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17/06/2022 | FRANCE | N°18/18730

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-3, 17 juin 2022, 18/18730


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-3



ARRÊT AU FOND



DU 17 JUIN 2022



N° 2022/ 135



RG 18/18730

N° Portalis DBVB-V-B7C-BDM26







[O] [Y]

[H] [B]





C/



[V] [I]

Association AGS CGEA DE [Localité 5]





















Copie exécutoire délivrée le 17 juin 2022 à :



-Me Frédéric FRIBURGER, avocat au barreau de MARSEILLE



-Me Yann GALLANT, avoca

t au barreau de MARSEILLE



- Me François ARNOULD, avocat au barreau de MARSEILLE































Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de MARSEILLE en date du 15 Novembre 2018 enregistré au répertoire ...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-3

ARRÊT AU FOND

DU 17 JUIN 2022

N° 2022/ 135

RG 18/18730

N° Portalis DBVB-V-B7C-BDM26

[O] [Y]

[H] [B]

C/

[V] [I]

Association AGS CGEA DE [Localité 5]

Copie exécutoire délivrée le 17 juin 2022 à :

-Me Frédéric FRIBURGER, avocat au barreau de MARSEILLE

-Me Yann GALLANT, avocat au barreau de MARSEILLE

- Me François ARNOULD, avocat au barreau de MARSEILLE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de MARSEILLE en date du 15 Novembre 2018 enregistré au répertoire général sous le n° F 17/02847.

APPELANTS ET PARTIES INTERVENANTES

Maître [O] [Y], Liquidateur judiciaire de la S.A.S LOGICA, demeurant [Adresse 3]

représenté par Me Frédéric FRIBURGER, avocat au barreau de MARSEILLE

Maître [H] [B], Liquidateur judiciaire de la S.A.S LOGICA, demeurant [Adresse 4]

représenté par Me Frédéric FRIBURGER, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMEE

Madame [V] [I], demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Yann GALLANT, avocat au barreau de MARSEILLE

PARTIE INTERVENANTE

Association AGS CGEA DE [Localité 5], demeurant [Adresse 1]

représentée par Me François ARNOULD, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Julie GRIMA, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 26 Avril 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Estelle DE REVEL, Conseiller, chargée du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre

Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller faisant fonction de Président

Madame Estelle DE REVEL, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Florence ALLEMANN-FAGNI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 17 Juin 2022.

ARRÊT

CONTRADICTOIRE,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 17 Juin 2022

Signé par Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre et Madame Florence ALLEMANN-FAGNI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE

Le 1er février 2017, Mme [I] a été embauchée par la société SAS Logicia en qualité de comptable, statut agent de maîtrise, position 3.1, coefficient 400, par contrat de travail à durée indéterminée.

Dans le dernier état de la relation contractuelle, régie par la convention collective nationale des bureaux d'étude techniques, des cabinets d'ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils du 15 décembre 1987, la salariée percevait une rémunération mensuelle brute de 2 750 euros, incluant 12,33 heures supplémentaires forfaitaires par mois.

Le 29 septembre 2017, la salariée a été placée en arrêt de travail.

Le 9 novembre 2017, Mme [I] a pris acte de la rupture de son contrat de travail.

Le 12 décembre 2017, elle a saisi le conseil de prud'hommes de Marseille afin de voir requalifier sa prise d'acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamner son employeur à lui verser diverses sommes.

Le 15 novembre 2018, le conseil de prud'hommes, statuant en sa formation de départage, a:

'Dit que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail de Mme [V] [I] du 9 novembre 20117 produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse

Condamné la SAS Logica à verser à Mme [I] les sommes de nature salariales suivantes :

585,93 euros bruts de rappel d'heures supplémentaires restant dû, outre 96,44 euros bruts de congés payés calculés sur la somme de 964,47 euros initialement due

5 500,00 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 550 euros de congés payés y afférents

Condamne la SAS Logica à verser à Mme [V] [I] les sommes de nature indemnitaire suivantes :

250,00 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect par la SAS Logica de la durée maximale journalière de travail

2 500,00 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement de la SAS Logica de son obligation de sécurité

2 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

630,20 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement

Déboute Mme [I] de sa demande indemnité formée au titre du travail dissimulé et de sa demande de rappel de primes d'objectifs pour l'année 2017

Condamne la SAS Logica à verser à Mme [I] la somme de 1 500,00 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

Condamne la SAS Logica aux entiers dépens de la présente procédure

Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire de la décision

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires'.

