La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

01/07/2022 | FRANCE | N°18/15423

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-1, 01 juillet 2022, 18/15423


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-1



ARRÊT AU FOND

DU 1er JUILLET 2022



N° 2022/260





Rôle N° RG 18/15423 - N° Portalis DBVB-V-B7C-BDDSI







[N] [Y]





C/





Association SAUVEGARDE 13













Copie exécutoire délivrée

le :



1er JUILLET 2022



à :



Me Serge PICHARD, avocat au barreau de TOULON



Me Jean-françois JOURDAN, avocat au barreau d'

AIX-EN-PROVENCE





























Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE en date du 17 Septembre 2018 enregistré(e) au répertoire général sous le n° F 16/01931.





APPELANT



Monsieur [N] [Y...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-1

ARRÊT AU FOND

DU 1er JUILLET 2022

N° 2022/260

Rôle N° RG 18/15423 - N° Portalis DBVB-V-B7C-BDDSI

[N] [Y]

C/

Association SAUVEGARDE 13

Copie exécutoire délivrée

le :

1er JUILLET 2022

à :

Me Serge PICHARD, avocat au barreau de TOULON

Me Jean-françois JOURDAN, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE en date du 17 Septembre 2018 enregistré(e) au répertoire général sous le n° F 16/01931.

APPELANT

Monsieur [N] [Y], demeurant [Adresse 3]

représenté par Me Serge PICHARD, avocat au barreau de TOULON

INTIMEE

Association SAUVEGARDE 13 pris en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social sis, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Jean-françois JOURDAN, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, Me Alice DERVIN, avocat au barreau de NANTES substitué par Me Caroline GRAS, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 28 Avril 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Emmanuelle CASINI, Conseiller, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller faisant fonction de Président

Mme Stéphanie BOUZIGE, Conseiller

Mme Emmanuelle CASINI, Conseiller

Greffier lors des débats : Monsieur Kamel BENKHIRA

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 1er Juillet 2022.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 1er Juillet 2022

Signé par Madame Stéphanie BOUZIGE, Conseiller, pour le Président empêché et Monsieur Kamel BENKHIRA, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

Monsieur [Y] a été embauché par l'Association SAUVEGARDE 13 en contrat de travail à durée indéterminée à temps complet à compter du 1er juin 2013 au poste de Directeur du Pôle Médico-social.

Il disposait, pour l'exercice de son activité, d'une lettre de mission en date du 15 avril 2013 et du document unique de délégation applicable dans le secteur médico-social.

La convention collective applicable est celle des Etablissements et Services pour Personnes Inadaptées et Handicapées du 15 mars 1966.

Monsieur [Y] a été convoqué par courrier remis en mains propres le 24 juin 2016 à un entretien préalable prévu le 1er juillet 2016.

Il a été licencié par courrier du 6 juillet 2016 pour insuffisance professionnelle.

Dispensé de l'exécution de son préavis de 6 mois, il a demandé à interrompre son contrat à compter du 2 septembre 2016, ce qui a été accepté par l'employeur par courrier du 8 août 2016. Il a reçu la somme de 7.998 euros bruts au titre du solde de son préavis et la somme de 19.868,91 euros bruts au titre de l'indemnité de licenciement.

Le 26 juillet 2016, Monsieur [N] [Y] a saisi le conseil de prud'hommes de Marseille aux fins de contester son licenciement et solliciter une indemnisation.

Par jugement du 17 septembre 2018, le conseil de prud'hommes de Marseille a estimé que l'insuffisance professionnelle de Monsieur [Y] était établie et l'a débouté de l'ensemble de ses demandes.

