COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-1
ARRÊT AU FOND
DU 28 JUIN 2022
N° 2022/239
Rôle N° RG 19/07917 - N° Portalis DBVB-V-B7D-BEIW3
SA C VIEW
C/
DIRECTION GENERALE DES FINANCES PUBLIQUES
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Ouassini MEBAREK
Me Virginie ROSENFELD
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de GRASSE en date du 22 Mars 2019 enregistré au répertoire général sous le n° 18/02096.
APPELANTE
La Société de Droit Luxembourgeos C VIEW SA, domicilié en son siège [Adresse 1] LUXEMBOURG, prise en la personne de son représentant légal en exercice.
représentée par Me Ouassini MEBAREK de la SELARL JUDICIAL, avocat au barreau de NICE
INTIMEE
DIRECTION GÉNÉRALE DES FINANCES PUBLIQUES poursuites et diligences du Directeur Régional des Finances Publiques de Provence-Alpes- Côte d'Azur et du département des Bouches du Rhône, qui élit domicile en ses bureaux, [Adresse 3].
représenté par Me Virginie ROSENFELD de la SCP CABINET ROSENFELD & ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 23 Mai 2022 en audience publique devant la cour composée de :
Monsieur Olivier BRUE, Président
Madame Anne DAMPFHOFFER, Conseiller
Mme Danielle DEMONT, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Colette SONNERY.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 28 Juin 2022.
ARRÊT
contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 28 Juin 2022,
Signé par Monsieur Olivier BRUE, Président et , greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE DU LITIGE
La société anonyme de droit luxembourgeois C View qui a été constituée le 6 juillet 2006, est propriétaire, depuis le 19 septembre 2006, d'un bien immobilier [Adresse 2] qu'elle a acquis au prix de 2'256'246 €.
Pour bénéficier de l'exonération de la taxe de 3 % au titre de l'article 990-E-3°-e du code général des impôts elle a souscrit des déclarations n° 2746 pour les années 2009 à 2014 faisant état de ce que les titres de la société sont détenus par Mme [S] [U] domiciliée à [Localité 4] en Israël pour 309 actions et M. [X] [G] domicilié à Luxembourg pour une action.
Au motif qu'elle ne justifiait pas de la qualité de ses actionnaires, une proposition de rectification a été adressée le 15 juillet 2015 à la SA C View qui a présenté ses observations les 11 et 18 septembre 2015, auxquelles l'administration a répondu le 15 octobre 2015 en maintenant intégralement les rectifications.
Les impositions contestées ont été mises en recouvrement le 31 décembre 2015, par avis de n°15 120 0006 et n°15 120 00007 pour un montant de 90'000 €, en droits pour chaque année 2009 à 2014, outre les intérêts de retard.
La réclamation contentieuse de la SA C View datée du 20 mai 2016 a été rejetée par l'administration fiscale le 28 février 2018.
Par exploit du 24 avril 2018, la société a fait assigner la direction régionale des finances publiques aux fins d'obtenir dégrèvement.
Par jugement en date du 22 mars 2019, le tribunal de grande instance de Grasse a débouté la société C View SA de toutes ses demandes, et l'a condamnée aux dépens.
Le 14 mai 2019 la SA C View a relevé appel de cette décision.
Par conclusions du 11 juillet 2019, elle demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris toutes ses dispositions, de dire qu'elle a respecté l'ensemble des obligations prévues aux articles 990-E-d et-e du code général des impôts, et de lui reconnaître le bénéfice de l'exonération de la taxe de 3 % au titre des années 2009 à 2014, de débouter l'administration de toutes ses demandes, et de la condamner aux dépens avec distraction.
Par conclusions du 2 octobre 2019, la direction générale des finances publiques, en la personne du directeur régional des finances publiques de Provence-Alpes-Côte-d'Azur et du département des Bouches-du-Rhône, demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, de débouter l'appelante de toutes ses demandes, et de la condamner à lui verser la somme de 3000 €, au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
La cour renvoie aux écritures précitées pour l'exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties.
Motifs
En application de l'article 990 D du code général de impôts toutes les entités quelle que soit leur forme (sociétés de capitaux, Anstalten, stiftung, sociétés civiles, partnership, fiducies, fondations de famille, trust ') sont redevables de la taxe de 3 % sur la valeur vénale des immeubles qu'elles possèdent en France.
