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10/06/2022 | FRANCE | N°18/01624

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-2, 10 juin 2022, 18/01624


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-2



ARRÊT AU FOND

DU 10 JUIN 2022



N° 2022/146













Rôle N° RG 18/01624 - N° Portalis DBVB-V-B7C-BB3MA







SAS PRIMONIAL





C/



[V] [F]





















Copie exécutoire délivrée

le : 10 Juin 2022

à :



Me Isabelle MANGIN, avocat au barreau de MARSEILLE



Me Ratiba OGBI, avocat au bar

reau de MONTPELLIER















Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'AIX-EN-PROVENCE en date du 12 Décembre 2017 enregistré au répertoire général sous le n° 16/00549.





APPELANTE



SAS PRIMONIAL Ayant Me Isabelle MANGIN pour Avoc...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-2

ARRÊT AU FOND

DU 10 JUIN 2022

N° 2022/146

Rôle N° RG 18/01624 - N° Portalis DBVB-V-B7C-BB3MA

SAS PRIMONIAL

C/

[V] [F]

Copie exécutoire délivrée

le : 10 Juin 2022

à :

Me Isabelle MANGIN, avocat au barreau de MARSEILLE

Me Ratiba OGBI, avocat au barreau de MONTPELLIER

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'AIX-EN-PROVENCE en date du 12 Décembre 2017 enregistré au répertoire général sous le n° 16/00549.

APPELANTE

SAS PRIMONIAL Ayant Me Isabelle MANGIN pour Avocat postulant et Me Thierry ROMAND pour Avocat ([Localité 4]), demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Isabelle MANGIN, avocat au barreau de MARSEILLE, substituée par Me Jérémie MICHEL, avocat au barreau des HAUTS DE SEINE

INTIMEE

Madame [V] [F], demeurant [Adresse 2]

comparante en personne, assistée de Me Ratiba OGBI, avocat au barreau de MONTPELLIER

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 22 Novembre 2021 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, M. Jean-Yves MARTORANO, Président de chambre a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Monsieur Jean Yves MARTORANO, Président de chambre

Madame Florence TREGUIER, Présidente de chambre suppléante

Madame Marie-Noëlle ABBA, Présidente de chambre

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Mme Cyrielle GOUNAUD.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 28 Janvier 2022, délibéré prorogé au 0 Juin 2022

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 10 Juin 2022,

Signé par Madame Florence TREGUIER, pour le Président empêché et Mme Cyrielle GOUNAUD, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE :

Madame [V] [F] a été engagée par la Société W Finance Conseil en qualité de conseiller financier à compter du 17 Août 2009 ; ce contrat fait l'objet de divers avenants ;

en 2012 l'employeur a été absorbé par le groupe Primonial, dont l'activité est notamment celle des opérations de courtage d'assurances, les transactions sur immeubles et fonds de commerce, le démarchage bancaire ou financier, le conseil en gestion de patrimoine, et un nouvel avenant au contrat travail a été conclu entre les parties le 16 juillet 2012 ;

au dernier état de la relation contractuelle, régie par l'accord d'entreprise Primonial Mme [V] [F] exerçait l'emploi de conseiller en investissements financiers et percevait un salaire brut mensuel moyen de 1.867,06 € pour un horaire à temps plein.

Mme [V] [F] a été licenciée par lettre du 29 février 2016 pour ' insuffisance professionnelle ' ainsi décrite :

' (...) en votre qualité de conseiller en investissements financiers il vous incombait d'atteindre les objectifs contractuels suivants :

- réaliser un minimum moyen mensuel de 8 rendez-vous par semaine auprès de clients et/ou prospects différents

- recueillir chaque mois auprès de clients différents au moins 4 souscriptions ou des souscriptions représentant un chiffre d'affaires de 125 000 €;

- assurer auprès de chacun des clients dont vous assurez le suivi au moins un rendez-vous « gestion '' au cours de chaque année civile, dûment enregistrée dans l'outil informatique mis à disposition par la société.

Vous n'étiez pas sans savoir que conformément à vos obligations contractuelles les objectifs susvisés constituaient un élément substantiel de votre contrat de travail, et que le non-respect desdits objectifs contractuels pouvaient constituer une insuffisance professionnelle et/ou de résultats.

