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24/06/2022 | FRANCE | N°18/17926

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-1, 24 juin 2022, 18/17926


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-1



ARRÊT AU FOND

DU 24 JUIN 2022



N° 2022/247





Rôle N° RG 18/17926 - N° Portalis DBVB-V-B7C-BDKSL







SARL PROVENCE CUISINES ET BAINS





C/





[O] [E]





















Copie exécutoire délivrée

le :



24 JUIN 2022



à :



Me Philippe TRAVERT de l'AARPI TRAVERT ROBERT CEYTE, avocat au barreau d'AIX-

EN-PROVENCE





Me Odile-marie LA SADE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE





















Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'AIX-EN-PROVENCE en date du 27 Septembre 2018 enregistré au répertoire général sous le n° ...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-1

ARRÊT AU FOND

DU 24 JUIN 2022

N° 2022/247

Rôle N° RG 18/17926 - N° Portalis DBVB-V-B7C-BDKSL

SARL PROVENCE CUISINES ET BAINS

C/

[O] [E]

Copie exécutoire délivrée

le :

24 JUIN 2022

à :

Me Philippe TRAVERT de l'AARPI TRAVERT ROBERT CEYTE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

Me Odile-marie LA SADE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'AIX-EN-PROVENCE en date du 27 Septembre 2018 enregistré au répertoire général sous le n° 16/00153.

APPELANTE

SARL PROVENCE CUISINES ET BAINS, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Philippe TRAVERT de l'AARPI TRAVERT ROBERT CEYTE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

INTIMEE

Madame [O] [E]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 2018/012110 du 14/12/2018 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de AIX-EN-PROVENCE), demeurant [Adresse 4]

représentée par Me Odile-marie LA SADE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 Avril 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Stéphanie BOUZIGE, Conseiller, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller faisant fonction de Président

Madame Stéphanie BOUZIGE, Conseiller

Madame Emmanuelle CASINI, Conseiller

Greffier lors des débats : Monsieur Kamel BENKHIRA.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 24 Juin 2022.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 24 Juin 2022

Signé par Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller faisant fonction de Président et Monsieur Kamel BENKHIRA, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

Madame [O] [E] a été engagée le 21 juillet 2009 par la SARL PROVENCE CUISINES ET BAINS, selon contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel en qualité de technicienne de surface, niveau 1, échelon 2 de la convention collective des magasins de cuisine à usage domestique.

Le 3 juillet 2015, Madame [E] a été victime d'un accident du travail ayant nécessité un arrêt de travail jusqu'au 31 juillet 2015.

Invoquant des difficultés économiques, la SARL PROVENCE CUISINES ET BAINS a adressé à Madame [E], le 22 juillet 2015, un courrier comportant une proposition de modification du contrat de travail, à savoir la réduction du temps de travail de 15 heures hebdomadaires à 5 heures hebdomadaires et la modification des horaires de présence, modification que Madame [E] a refusée par courrier du 10 août 2015.

Madame [E] a repris son poste le 31 août 2015 mais a été de nouveau placée en arrêt de travail pour accident du travail le 4 septembre 2015.

Suivant courrier du 17 septembre 2015, Madame [E] a été convoquée à un entretien préalable à un licenciement pour motif économique, entretien qui a été repoussé au 28 octobre 2015.

Par lettre du 16 novembre 2015, Madame [E] a été licenciée pour le motif suivant: 'A la suite de notre entretien du 28 octobre 2015, je suis au regret de vous informer que je suis dans l'obligation de poursuivre mon projet de licenciement économique à votre égard.

Comme je vous l'ai indiqué lors de cet entretien, votre contrat est rompu pour les motifs économiques suivants :

- L'arrivée d'une concurrence régionale et la conjoncture économique actuelle ne nous permet pas une situation financière stable (139 347 € de dettes en 2015). Cette situation entraîne l'absolue nécessité d'une restructuration de l'entreprise et amène à devoir supprimer votre poste de Technicienne de surface.

Je vous ai remis lors de l'entretien préalable une proposition de Contrat de Sécurisation Professionnelle que vous avez acceptée, le 31 octobre 2015.

De ce fait, conformément à l'article L.1233-67 du code du travail, la rupture de votre contrat de travail aura lieu le 18 novembre 2015 du fait de notre commun accord'.

