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28/06/2022 | FRANCE | N°19/08321

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-1, 28 juin 2022, 19/08321


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-1



ARRÊT AU FOND

DU 28 JUIN 2022

O.B./A.S.

N° 2022/258













Rôle N° RG 19/08321 - N° Portalis DBVB-V-B7D-BEKBF







[Y] [V]





C/



Etablissement Public ETAT FRANÇAIS





















Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Rodolphe PREZIOSO



Me Eric TARLET







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Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal de Grande Instance d'AIX EN PROVENCE en date du 09 Mai 2019 enregistré (e) au répertoire général sous le n° .





APPELANT



Monsieur [Y] [V]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2019/6512 du 07/06/2019 accordée par le bureau d'aide ju...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-1

ARRÊT AU FOND

DU 28 JUIN 2022

O.B./A.S.

N° 2022/258

Rôle N° RG 19/08321 - N° Portalis DBVB-V-B7D-BEKBF

[Y] [V]

C/

Etablissement Public ETAT FRANÇAIS

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Rodolphe PREZIOSO

Me Eric TARLET

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance d'AIX EN PROVENCE en date du 09 Mai 2019 enregistré (e) au répertoire général sous le n° .

APPELANT

Monsieur [Y] [V]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2019/6512 du 07/06/2019 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de AIX-EN-PROVENCE)

né le 25 Octobre 1990

de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Rodolphe PREZIOSO, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

INTIMEE

Etablissement Public ETAT FRANÇAIS

L'Etat Français est prise en la personne de l'agent judiciaire de l'Etat, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Eric TARLET de la SCP LIZEE PETIT TARLET, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 31 Mai 2022 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Monsieur Olivier BRUE, Président , a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Monsieur Olivier BRUE, Président

Mme Sophie LEYDIER, Conseillère

Madame Sophie TERENTJEW, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Mme Agnès SOULIER.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 28 Juin 2022.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 28 Juin 2022,

Signé par Monsieur Olivier BRUE, Président et Mme Colette SONNERY, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Vu l'assignation du 6 avril 2018 , par laquelle M. [Y] [V] a fait citer M. l'Agent judiciaire de l'Etat, devant le tribunal de grande instance d'Aix en Provence.

Vu le jugement rendu le 9 mai 2019, par cette juridiction, ayant condamné M.l'Agent judiciaire de l'Etat à payer à M. [Y] [V] la somme de 400 €, à titre de dommages et intérêts, avec intérêt au taux légal à compter de la signification du jugement, avec anatocisme, et celle de

500 €, en application de l'article 700 du code de procédure civile, débouté les parties du sourplus de leurs demandes et condamné M. l'Agent judiciaire de l'Etat aux dépens.

Vu la déclaration d'appel du 22 mai 2019, M. [Y] [V].

Vu les conclusions transmises le 5 février 2020, par l'appelant.

Il rappelle qu'un délai de procédure excessif et injustifié constitue un déni de justice au sens de l'article L141-1 du code de l'organisation judiciaire.

M. [Y] [V] considère qu'en l'espèce, alors que l'employeur a reconnu ne pas avoir payé les salaires dus pour lesquels il avait établi des bulletins de paye, l'affaire ne revêt pas une difficulté particulière. Il déclare avoir respecté scrupuleusement le calendrier de procédure et insiste sur l'enjeu que représente le non-paiement de ses salaires pendant huit mois.

Il estime que le délai de délibéré de 13 mois, après réouverture des débats est déraisonnable et qu'il appartient à l'État de fournir aux services de justice les moyens lui permettant de rendre des décisions dans le délai requis. Selon lui, à la suite de l'audience du 5 mai 2017, le délibéré aurait dû être rendu avant le mois de décembre 2017, où les conseillers prud'homaux ont été renouvelés.

L'appelant souligne que l'article R 1454-29 du code du travail prévoit que l'audience de départage doit intervenir dans le délai d'un mois, alors que celui-ci a été décidé le 11 juin 2018.

