COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-8
ARRÊT AU FOND
DU 29 JUIN 2022
N° 2022/ 315
N° RG 20/06417
N° Portalis DBVB-V-B7E-BGAWP
[T] [X]
C/
PAYS D'AIX HABITAT METROPOLE
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Raski ZERROUKI
Me Patrick CAGNOL
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal Judiciaire d'Aix-en-Provence en date du 12 Juin 2020 enregistrée au répertoire général sous le n° 11-19-0007.
APPELANT
Monsieur [T] [X]
né le 08 mars 1973 à MAUBEUGE, demeurant Rue du Loubatas, Résidence Loubatas Bâtiment C - 13860 PEYROLLES EN PROVENCE
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/008067 du 05/11/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de AIX-EN-PROVENCE),
représenté par Me Raski ZERROUKI, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
INTIMEE
PAYS D'AIX HABITAT METROPOLE
ayant son siège social sis L'Ourmin CS 60455 - 9 rue du Château de l'Horloge 13096 AIX-EN-PROVENCE CEDEX 2, agissant poursuites et diligences de son Directeur Général en exercice domicilié ès qualités audit siège
représentée par Me Patrick CAGNOL de l'ASSOCIATION CM AVOCATS MARSEILLE, avocat au barreau de MARSEILLE, ayant pour avocat plaidant Me Audrey CIAPPA, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 05 Avril 2022 en audience publique devant la cour composée de :
Monsieur Philippe COULANGE, Président
Madame Céline ROBIN-KARRER, Conseillère
Monsieur Jean-Paul PATRIARCHE, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Maria FREDON.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 29 Juin 2022.
ARRÊT
Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 29 Juin 2022, signé par Monsieur Philippe COULANGE, Président et Madame Maria FREDON, greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE ANTÉRIEURE
Suivant contrat conclu le 20 octobre 2011, l'Office public dénommé PAYS D'AIX HABITAT METROPOLE a donné à bail d'habitation à Monsieur [T] [X] un logement de type 2 situé au deuxième étage du bâtiment C de la résidence Loubatas, située chemin du Loubatas à Peyrolles-en-Provence (13860).
A compter de l'année 2014, l'Office a été saisi de plusieurs plaintes émanant d'autres locataires, faisant état d'un comportement agressif et inadapté de la part de M. [X], ainsi que de tapages diurnes et nocturnes réguliers.
Une mesure de médiation a été entreprise dans le courant de l'année 2017 entre les différents protagonistes, qui n'a pas permis de remédier aux difficultés.
Parallèlement deux plaintes pénales ont été déposées par l'un des voisins, l'une pour des faits de dégradations volontaires, et l'autre pour harcèlement moral, et ont donné lieu à des condamnations de M. [X], la seconde à une peine d'emprisonnement ferme.
Après un dernier avertissement écrit adressé par le 13 avril 2018, la commission ad'hoc siégeant auprès de l'Office a décidé dans sa séance du 28 juin 2018 d'engager des poursuites à l'encontre de ce locataire.
Par acte du 5 juin 2019, l'Office PAYS D'AIX HABITAT METROPOLE a donc fait assigner Monsieur [T] [X] à comparaître devant le tribunal d'instance d'Aix-en-Provence pour entendre prononcer la résiliation judiciaire de son bail en raison de manquements graves à son obligation de jouissance paisible des lieux et ordonner son expulsion.
Il a été fait droit à cette action aux termes d'un jugement contradictoire rendu le 15 juin 2020 par la juridiction saisie, devenue entre-temps le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire, et assorti de l'exécution provisoire.
Le défendeur a relevé appel de cette décision par déclaration adressée le 13 juillet 2020 au greffe de la cour.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Dans ses conclusions d'appel notifiées le 12 octobre 2020, Monsieur [T] [X] soutient en premier lieu que le tribunal aurait violé les dispositions de l'article 25 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et de l'article 43-1 du décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 pris pour son application, en refusant de surseoir à statuer dans l'attente de l'issue de sa demande d'admission à l'aide juridictionnelle, et méconnu ainsi les droits de la défense.
Sur le fond il conteste l'ensemble des griefs qui lui sont adressés, et produit plusieurs attestations émanant d'autres locataires de la résidence ou de tierces personnes indiquant qu'il est respectueux du voisinage et d'autrui.
Il fait également valoir que son expulsion aurait des conséquences manifestement disproportionnées sur sa situation personnelle du fait de son handicap, ainsi que sur celle de son fils majeur qu'il héberge depuis sa sortie de prison.
Il demande en conséquence principalement à la cour d'infirmer le jugement entrepris et de débouter l'Office des fins de son action.
A titre subsidiaire, il sollicite l'octroi d'un délai de grâce de 24 mois afin de pourvoir à son relogement, en application des articles L 412-3 et 412-4 du code des procédures civiles d'exécution.
Par conclusions récapitulatives et en réplique notifiées le 1er mars 2022, l'Office PAYS D'AIX HABITAT METROPOLE conclut pour sa part à la confirmation du jugement en toutes ses dispositions et s'oppose à l'octroi de délais de grâce, considérant que les faits dénoncés constituent une violation grave et renouvelée de l'obligation de jouissance paisible des lieux incombant au locataire en vertu de l'article 1728 du code civil et de l'article 7 b) de la loi du 6 juillet 1989.
Il ajoute que M. [X] présente un profil dangereux, et qu'il n'a entrepris aucune démarche en vue de se reloger.
Il réclame accessoirement paiement d'une somme de 1.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre ses dépens.