Sollicitant un rappel de salaire conventionnel et contestant son licenciement, Madame [E] a saisi le conseil de prud'hommes d'AIX-EN-PROVENCE, lequel, par jugement du 27 septembre 2018, a :

- dit que Madame [E] relève du niveau I, échelon 2, coefficient 206,

- dit que le licenciement économique est fondé et confirmé l'ordonnance de référé,

- condamné la société PROVENCE CUISINES ET BAINS à payer à Madame [E] les sommes suivantes :

* 729,84 € à titre de rappel de salaire de juin 2013 à août 2015,

* 72,98 € à titre d'incidence congés payés,

* 100 € à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

* 1.334,96 € à titre d'indemnité de préavis,

* 133,49 € à titre d'incidence congés payés sur préavis,

- débouté Madame [E] de sa demande de délivrance d'attestation sous astreinte et des dommages-intérêts y afférents,

- débouté Madame [E] des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse,

- condamné la société PROVENCE CUISINES ET BAINS à payer à Madame [E] la somme de 1.180 € au titre des frais de procédure en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

-ordonné l'exécution provisoire au titre de l'article 515 du code de procédure civile pour les condamnations qui ne bénéficient pas de l'exécution de droit,

- débouté la société PROVENCE CUISINES ET BAINS de sa demande d'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société PROVENCE CUISINES ET BAINS aux entiers dépens.

Par déclaration d'appel du 13 novembre 2018, la SARL PROVENCE CUISINES ET BAINS a interjeté appel de ce jugement et par déclaration d'appel du 15 novembre 2018, Madame [E] a également interjeté appel, les deux procédures ayant fait l'objet d'une ordonnance de jonction du conseiller de la mise en état.

Suivant dernières conclusions notifiées par voie électronique le 3 février 2022, la SARL PROVENCE CUISINES ET BAINS demande à la cour de :

- réformer le jugement du conseil de prud'hommes d'Aix -en -Provence du 27 septembre 2018 en ce qu'il a condamné la société PROVENCE CUISINES ET BAINS à payer à Madame [E] les sommes suivantes :

* 729,84 € à titre de rappel de salaire de juin 2013 à août 2015

* 72,98 € à titre d'incidence congés payés

* 100 € à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail

* 1.334,96 € à titre d'indemnité de préavis

* 133,49 € à titre d'incidence congés payés sur préavis

* 1.180 € au titre des frais de procédure en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

* aux entiers dépens

- réformer le jugement du conseil de prud'hommes d'Aix en Provence du 27 septembre 2018 en ce qu'il a débouté la société PROVENCE CUISINES ET BAINS de sa demande d'article 700 du code de procédure civile.

- le confirmer pour le surplus.

- reconventionnellement, condamner Madame [E] au paiement de la somme de 1.500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance et au paiement de la somme de 1.500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'appel.

- condamner Madame [E] aux entiers dépens.

Suivant conclusions notifiées par voie électronique le 27 janvier 2022, Madame [E] demande à la cour de :

- débouter la SARL PROVENCE CUISINES ET BAINS de son appel partiel et confirmer les dispositions du jugement du conseil de prud'hommes d'Aix-en-Provence du 27 septembre 2018 ayant fait droit aux demandes de Madame [E].

- faire droit à l'appel incident de la concluante et réformer donc partiellement la décision du conseil de prud'hommes d'Aix- en- Provence du 27 septembre 2018.

En conséquence :

- confirmer la qualification de Madame [E] au niveau 1, échelon 2, coefficient 206 et confirmer la condamnation de l'employeur à verser à ce titre 729,84 € de rappel de salaires de juin 2013 à août 2015 et 72,98 € d'incidence de congés payés sur ledit rappel de salaire.

- confirmer dans son principe le jugement du conseil de prud'hommes quant à la reconnaissance de l'execution déloyale du contrat de travail par l'employeur et l'émendant sur le quantum, condamner la SARL PROVENCE CUISINES ET BAINS à verser à ce titre la somme de 500 € de dommages-intérêts.

- confirmer, au besoin par substitution de motifs, l'allocation par le conseil de prud'hommes à Madame [E] des sommes de 1.334,96 € a titre d'indemnité de préavis et 133,49 € à titre d'incidence de congés payés.