Le 17 septembre 2018, Monsieur [Y] a relevé appel de ce jugement.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 29 juin 2020, il demande à la cour :

-d'infirmer la décision du conseil de Prud'hommes de Marseille en date du 17 septembre 2018,

-de dire son licenciement sans cause réelle et sérieuse,

-de condamner en conséquence, l'Association SAUVEGARDE 13 à lui payer la somme de 140.000 euros à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,

-d'ordonner la capitalisation des intérêts par périodes annuelles en vertu de l'article 1343-2 du code civil,

-de condamner l'Association SAUVEGARDE 13 à lui payer la somme de 6.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 27 février 2019, l'Association SAUVEGARDE 13 demande à la cour de :

A titre principal :

-confirmer le jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes de Marseille en date du 17 septembre 2018,

-constater que l'Association justifie de l'insuffisance professionnelle de Monsieur [Y],

-constater que Monsieur [Y] ne s'explique pas sur les constats portés à sa connaissance,

En conséquence,

-débouter Monsieur [Y] de l'intégralité de ses demandes et le condamner aux entiers dépens d'instance.

A titre subsidiaire :

-constater le caractère manifestement excessif de la demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse formulée par Monsieur [Y],

En conséquence,

-limiter la condamnation à 36.048 euros en application de l'article 1235-3 du code du travail,

En tout état de cause,

-condamner Monsieur [Y] à payer à son ancien employeur la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

La procédure a été clôturée suivant ordonnance du 7 avril 2022.

MOTIFS DE L'ARRET

Sur la validité du licenciement

Monsieur [N] [Y] soutient qu'ayant refusé une rupture conventionnelle, il a été licencié sans qu'une cause réelle et sérieuse ne puisse lui être opposée au moyen d'une lettre de licenciement n'énonçant aucun motif précis.

En premier lieu, il souligne qu'en le licenciant, sans l'avoir sanctionné au préalable, l'employeur s'est mis en infraction avec l'article 33 de la Convention Collective Nationale des Etablissements et Services pour Personnes Inadaptées et Handicapées du 15 mars 1966 qui prévoit, que, quelque soit le licenciement, sauf en cas de faute grave, 'il ne pourra y avoir de mesure de licenciement à l'égard d'un salarié si ce dernier n'a pas fait l'objet précédemment d'au moins deux des sanctions ci-dessus (l'observation, l'avertissement, la mise à pied avec ou sans salaire pour un maximum de trois jours) prises dans le cadre de la procédure légale', de sorte que le licenciement doit être qualifié d'abusif.

Le salarié indique également que Monsieur [C], Président de l'association SAUVEGARDE 13, signataire de la lettre de licenciement, n'est pas le décisionnaire, qui est en réalité Monsieur [D], directeur général, ce qui rend également le lienciement abusif.

En second lieu, Monsieur [Y] estime que l'association SAUVEGARDE 13 n'énonce ni ne justifie d'aucun fait précis et matériellement vérifiable établissant une insuffisance professionnelle de sa part. Il rappelle que, contrairement aux affirmations de l'employeur, il a contribué à l'élaboration du futur shéma départemental dans le cadre de l'association inter parcours, mais qu'il a été exclu de certaines réunions ou partenariat, par la direction générale.

Il expose avoir réuni régulièrement ses directeurs, tel qu'il résulte des pièces versées aux débats mais souvent sans convocation, ordre du jour, ou compte-rendu. Il indique s'être saisi dès son arrivée des difficultés des salariés sur la pénibilité du travail, les avoir relayées, et tenté de les résoudre notamment concernant l'IME. Il indique encore avoir animé et suivi les projets concernant l'extension du SAVS, du [4], mais que les objectifs n'étaient pas réalisables, de même pour les 'décisions à enjeux' relevées dans la lettre de licenciement. Enfin, il soutient avoir travaillé en collaboration avec la direction et avoir toujours eu une attitude loyale.

L'Association SAUVEGARDE 13 fait valoir que les dispositions de l'article 33 de la convention collective ne s'appliquent pas en cas de licenciement pour insuffisance professionnelle, mais uniquement pour les licenciement disciplinaires.