DISCUSSION
Sur la violation des textes régissant l'aide juridictionnelle :
En vertu de l'article 43-1 du décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 pris pour l'application de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, la juridiction avisée du dépôt d'une demande d'aide juridictionnelle est tenue de surseoir à statuer dans l'attente de la décision se prononçant sur celle-ci.
Toutefois en l'espèce les notes d'audience figurant au dossier transmis par la juridiction de première instance ne mentionnent pas que Monsieur [X] avait fait clairement état du dépôt de sa demande d'aide juridictionnelle le 9 mars 2020, mais indiquent simplement que celui-ci avait sollicité un report 'pour demander l'AJ', ce qui n'emportait pas les mêmes conséquences procédurales.
En outre, l'assignation ayant été délivrée dès le 5 juin 2019, et M. [X] ayant obtenu un premier report ordonné à l'audience du 11 octobre 2019, le premier juge a pu légitimement considérer qu'il avait bénéficié d'un délai suffisant pour organiser sa défense et retenir l'affaire à l'audience du 13 mars 2020, après l'avoir entendu en ses explications au fond.
En tout état de cause, il y a lieu de relever que l'appelant ne tire pas toutes les conséquences juridiques du moyen qu'il invoque dans la mesure où il ne conclut pas à la nullité du jugement, mais seulement à son infirmation.
Sur le fond :
Suivant l'article 1728 du code civil, le preneur est tenu d'user de la chose louée 'raisonnablement', ce qui implique notamment, dans les immeubles collectifs d'habitation, de respecter l'intégrité et la tranquillité des autres locataires.
L'article 7 b) de la loi du 6 juillet 1989 évoque de son côté l'obligation d'user 'paisiblement' des lieux loués.
En l'espèce, le bailleur produit aux débats plusieurs attestations émanant d'autres locataires de la résidence faisant état de nombreux troubles de voisinage occasionnés par M. [X] :
- Monsieur [UU] [XH] et son épouse, voisins de palier, attestent être régulièrement victimes d'insultes, de menaces, et de tapage perturbant gravement leur sommeil et celui de leurs enfants ; en outre M. [X] a été pénalement condamné à deux reprises pour des faits commis à leur encontre, la première fois par un jugement du tribunal de police rendu le 8 octobre 2018 pour dégradation volontaire du bien d'autrui, et la seconde par un arrêt de la chambre des appels correctionnels de la cour de céans prononcé le 7 juillet 2020 pour harcèlement moral ;
- Madame [D] [N] se plaint de nuisances sonores fréquentes et d'injures ;
- Monsieur [E] [F] et son épouse évoquent des cris poussés par le mis en cause dans les parties communes de la résidence, ainsi que des coups assénés violemment contre les murs et le sol de son appartement à toute heure du jour ou de la nuit, les réveillant en sursaut,
- Monsieur [JS] [U] soutient avoir reçu des menaces de mort, et fait également état de plusieurs dégradations commises sur des véhicules de la résidence ,
- Madame [A] [C] évoque un climat d'insécurité entretenu par l'intéressé,
- enfin Madame [W] [H] fait également état de ce même sentiment, et se plaint de fréquents tapages nocturnes et d'un comportement injurieux à son endroit.
Le bailleur a tenté une médiation qui n'a pas permis de remédier durablement à ces troubles.
Il ressort également des attestations susvisées que le comportement de M. [X] ne s'est pas amendé à l'issue de sa détention.
Il apparaît en outre que l'expertise psychiatrique effectuée dans le cadre de la procédure pénale a conclu à un profil dangereux du point de vue criminologique.
Les attestations produites en sens contraire par l'appelant émanent pour la plupart de personnes habitant soit dans d'autres bâtiments de la résidence Loubatas (Mesdames [MF] [RK] et [P] [Y], MM. [M] [B] et [L] [R] [K]), soit même en dehors de celle-ci (Madame [O] [V] et MM. [NX] [Z] et [I] [G]), de sorte qu'elles ne revêtent pas une valeur probante suffisante.
La seule attestation de M. [J] [S], domicilié au rez-de-chaussée du bâtiment C, indiquant n'avoir jamais constaté d'incivilités ou de nuisances sonores occasionnées par le mis en cause, ne suffit pas à mettre en doute la véracité des témoignages cités plus avant.
D'autre part, il n'est pas établi que l'expulsion de M. [X] emporterait des conséquences manifestement disproportionnées par rapport à ce qui lui est reproché, les documents médicaux produits aux débats faisant uniquement état d'un déficit de l'audition nécessitant un appareillage.
Enfin M. [X] ne saurait tirer argument du fait qu'il héberge son fils depuis sa sortie de prison pour échapper aux conséquences de sa responsabilité.
En vertu de l'article 1228 du code civil, il appartient aux juges du fond d'apprécier, selon les circonstances, si la gravité des manquements de l'une des parties à ses obligations justifie de prononcer la résolution judiciaire du contrat.
En l'espèce c'est à bon droit que le premier juge a considéré que les actes reprochés à M. [X] constituaient une violation grave et répétée de ses obligations, et généraient au sein de la résidence un climat de violence et d'insécurité incompatible avec la poursuite du contrat de bail.
C'est également à juste titre que le tribunal a retenu que l'urgence de la situation interdisait d'accorder au défendeur un délai de grâce sur le fondement des articles L 412-3 et 412-4 du code des procédures civiles d'exécution, étant au demeurant observé que l'intéressé ne justifie en cause d'appel d'aucune démarche en vue de se reloger.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant contradictoirement,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Condamne Monsieur [T] [X] aux dépens d'appel, lesquels seront recouvrés conformément aux règles régissant l'aide juridictionnelle dont il est bénéficiaire,
Dit n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la partie intimée.
LA GREFFIERELE PRESIDENT