- confirmer la décision de première instance en ce qu'elle a accordé à Madame [E] la somme de 1.180 € au titre de l'article 700 pour ses frais irrépétibles de première instance et condamné la SARL PROVENCE CUISINES ET BAINS aux entiers dépens.

- constater l'inexistence du motif économique invoqué et le non-respect de l'obligation de reclassement.

- condamner la SARL PROVENCE CUISINES ET BAINS à payer à Madame [E] la somme de 10.000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en considération du fait que le motif économique du licenciement n'a pas de réalité et qu'il n'y a eu aucun effort pour respecter l'obligation de reclassement par l'employeur.

- condamner en outre la SARL PROVENCE CUISINES ET BAINS à verser à Madame [E]:

* la somme de 500 € a titre de dommages-intérêts pour délivrance tardive de l'attestation de salaire de l'employeur pour la sécurité sociale.

* la somme de 90,21 € au titre du salaire des 3 jours dus pour respecter le délai de 21 jours à compter du 31 octobre 2015.

- condamner la SARL PROVENCE CUISINES ET BAINS à verser à Madame [E] la somme de 2.400 € sur le fondement de 1'artic1e 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'appel, Madame [E] s'engageant à renoncer au bénéfice de l'aide juridictionnelle si elle obtient le règlement de cette somme.

- débouter la SARL PROVENCE CUISINES ET BAINS de toutes ses demandes, fins et conclusions contraires aux présentes.

- condamner la SARL PROVENCE CUISINES ET BAINS aux entiers dépens d'appel.

MOTIFS DE LA DECISION

I. Sur les demandes relatives à l'exécution du contrat de travail

Sur la demande de rappel de salaire

Demandant l'infirmation du jugement sur ce point, la SARL PROVENCE CUISINES ET BAINS conclut qu'il n'est pas contestable que Madame [E] a été embauchée en qualité de technicienne de surface à la classification de niveau 1 ' échelon 2 ' coefficient 206 et qu'il n'est pas davantage contestable qu'une erreur de plume s'est glissée dans les bulletins de salaire, à savoir qu'il a été porté une qualification niveau 1, échelon 1, coefficient 200. Se référant au coefficient 206, Madame [E] sollicite une régularisation de salaire à compter du mois de juin 2013, d'un montant de 729,84 € majoré des congés payés, en se référant à l'avenant n° 9 du 20 février 2013 et à l'avenant n°10 du 12 novembre 2014 de la convention collective nationale des magasins de cuisine à usage domestique, contenant une grille relative au salaire minimum conventionnel indiquant un salaire minimum de 1.503,80 € pour le coefficient 206, alors que, tant l'avenant 9 du 20 février 2013 que celui du 12 novembre 2014, n'ont jamais fait l'objet d'extension et qu'elle n'est pas signataire de ces avenants qui ne s'imposent donc pas à elle, sa seule obligation étant de respecter l'obligation légale relative au salaire minimum interprofessionnel de croissance, ce qui est le cas.

Madame [E] rappelle que les dispositions visées au contrat de travail prévoient que son emploi en qualité de technicienne de surface relevait du niveau 1, échelon 2 de la convention collective nationale des magasins de cuisine à usage domestique. Or, les bulletins de salaire délivrés portent la mention niveau 1, échelon 1, ce qui ne correspond pas à l'engagement contractuel de l'employeur. Sur la base de la convention collective et des avenants n° 9 du 20 fevrier 2013 et n° 10 du 12 novembre 2014, elle demande un rappel de salaire de 729,84 € outre 72,98 € d'incidence congés payés sur cette somme.

***

En l'espèce, la convention collective nationale des magasins de cuisine à usage domestique n'a pas été étendue et la SARL PROVENCE CUISINES ET BAINS plaide l'application volontaire de la convention collective. La salariée reconnait l'application volontaire de la convention collective en invoquant qu'il s'agit d'un engagement contractuel de l'employeur.

S'il ressort du contrat de travail que Madame [E] a été engagée en qualité de technicienne de surface, niveau 1, échelon 2 prévu par la convention collective nationale des magasins de cuisine à usage domestique, la SARL PROVENCE CUISINES ET BAINS n'est cependant pas tenue d'appliquer les avenants postérieurs à cette convention collective.

Dans ces conditions, Madame [E] ne peut se prévaloir des dispositions relatives aux montants minima de salaire résultant des avenants postérieurs n° 9 du 20 février 2013 et n°10 du 12 novembre 2014.