Vos insuffisances de résultats n'ont fait que s'accentuer, et ce, malgré l'aide, les conseils et le soutien de votre hiérarchie..'' [Description des aides et conseils prodigués depuis octobre 2014] « force est de constater que depuis l'arrêt de ce coaching, vous n 'avez pas atteint vos objectifs contractuels, soit aucune collecte mensuelle au-dessus de 125 000 € (...)sur l 'année 2015 vous avez enregistré les chiffres suivants :

-un chiffre d'affaires de 660 483 €, soit 44 % de l'objectif contractuel (1 500 000 €)

- une moyenne de six rendez-vous hebdomadaires (5,88 sur la base de 44 semaines) au lieu de huit

- la tenue de 208 rendez-vous « de gestion ''

Par ailleurs nous ne pouvons que constater une faible dynamique de prise de rendez-vous et un faible recrutement de nouveaux foyers fiscaux. Votre activité de prospection reste en deçà des attentes pour concrétiser de nouvelles affaires commerciales, notamment sur les ventes immobilières.

Vos insuffisances n'ont jamais cessé de perdurer, et sont corroborées par cette synthèse récapitulative (...)

Afin de vous accompagner sur l'année 2015, plusieurs actions ont été mises en place (').

Malgré ce soutien, aucun résultat n'a été constaté.

Lors de l'entretien préalable, vous avez reconnu vous-même l'insuffisance de vos résultats et vous n'avez pas apporté d'éléments démontrant votre volonté de réussir.

(')

Dans ces circonstances, nous avons donc décidé de vous notifier par la présente licenciement pour insuffisance professionnelle (')'.

Contestant la réalité et le sérieux de ce motif et se plaignant notamment de harcèlement, Mme [V] [F] a, le 19 mai 2016, saisi le conseil de prud'hommes d'Aix-en-Provence, section encadrement, qui, par jugement du 12 décembre 2017 a ainsi statué :

- Dit que le licenciement de Mme [V] [F] est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

- Dit que Mme [V] [F] n 'a pas été victime de harcèlement moral.

- Condamne la SAS Primonial à verser à Mme [V] [F] les sommes suivantes :

' 45.000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse

' 1.826, 47 € au titre du mois supplémentaire de préavis,

' 182, 64 € à titre d 'incidence congés payée sur ce préavis,

' 1.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Ordonne la remise des documents sociaux conformes au présent jugement.

- Déboute Mme [V] [F] du surplus de ses demandes.

- Déboute la SAS Primonial de l'intégralité de ses demandes.

- Condamne La SAS Primonial à supporter les entiers dépens.

Par déclaration transmise par le réseau RPVA le 29 janvier 2018 la SAS Primonial a interjeté appel de certains chefs de ce jugement qui lui avait été notifié par lettre recommandée avec demande d'avis de réception expédiée le 15 janvier 2018 et reçue à une date non indiquée sur l'avis de réception.

Par conclusions électroniques transmises au greffe via le RPVA le 27 avril 2018, auxquelles il est expressément fait référence pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, l'appelante demande à la cour de :

' Confirmer le jugement en ce qu'il a :

- Dit que Mme [V] [F] n'a pas été victime de harcèlement moral ;

- Débouté Mme [V] [F] du surplus de ses demandes.

' Reformer le jugement en ce qu 'il a :

- Dit que le licenciement de Mme [V] [F] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- l'a Condamnée à verser a Mme [V] [F] les sommes suivantes :

' 45.000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse

' 1.826, 47 € au titre du mois supplémentaire de préavis,

' 182, 64 € à titre d 'incidence congés payée sur ce préavis,

' 1.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Ordonné la remise des documents sociaux ;

- l'a Déboutée de l'intégralité de ses demandes ;

- l'a Condamnée à supporter les entiers dépens.