Elle indique que le Président de l'Association, Monsieur [C], était pleinement responsable de la décision de licencier Monsieur [Y], même s'il a regretté ne pouvoir le rencontrer pour le lui annoncer. Elle indique qu'elle justifie pleinement des insuffisances exposées dans la lettre de licenciement. Monsieur [Y] n'a ainsi pas établi de stratégie de pôle, ni rédigé de projet de pôle, alors qu'il s'agit d'une mission prévue au document unique de délégation. Il ne s'est pas positionné sur le futur shéma départemental, il n'a pas travaillé sur la réforme SERAFIN PH alors qu'il était techniquement en charge de la constitution des budgets d'établissements. Il n'a effectué que 6 réunions de Direction de Pôle entre septembre 2015 et juin 2016 et ne s'est pas positionné comme une personne ressource et aidante pour les directeurs. Il ne s'est pas mobilisé pour faire aboutir les projets des établissements du Pôle (extensions de 15 places en SAVS, 4 places en foyer hébergement, prise en compte du statut des adultes viellissant au [4]), a été en échec sur les projets du Foyer de vie d'[Localité 2], du FAM [6] et du FAM Autiste et a pris des décisions inadéquates concernant des 'projets à enjeux'. Enfin, en juin 2016, des directeurs ont fait part de l'attitude et des propos tenus par l'appelant à l'encontre de Monsieur [D], directeur général, lors d'une réunion, se montrant frondeur et déloyal.

***

L'insuffisance professionnelle est caractérisée par l'incapacité, d'un point de vue professionnel, du salarié à accomplir le travail qui lui est donné.

Elle ne peut être retenue que lorsque l'employeur justifie avoir assuré l'adaptation du salarié à l'évolution de son emploi.

L'insuffisance constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement lorsque l'appréciation faite par l'employeur repose sur des faits objectifs, précis, imputables au salarié et matériellement vérifiables.

La lettre de licenciement notifiée par l'association SAUVEGARDE 13 à Monsieur [N] [Y] le 6 juillet 2016, fixant les limites du litige, est ainsi libellée :

« Nous avons le regret de vous informer que nous sommes contraints de vous notifier par la présente votre licenciement pour cause réelle et sérieuse. Cette décision repose sur les insuffisances professionnelles constatées pour les motifs ci-après exposés :

Malgré l'importance de votre poste et des missions confiées, vous ne répondez pas aux attentes de l'Association. Toute votre attention devrait être dédiée à la qualité de vos actions et le leadership dans ce domaine, ce qui n'est pas le cas.

Il s'avère gue vous n'animez pas le Pôle Médico-social dont vous êtes le Directeur. Aucune stratégie de Pôle n'a été proposée, à tel point que le projet de Pôle n'a pas été rédigé, et que notre demande de positionnement du PMS sur le Futur Schéma Départemental et la réforme Seraphin PH est restée sans réponse.

Nous avons été contraints d'organiser une réunion du CER le 8 juin 2016 et d'y inviter des administrateurs et des chefs d'établissements pour en présenter les importants enjeux pour votre pôle.

Entre septembre 2015 et juin 2016, seules 6 réunions de Direction pour le pôle ont été tenues.

Aucune convocation, ordre du jour n'est établi. La Direction générale ne reçoit aucun compte rendu, pas plus que les Directeurs. Ces derniers sont laissés dans le doute de vos présences à ces réunions, et certaines annulées sans raison.

Vous vous déplacez peu sur les établissements et services, ce qui interpelle quant à l'accomplissement de vos missions de contrôle. Vous ne réunissez pas les équipes de cadres des établissements et vous ne demandez pas aux chefs d'établissements d'organiser, en votre présence, des rencontres avec les salariés.

Paradoxalement, les Directeurs qui espèrent disposer d'une personne ressource aidante se retrouvent confrontés aux difficultés engendrées par votre manque de prévision comme, par exemple, les difficultés relatives à la comptabilisation des temps de travail sur I'IME.

Votre inaction a conduit à laisser certains Directeurs seuls pour résoudre leurs problématiques, et, par exemple, s'agissant de l'extension de 15 places du SAVS, de celle de 4 places en foyer d'hébergement éclaté, de la situation des adultes vieillissants au Foyer Les Chênes. Vous ne vous êtes pas investi dans ces projets et ne participez pas activement à leur soutien.