Il fait état des courriers adressés par le greffe du conseil des prud'hommes d'Aix-en-Provence reconnaissant ne pas pouvoir prévoir la fixation de son dossier en audience de départage.

Il évoque deux mois de délais déraisonnables avant l'audience de jugement, 13 mois de délais déraisonnables dans l'attente d'un délibéré et au moins 17 mois de délais déraisonnables, dans l'attente de la fixation de l'audience de départage, soit un total de 32 mois.

Vu les conclusions transmises le 10 septembre 2019, par M. l'Agent judiciaire de l'Etat.

Il expose que la mise en 'uvre de la responsabilité de l'Etat suppose que soit établie l'existence d'une faute lourde ou d'un déni de justice, imputable au fonctionnement défectueux du service de la justice en lien avec un préjudice certain, personnel et direct effectivement subi par l'usager et que l'appréciation de la durée d'une procédure ne peut se faire qu'in concreto, en analysant le déroulement de chaque étape, à l'exclusion de toute analyse globale.

L'Agent judiciaire de l'Etat soutient que la jurisprudence considère qu'en matière de prud'hommes, le caractère déraisonnable n'est caractérisé que par le dépassement d'un délai de six mois pour chacune des phases de la procédure. Il admet un dépassement de quatre mois en ce qui concerne le délibéré avant départage et fait valoir que le délai écoulé jusqu'à l'audience de départage ne peut être apprécié, à défaut de fixation de sa date en l'état.

Selon lui, l'existence d'un préjudice financier directement lié à la lenteur de la procédure n'est pas démontrée, celui-ci résultant essentiellement du comportement de l'employeur. Il en résulte que le préjudice moral doit être indemnisé à concurrence de 400 €.

Vu l'ordonnance de clôture rendue le 3 mai 2022.

SUR CE

Monsieur [V] a saisi le conseil des prud'hommes d'Aix-en-Provence, par requête reçue le juillet 2016, de diverses demandes à l'encontre de son employeur.

Par courrier en date du 20 juillet 2016, les parties ont été convoquées à l'audience de

conciliation du 19 octobre 2016.

A défaut de conciliation, l'affaire était renvoyée devant le bureau de jugement.

Le conseil des prud'hommes fixait un calendrier d'échange des pièces et écritures. Il était laissé

jusqu'au 20 décembre 2016 à la partie demanderesse pour communiquer ses écritures, et jusqu'au 20 février 2017 à la partie défenderesse, pour y répondre.

Le conseil de Monsieur [V] communiquait ses écritures par courriel du 4 janvier 2017.

La date de communication des écritures en réponse de l'employeur n'est pas connue.

Par courrier en date du 9 novembre 2016, les parties étaient convoquées à l'audience de jugement du 5 mai 2017, date à laquelle l'affaire a été plaidée et placée en délibéré au 11 septembre 2017, prorogé au 9 octobre 2017, au 20 novembre 2017, puis au 25 janvier 2018.

Par décision du 25 janvier 2018, le président de la section ayant constaté que le mandat d'un des membres du bureau de jugement en charge du dossier de Monsieur [V] n'était pas renouvelé, a ordonné la réouverture des débats et le renvoi de l'affaire à une audience du 5 mars 2018, afin que le nouveau bureau de jugement en charge du dossier puisse entendre les parties.

Le dossier a été plaidé le 5 mars 2018, et le conseil des prud'hommes a rendu une décision de

partage des voix le 11 juin 2018, avec renvoi de l'affaire devant le juge départiteur.

Par courrier du 21 février 2019, le conseil des prud'hommes d'Aix-en-Provence informait Monsieur [V] que l'affaire n'avait pas encore fait l'objet d'une fixation.

Précisant qu'à la date de ses dernières écritures d'appel le 5 février 2020, soit 43 mois après la saisine du conseil des prud'hommes, la date de l'audience de départition n'était toujours pas fixée, et estimant avoir été victime de délais déraisonnables de procédure, M. [Y] [V] réclame la condamnation de l'État à lui payer la somme de 12'000 €, à titre de dommages-intérêts.

