COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Indemnisation de la détention provisoire
DECISION AU FOND
DU 29 JUIN 2022
N° 2022/ 39
N° RG 21/00035 - N° Portalis DBVB-V-B7F-BH3N7
[N] [W]
C/
LE PROCUREUR GENERAL
AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT
copie exécutoire délivrée
le 29 juin 2022
à Me CARLOTTI, avocat
Décision déférée à la Cour :
Décision en matière de réparation du préjudice subi à raison d'une détention provisoire rendue le 29 juin 2022 prononcée sur requête déposée le
26 juillet 2021.
DEMANDEUR A LA REQUÊTE
Monsieur [N] [W]
né le 19 mars 1975 à AIX EN PROVENCE (13090), demeurant 6 Bd Docteur Schweitzer - 13090 AIX EN PROVENCE
comparant en personne
assisté de Me Elis CARLOTTI, avocat au barreau de MARSEILLE
DEFENDEUR A LA REQUÊTE
AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT, demeurant 6 rue Louise Weiss - Bâtiment Condorcet - Télédoc 351 - 75703 PARIS CEDEX 13
représenté par Me Eric TARLET de la SCP LIZEE PETIT TARLET, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
En présence de madame la procureure générale, en la personne de monsieur Jean-Pierre BUFFONI, avocat général, lequel a été entendu en ses réquisitions.
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DÉBATS ET DÉLIBÉRÉ
L'affaire a été débattue le 13 juin 2022 en audience publique devant Anne SEGOND, présidente de chambre déléguée par ordonnance de monsieur le premier président.
En présence de madame la procureure générale à laquelle l'affaire a été régulièrement communiquée, en la personne de monsieur Jean-Pierre BUFFONI, avocat général, lequel a été entendu en ses réquisitions.
Greffier lors des débats : Florence CHUPIN faisant fonction et assermentée
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 29 juin 2022.
DECISION
Contradictoire,
Prononcée par mise à disposition au greffe le 29 Juin 2022,
Signée par Anne SEGOND, présidente et Florence CHUPIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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Par requête réceptionnée le 26 juillet 2021, [N] [W] a sollicité la réparation du préjudice subi à la suite d'une détention provisoire d'une durée de 7 mois 6 jours du 30 avril 2019 au 6 décembre 2019.
Aux termes de sa requête initiale, il sollicitait les sommes suivantes:
- 40.000 € au titre du préjudice moral,
- 7.606 € au titre de la perte de salaires,
- 1.700 € au titre de l'article 700 du NCPC
Aux termes de son mémoire complémentaire, il sollicitait les sommes suivantes:
- 75 000 € au titre du préjudice moral
- 24 255 € au titre du préjudice matériel
- 6 000 € au titre des frais d'avocat
- 2 000 € au titre de l'article 700 du NCPC
Vu les conclusions de l'Agent Judiciaire de l'Etat en date du 22 avril 2022 tendant à voir déclarer la requête irrecevable faute de production d'un certificat de non-recours, mais à titre subsidiaire proposant d'allouer au requérant la somme de 7 000 € au titre du préjudice moral, de rejeter la demande au titre du préjudice matériel et de réduire la demande au titre de l'article 700;
Vu les conclusions du procureur général en date du 25 avril 2022 tendant également à l'irrecevabilité de la requête, et à la réduction de la somme réclamée au titre du préjudice moral et de l'article 700 et au rejet de la demande au titre du préjudice matériel ;
Vu les conclusions et pièces adressées par le conseil du requérant le 31 mai 2022 ;
Vu les observations des parties à l'audience du 13 juin 2022 ;
EN LA FORME
Formulée dans le délai légal, la requête est recevable en application des articles R 26 et 149-2 du code de procédure pénale.
AU FOND
Ayant subi une détention provisoire à l'occasion d'une procédure pénale du chef de participation à un groupement formé, à une entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, du crime d'importation et de stupéfiants en bande organisée, le requérant, qui a bénéficié d'une décision de relaxe rendue le 22 janvier 2021 par le tribunal correctionnel d'Aix-en-Provence est bien fondé à solliciter la réparation du préjudice directement causé par cette privation de liberté d'une durée de 7 mois 6 jours.