Certains dossiers sont un échec comme la mise en place du Foyer de Vie d'[Localité 2], la création du FAM [6], l'appel à projets pour le FAM « Autistes », où notre Association n'a pas été retenue. Entre autres raisons, il est évident que votre faible capacité à réunir les acteurs, soutenir les actions, et faire 'uvre de persuasion a concouru à ces échecs.

D'autres dossiers n'occasionnent aucune prise en charge telle que la situation de I'IME [5] pour laquelle la Direction Générale n'a reçu aucune proposition de nature à mettre en place un départ des lieux, malgré nos fréquentes alertes sur la nécessité de mener une réflexion sur ce projet de relocalisation.

Vous n'avez organisé aucune réunion ni avec la directrice, ni avec la responsable du lieu d'accueil et encore moins avec l'équipe d'accueil en vue de proposer un parti pris architectural, une recherche de localisation, un projet d'établissement et un plan de financement.

La Direction Générale est contrainte de palier vos carences dans d'autres dossiers qui ont nécessité une réorientation décidée dans l'urgence compte tenu du caractère inadéquat des choix, et, par exemple, la rénovation du Gymnase de I'IME.

Nous déplorons votre inaction sur des dossiers sources de responsabilité et aux forts enjeux budgétaires tels que la mise en 'uvre de l'accessibilité des établissements et services ou le plan de conduite de l'évaluation interne et externe.

Ces échecs, délaissements, et choix inadéquats caractérisent votre incapacité à occuper le poste confié outre un manque d'investissement manifeste.

Enfin, sur des sujets à propos desquels vous devriez être faire preuve d'exemplarité comme notamment en matière de respect de la gouvernance associative et des instances représentatives du personnel, le trouble est particulièrement prégnant.

C'est ainsi que ne sont pas tenues de manière adéquates les réunions du CE et du CHSCT contrairement aux relances des services support RH qui vous ont à maintes reprises sollicité afin de préparer ces réunions. Dernièrement, aucune démarche n'a été entreprise s'agissant du déménagement des locaux du CHSCT, malgré notre demande. Nos interlocuteurs représentants du personnel ont pourtant fait connaître par la voie judiciaire leur attachement à leur consultation préalable.

Nous avons eu à connaître de votre positionnement déloyal vis-à-vis de la Direction Générale contre laquelle vous avez délibérément tenté d'entraîner certains directeurs de votre pôle.

Ceux-ci, qui ont eu connaissance de votre positionnement au mois de septembre 2015, ont été déstabilisés par la poursuite de cette attitude à tel point qu'ils ont souhaité s'en ouvrir auprès de la Direction Générale pour faire cesser le trouble.

Ceci va très directement à l'encontre de la collaboration étroite, loyale et sincère que vous devez entretenir avec la Direction Générale.

Ceci va également à l'encontre des modalités d'animation associative qui sont strictement définies par nos statuts et notre règlement intérieur que vous devez de respecter, et faire respecter. Vous ne pouvez pas ignorer l'intérêt pour notre Association de parvenir à retrouver un climat social favorisant la discussion, ce à quoi l'esprit « frondeur » généré autour de vos agissements contrevient.

Dans ces circonstances, il nous est impossible de vous maintenir dans notre Association et nous vous notifions par la présente votre licenciement' ».

Sur les irrégularités de fond alléguées

Il ressort de l'examen de la lettre de licenciement ainsi reproduite que, contrairement aux dires du salarié appelant, celle-ci comprend des motifs suffisamment précis, permettant à la cour de dire qu'elle satisfait aux exigences légales de motivation.

Par ailleurs, si le licenciement de Monsieur [Y] a été proposé par Monsieur [D] en sa qualité de directeur genéral de l'association, il ne peut être déduit de la lecture du mail adressé le 12 juillet 2016 par Monsieur [C] Président de l'association SAUVEGARDE 13, aux membres de la direction, qu'il n'était pas le décisionnaire du licenciement pour insuffissance professionnelle de Monsieur [Y], celui-ci exprimant simplement ses regrets sur le fait que le salarié ne se soit pas rendu à l'entretien préalable pour en débattre.