L'article L.141-1 du code de l'organisation judiciaire dispose que l'Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice. Sauf dispositions particulières, cette responsabilité n'est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice.

L'article L.141-3 dudit code ajoute qu'il y a déni de justice lorsque les juges refusent de répondre aux requêtes ou négligent de juger les affaires en état et en tour d'être jugées.

Le déni de justice est défini comme tout manquement de l'Etat à son devoir de protection juridictionnelle de l'individu qui comprend le droit pour tout justiciable de voir statuer sur ses prétentions dans un délai raisonnable au sens de l'article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.

Le caractère raisonnable de la durée d'une procédure s'apprécie au regard de la nature et des circonstances de l'affaire, de l'ensemble des diligences réalisées par les services chargés du dossier et de critères relatifs à sa complexité, au comportement de parties, ainsi qu'à l'enjeu du litige pour les intéressés.

L'appréciation de la durée d'une procédure doit être réalisée in concreto, non de manière globale, mais par l'analyse du déroulement de chaque étape de la procédure.

En l'espèce, sur la saisine du conseil des prud'hommes intervenue le 13 juillet 2016, pendant la période des vacations judiciaires, l'audience de conciliation a été fixée au 19 octobre 2016, donc dans un délai raisonnable.

En absence de conciliation, l'affaire a été renvoyée au 15 mai 2017, après avoir enjoint au demandeur de conclure avant le 20 décembre 2016 et au défendeur de conclure avant le 20 février 2017, donc dans un délai justifié par l'échange des écritures et des pièces entre les parties, susceptible d'entraîner des réponses.

En revanche, si le délai prévu pour le délibéré au 11 septembre 2017 était correct, sa prorogation au 25 janvier 2018 était déraisonnable, compte tenu de l'absence de complexité particulière de l'affaire et surtout du fait qu'une partie des conseillers prud'homaux devaient être renouvelés au 1er janvier 2018, situation qui était connue de la juridiction. Il était donc impératif de statuer avant la fin de l'année et si possible dans un délai de quatre mois.

Ce manquement a entraîné la nécessité d'une réouverture des débats le 5 mars 2018 où l'affaire a été placée en délibéré le 11 juin 2018, date à laquelle le conseil des prud'hommes s'est déclaré en partage de voix. Ce délai ne peut en lui même être qualifié de déraisonanble.

Il apparaît au vu de la copie de la décision de départage du 28 janvier 2021,que l'audience de départage n'a eu lieu que le 23 novembre 2020.

Le délai écoulé entre l'audience constatant le partage des voix et l'audience de départage apparaît ainsi déraisonnable, la surcharge d'activité de la juridiction ne pouvant le justifier, même si elle peut l'expliquer.

Il convient de considérer que le délibéré de l'audience de jugement aurait dû être rendu avant le 15 novembre 2017 et l'affaire fixée en départage avant le 15 juin 2018, pour un délibéré rendu le 15 novembre 2018 et que l'affaire a ainsi été traitée avec 26 mois de retard.

Cette situation a causé un préjudice moral à M. [V], justifiant l'octroi à son profit de la somme de 2600 €, à titre de à titre de dommages et intérêts.

Le jugement est confirmé, sauf en ce qui concerne le montant de l'indemnisation.

Il y a lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile.

La partie perdante est condamnée aux dépens, conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Confirme le jugement déféré,sauf en ce qui concerne le montant de l'indemnisation,

Statuant à nouveau de ce chef,

Condamne M. l'Agent judiciaire de l'Etat à payer à M. [Y] [V] la somme de 2 600 €, à titre de dommages et intérêts.

Y ajoutant,

Condamne l'agent judiciaire de l'État à payer à M. [Y] [V], la somme de 2 000 €, en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

Condamne l'agent judiciaire de l'État aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

LE PRESIDENTLE GREFFIER


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 1-1
Numéro d'arrêt : 19/08321
Date de la décision : 28/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-28;19.08321 ?
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