La demande de rappel de salaire sera donc rejetée.

Sur la demande de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail

Madame [E] invoque les manquements suivants : la SARL PROVENCE CUISINES ET BAINS l'a menacée et a usé de son pouvoir de contrainte économique en ne délivrant pas l'attestation de salaire pour la sécurité sociale. De plus, elle l'a privée d'une partie de ses salaires puis l'a spoliée des derniers jours de salaire qui auraient dû lui être versés compte tenu de la computation du délai de 21 jours après l'acceptation du contrat de sécurisation professionnelle.

La SARL PROVENCE CUISINES ET BAINS conclut que Madame [E], alors même qu'elle a adressé de nombreux courriers à son employeur, ne s'est jamais ouvert d'une quelconque difficulté durant l'exécution du contrat de travail et ce n'est que le 15 février 2016, soit 7 mois après son premier arrêt, qu'elle a exposé la difficulté relative à l'attestation destinée à la sécurité sociale et alors même que dès le 2 mars 2016, la société a adressé à la CPAM copie de cette attestation.

***

Alors qu'il ressort du contrat de sécurisation professionnelle que les documents d'information ont été remis à Madame [E] le 31 octobre 2015 (date portée sur le récépissé du document de présentation du contrat de sécurisation professionnelle -volet 2) , le point de départ du délai de réflexion de 21 jours a été fixé à tort le 28 octobre 2015, entraînant une fin de contrat au 18 novembre 2015. Le bulletin de salaire du mois de novembre mentionne bien le paiement d'un salaire jusqu'au 18 novembre 2015 de sorte que Madame [E] a bien été privée de 3 jours de salaire et il convient de lui allouer à ce titre la somme de 90,21 €.

Par ailleurs, la SARL PROVENCE CUISINES ET BAINS reconnaît qu'elle n'a adressé à la CPAM l'attestation de salaire que le 2 mars 2016 au titre d'un accident du travail du 3 juillet 2015 puis du 4 septembre 2015. Madame [E] justifie par l'attestation de l'assurance maladie du 8 février 2016 qu'elle n'avait antérieurement perçu aucune indemnité journalière de sorte que le retard fautif dans la délivrance de l'attestation et l'exécution fautive du contrat de travail par l'employeur est démontrée.

Ces manquements ont causé un préjudice économique et financier à Madame [E] qui a été privée, à plusieurs reprises, d'une partie de ses revenus de subsistance.

Dans ces conditions, il convient de lui allouer la somme de 500 € de dommages-intérêts.

Madame [E] présente une autre demande de dommages-intérêts au titre de la délivrance tardive de l'attestation de salaire de l'employeur destinée à la sécurité sociale. Ayant invoqué ce manquement du retard dans la délivrance de l'attestation dans le cadre de la demande de dommages-intérêts pour éxécution fautive du contrat de travail (retard qu'elle a qualifié de 'Pouvoir de contrainte économique') et ayant obtenu un dédommagement au titre des dommages subis du fait de ce retard, la demande superfétatoire de Madame [E] sera rejetée.

II. Sur la rupture du contrat de travail

Madame [E] conteste le motif économique de son licenciement. Elle invoque :

- la dégradation antérieure des relations entre les parties.

- le fait que la réduction de son temps de travail au-deçà de la limite légale, qui n'est certes pas applicable à sa situation, démontre cependant la volonté de l'employeur de lui imposer une diminution non acceptable de son temps de travail d'autant que les horaires sont extrêmement reduits, repartis de façon dispersée et génèrent un salaire particulièrement dérisoire.

- le fait qu'il est peu vraisemblable que, pour une société tournant en 2014 à 1,4 millions d'euros de chiffre d'affaires annuel, son salaire dans un emploi modeste mais néanmoins indispensable de femme de menage, soit de nature à mettre en péril l'équilibre financier de la societe PROVENCE CUISINES ET BAINS, quel que soit l'impact de la concurrence et de la conjoncture.

- la lettre de la SARL PROVENCE CUISINES ET BAINS du 9 septembre 2015 qui fait état de griefs quant aux tâches qu'elle effectuait - alors même qu'elle n'avait repris son emploi que depuis quelques jours à peine - démontre la volonté de l'employeur de rompre le contrat de travail à tout prix, d'où l'insistance à la convaincre d'accepter une rupture conventionnelle puis le recours au motif economique.