Le licenciement ne peut donc être déclaré abusif sur ce motif.

Monsieur [Y] invoque encore la violation des dispostions de l'article 33 de la convention collective, estimant avoir été licencié alors même qu'il n'avait pas été sanctionné à deux reprises au préalable, comme le prévoit pourtant les textes conventionnels applicables.

L'article 33 de la convention collective national de travail des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966 prévoit que, 'sauf en cas de faute grave, il ne pourra y avoir de mesure de licenciement à l'égard d'un salarié si ce dernier n'a pas déjà fait l'objet d'au moins deux des sanctions prévues par cet article, dans le cadre de la procédure légale'.

La chambre sociale juge que lorsque le licenciement a été initialement prononcé pour faute grave, le juge qui considère qu'aucune faute grave n'est caractérisée ne peut retenir l'existence d'une cause réelle et sérieuse de licenciement sans avoir vérifié si le licenciement en cause avait été précédé de deux sanctions disciplinaires de moindre importance. C'est le cas de la jurisprudence de la chambre sociale de la cour de cassation du 3 novembre 2016 invoquée par l'appelant.

En revanche, les dispositions de l'article 33 de la convention collective du 15 mars 1966 ne sont pas applicables lorsque le licenciement est prononcé pour une autre cause qu'un motif disciplinaire, notamment pour insuffisance professionnelle (Soc. 25 octobre 1990, N 88-42.563, Bull. n 506 ; Soc. 11 janvier 2012, N 10-10.715 ; Soc. 23 juin 2015, N 14-16.628).

En l'espèce, Monsieur [Y] ayant été licencié pour insuffisance professionnelle, les dispositions de l'article 33 de la convention collective du 15 mars 1966, ne lui sont pas applicables.

Sur la caractérisation de l'insuffisance professionelle

Sur l'animation du pôle médico-social

Invoquant les missions assignées à Monsieur [Y] au titre du document unique de délégation, de sa fiche de poste et de sa lettre de mission du 15 avril 2013, l'association SAUVEGARDE 13 reproche à Monsieur [Y] de lui avoir transmis tardivement et sur demande, le 11 février 2016, les orientations stratégiques du pôle médico-social, consistant en un copier-coller des rapports des dispositifs du pôle rédigés par les cadres de la direction, sans aucune plus value. Elle allègue également l'absence de positionnement du pôle médico-social sur le futur shéma départemental, indiquant que son directeur n'avait pas défini de véritable stratégie de pôle. Elle invoque enfin l'absence de travail sur la réforme tarifaire SERAFIN PH et le très faible nombre de réunions de direction de pôle organisées entre l'automne 2015 et l'été 2016, estimant qu'il n'animait pas le pôle médico-social.

Or s'il ressort de la mission de Monsieur [Y], en qualité de directeur de pôle, tel que définie dans le document unique de délégation, de participer à l'élaboration ou à l'actualisation des projets d'établissements et de services qui composent le pôle qu'il dirige, l'employeur ne démontre pas qu'il lui appartenait, dès son entrée en fonction, de rédiger un document élaborant une stratégie de pôle.

La cour relève que, lorsque Monsieur [D], directeur général, lui a demandé par mail du 8 février 2016 de lui présenter une note au sujet de sa statégie de pôle, Monsieur [Y] s'est exécuté rapidement puisqu'il lui a adressé une note intitulée 'les enjeux stratégiques du pole médico-social de sauvegarde 13" dès le 11 février 2016, dont l'employeur n'établit pas qu'il s'agirait d'une simple reprise de dispositifs élaborés par la direction, sans apport personnel, ni mise en perspective de la part de l'appelant.