L'article 990 E dudit code dispose que ::
« La taxe prévue à l'article 990 D n'est pas applicable :
1° Aux organisations internationales, aux Etats souverains, à leurs subdivisions politiques et territoriales, ainsi qu'aux personnes morales, organismes, fiducies ou institutions comparables qu'ils contrôlent majoritairement ;
2° Aux entités juridiques : personnes morales, organismes, fiducies ou institutions comparables,
a) Dont les actifs immobiliers, au sens de l'article 990 D, situés en France, représentent moins de 50 % des actifs français détenus directement ou par l'intermédiaire d'une ou plusieurs entités juridiques. Pour l'application de cette disposition, ne sont pas inclus dans les actifs immobiliers les actifs détenus directement ou indirectement que les entités juridiques définies à l'article 990 D ou les entités juridiques interposées affectent directement ou indirectement à leur activité professionnelle autre qu'immobilière ou à celle d'une entité juridique avec laquelle elles ont un lien de dépendance au sens du 12 de l'article 39 ;
b) Ou dont les actions, parts et autres droits font l'objet de négociations significatives et régulières sur un marché réglementé, ainsi qu'aux personnes morales dont ces entités détiennent directement ou indirectement la totalité du capital social ;
3° Aux entités juridiques : personnes morales, organismes, fiducies ou institutions comparables qui ont leur siège en France, dans un Etat membre de l'Union européenne ou dans un pays ou territoire ayant conclu avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales ou dans un Etat ayant conclu avec la France un traité leur permettant de bénéficier du même traitement que les entités qui ont leur siège en France :
a) Dont la quote-part du ou des immeubles situés en France ou des droits réels détenus directement ou indirectement portant sur ces biens est inférieure à 100 000 € ou à 5 % de la valeur vénale desdits biens ou autres droits ;
b) Ou instituées en vue de gérer des régimes de retraite, à leurs groupements, ainsi que ceux, reconnus d'utilité publique ou dont la gestion est désintéressée, et dont l'activité ou le financement justifie la propriété des immeubles ou droits immobiliers ;
c) Ou qui prennent la forme de sociétés de placement à prépondérance immobilière à capital variable ou de fonds de placement immobilier régis par les articles L. 214-89 et suivants du code monétaire et financier qui ne sont pas constitués sous la forme mentionnée à l'article L. 214-144 du même code ou ceux qui sont soumis à une réglementation équivalente dans l'Etat ou le territoire où ils sont établis ;
d) Ou qui communiquent chaque année ou prennent et respectent l'engagement de communiquer à l'administration fiscale, sur sa demande, la situation, la consistance et la valeur des immeubles possédés au 1er janvier, l'identité et l'adresse de l'ensemble des actionnaires, associés ou autres membres qui détiennent, à quelque titre que ce soit, plus de 1 % des actions, parts ou autres droits, ainsi que le nombre des actions, parts ou autres droits détenus par chacun d'eux.L'engagement est pris à la date de l'acquisition par l'entité du bien ou droit immobilier ou de la participation mentionnés à l'article 990 D ou, pour les biens, droits ou participations déjà possédés au 1er janvier 2008, au plus tard le 15 mai 2008;
e) Ou qui déclarent chaque année au plus tard le 15 mai, au lieu fixé par l'arrêté prévu à l'article 990 F, la situation, la consistance et la valeur des immeubles possédés au 1er janvier, l'identité et l'adresse des actionnaires, associés ou autres membres qui détiennent plus de 1 % des actions, parts ou autres droits dont ils ont connaissance à la même date, ainsi que le nombre des actions, parts ou autres droits détenus par chacun d'eux, au prorata du nombre d'actions, parts ou autres droits détenus au 1er janvier par des actionnaires, associés ou autres membres dont l'identité et l'adresse ont été déclarées. ».
Il en résulte que les entités juridiques (sociétés de capitaux, Anstalten, stiftung, sociétés civiles, partnership, fiducies, fondations de famille, trust ') sont redevables de la taxe de 3 % sur la valeur vénale des immeubles qu'elles possèdent en France, sauf à rentrer dans les cas limitativement énumérés ci-dessus.
Le principe est donc celui de la taxe, et l'exception, l'exonération à raison de la fourniture des renseignements requis à l'administration fiscale.
*
La SA C View fait valoir au soutien de son appel que les documents présentés à l'administration fiscale sont de nature à attester de l'identité des bénéficiaires économiques de la société, dès lors qu'il existe un contrat de fiducie.