$gt; et Statuant à nouveau:

' Dire et juger que le licenciement de Mme [F] repose bien sur une cause réelle et sérieuse,

En conséquence, la débouter de ses demandes à ce titre ;

' Débouter Mme [F] du surplus de ses demandes;

$gt; en tout état de cause

' Condamner Mme [F] au paiement de la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions électroniques transmises au greffe via le RPVA le 26 juin 2018, auxquelles il est expressément fait référence pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, Mme [V] [F] demande à la cour de :

' Dire et Juger son licenciement abusif et dépourvu de cause réelle et sérieuse

' Dire et Juger que les pratiques déloyales mises en place par la SAS Primonial constituent du harcèlement moral

' Confirmer le jugement en ce qu'i1 a dit le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse

En conséquence,

' Condamner la SAS Primonial au paiement de dommages intérêts pour licenciement abusif et dépourvu de cause réelle et sérieuse en portant ces derniers à la somme de 45 000 € nets de CSG et de CRDS

' Confirmer la condamnation de la SAS Primonial au paiement de la somme de 1.826,47 € au titre du mois supplémentaire de préavis outre les congés payés y afférents de 182,64 €

' Condamner la SAS Primonial au paiement de la somme de 15.000 € nets de CSG et de CRDS à titre de dommages intérêts venant réparer le préjudice moral subi

' Ordonner la délivrance d'un bulletin de paie et de l'attestation Pôle Emploi rectifés quant au mois supplémentaire de préavis sous astreinte de 150 € par jour de retard

' Condamner la SAS Primonial aupaiement de la somme de 4.500 €au titre de l 'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de l'instance.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 16 novembre 2020.

MOTIFS DE LA DECISION

L'appel a été interjeté dans le mois de la réception de l'acte de notification et il ne ressort pas des pièces du dossier d'irrecevabilité que la cour devrait relever d'office alors que les parties n'élèvent aucune discussion sur ce point.

- 1 - Sur le bien fondé du licenciement

Il résulte de l'article L.1232-1 du code du travail, selon lequel tout licenciement pour motif personnel est motivé (...) et justifié par une cause réelle et sérieuse, qu'un licenciement pour une cause inhérente à la personne du salarié doit être fondé sur des éléments objectifs vérifiables et imputables au salarié ;

ainsi, l'insuffisance professionnelle , - qui se définit comme l'incapacité objective, non fautive et durable, d'un salarié à accomplir correctement la prestation de travail pour laquelle il est employé, c'est-à-dire conformément à ce qu'on est fondé à attendre d'un salarié moyen ou ordinaire, employé pour le même type d'emploi et dans la même situation -, n'est un motif réel et sérieux de licenciement que si elle résulte de l'incompétence, du manque de savoir faire ou de l'incapacité d'assumer les fonctions correspondant à sa qualification professionnelle par le salarié à qui l'employeur a loyalement apporté le soutien logistique, la formation et les directives nécessaires à l'exécution de sa mission ;

par ailleurs, même en l'absence de toute insuffisance professionnelle, l'insuffisance des résultats obtenus peut constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement à condition, d'une part, qu'elle apparaisse dans des éléments quantifiables singularisant le salarié concerné par rapport à ses collègues exerçant les mêmes fonctions dans des conditions identiques, et, d'autre part, qu'elle ne soit consécutive ni à une conjoncture étrangère à l'activité personnelle et aux capacités professionnelles du salarié, ni au comportement de l'employeur ou au choix effectué par ce dernier en matière de politique commerciale ;

lorsque des objectifs avaient été préalablement définis dans le contrat de travail ou tout autre document contractuel, l'insuffisance des résultats obtenus par le salarié par rapport à ces objectifs est une cause réelle et sérieuse de licenciement à condition que soit établi par les éléments produits au débat que la définition d'objectifs réalistes et correspondant à des normes sérieuses et raisonnables, a été librement négociée et acceptée par le salarié ;

enfin l'employeur a la faculté de se prévaloir de motifs tirés de l'insuffisance professionnelle et/ou de l'insuffisance de résultats à tout moment, sans être tenu par le délai de prescription de 3 ans prévu à l'article L. 1332-5 du code du travail, puisqu'il ne s'agit pas de motifs disciplinaires.