S'agissant de la position du pole médico-social sur le futur shéma départemental, il est constant que l'association SAUVEGARDE 13 a été interpellée par Mme [K], la coordinatrice d'Inter Parcours Handicap 13 suivant mail du 15 mars 2016 pour obtenir une réponse le 25 mars 2016 sur ce qui a été fait, reste à faire et les propositions pour l'avenir en matière de handicap. Si Monsieur [Y], sollicité par le directeur général par mail du 17 mars 2016, ne justifie pas avoir apporté une réponse directement à ce dernier, il produit le rapport du 26 mai 2015 de Parcours Handicap faisant état des éléments de bilan remontés par les adhérents, ainsi que la synthèse du 13 mai 2016 établie en ce sens, lesdits documents mentionnant expressément la collaboration de l'association SAUVEGARDE 13, au même titre que les 15 autres organismes adhérents. Ainsi l'employeur n'établit pas que Monsieur [Y] n'aurait pas personnellement collaboré à l'élaboration du futur shéma départemental.

S'agissant de la mise en place de la réforme tarifaire SERAFIN PH, consistant en une modification des modalités d'allocation des ressources aux personnes handicapées, si le directeur général a adressé un mail le 16 mars 2016 aux responsables de pôle pour les informer qu'il rencontrerait la directrice du projet le 6 avril et les a sollicités sur les questions qu'ils aimeraient lui poser, il ne peut être reproché à Monsieur [Y] de ne pas s'être saisi immédiatement de cette question, dans la mesure où il est constant que le tableau de bord de cette mesure ne devait être finalisé qu'en 2018.

S'agissant de l'organisation des réunions, le document unique de délégation (DUD) prévoit que 'le directeur de pôle anime la réunion des directeurs dont il définit la fréquence, le contenu et dont il assure le compte-rendu'.

Alors que l'employeur fait grief à l'appelant de n'avoir organisé que 6 réunions des directeurs d'établissements ou de services entre l'automne 2015 et l'été 2016, les 9/09, 16/09, 25/11, 20/01, 9/02 et 9/03, Monsieur [Y] qui n'est en mesure de produire que les convocations, ordre du jour et compte-rendu des réunions de septembre et d'octobre 2015 et la convocation avec ordre du jour de la réunion du 20 janvier 2016, explique avoir tenu régulièrement des réunions avec les directeurs (et les administrateurs), sans convocation, ni compte-rendu, ce que ne conteste pas l'employeur. Aussi, alors qu'il fixe lui même la fréquence des réunions, il ne peut lui être reproché de ne pas avoir suffisamment animé le pôle, ou tout au plus de ne pas en avoir rendu compte systépatiquement et ce d'autant plus que l'employeur n'a jamais depuis l'automne 2015, rappelé Monsieur [Y] à l'ordre sur son obligation d'assurer un compte rendu écrit des réunions.

Sur le soutien au personnel et l'information des institutions représentatives du personnel

Alors que le climat social était tendu au sein de l'association SAUVEGARDE 13, l'employeur reproche à Monsieur [Y] d'avoir provoqué une réunion le 28 septembre 2015 entre un représentant de l'organisation syndicale CGT, la directrice de l'IME [7], Mme [E] [F], les chefs de services, ainsi que l'assistante de direction, au sujet de la mise en place du logiciel de gestion du temps de travail des salariés (Agiltime) sans l'avoir préparée, de sorte que les chefs de service de l'IME auraient eu le sentiment d'une 'embuscade' et que la réunion aurait 'dérapée', certains propos tenus conduisant l'organisation syndicale CGT à émettre des tract à l'encontre de la direction et à saisir l'inspecteur du travail. Monsieur [Y] n'aurait alors pas soutenu sa directrice.

La cour constate, au vu des documents produits par le salarié (compte-rendu de réunion CE, note des cadres de l'IME en décembre 2013) que l'utilisation du logiciel Agiltime voulue par la direction avant l'arrivée de Monsieur [Y], était très problématique et chronophage, de sorte qu'il était légitime d'organiser une rencontre à ce sujet, suite à plusieurs sollicitations des syndicats sur cette question de gestion du temps de travail des personnels.

En l'espèce, l'employeur ne démontre pas l'impréparation de la réunion tenue à l'IME le 28 septembre 2015 et Monsieur [Y] ne peut être tenu responsable de l'envenimement du climat social, déjà très tendu à cette époque. De même, alors qu'il a envoyé un courrier le 2 octobre 2015 à Mme [F], directrice de l'IME, lui rappelant la conduite à tenir quant à l'exploitation du logiciel au regard des règles applicables issues de la législation du travail, l'association ne caractérise pas le 'manque de soutien' allégué.