Elle fait grief à l'administration fiscale de n'avoir pas pris en considération la déclaration d'engagement du 18 janvier 2013, ainsi que les documents présentés suivants : la fiche de renseignements du 12 mai 2011, la lettre de la DGFIP du 9 septembre 2011, les procès-verbaux d'assemblées générales et les deux contrats de fiducie portant sur les actions de la société.
Sur la fiche de renseignements du 12 mai 2011
L'appelante soutient que les bénéficiaires économiques sont déclarés depuis l'origine, puisque le 12 mai 2011 a été déposée la fiche de renseignements qui mentionne le nom du propriétaire, la société C View, et le nom des occupants, Mme [U] et M. [G].
Elle invoque les termes d'une lettre par laquelle les services fiscaux ont fait droit à sa demande et émis la taxe d'habitation au nom des occupants « qui sont les bénéficiaires économiques de la société ».
Mais l'administration fiscale conteste exactement le caractère probant de la fiche de renseignements du 12 mai 2011 laquelle consiste en une simple déclaration de ceux qui occupent les lieux qui sont la propriété de la SA C View, et non en une déclaration des bénéficiaires économiques de celle-ci.
Cette déclaration d'occupation des lieux et le paiement subséquent de la taxe d'habitation ne font pas la démonstration requise, et ne peut s'analyser comme une reconnaissance qu'aurait faite l'administration, de la propriété des titres au 1er janvier de chacune des années concernées.
Sur la tenue des assemblées générales de la SA C View
L'appelante souligne qu'elle a tenu l'ensemble de ses assemblées générales et qu'elle a régulièrement justifié selon elle d'éléments concordants quant à la qualité des bénéficiaires économiques 'par la justification tant juridique qu'effective de par l'occupation des locaux'
Mais l'administration observe exactement que la copie partielle de procès-verbaux d'assemblées générales produite montre que les listes de présence à l'assemblée générale extraordinaire qui s'est tenue le 11 septembre 2009 et aux assemblés générales ordinaires qui se sont tenues les 20 mai 2010,19 mai 2011,17 mai 2012,16 mai 2013 et 15 mai 2014, les actionnaires de la société C View SA sont :
- Catony Inc (adresse non connue) : 309 actions
- M. [M] [L]: 1 action.
Cet actionnariat diffère donc sensiblement tant de l'actionnariat mentionné dans les statuts constitutifs de la société C View, que de l'actionnariat mentionné dans les déclarations n°2746 souscrites par la société au titre des années litigieuses, et ces listes de présence contredisent également les termes des deux conventions de flducie présentées.
L'identité précise et complète de la société Catony INC qui est mentionnée sur les listes de présence aux assemblées générales (en tant qu'actionnaire détenant 309 actions) est ignorée.
L'administration retient de surcroît à bon droit que la production des copies partielles des procès-verbaux d'assemblée générales sont des documents univoques et internes qui ne justifient pas de l'identité des associés de la SA C View au 1er janvier des années litigieuses.
Sur les termes de la proposition de rectification du 25 juin 2015
Contrairement à ce qui soutenu, la proposition de rectification suite à la vérification de comptabilité de la SA C View ne désigne pas Mme [U] comme étant la bénéficiaire économique du bien immobilier, mais relate seulement les dires sur ce point de M. [D] en sa qualité de mandataire de la société pendant les opérations de vérification.
Sur les deux conventions de fiducie
La SA C View soutient que les déclarations n°2746 qu'elle justifie avoir adressé à l'administration fiscale au titre des années 2009 à 2014 suffiraient à établir l'identité de ses
bénéficiaires économiques, du fait de l'existence d'une fiducie.
Pour justifier l'existence de cette fiducie, elle verse deux contrats de fiducie du 6 juillet 2006 entre Me [M] [L] domicilié à Luxembourg (le fiduciaire) et Mme [S] [U] (le fiduciant) et entre Me [M] [L] (le fiduciaire) et M. [X] [G] (le fiduciant) , une attestation notariée du 11 septembre 2015, aux termes de laquelle Me [L] déclare à Me [J] avoir conclu le 6 juillet 2006 lesdites conventions.
Or l'article 2019 du code civil dispose « À peine de nullité le contrat de fiducie et ses avenants sont enregistrés dans le délai d'un mois à compter de leur date au service des impôts du siège du fiduciaire au service des impôts des non-résidents si le fiduciaire n'est pas domicilié en France.
Lorsqu'ils portent sur des immeubles ou des droits réels immobiliers, ils sont sous la même sanction, publié dans les conditions prévues aux articles 647 et 657 du code général des impôts. » (relatifs aux formalités de publicité foncière).