En l'espèce la lettre de licenciement, en grande partie reproduite ci-dessus dans l'exposé du litige, reproche à Madame [V] [F] une insuffisance professionnelle caractérisée par l'insuffisance des résultats obtenus ; en effet après avoir rappelé les résultats chiffrés de la salariée obtenus au cours de l'année 2015, cette lettre précise :

« Malgré l'attention que nous vous avons portée afin de vous aider à atteindre vos objectifs, nous avons malheureusement dressé le constat que vos insuffisances ne se sont pas améliorées et que les résultats attendus n'ont pas été constatés.

Vous n'êtes donc pas parvenue à atteindre vos objectifs contractuels, et vos insuffisances ont persisté malgré les moyens matériels et humains dont vous avez bénéficié pour vous permettre de réaliser la parfaite exécution de votre contrat de travail.

Votre directeur régional comptait sur une véritable réaction de votre part afin que vous parveniez à une évolution significative de votre activité, et ce d'autant plus que vous avez bénéficié de moyens humains et matériels, de recommandations et de la disponibilité de votre supérieur hiérarchique, afin que vous puissiez mettre un terme à vos insuffisances, et atteindre ainsi vos objectifs contractuels. ».

L'avenant au contrat de travail, en date du 16 juillet 2012, auquel la salariée objecte vainement (car sans justificatif) avoir été contrainte de le signer « sans recul ni possibilité de discussion » (conclusions page 5), stipule notamment en son annexe 1 :

' article 3 intitulé « absence de secteur »: « compte tenu des conditions d'exercice de son activité, le collaborateur exerce ses fonctions sur tout le territoire français et auprès de toutes personnes physiques ou morales sans qu'aucun secteur géographique ou catégorie de clientèle ne lui soit affecté » ;

' article 5.5 intitulé « objectifs contractuels » : « (') Le collaborateur s'engage à respecter les volumes d'activité, souscriptions et/ou de chiffre d'affaires selon les critères suivants :

a) réaliser un minimum moyen mensuel de 8 rendez-vous faits par semaine auprès de clients et/ou prospect différent, dûment enregistré dans l'outil informatique mis à disposition par la société,

b) recueillir, chaque mois auprès de clients différents au moins 4 souscriptions ou des souscriptions représentant un chiffre d'affaires de 125'000 €,

c) assurer auprès de chacun des clients dont il assure le suivi au moins un rendez-vous « gestion » au cours de chaque année civile, dûment enregistré dans l'outil informatique mis à disposition par la société

i.- Ces objectifs alternatifs constituent un élément substantiel de son contrat de travail sans lequel il n'aurait pas été conclu.

ii.- leur non-respect pourra constituer une insuffisance professionnelle et/ou de résultats' ».

L'examen attentif des diverses pièces produites, tant par l'employeur que par la salariée, a permis à la cour de forger sa conviction en faveur d'une absence de cause réelle et sérieuse de licenciement en raison du comportement insuffisamment loyal du premier ;

en effet dans le compte rendu d'entretien annuel du 15 janvier 2014 relatif à l'activité de l'année 2013 (pièce appelante numéro 10), tandis que le manager notait, à la rubrique « activité » : « on est proche de l'objectif contractuel en termes de nombre de rendez-vous total faits par semaine. Cela dit, l'activité en prospection est faible comparativement aux objectifs (3 RD V dec/sem) et aux besoins de développements du portefeuille clients de [V] », et à la rubrique « chiffres d'affaires » : « l'objectif de 2'250'000 était ambitieux. [V] a produit des efforts en fin d'année qui lui ont permis de se rapprocher des minima contractuels requis (1 500 000 de CA) sans toutefois les atteindre » (chiffre réalisé : 1'352'709 €), et en conclusion : « des progrès constatés en 2013 avec toutefois des résultats qui restent insuffisants car inférieurs aux minima requis. Encore des efforts à fournir en 2014. Après une année 2013 d'efforts de mise à niveau, 2014 devra concrétiser, dès les premiers mois, ces efforts par des résultats reflétant une autonomie croissante commercialement et techniquement. Ton encadrement reste mobilisé dans ce sens pour peu que tu acceptes une critique constructive », Madame [V] [F] inscrivait pour sa part l'annotation suivante : « avoir une collaboration en osmose avec mon management : je souhaite obtenir des pressions et des motivations positives de mon management pour améliorer, optimiser et développer mes compétences en ventes et démarchage de clientèle sans apport de la part de la société. Ceci car je ne suis pas habilité à recevoir des leads' (dommage pour moi) » ;