Préjudice matériel
Il sollicite 10.649 € au titre d'une perte de chance de percevoir des salaires pendant une période de 7 mois, et 7.606 € au titre d'une perte de salaires pendant une période de 5 mois, soit à compter du 8 juillet 2019, date de la promesse d'embauche.
La promesse d'embauche alléguée est justifiée sur la base d'un revenu mensuel brut de 1.521, 22 €, soit sur la base d'un revenu net de 1.140 €. Une somme de 5.704 € lui sera allouée de ce chef.
Il indique par ailleurs qu'il occupait à sa sortie de détention un emploi de cuisinier au sein d'une association et qu'il a été placé en arrêts maladie successifs depuis mars 2020 suite à un entorse du genou droit, dont on voit mal en quoi elle serait consécutive à la détention provisoire abusive.
Aucune somme ne lui sera allouée au titre de la perte de chance alléguée.
En ce qui concerne les honoraires d'avocat, seuls ceux en lien avec le contentieux de la détention peuvent être indemnisés.
Figurent au dossier du requérant,
- 2 feuillets recto verso d'un document intitulé ' convention d'honoraires', concernant à hauteur de 1.600 € la phase d'instruction, avec une majorité d'actes liés à la détention. N'est pas produite la dernière page datée et signée de cette convention, une autre dernière page datée du 27 mai 2021 et signée n'étant manifestement pas relative au même document. ( cf police, paragraphes...). Cette convention produite de façon incomplète ne saurait en conséquence constituer un justificatif recevable.
- Une facture du 21 juin 2019 de 500 € dont 150 € correspond à une visite parloir avocat.
Au regard de ces éléments, seule la somme de 150 € sera allouée.
Préjudice moral
Le requérant fait notamment valoir au soutien de sa demande de ce chef que sa compagne avec qui il vivait depuis une vingtaine d'années a pris la décision de le quitter définitivement et qu'il a été tenu éloigné de ses proches domiciliés sur les Bouches du Rhône, alors qu'il était incarcéré à Draguignan, et notamment de sa grand mère qu'il n'a pu assister en sa fin de vie, celle ci étant décédée courant juin 2021.
Il produit une attestation de sa compagne d'alors, laquelle fait état du comportement de M. [W] lors de sa détention et de ce qu'elle l'a quitté, car il avait trop changé, étant devenu fermé et solitaire.
Concernant sa grand mère, s'il n'a pu l'assister pendant le temps de la détention, il a fort heureusement pu être présent à ses côtés durant les 18 mois ayant précédé son décès.
Il justifie d'un état anxio dépressif pour lequel il suit un traitement depuis le mois de février 2021 et qui serait, d'après ses déclarations à son médecin, consécutive à l'incarcération abusive subie.
Il a par ailleurs un casier judiciaire mentionnant 19 condamnations dont plusieurs à des peines d'emprisonnement ferme qui ont été mises à exécution, la dernière incarcération pour une peine d'un an ferme ayant été exécutée d'avril 2018 à mars 2019, soit très peu de temps avant sa détention provisoire abusive.
Compte tenu de ces éléments, son préjudice moral sera justement réparé par l'allocation de la somme 15.000 € .
Frais irrépétibles
Il est inéquitable de laisser à la charge de [N] [W] le montant des frais irrépétibles qu'il a dû exposer dans la présente procédure et qui seront évalués à la somme de
1.000 €
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PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, par décision contradictoire et en premier ressort;
Déclare la requête en réparation du préjudice causé suite à la détention provisoire subie par [N] [W], recevable.
Fixe à la somme de 15 000 € (quinze mille euros) le préjudice moral subi par [N] [W]
Fixe à la somme de 5 704 € (cinq mille sept cent quatre euros) le préjudice matériel subi par [N] [W] et à la somme de 150 € (cent cinquante euros) les frais d'avocat.
Fixe à la somme de 1 000 € (mille euros) l'indemnité de procédure
Laisse les dépens à la charge du Trésor public.
Le greffier,La présidente,