L'article 1328 ancien du code civil (1377 nouveau) énonce que « Les actes sous seing privés n'ont de date contre les tiers que du jour où ils ont été enregistrés, du jour de la mort de celui ou de l'un de ceux qui les ont souscrits, ou du jour où leur substance est constatée dans les actes dressés par les officiers publics, tels que procès-verbaux de scellés ou d'inventaire.
Les contrats de fiducie invoqués par l'appelante ont été établis sous seing privé et ils portent la date du 6 juillet 2006 à Luxembourg.
S'il n'est pas exigé que la fiducie soit établie par acte authentique, il convient de relever que ces deux contrats qui ne sont pas établis devant notaire, n'ont pas été enregistrés en France, contrairement aux articles 2019 alinéa 1er du code civil et 635 1-8° du code général des impôts qui imposent à peine de nullité l'enregistrement d'une fiducie dans le délai d'un mois au service des impôts des non-résidents dès lors que le fiduciaire n'est pas domicilié en France.
La SA C View considère qu'en application de la loi luxembourgeoise du 27 juillet 003, et notamment de son article 12, elle était exonérée de l'obligation d'enregistrement de ses contrats de fiducie.
Mais, selon la convention fiscale bilatérale conclue entre la France et le Luxembourg, la société C View SA doit observer les mêmes obligations de transparence qu'une société de droit français et doit, à ce titre, se soumettre aux mêmes obligations.
Il incombe à la SA C View de rapporter la preuve de ce que la fiducie invoquée existait bien antérieurement aux faits générateurs des impositions contestées, la production d'une attestation notariée, postérieure aux faits générateurs des impositions contestées, si elle établit la réalité des mentions qui y sont contenues jusqu'à inscription de faux, ne suffit pas à les rendre opposables à l'administration fiscale antérieurement à la date même de cette attestation, en l'absence de respect des formalités d'enregistrement rappelées ci-dessus.
Les contrats de fiducie litigieux ne peuvent donc être considérés comme ayant acquis date certaine avant leur certification par acte authentique, le 11 septembre 2015, par l'attestation de Me [J], notaire et il ne sont pas opposables à l'administration fiscale avant le 11 septembre 2015.
Celle-ci faisant exactement observer en outre que les modalités de financement de l'acquisition des titres de la société ne sont pas précisées.
La société C View n'étant pas en mesure de justifier de la réalité de la fiducie dont elle fait état antérieurement aux faits générateurs des impositions contestées, les taxes de 3% mises à la charge de la société C View par l'administration fiscale au titre des années 2009 à 2014 sont fondées.
La SA C View ne plaide pas utilement par ailleurs que 'la position curieuse de l'administration fiscale à ce jour remettrait totalement en cause la taxe de 3 % d'un grand nombre de personnes morales étrangères propriétaires d'immeubles en France et qui pourraient être piégées par le dispositif de cette taxe de 3 %, alors qu'elles ne cherchent nullement à dissimuler le nom de leurs actionnaires comme tel est le cas d'espèce', et que 'cela conduirait même à une discrimination de traitement fondé sur la nationalité ou la résidence des parties ou sur la localisation du placement immobilier qui bien évidemment est interdite dans l'espace économique européen', dans la mesure où le dispositif instituant la taxe de 3 % ne porte pas atteinte au droit communautaire et qu'il n'est pas en lui-même, discriminatoire, ni contraire au principe de libre circulation des capitaux, s'agissant des personnes morales étrangères, dès lors qu'il permet à ces personnes d'obtenir le bénéfice de l'exonération en justifiant, soit du dépôt des déclarations visées par l'article 990 E 2°du code général des impôts, soit de la communication, spontanément ou à la suite d'un engagement, des informations prévues par l'article 990 E 3° de ce code.
L'administration fiscale poursuivant l'objectif de lutte contre la fraude fiscale est en droit d'exiger du contribuable les preuves nécessaires à l'exonération de cet impôt et il appartient à la société pour bénéficier des exonérations demandées, de justifier de son actionnariat, ce qui n'est pas le cas d'espèce.
En définitive le jugement qui a rejeté la demande de dégrèvement formée par la SA C View doit être entièrement confirmé.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Condamne la SA C View à payer à la direction régionale des finances publiques le Provence-Alpes-Côte-d'Azur et du Rhône la somme de 3000 €, au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens, et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT