résiliation du contrat de travail par un salarié qui, étant victime d'un accident du travail, invoque une inobservation des règles de prévention et de sécurité, il appartient à l'employeur qui la considère injustifiée de démontrer que la survenance de cet accident est étrangère à tout manquement à son obligation de sécurité de résultat.

En l'espèce, Mme [G] fait valoir que l'employeur ne démontre pas avoir mis en oeuvre les mesures nécessaires pour évaluer les risques liés aux incivilités et violences, ni pour prévenir efficacement ces risques ou qu'elle avait mis en place une organisation et des moyens adaptés pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des salariés.

Elle considère que la société ne peut prétendre avoir été confrontée à un événement imprévisible et insurmontable lors des faits du 3 décembre 2015.

La salariée soutient que le nombre d'heures de gardiennage était insuffisant et n'a en réalité été porté à 355 qu'après les faits du mois de décembre 2015, et que les travaux pour remédier aux insuffisances pointées par l'inspecteur du travail s'agissant de l'accès du magasin comme n'étant pas assez entravant, n'ont été faits qu'en 2016. Elle critique encore le manque de formation et de consigne sur les règles de sécurité qu'elle juge inefficaces.

Mme [G] dénonce l'absence d'armoire verrouillée pour les bouteilles d'alcool, pourtant réclamée, et qui aurait évité les vols.

Elle regrette l'insuffisance de la diffusion des consignes de sécurité auprès des salariés, des formations et le peu d'aide et de soutien en dépit des nombreux incidents.

La société soutient avoir pris les mesures nécessaires à la prévention et la protection de la santé physique et mentale des salariés du magasin de [Localité 3] en adoptant un accord collectif sur la santé et la sécurité au travail depuis 2011, en ayant élaboré des consignes contre les braquages et agressions et diverses procédures de sécurité, outre un document unique d'évaluation des risques, et en ayant formé ses salariés en terme de sécurité.

La société indique surtout avoir mis en place un dispositif de vidéosurveillance et de gardiennage par vigile et maître-chien, d'ailleurs présents le 3 décembre 2015.

Elle précise avoir fait le nécessaire auprès de ses salariés après les faits en ayant déclenché le système de prise en charge et l'accompagnement psychologique de ses salariés en cas d'événement traumatisant.

Elle indique avoir informé le CHSCT des mesures prises et mises en place et des incidents survenus au cours de l'année, lequel n'a pas considéré le magasin comme sensible et n'a pas déclenché d'enquête, et ajoute que le médecin du travail n'a jamais fait d'alerte spécifique sur de quelconque manquement.

La société déplore les griefs qui lui sont faits alors que l'agent de maîtrise, était chargée de procéder aux affichages dans le magasin des procédures et des consignes de sécurité et d'en aviser les employés et a été formée sur les dispositifs de prévention et de sécurité.

Mme [G] produit un relevé d'incidents internes (pièce 1) qui concerne aussi bien les dysfonctionnements techniques que les incidents et agressions survenus dans le magasin depuis 2013. Ce relevé, qui a fait l'objet d'une analyse détaillée par le premier juge, fait apparaître des vols et incivilités, notamment un braquage à la fin de l'année 2014, des vols et incivilités entre janvier et avril 2014, puis septembre 2014, des vols en automne 2015 et le fait que des jeunes scolarisés dans un lycée voisin soient venus insulter les employés le 16 novembre 2015.

L'employeur justifie avoir mis en place :

- dès 2012, un système de vidéosurveillance comprenant 14 caméras en 2014 (pièce 20).

- depuis 2013, un système de surveillance du magasin dont les planning produits aux débats montrent une augmentation de l'amplitude horaire des gardiens entre 2013 et 2015 pour aboutir à 322,5 heures par mois en décembre 2015 (127 heures en 2013), étant précisé qu'il s'agit du plus gros volume d'heures en comparaison avec les magasins de la région sans que le magasin de [Localité 3] ne soit classé 'sensible' par le CHSCT. Il est encore observé qu'outre un agent de surveillance, il y avait la présence d'un maître-chien dans le magasin notamment le jour des faits.