L'employeur fait encore grief à Monsieur [Y] de ne pas avoir informé et consulté les représentants du personnel quant au déménagement du siège social. Or si Monsieur [D] a adressé un mail à l'appelant le 23 mars 2016, lui demandant de 's'engager dans une démarche d'information des IRP' au sujet du déménagement, force est de constater qu'il a animé une réunion du CE PMS (pôle médico social) le 18 avril 2016 en partie sur ce thème et que Monsieur [D] a dû prendre le relais en juillet 2016, compte tenu du licenciement de Monsieur [Y].

L'employeur fait encore valoir que l'appelant ne s'est pas assez mobilisé pour faire aboutir les projets des établissements du pôle (extension de 15 places au SAVS, 4 places en foyer d'hébergement et prise en compte du statut des adultes viellissant du Foyer des chênes).

Cependant l'examen du compte-rendu CE PMS du 18 avril 2016 montre qu'un dossier a été remis par Monsieur [Y] aux élus du CE sur le projet d'extension de 15 places pour le services SAVS sur le secteur de Berre et qu'il ne peut lui être reproché le refus opposé par les élus du CE suivant vote consigné dans le compte rendu du 26 mai 2016. Les deux autres exemples cités par l'association SAUVEGARDE 13 ne sont pas étayés.

Sur le comportement déloyal

L'association SAUVEGARDE 13 soutient également que Monsieur [Y] s'est montré déloyal et a tenté de diriger les directeurs d'établissements du pôle 'dans la voie d'un esprit frondeur' à compter de septembre 2015 à l'occasion d'un déjeuner puis au cours du premier semestre 2016, ayant ouvertement critiqué la personne du directeur général Monsieur [D], ainsi que la manière dont il exerçait ses fonctions.

Elle verse aux débats quatre courriers adressés à M [D] émanant de quatre des cinq directeurs d'établissements ou de services du pôle médico-social : Madame [M], Mme [F], Monsieur [O] et Monsieur [Z], datés du 8 juin 2016, expliquant le trouble ressenti dans leurs missions face aux propos de Monsieur [Y] mettant en cause le directeur général.

Si ces courriers, dont la force probante ne peut être remise en cause, témoignent d'un malaise existant dans les relations entre le directeur général Monsieur [D] et le directeur du PMS, Monsieur [Y], notamment au sujet du contour des attributions de la fiche de poste de ce dernier, la cour constate que les propos tenus, ne peuvent caractériser un motif d'insuffisance professionnelle.

L'employeur fait grief à Monsieur [Y] d'avoir échoué dans ses missions et notamment la rénovation du gymnase de l'IME [7], que le directeur général a dû reporter en 2017. Or les mails versés aux débats échangés avec la directrice de l'établissement les 26 et 30 mai 2016 témoignent au contraire de l'avancée du projet à cette époque (obtention du permis de construire, démarrage des travaux prévus mi-octobre 2016), de sorte que le report de cette mission ne peut être imputé à l'appelant.

Encore, il estime que Monsieur [Y] a échoué, par manque d'investissement, dans la mission tenant à la relocalisation de [5], à l'accessibilité des établissements et services, à la conduite de l'évaluation du pôle, à la construction de la Halle d'Accueil de L'IME [7], alors que ces missions figuraient dans le document unique de délégation (DUD) et lui avaient été rappelées par courrier du 2 novembre 2015.

Cependant, il s'agit de missions d'envergure ne pouvant se traiter en l'espace de quelques mois. Monsieur [Y] fait valoir que la relocalisation de [5] nécessitait de trouver un terrain afin d'assurer une nouvelle construction et que l'immobilier n'offrait aucune opportunité à ce moment là. Il expose également que l'agenda concernant l'accessibilité n'a été déposé que fin 2015 et qu'il ne pouvait faire un bilan sur l'année civile 2016, ayant été licencié en juillet 2016. Il justifie de l'évaluation externe débutée en février 2014 par un appel d'offre et dont les résultats ont été présentés lors d'une réunion CE du 12 mai 2015. Enfin, Monsieur [Y] a présidé dès le 17 septembre 2015 une consultation du CHSCT sur le sujet de la halle d'accueil de l'IME [7].