Le 28 novembre 2018, la société a interjeté appel du jugement.

Par jugement du 1 avril 2020, le tribunal de commerce de Marseille a prononcé le redressement judiciaire de la société, converti en liquidation judiciaire par jugement du 2 décembre 2020.

Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 1er avril 2021, Maître [O] [Y] et Maître [H] [B], es qualité de liquidateurs de la société, demandent à la cour de :

'Constater les interventions volontaires de Maître [H] [B] et Maître [O] [Y], es qualité de mandataires liquidateurs,

Les déclarer recevables et bien fondées,

Inviter la partie intimée à appeler en la cause le CGEA-AGS,

INFIRMER le jugement entrepris sur les chefs de condamnations de la société LOGICA et le confirmer pour le surplus ;

JUGER mal fondé l'appel incident de Madame [I] tendant à la réformation partielle du Jugement du 15 novembre 2018 rendu par le Conseil de Prud'hommes de Marseille sur les chefs du prétendu non-respect de la durée maximale journalière, du licenciement sans cause réelle et sérieuse, de l'obligation de sécurité, et du travail dissimulé,

Statuant à nouveau :

CONSTATER que la société LOGICA n'a pas manqué à ses obligations légales et/ou contractuelles et n'a commis aucun manquement justifiant la prise d'acte à ses torts exclusifs du contrat de travail de Madame [I] ;

Par conséquent, la Cour devra :

CONSTATER que la prise d'acte par Madame [I] de son contrat de travail produit les effets d'une démission ;

DEBOUTER Madame [I] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;

CONDAMNER Madame [I] à verser à la société LOGICA la somme de 5 500 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis dû et non exécuté ;

CONDAMNER Madame [I] à verser à la société LOGICA la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.'

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 18 août 2021, la salariée demande à la cour de :

'Confirmer le jugement en ce qu'il a dit que la prise d'acte de rupture produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse

Confirmer le jugement en ce qu'il a octroyé à Madame [I] la somme de 5500,00€ à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 550,00€ de congés payés y afférents

Confirmer le jugement en ce qu'il a octroyé à Madame [I] la somme de 682,37€ au titre de rappel d'heures supplémentaires et 630,20€ au titre d'indemnité de licenciement et 1500,00€ au titre de l'article 700 du CPC.

Réformer le jugement pour le surplus des demandes puis statuant à nouveau :

Constatant le non respect par la société de la durée maximale journalière de travail

Porte à 1500,00€ les dommages et intérêts de ce chef et fixe la créance à cette hauteur

Porte à 2750,00€ les dommages et intérêts au titre de licenciement sans cause réelle et sérieuse et fixe la créance à cette hauteur

Porte à 10000,00€ les dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité et fixe la créance à cette hauteur

Constatant le travail dissimulé, indemnise Madame [I] à hauteur de 16500,00€ de ce chef de demande et fixe la créance à cette hauteur

Condamne la société à lui verser la somme de 2500,00€ au titre de l'article 700 du CPC et fixe la créance à cette hauteur

- Débouter la société de l'ensemble de ses demandes

- Condamner la société aux entiers dépens'.

Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 7 Juillet 2021, l'Unedic Délégation AGS-CGEA de [Localité 5] demande à la cour de :

'Vu la mise en cause de l'AGS/CGEA par Mme [V] [I] sur le fondement de l'article L.625-3 du code de commerce;

Donner acte au concluant de ce qu'il s'en rapporte sur le fond à l'argumentation développée par la société Logica, représentée par ses co-mandataires liquidateurs,

Infirmer le jugement déféré sur les chefs de condamnation de la société Logica et le confirmer pour le surplus,

Débouter Mme [I] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

En tout état rejeter les demandes infondées et injustifiées et ramener à de plus justes proportions les indemnités susceptibles d'être allouées au salarié,

Débouter Mme [V] [I] de sa demande en paiement d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et en tout état déclarer le montant des sommes allouées inopposables à l'AGS CGEA,

Déclarer inopposables à L'AGS CGEA les dépens de la procédure de première instance et d'appel,

En tout état constater et fixer en deniers ou quittances les créances de Mme [V] [I] selon les dispositions de l'article L.3253-6 à L.3253-21 et D.3253-1 à D.3253-6 du code du travail,

Dire et juger que l'AGS ne devra procéder à l'avance des créances visées à l'article L.3253-8 et suivants du code du travail que dans les termes et conditions résultant des dispositions des articles L.3253-19 et L.3253-17 et D.3253-5 du code du travail, plafonds qui inclus les cotisations et contribution sociales et salariales d'origine légale, ou d'origine conventionnelle imposée par la loi, ainsi que la retenue à la source prévue à l'article 204 A du code général des impôts,

Dire et juger que les créances fixées, seront payables sur présentation d'un relevé de créance par le mandataire judiciaire, et sur justification par celui-ci de l'absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement en vertu de l'article L.3253-20 du code du travail,

Dire et juger que le jugement d'ouverture de la procédure collective a entraîné l'arrêt des intérêts légaux et conventionnels en vertu de l'article L.622-28 du code de commerce.'

Pour l'exposé plus détaillé des prétentions et moyens des parties, il sera renvoyé, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, aux conclusions des parties.

MOTIFS DE LA DECISION

A titre liminaire, la cour rappelle qu'en application des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile « la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif » et que les 'dire et juger' et les 'constater' ne sont pas des prétentions en ce que ces demandes ne confèrent pas de droit à la partie qui les requiert hormis les cas prévus par la loi ; en conséquence, la cour ne statuera pas sur celles-ci, qui ne sont en réalité que le rappel des moyens invoqués .

En application de l'article 954 du code de procédure civile selon lequel la partie qui ne conclut pas est réputée s'approprier les moyens du jugement, Mme [I] ne faisant aucune demande quant au rappel de prime d'objectif pour l'année 2017, la cour confirme le jugement de ce chef.

I. Sur l'intervention volontaire des liquidateurs

Il convient de recevoir l'intervention volontaire à l'instance d'appel de Maître [O] [Y] et Maître [H] [B], en leur qualité de liquidateurs de la société Logica à la suite de l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire à l'endroit de la société par jugement du 2 décembre 2020 du tribunal de commerce de Marseille.

II. Sur l'exécution du contrat de travail

1) Sur les heures supplémentaires

Soutenant que les heures supplémentaires auraient dû être décomptées chaque semaine et payées chaque mois, Mme [I] fait valoir que l'accord national sur la durée du travail du 22 juin 1999 transposé dans la société par une note interne lui est inopposable et est illicite.

Elle expose qu'elle n'en a pas eu connaissance, qu'il déroge aux dispositions de l'article L3122-2 du code du travail, en sa version antérieure à la loi du 8 août 2016, et qu'il n'y a pas eu d'accord d'entreprise de modulation pour adapter cet accord de branche aux nouvelles dispositions légales issues de la loi du 8 août 2016.

Les liquidateurs répliquent que la demande de rappel d' heures supplémentaires n'est pas justifiée compte tenu du système d'annualisation du temps de travail résultant de l'accord de branche du 22 juin 1999 étendu ainsi qu'aux avenants des 25 octobre 2007 et 1er avril 2014 également étendus, dans le respect des dispositions légales permettant un accès direct aux entreprises de moins de 50 salariés, selon lequel les heures supplémentaires accomplies au delà de la durée contractuelle moyenne du travail étaient décomptées à l'année et réglées si non récupérées à la demande du salarié ; ils indiquent que contrairement à ce que soutient l'intimée, le contrat de travail de la salariée rappelait l'application de cet accord national dans l'entreprise et celle-ci s'était vue expliquer les modalités de récupération des heures.

Le contrat de travail stipule, en son article 4 consacré aux horaires de travail, que la durée moyenne hebdomadaire de travail de Mme [I] est de 37,88 heures, soit 151,67 heures mensuelles plus 12,33 heures supplémentaires majorées conformément à l'accord sur les 35 heures applicable dans l'entreprise. Il est expressément convenu que la répartition hebdomadaire ou mensuelle de la durée de travail pourra être modifiée en fonction des nécessités liées au bon fonctionnement de l'entreprise. D'autre part, Mme [I] pourra également être amenée à effectuer des heures supplémentaires lorsque la bonne marche de l'entreprise l'exigera. Elle ne bénéficie pas de jour de récupération du temps de travail.'

La cour relève que la salariée qui réclame le paiement d'heures supplémentaires produit un calcul de ces heures en appliquant l'accord national du 22 juin 1999 relatif à la durée du travail annexé à la convention collective nationale Syntec, étant observé que le rappel de salaire sollicité ne porte que sur les heures accomplies au delà des 12,33 heures forfaitaires, selon ses propres termes.

De la même façon, les liquidateurs qui opposent l'application dans l'entreprise de l'accord susvisé à travers une note d'information relative à la réduction et à l'aménagement du temps de travail du 1er juillet 2002, pour refuser de payer les heures réclamées, fondent en définitive leur propre calcul des heures dues et déjà réglées lors de la rupture du contrat de travail aux termes du solde de tout compte, sur le relevé déclaratif établi par la salariée.

Il en résulte que les moyens tirés de l'opposabilité ou non de cet accord et de sa licéité sont inopérants puisque les parties n'en tirent aucune conséquence pour fonder leurs demandes. La cour n'a donc pas à y répondre.

Il résulte des dispositions des articles L. 3171-2, alinéa 1er, L. 3171-3, dans sa rédaction applicable au litige, et L. 3171-4 du code du travail, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

Mme [I] affirme qu'à compter du 12 juin 2017, elle avait reçu la consigne de ne se servir du système d'enregistrement automatique à l'aide d'une badgeuse que deux fois par jour, le matin en arrivant et l'après-midi après la pause déjeuner.

Elle soutient donc que le relevé de badgage produit par l'employeur n'est pas fiable.

Elle verse aux débats:

- un tableau déclaratif des heures quotidiennes effectuées sur la période du 12 juin au 29 septembre 2017 comprenant les heures d'arrivée et de départ le matin, les heures d'arrivée et de départ l'après-midi

- l'attestation d'une autre salariée selon laquelle M. [I] effectuait 'de nombreuses heures supplémentaires et ce de manière régulière, bien que la société ait posé en principe que nos heures supplémentaire devaient être récupérées et non payées, cela en pratique n'a pas été souvent possible car il y avait beaucoup trop de travail par rapport à l'effectif du service comptable',

- l'attestation d'une salariée selon laquelle 'il était demandé aux agents de maîtrise et cadres de ne pointer que deux fois par jour (les entrées mais surtout pas les sorties). Le service RH intervenait directement sur les relevés d'heures pour apporter les corrections comme bon leur semblait'

Au-delà des arguments inopérants sur le caractère unilatéral et non fiable du décompte présenté par la salariée et sur l'absence de réclamation de sa part avant son arrêt maladie, les liquidateurs expliquent avoir procédé au calcul des heures supplémentaires dues en utilisant, non pas les relevés de pointage mais les relevés d'heures établis par la salariée de façon déclarative. Ils expliquent que les relevés de badgeage étaient faussés puisque la salariée ne badgeait que deux fois par jour en arrivant le matin et l'après-midi et ce depuis le début de son contrat, sans que, contrairement à ce qu'elle affirme, il ne s'agisse d'une consigne de l'employeur.

L'employeur dit avoir donc, à partir des relevés déclaratifs de la salarié, procédé aux calculs de la durée du travail effectivement accompli en déduisant des temps de pause non comptabilisés ou comptabilisé de façon très minime par la salariée en dehors de toute cohérence.

Il précise qu'alors que les heures d'arrivée ressortant des relevés de badgages devraient correspondre à celles effectivement badgées par la salariée, elles sont souvent différentes de celles indiquées dans les relevés déclaratifs établis par cette dernière, ce qui est incohérent.

L'employeur produit :

- un mail de la gestionnaire de paie au directeur des ressources humaines daté du 13 novembre 2017, au moment de l'établissement du solde de tout compte: 'selon les données transmises par [V] il y aurait un total de 23h66 à régler. Par contre il y a des anomalies dans ses pointages déclarés notamment sur des journées où elle ne déclare pas de pause. De plus, ses journées déclarées avec 15 minutes de pause, je pense que ce n'est pas correct d'autant plus qu'elle se servait au restaurant [R] et qu'elle n'apportait pas sa gamelle. D'autre part, plusieurs fois par semaine, elle se rendait pendant sa pause déjeuner avec [G] [E] au club de gym et en revenant à 14h elle faisait sa pause déjeuner et non pas du travail. Sur horoquartz, nous ne pouvons pas vérifier ses données car elle pointait une fois le matin et une fois l'après-midi à 14h ou le soir en partant';

- l'attestation de Mme [E] qui indique qu'elle avait l'habitude de covoiturer avec Mme [I] pour se rendre au club de gym les lundis, mercredis et vendredis entre 12h et 14h;

- les feuilles hebdomadaires de pointage.

La cour retient, après analyse de l'ensemble de ces éléments et pièces, que nonobstant leurs critiques et contestations, les liquidateurs ont fait leurs les relevés déclaratifs établis par la salariée et ont payés des heures supplémentaires sur cette base au moment de la rupture du contrat de travail (mail du 13 novembre 2017 susvisé).

La cour relève que le contrôle opéré par l'employeur sur la durée des pauses, basé sur des attestations de collègues qui se trouvent placées sous sa hiérarchie est en ce sens peu probant et est en outre peu fiable au vu du contenu des attestations susvisées.

La cour relève encore que si l'employeur déplore l'absence d'utilisation conforme du système d'enregistrement automatique à l'aide d'une badgeuse par la salariée, laquelle soutient avoir agi conformément aux consignes sans cependant en justifier, il lui incombait de faire respecter l'utilisation de ce système dans le cadre de son pouvoir de direction et de contrôle. Il ne peut tout à la fois affirmer que du fait d'une mauvaise utilisation, les relevés de pointage ne sont pas fiables et fonder - en partie- le contrôle des horaires de travail sur ces relevés.

La cour retient que l'employeur qui pointe des incohérences dans les relevés déclaratifs de la salarié s'agissant des heures d'arrivée le matin, se fonde sur une comparaison avec les relevés de pointage qu'il produit, alors que ceux-ci indiquant une heure d'arrivée tous les jours de la semaine à 7h34, ne peuvent raisonnablement être tenus pour fiables.

C'est en conséquence à bon droit que le conseil des prud'hommes a retenu un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires à hauteur de 682,37 euros décomposé comme suit 585,93 euros, outre 96,44 euros bruts de congés payés et de fixer la créance à cette somme telle que réclamée par la salariée.

2) Sur la durée maximale journalière de travail

La salariée réclame une somme de 1 500 euros pour indemniser son préjudice lié au non respect de la durée maximale journalière de travail.

Les liquidateurs contestent qu'il y ait eu des dépassements et font valoir l'absence de valeur probante des relevés déclaratifs de la salariée.

C'est par des motifs pertinents que la cour adopte que le conseil des prud'hommes a relevé qu'aux termes du décompte dressé par la salariée, la société n'avait pas respecté les règles relatives à la durée maximale journalière de travail à plusieurs reprises durant le mois de septembre 2017 (10h20 dont 2h05 de temps de pause le 13 septembre, 12h35 sans pause le 20 septembre, 13h25 incluant 2 heures de pauses le 21 septembre et 11h45 incluant 15 minutes de pause le 22 septembre 2017).

La demande indemnitaire de la salariée à hauteur de 1500 euros n'est pas justifiée et conformément à ce qui a été jugé, il convient d'indemniser le préjudice par la somme de 250 euros et de fixer ainsi la créance.

3) Sur le travail dissimulé

La dissimulation d'emploi salarié prévue par l'article L. 8221-5 2°du code du travail n'est caractérisée que s'il est établi que l'employeur a, de manière intentionnelle, mentionné sur le bulletin de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement effectué. Le caractère intentionnel ne peut pas se déduire de la seule absence de mention des heures supplémentaires sur les bulletins de paie.

Le non paiement d'heures supplémentaires dans les proportions suvisées ne peut suffire à caractériser l'élément intentionnel de la société.

Il convient de confirmer le jugement entrepris de ce chef.

4) Sur l'obligation de sécurité

La salariée considère que l'employeur n'a pas adapté son poste à son état de santé conformément aux préconisations du médecin du travail ayant conclu à la nécessité de lui octroyer un fauteuil ergonomique adapté et ce, en dépit de ses multiples relances.

Les liquidateurs répliquent que la société a tout mis en oeuvre pour respecter les préconisations du médecin du travail, d'abord en fournissant à la salariée un fauteuil neuf et adapté aux fonctions administratives, ensuite en recherchant l'aide et l'appui des acteurs de la santé au travail.

Aux termes de l'article L 4121-1 du code du travail l'employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des salariés et doit veiller à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances.

L'article L.4624-1 du code du travail dispose : 'Le médecin du travail est habilité à proposer des mesures individuelles telles que mutations ou transformations de postes, justifiées par des considérations relatives notamment à l'âge, à la résistance physique ou à l'état de santé physique et mentale des travailleurs. L'employeur est tenu de prendre en considération ces propositions et, en cas de refus, de faire connaître les motifs qui s'opposent à ce qu'il y soit donné suite. En cas de difficulté ou de désaccord, l'employeur ou le salarié peut exercer un recours devant l'inspecteur du travail. Ce dernier prend sa décision après avis du médecin inspecteur du travail.'

Ainsi, l'employeur, tenu à une obligation de sécurité, doit respecter les préconisations du médecin du travail.

Tout travailleur qui, lors de la visite d'information et de prévention, être considéré comme travailleur handicapé au sens de l'article L.5213-2 du code du travail et être reconnu par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées mentionnées à l'article L.146-9 du code de l'action sociale et des familles, ainsi que tout travailleur qui déclare être titulaire d'une pension d'invalidité attribuée au titre du régime général de sécurité sociale ou de tout autre régime de protection sociale obligatoire, est orienté sans délai vers le médecin du travail et bénéficie d'un suivi individuel adapté à son état de santé.

En l'espèce, la salariée s'est vue reconnaître la qualité de travailleur handicapée par la mission départementale des personnes handicapées des Bouches du Rhône à compter du 28 septembre 2016. Lors de la visite médicale d'embauche, le 16 février 2017, le médecin du travail l'a déclarée apte à son poste et a indiqué : 'un fauteuil ergonomique de bonne qualité est nécessaire', préconisation que l'employeur était tenu de prendre en considération.

Or, il n'est pas contesté que le 9 novembre 2017, la salariée ne bénéficiait toujours pas d'un mobilier adapté.

La cour retient que le conseil des prud'hommes a fait un relevé exhaustif de la chronologie des démarches entreprises par l'employeur et des relances de la salariée auxquelles il convient de se référer :

- commande par l'employeur de chaises et de fauteuils pour les salariés le 13 février 2017, soit trois jours avant les préconisations médicales susvisées concernant l'intimée,

- relance par la salariée le 18 avril 2017,

- saisine de la SAMETH le 24 avril 2017 par l'employeur (concernant l'achat d'un fauteuil ergonomique en y annexant l'attestation de suivi individuel du médecin du travail),

- relance de la SAMETH le 23 mai,

- relance par la salariée de l'employeur le 19 septembre,

- étude de poste le 29 mai et le 22 septembre 2017 aux termes de laquelle la SAMETH indique le 22 septembre 'la seule mise à disposition d'un siège adapté pour Mme [I] ne répondra pas aux attentes et ne compensera pas le handicap. En effet, nous sommes contraints par la configuration du bureau, l'implantation, la hauteur du mobilier. Sans avis du médecin, je ne peux aller plus avant'.

Comme l'a souligné le conseil par des motifs pertinents que la cour adopte, l'employeur ne démontre, ni n'allègue avoir été mis dans l'impossibilité de prendre en considération les préconisations du médecin du travail, les réponses et le comportement de la SAMETH ne pouvant justifier qu'il n'ait pu satisfaire à son obligation de sécurité à l'égard de la salariée depuis le 16 février 2017.

C'est en conséquence à bon droit que le conseil des prud'hommes a évalué l'indemnité pour manquement à l'obligation de sécurité à la somme de 2 500 euros, Mme [I] ne justifiant pas d'un préjudice plus ample.

Il convient en conséquence de fixer au passif de la liquidation de la société la somme de 2 500 euros.

II. Sur la prise d'acte de la rupture du contrat de travail

La prise d'acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l'employeur empêchant la poursuite du contrat de travail.

Lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit d'un licenciement nul si les manquements reprochés à l'employeur sont de nature à entraîner la nullité du licenciement, soit dans le cas contraire, d'une démission.

C'est au salarié qu'il incombe de rapporter la preuve des faits qu'il reproche à son employeur, s'il subsiste un doute, celui-ci profite à l'employeur.

La prise d'acte ne produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse qu'à la condition que les faits invoqués, non seulement, soient établis, la charge de cette preuve incombant au salarié, mais constituent un manquement suffisamment grave de l'employeur empêchant la poursuite du contrat de travail.

A l'appui de la prise d'acte, le salarié est admis à invoquer d'autres faits que ceux avancés dans le courrier de rupture.

En l'espèce, le 9 novembre 2017, la salariée a pris acte de la rupture du contrat de travail dans les termes suivants:

'Je viens par la présente prendre acte de la rupture de mon contrat de travail pour les raisons suivantes:

- depuis mon entrée dans votre société, j'ai réalisé de nombreuses heures supplémentaires que je n'ai pu récupérer et qui ne m'ont pas été payées. J'en avais informé ma hiérarchie par courrier du 8 mai 2017 sans réponse probante (entretien avec M. [Z]) ni sans aucun effet (courrier du 24 octobre)

- depuis le 16 février 2017, la médecine du travail a demandé que mon poste soit équipé d'un siège ergonomique. Je vous rappelle que j'ai une reconnaissance en tant que travailleur handicapé pour des problèmes de dos. Depuis cette date et malgré la venue de la SAMETH en mai, aucune mesure n'a été prise, malgré mon courrier du 24 octobre qui faisait suite à un de mes mails notamment du 19 septembre. Il s'agit là d'un manquement à votre obligation de sécurité qui m'a conduite à être en arrêt de travail depuis le 29 septembre, mes problèmes de dos ayant conduit mon médecin à m'arrêter.

J'ai souhaité que nous envisagions une rupture conventionnelle pour laquelle la responsable comptable m'avait donné son aval. Il m'a été demandé de formaliser cette demande par courrier ce qui a été fait le 24 octobre 2017. Depuis, je n'ai plus aucune nouvelle de votre part.'

Il en ressort que la salariée fonde sa prise d'acte sur le non paiement d'heures supplémentaires et sur le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.

La cour ayant retenu la responsabilité de la société pour manquement à l'obligation de sécurité pour n'avoir pas fourni à la salariée un fauteuil ergonomique conformément aux préconisations du médecin du travail, il convient de dire que ce manquement eu égard notamment à sa nature et sa durée est suffisamment grave pour justifier la prise d'acte aux torts de l'employeur, ladite prise d'acte produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres manquements reprochés.

Sur les conséquences de la rupture

Les liquidateurs, qui sollicitent l'infirmation du jugement du conseil de prud'hommes en toutes ses dispositions, considérant que la prise d'acte doit s'analyser en une démission, doivent par conséquent être déboutés de l'ensemble de leurs demandes.

Sauf à les fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société, il n'y a pas lieu de statuer sur les sommes prononcées au titre de l'indemnité de préavis, de l'indemnité de congés payés sur préavis, et de l'indemnité conventionnelle de licenciement, Mme [I], en sollicitant la confirmation.

L'article L 1235-3 du code du travail applicable à la date du licenciement prévoit une indemnité d'un montant compris entre les planchers et plafonds fixés en fonction de l'ancienneté de la salariée. L'article L. 1235-3-2 du code du travail prévoit que ce barème s'impose également en cas de résiliation judiciaire du contrat de travail ou de prise d'acte du contrat de travail aux torts de l'employeur.

La salariée dans ses conclusions n'explicite aucunement le montant réclamé. La Cour considère que le conseil de prud'hommes a fait une juste appréciation de la réparation du préjudice en allouant la somme de 2 000 euros, au regard de l'âge de la salariée au moment de la prise d'acte (née le 10 novembre 1978), de son ancienneté inférieure à 10 mois, de son salaire de référence brut de 2 750 euros et de l'absence d'éléments portant sur sa situation actuelle.

Ces créances doivent être mises au passif de la liquidation judiciaire de la société.

IV. Sur la garantie des AGS CGEA

Compte tenu de la nature des sommes allouées, l'UNEDIC délégation AGS CGEA de [Localité 5] doit sa garantie dans les termes des articles L.3253-8 et suivants du code du travail.

V. Sur les autres demandes

Les intérêts au taux légal sont dus sur les créances salariales jusqu'au jugement d'ouverture de la procédure collective, lequel a entraîné l'arrêt des intérêts légaux et conventionnels en vertu de l'article L.622-28 du code de commerce.

L'équité commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et de condamner la société, représentée par les liquidateurs, à payer à la salariée la somme de 2 000 euros.

La société Logica représentée par Maître [O] [Y] et Maître [H] [B], en qualité de liquidateurs, doit être condamnée aux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, en matière prud'homale,

Reçoit l'intervention volontaire à l'instance d'appel de Maître [O] [Y] et Maître [H] [B], en leur qualité de liquidateurs de la société Logica,

Confirme le jugement entrepris SAUF sur l'article 700 du code de procédure civile et à fixer les créances résultant des condamnations en paiement de première instance

Statuant à nouveau et Y ajoutant

Fixe les créances de Mme [V] [I] au passif de la liquidation judiciaire de la société Logica aux sommes suivantes:

- 682,37 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires,

- 250 euros à titre de dommages et intérêts pour non respect de la durée maximale journalière de travail,

- 2 500 euros à titre de dommages et intérêts pour non respect de l'obligation de sécurité,

- 5 500 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 550 euros au titre des congés payés afférents,

- 630,20 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Dit que le jugement d'ouverture de la procédure collective a entraîné l'arrêt des intérêts légaux et conventionnels,

Dit que l'UNEDIC délégation AGS CGEA de [Localité 5] doit sa garantie dans les termes des articles L.3253-8 et suivants du code du travail,

Condamne la société Logica représentée par Maître [O] [Y] et Maître [H] [B], en qualité de liquidateurs, à payer à Mme [I] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette les autres demandes,

Condamne la société Logica représentée par Maître [O] [Y] et Maître [H] [B], en qualité de liquidateurs, aux dépens d'appel.

LE GREFFIERLE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-3
Numéro d'arrêt : 18/18730
Date de la décision : 17/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-17;18.18730 ?
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