- des formations à la sécurité et au risque d'agression auprès des salariés, que ce soit lors de l'entrée dans la société (pièce 26 et 27) ou au cours du contrat de travail.

- un suivi après les faits du 3 décembre 2015 avec prise en charge des salariés et information du médecin du travail, inspection du travail.

Le rapport de l'inspection du travail daté du 1er février 2016, réalisé après une visite de l'établissement en janvier 2016, suite 'aux agressions extérieures survenues à l'encontre du personnel en 2015", fait état des mesures de surveillance et de sécurité du magasin, tant en moyens matériels qu'humains, notamment 'la présence entre le lundi et le samedi sur toute l'amplitude horaire d'ouverture du magasin d'un agent de sécurité et d'un maître-chien entre 12 h et 15 h'. Sont encore relevés au titre des mesures de sécurité existantes au moment des faits, la présence de diverses cameras de vidéo-surveillance avec enregistrement momentané des données et le fait de fermer le rideau avant les opérations de caisse en fin de journée. Si aux termes de ce rapport, l'inspecteur du travail recommande de rendre plus visible la signalétique de sécurité déjà en place 'mais par trop discrète' et de faire des modifications dans le sens de circulation du magasin relevant de manière générale qu''une trop grande facilité pour accéder et surtout ressortir d'un magasin contribue à un plus grand risque de survenance d'agressions et de vol', il note qu'il ne peut y 'avoir de mesure de sécurité absolue, compte tenue de la nature du risque lié à des agressions extérieures, la prévention des risques professionnels consiste, en la matière, à prévenir et plus précisément le plus possible le risque de renouvellement de tels accidents'.

Aux termes des deux rapports CHSCT de l'année 2015, produits aux débats, le magasin n'était pas signalé comme sensible et aucune demande complémentaire n'a été faite par rapport aux dispositifs existants. Selon l'attestation de la secrétaire du CHSCT, l'employeur avait réagi bien avant les faits de 2015 aux incidents dont le magasin pouvait être l'objet ; elle indique en effet 'compte tenu du fait qu'il y avait un vigile et un maître-chien sur le magasin mais également qu'à ma connaissance, les salariés du magasin n'avaient pas été personnellement attaqués ce jour-là, je n'ai pas jugé utile en ma qualité de secrétaire et en demandant l'avis des autres membres de cette instance, de faire une enquête. De plus, dans ce magasin il y avait un membre élu en tant que délégué du personnel qui y travaillait, lequel avait signalé à la direction en réunion courant 2015 les incivilités dont le magasin faisaient l'objet et que compte tenu des faits, la direction avait mis en oeuvre tous les moyens nécessaires en termes de protection, notamment du gardiennage supplémentaire avec un maître-chien'.

Le document unique d'évaluation des risques a été mis à jour pour la dernière fois en novembre 2015, s'agissant de la sécurité, que le point de vente avait subi plusieurs agressions et braquages et que des améliorations avaient été pratiquées par l'équipement de 'surveillance multicaméras en 2011 + présence agent de sécurité aux heures sensibles'. Mme [D], salariée ayant mis à jour ce document, n'y évoque aucune amélioration à effectuer.

La cour relève avec le juge départiteur que le reproche fait par Mme [G] de ne pas interdire l'accès du magasin aux lycéens est inopérant dès lors qu'il s'analyserait en un refus de vente illicite.

Il est établi que Mme [G] s'est vue remettre le livret d'accueil comme c'est le cas pour tous les salariés, et qu'elle a été avisée des fiches de procédures détaillant les conduites à tenir en cas d'agression, de cambriolage, de dégradation, d'incendie ou encore de vol.