Il ne peut donc être valablement retenu à l'encontre de l'appelant un manque d'investissement ayant conduit à l'échec de ces dossiers.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que l'association SAUVEGARDE 13 n'établit pas, comme elle l'allègue, des faits de nature à caractériser l'insuffisance professionnelle de Monsieur [Y].

En conséquence, il y a lieu de constater que le licenciement de Monsieur [N] [Y] ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse.

La décision du conseil de prud'hommes de Marseille sera infirmée de ce chef.

Sur la demande indemnitaire

Monsieur [Y] sollicite la condamnation de son employeur à lui verser une somme de 140.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice lié à la perte de son emploi.

Licencié par courrrier du 6 juillet 2016, il a demandé à être dispensé de l'exécution du préavis de 6 mois car il indique avoir rapidement retrouvé un autre emploi. Il soutient cependant que ce nouvel emploi lui procurerait une baisse de salaire de 550 euros par mois, lui aurait fait perdre des avantages en nature liés à sa fonction au sein de l'association SAUVEGARDE 13 (logement et véhicule de fonction) et l'aurait obligé à financer de nouvelles charges.

La cour constate toutefois qu'il ne produit aucune pièce relative à son nouvel emploi (contrat de travail, bulletin de salaire), ni son surcroit de charges, permettant de démontrer son préjudice financier.

Il n'est pas contesté par l'employeur que l'Asocciation SAUVEGARDE 13 employait plus de 10 salariés et que Monsieur [N] [Y] disposait d'une ancienneté de 3 années, soit supérieure à deux ans, au moment de la rupture de son contrat de travail. Les dispositions de l'article L1235-3 du code du travail, dans leur version applicable au présent litige, trouvent à s'appliquer, de sorte qu'à défaut de réintégration, le salarié licencié pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, a droit à des dommages et intérêts dont le montant ne peut être inférieur aux salaires des six derniers mois.

Compte tenu de son âge au moment de la rupture du contrat de travail (57 ans), de son ancienneté dans l'association (3 ans), de sa qualification, de sa rémunération mensuelle moyenne (6.108,36 euros bruts), des circonstances de la rupture, de sa situation rapide de réemploi et de l'absence de justification du préjudice financier qu'il invoque, il convient de lui accorder la somme de 37.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur la capitalisation des intérêts

La somme allouée au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse portera intérêts au taux légal à compter du présent arrêt et les intérêts se capitaliseront, à condition qu'ils soient dus pour une année entière conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil.

Sur les frais irrépétibles et les dépens:

L'équité commande d'infirmer le jugement de première instance relativement aux frais irrépétibles, de faire application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel et d'allouer à ce titre la somme de 2.000 euros à Monsieur [N] [Y]

L'employeur, qui succombe, doit être tenu aux dépens de première instance, par infirmation du jugement entrepris, et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile et en matière prud'homale,

Infirme le jugement du conseil de prud'hommes de Marseille en date du 17 septembre 2018 en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau des chefs infirmés :

Dit que le licenciement de Monsieur [N] [Y] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

Condamne l'Association SAUVEGARDE 13 à payer à Monsieur [N] [Y] la somme de 37.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Dit que la somme allouée au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse portera intérêts au taux légal à compter du présent arrêt et que les intérêts se capitaliseront, à condition qu'ils soient dus pour une année entière conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil,

Condamne l'association SAUVEGARDE 13 à payer à Monsieur [N] [Y] une somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne l'association SAUVEGARDE 13 aux dépens de première instance et d'appel,

LE GREFFIER Mme Stéphanie BOUZIGE, Pour le Président empêché


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-1
Numéro d'arrêt : 18/15423
Date de la décision : 01/07/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-07-01;18.15423 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award