- le fait qu'aucun élément n'a été communiqué par l'employeur concernant d'éventuelles recherches de reclassement, l'impossibilite de ce reclassement ou la situation économique de la société, si ce n'est un bilan partiel intermédiaire de l'année 2015. L'avantage pour la SARL PROVENCE CUISINES ET BAINS de produire un tel bilan intermédiaire au 31 mai 2015 était de faire ressortir la perte de 153.159 €, alors que finalement sur l'année 2015, en sa totalité, il y a eu un chiffre d'affaires de 1.713.700 € et un résultat net positif de 65.800 € et ce n'est pas la disparition de son salaire qui a concouru a un tel redressement spectaculaire.

- le fait que dans les mois ayant précédé son licenciement, il y a eu deux embauches et que, dans la période juste postérieure, il y a eu encore deux embauches.

-en sa qualité de franchisée la SARL PROVENCE CUISINES ET BAINS n'a peut-être pas accès d'office aux emplois de la marque, mais rien ne l'empêchait de solliciter ses confrères même s'il s'agissait de concurrents.

La SARL PROVENCE CUISINES ET BAINS conclut qu'elle se trouvait être confrontée à des difficultés la contraignant à se réorganiser et, afin de sauvegarder sa compétitivité, elle se devait d'ouvrir un nouvel établissement en un lieu de grand achalandage afin de « rabattre » de la clientèle sur son magasin d'[Localité 2], clientèle qui, en l'absence de magasin à l'enseigne CUISINES SCHMIDT sur la zone commerciale des Milles, avait tendance à se diriger vers un autre franchisé de la société CUISINES SCHMIDT exploitant au sein de la zone commerciale de [Localité 3]. Pour ce faire, elle s'est donc rapprochée de son franchiseur afin d'ouvrir un établissement au sein de la zone des Milles. Malheureusement la société CUISINES SCHMIDT a refusé cette franchise et, bien au contraire, a octroyé le local disponible à une autre de ses franchises, à savoir à une entreprise exerçant sous l'enseigne CUISINELLA, qui commercialise des produits concurrents à ceux produits par les CUISINES SCHMIDT, mais à un prix largement inférieur.

Ainsi, elle s'est trouvée confronter à une nouvelle concurrence en conséquence de quoi, elle a dû réorganiser son fonctionnement notamment s'agissant de l'entretien de ses locaux qui sont d'une superficie quelque peu réduite et ne nécessitait pas la présence de Madame [E] durant 3 heures par jour, de 9 H 00 à 12 H 00, alors même que la clientèle était présente au sein du magasin.

C'est pourquoi, il était proposé, à Madame [E], selon lettre du 22 juillet 2015, une modification de son contrat de travail consistant en la réduction dudit temps de travail et de ses horaires de travail. Madame [E] a refusé la modification substantielle de son contrat de travail due à la réorganisation de l'entreprise et elle ne pouvait qu'en tirer les conséquences en procédant au licenciement économique de cette dernière.

La SARL PROVENCE CUISINES ET BAINS, à l'enseigne CUISINES SCHMIDT n'appartient pas au Groupe CUISINES SCHMIDT, est un simple franchisé et à ce titre, elle n'avait aucune obligation d'effectuer des recherches au sein du groupe CUISINES SCHMIDT. Il est faux d'affirmer que des personnes ont été embauchées en lieu et place de Madame [E], ce qu'atteste le livre d'entrées et sorties du personnel.

***

Selon l'article L.1233-3 du code du travail, dans sa version applicable au litige,'constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques.

La SARL PROVENCE CUISINES ET BAINS invoque la nécessité qui s'est d'abord imposée à elle de se réorganiser pour sauvegarder sa compétitivité face à la concurrence puis des difficultés économiques résultant de l'échec de cette réorganisation justifiant une réorganisation de l'entreprise par la proposition de modification du contrat de travail de Madame [E], puis le licenciement de cette dernière du fait du refus de la salariée de cette modification.

Cependant, force est de constater que la SARL PROVENCE CUISINES ET BAINS procéde par affirmation et ne produit aucune pièce justifiant du contexte qu'elle décrit dans ses conclusions.