Il est démontré par les pièces et attestations que les formations en matière de sécurité étaient proposées (pièce 43) notamment aux agents de maîtrise, dont Mme [G].

S'agissant des faits du 3 décembre 2015, M. [H], autre salarié de la société, indique dans sa plainte qu'un groupe de jeunes est venu dans le magasin, que l'agent de sécurité et le maître-chien leur ont interdit l'accès les connaissant pour des vols, qu'il y a eu des insultes et une bagarre et que le maître-chien a lâché le chien. Il précise que cela a permis aux salariés de se retrancher dans le magasin pour se protéger.

La cour retient, après examen de ces éléments, que l'employeur a pris en compte les incidents et agressions répétitives commises entre 2013 et 2015 relevés dans le rapport interne concernant la sécurité du magasin de [Localité 3] en lien avec sa situation géographique à proximité d'un établissement scolaire sensible, et les demandes des salariés. Il a en effet agi pour prévenir le risque et faire en sorte qu'il ne se réalise pas en utilisant les outils juridiques et experts de la prévention (surveillance gardiennage), en établissant un document unique d'évaluation des risques professionnels, en formant ses salariés, en dialoguant avec le CHSCT, et avec le médecin du travail.

L'attestation d'une salariée, Mme [I] épouse [P], qui se borne à affirmer que 'la clôture des tickets IRIS n'entraînait pas forcément la résolution des problèmes et ce dans tous les magasins' et que 'nous rencontrions dans tous les magasins des problèmes de sécurité car le nombre d'heures attribuée était minime comparé à l'amplitude horaire du magasin, est trop imprécise et, faute d'exemple de situation concrète, elle ne permet pas de corroborer que l'employeur ne traitait pas les incidents qui lui étaient signalés par les relevés susvisés.

Il en est de même de l'attestation d'un individu indiquant avoir été gardien du magasin de [Localité 3] pendant deux ans, sans aucune précision de date.

La salariée ne peut faire grief à la société de ne l'avoir pas informée en amont sur les mesures de prévention au vu de ce qui précède, de n'avoir pas réagi aux relevés d'incident et de ne pas avoir mis en place les mesures suffisantes pour assurer la sécurité des salariés dans le magasin.

Il convient, en l'espèce, de constater que les faits du 3 décembre 2015 et ceux antérieurs, étaient commis par des individus extérieurs à la société et sur lesquels celle-ci ne possédait aucune autorité de droit ou de fait.

La cour dit en conséquence que l'obligation de l'employeur concernant l'objectif de prévention et le souci d'en assurer l'effectivité, est en l'espèce satisfait dès lors que toutes les mesures nécessaires ont été prises.

Le jugement déféré doit être confirmé en ce qu'il a dit qu'aucun manquement à la sécurité ne peut justifier une résiliation judiciaire aux torts de l'employeur et a rejeté la demande de dommages et intérêts.

Sur le licenciement

a) S'agissant de l'obligation de sécurité:

Un licenciement pour inaptitude est dépourvu de cause réelle et sérieuse lorsque l'inaptitude est consécutive à un manquement préalable de l'employeur à son obligation de sécurité.

En l'espèce, la cour ayant considéré qu'aucun manquement de l'employeur à son obligation de sécurité n'était démontré, il en résulte que ce moyen doit être rejeté.

b) S'agissant de l'obligation de reclassement:

Mme [G] soutient que l'entreprise n'a pas satisfait à son obligation légale de reclassement en ne faisant pas de recherche suffisante de reclassement au niveau du groupe.

Elle explique qu'au vu de l'avis d'inaptitude médicale, elle a refusé les sept propositions de reclassement qui n'étaient faites qu'au niveau du périmètre de l'entreprise.

Elle indique que les trois autres propositions faites au niveau du groupe ne lui ont pas été soumises et qu'aucun retour des entités du groupe n'est produit quant aux autres recherches qui auraient été faites, ni les registres du personnel des autres sociétés du groupe.

Elle soutient qu'aucune étude de poste n'a été faite.

La société expose avoir fait des démarches sérieuses et loyales pour reclasser la salariée en ce que :

-suite à l'avis d'inaptitude définitive du médecin du travail, elle a fait de nombreuses démarches auprès de celui-ci pour connaître ses préconisations et propositions dans le cadre de la recherche de reclassement sans qu'il ne réponde,

- elle a identifié sept postes de reclassement qu'elle a soumis au médecin du travail et qu'elle a proposé à la salariée, faute de réponse de celui-ci, laquelle les a refusé au prétexte de l'absence d'aval du médecin du travail,

- elle a poursuivi ses recherches et a identifié trois nouveaux postes de reclassement dans le périmètre du groupe auquel le médecin du travail a donné un avis négatif

- elle a consulté les délégués du personnel sur l'inaptitude professionnelle de Mme [G] et les sept postes de reclassement envisagés lesquels ont rendu un avis favorable.

Aux termes de l'article L. 1226-10 du code du travail dans sa version en vigueur jusqu'au 1er janvier 2017 applicable en l'espèce, lorsque, à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à un accident du travail ou à une maladie professionnelle, le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités. Cette proposition prend en compte, après avis des délégués du personnel, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise. L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en 'uvre de mesures telles que mutations, transformations de postes ou aménagement du temps de travail.

Les possibilités de reclassement du salarié déclaré inapte à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment doivent s'apprécier à l'intérieur du groupe auquel appartient l'employeur, parmi les entreprises dont les activités, l'organisation ou le lieu d'exploitation lui permettent d'effectuer la permutation de tout ou partie du personnel.

Il appartient à l'employeur qui prétend s'être trouvé dans l'impossibilité d'effectuer un tel reclassement d'en rapporter la preuve. Cette recherche de reclassement doit être mise en 'uvre de façon loyale et personnalisée.

L'avis du médecin du travail déclarant un salarié inapte à tout poste dans l'entreprise ne dispense pas l'employeur, quelle que soit la position prise par le salarié, de son obligation légale de recherche de reclassement au sein de cette entreprise et, le cas échéant, du groupe auquel celle-ci appartient.

En l'espèce, suite à l'avis rendu par le médecin du travail le 12 juillet 2016 dans les termes suivants ' L'avis spécialisé demandé contre-indique la reprise d'activité professionnelle dans l'entreprise même avec reclassement ou aménagement de poste ou de temps de travail', la Cour relève la Chronologie suivante :

- le 27 juillet 2016, la société a sollicité le médecin du travail afin d'avoir toutes informations utiles sur les propositions de reclassement qu'elle pourrait formuler,

- en réponse au médecin du travail qui indiquait confirmer l'inaptitude de l'intéressée à son poste de travail et n'avoir aucune proposition de mutation, d'aménagement de poste ou de reclassement, la société a réitéré sa demande de voir indiquer 'de manière précise ce qui doit être envisagé, eu égard à son état de santé, pour trouver un reclassement',

- le 2 août 2016, la société a convoqué la salariée à un entretien professionnel fixé au 12 août

- face au refus de Mme [G], elle lui a envoyé un questionnaire sur ses qualifications, sa formation, sa mobilité géographique lequel n'a pas été retourné,

- le 23 septembre 2016, la société a interrogé le médecin du travail sur sept propositions de reclassement

- le 23 septembre 2016, elle a envoyé un courriel identique à 14 destinataires différents de FR/ Erteco/Groupe Carrefour ayant pour objet la recherche d'un poste de reclassement pour Mme [G] faisant état de l'emploi de celle-ci, de ses qualifications, de son ancienneté, de son inaptitude telle que décrite par le médecin du travail, de son domicile à [Localité 2] dans les termes suivants : 'nous procédons à une recherche des postes actuellement disponibles et compatibles avec les conclusions du médecin du travail et au sein du groupe Carrefour' (...) ' indiquer par retour si vous disposez, dans les établissements de votre ressort, des postes actuellement disponibles et compatibles (...)' (pièces 69 et 70 accusés de réception)

- le 29 septembre 2016, la société a réuni les délégué du personnel pour les consulter sur les sept propositions de poste de reclassement,

- le 18 octobre 2016, elle a proposé à la salariée les sept postes de reclassement avec réponse exigée pour le 28 octobre suivant,

- le 9 novembre 2016, la société a pris note du refus de Mme [G] et a précisé qu'elle avait formulé les propositions en se conformant au retour du médecin du travail,

- le 30 novembre 2016, la société a répondu au médecin du travail ayant indiqué le 29 novembre que les sept postes 'n'étaient pas compatibles avec l'état de santé' de la salariée et demandait ses préconisations de reclassement,

- le 2 décembre 2016, la société a présenté trois nouvelles propositions de poste de reclassement au médecin du travail : assistante technique, assistante de formation et assistante logistique chez ND Logistics,

- le 6 décembre 2015, le médecin du travail a indiqué que les postes 'adressés le 23 septembre 2016 et le 17 novembre 2016 n'étaient pas compatibles avec son état de santé'.

La cour observe, après analyse de ces éléments, qu'il ressort de l'échange de courriers entre le médecin du travail et la société appelante que les sept propositions de postes de reclassement faites à Mme [G] n'avaient pas recueilli d'avis favorable du praticien et concernaient toutes des emplois et postes dans l'entreprise Erteco France alors que l'avis d'inaptitude concernait 'la reprise d'activité professionnelle dans l'entreprise même avec reclassement ou aménagement de poste ou de temps de travail'.

La cour retient encore que l'employeur qui indique notamment dans la lettre type susvisée qu'elle procède 'à des recherches de reclassement au sein du groupe Carrefour' ne justifie pas avoir fait des recherches dans le périmètre du groupe. En effet, il produit certes le registre du personnel de la société Super Azur (désormais société d'Exploitation Amidis et Compagnie) mais pas les registres du personnel de sociétés faisant partie du groupe Carrefour ou à tout le moins celles présentes dans la région de Marseille et ses environs, ni un organigramme du groupe pour les identifier.

La société se contente de justifier de l'envoi de mails de recherche de postes à divers interlocuteurs, certes nombreux, mais faisant tous partie de la même structure, la société Erteco France. Or, cette société n'est autre que celle devenue la société Super Azur (en octobre 2016 tel que cela ressort la note explicative contenue dans la convocation des délégués du personnel).

En conséquence, il y a lieu de juger que la société Super Azur n'a pas effectué de recherches de reclassement de façon loyale et sérieuse, compte tenu de la dimension du groupe auquel elle appartient, et qu'ainsi, elle a violé son obligation de reclassement à l'égard de Mme [G].

Il en résulte que le licenciement de Mme [G] pour inaptitude et impossibilité de reclassement est dépourvu de cause réelle et sérieuse. Le jugement est confirmé

C'est par une juste évaluation tenant compte de l'ancienneté de la salariée (9 ans), de son salaire brut mensuel (1 922 euros) et de l'absence d'élément justifiant de sa situation que le juge départiteur a estimé à 21 000 euros les dommages et intérêts dus au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La décision est confirmée.

Sur les autres demandes

La société qui succombe doit être condamnée aux dépens d'appel et à payer à Mme [G] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions,

Y ajoutant

Condamne la société d'Exploitation Amidis et Compagnie à payer à Mme [W] [G] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société aux dépens d'appel.

LE GREFFIERPour Mme MARTIN empéchée,

Mme De REVEL en ayant délibéré


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-3
Numéro d'arrêt : 18/15572
Date de la décision : 01/07/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-07-01;18.15572 ?
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