Dans la lettre de licenciement, elle invoque une situation financière qui n'est pas stable et 139 347 € de dettes en 2015. Outre que ce chiffre n'est pas justifié par l'employeur et ne peut correspondre aux dettes de l'année 2015 dès lors que la lettre de licenciement a été notifiée le 16 novembre 2015, cette seule indication de l'existence de dettes ne démontre pas l'existence de difficultés économiques.

La SARL PROVENCE CUISINES ET BAINS produit une note de situation du cabinet d'expert comptable [L] [P] qui mentionne une baisse du chiffre d'affaires entre 2013 et 2014 (1.547.166 € et 1.397.305 €) ainsi que les éléments comptables arrêtés au 31 mai 2015 qui indiquent un résultat, sur l'exercice des 5 premier mois, déficitaire de -153.159 €. Cependant, cette seule situation intermédiaire, dont l'intérêt évident de la produire est de mettre en exergue ce résultat déficitaire au 31 mai 2015, ne suffit pas à caractériser de réelles difficultés économiques auxquelles aurait été confrontée la SARL PROVENCE CUISINES ET BAINS, d'autant que Madame [E] produit les éléments comptables, non discutés par la SARL PROVENCE CUISINES ET BAINS, arrêtés au 31 décembre 2015, qui mentionnent un chiffre d'affaires de 1.713.700 €, un résultat net de 65.800€ et le total du bilan en augmentation de 11,80 % entre 2015 et 2016.

Les difficultés économiques ne sont donc pas caractérisées et le licenciement de Madame [E] est par conséquent sans cause réelle et sérieuse.

En application des dispositions de l'article L1235-5 du code du travail, et compte tenu

de son âge au moment de la rupture du contrat de travail (44 ans ), de son ancienneté (6 ans révolus), de sa qualification, de sa rémunération (667,48 €), des circonstances de la rupture, de la période de chômage qui s'en est suivie mais également de l'absence de justification de recherches actives d'emplois, il convient d'accorder à Madame [E] une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d'un montant de 5.000 €.

La SARL PROVENCE CUISINES ET BAINS conclut que l'indemnité de préavis ne serait pas due dès lors que Madame [E] a accepté le contrat de sécurisation professionnelle et n'a pas vocation à percevoir deux indemnités de préavis. Cependant, si le salarié a adhéré au contrat de sécurisation professionnelle, en l'absence de licenciement pour motif économique fondé sur une cause réelle et sérieuse, le contrat de sécurisation professionnelle devenant sans cause, l'employeur est tenu de reverser ' en plus des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ' l'indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents, sauf à tenir compte des sommes déjà versées à ce titre au salarié en vertu dudit contrat.

Il en résulte que Madame [E] est fondée à réclamer la somme de 1.334,96 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et celle de 133,49 € au titre des congés payés afférents.

Le jugement est confirmé de ces chefs.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et sur les dépens

Les dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles et aux dépens seront confirmées et il est équitable de condamner la SARL PROVENCE CUISINES ET BAINS à payer à Madame [E] la somme de 1.500 € au titre des frais non compris dans les dépens qu'elle a engagés en cause d'appel, Madame [E] s'engageant à renoncer au bénéfice de l'aide juridictionnelle en contre partie du paiement de cette somme.

Les dépens d'appel seront à la charge de la SARL PROVENCE CUISINES ET BAINS, partie succombante par application de l'article 696 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile et en matière prud'homale,

Confirme le jugement déféré sauf en ses dispositions relatives aux rappels de salaire, au licenciement et au montant des dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés,

Dit que le licenciement de Madame [O] [E] est sans cause réelle et sérieuse,

Condamne la SARL PROVENCE CUISINES ET BAINS à payer à Madame [O] [E] les sommes de :

- 500 € à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

- 5.000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 90,21 € à titre de rappel de salaire,

Déboute Madame [O] [E] de sa demande de rappel de salaire pour la période de juin 2013 à août 2015 et de sa demande de congés payés afférents,

Y ajoutant,

Condamne la SARL PROVENCE CUISINES ET BAINS à payer à Madame [O] [E] la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, Madame [O] [E] s'engageant à renoncer au bénéfice de l'aide juridictionnelle en contre partie du paiement de cette somme,

Condamne la SARL PROVENCE CUISINES ET BAINS aux dépens d'appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

Ghislaine POIRINE faisant fonction


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-1
Numéro d'arrêt : 18/17926
Date de la décision : 24/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-24;18.17926 ?
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