dans le compte rendu d'entretien annuel du 07 janvier 2015 (signé le 12 janvier 2015) relatif à l'activité de l'année 2014 (pièce appelante numéro 11), dans lequel était enregistré un chiffre d'affaires réalisé de 933'915 € en baisse de 30 % par rapport à l'année 2013, mais une rémunération nette en hausse de 70 % s'expliquant « par le mix produit plus avantageux 349'000 € d'immobilier (42 %), 328'000 ass.-vie (40 %) et 10 % SCPI », le manager, s'il déplorait, à la rubrique « activités » : « 1 rv1 toutes les 3 semaines ce n'est pas tenable, objectif PRIORITAIRE en 2015 = 2 R1/hebdo », notait toutefois en conclusion : « [V] a démontré de l'entrain et un esprit d'ouverture pour progresser en acceptant et en ' entendant ' les conseils. Elle a ma confiance pour établir son exigence sur un niveau d'activité plus élevée et améliorer son efficacité, les résultats suivront » ;

toutefois les échanges de courriels (par exemple : pièces 34 et 35 appelante, et 26 intimée) montrent qu'au cours de l'année 2015, Madame [V] [F], comme d'autres salariés ([E] [T], [J] [U], [N] [H], [G] [M], [R] [I], [A] [L]...) faisait l'objet d'un suivi régulier d'activité dans le cadre d'un ' plan d'accompagnement ' très strictement mené par le directeur développement commercial, [B] [Z], et se voyait, en contravention aux stipulations contractuelles, et notamment à l'article 3 de l'annexe 1 susvisé, non seulement, privée de certains clients qui ont été ' réaffectés' à d'autres commerciaux, avec refus de ' l'accès portail informatique ' auxdits clients, mais encore, ainsi que le démontre le fichier contenu dans le courriel du 08/07/2015 (pièce appelante n° 38-1), contrainte de travailler sur le département des Bouches-du-Rhône, avec des prospects directement inscrits dans son 'SMART' par sa hiérarchie (pièce appelante n° 38-2) ;

de même, l'échange de courriels du 20 octobre 2015 entre Madame [V] [F] et son directeur régional (pièce appelante n° 44) démontre qu'en dépit des protestations de la salariée, la cliente Puccinelli/[S], dont elle assurait le suivi, avait été retirée du « portefeuille région » dans lequel le directeur régional s'engageait à la faire réinscrire ;

enfin, l'échange de courriels du mois de juin 2014 (pièce appelante n° 42) démontre que Madame [V] [F] a vainement sollicité l'accès aux ' leads 'puisqu'elle écrivait à son directeur régional réseau : « suite à notre discussion marketing lors de ta venue à [Localité 3], je te confirme mon vif intérêt pour bénéficier de « leads ». En effet, j'en ai fait la demande à plusieurs reprises auprès de la direction régionale pour le développement de ma clientèle. C'est vraiment avec beaucoup d'intérêt que je les utiliserai dans le cadre de mon démarchage et mon activité' », mais recevait un refus formulé dans les termes suivants : « je connais ton intérêt pour les leads. Cela dit, [K] n'est pour rien dans la décision d'attribution ou non de leads à des consultants. C'est du ressort de la direction commerciale. Tu connais les raisons pour lesquelles, pour l'instant, tu ne bénéficies pas de leads, cela a été évoqué et expliqué à de nombreuses reprises lors de réunions régionales, de briefings d'équipe et de plusieurs entretiens individuels que nous avons eu ensemble. Je ne te ferai donc pas perdre de temps à te réexpliquer tout cela' », auquel elle répliquait : « je prends acte de ton refus systématique au développement de mon action commerciale » pour obtenir en retour la réponse suivante : « ceci n'est pas un refus systématique à ton encontre, c'est une décision appliquée à un ensemble de collaborateurs au sein de l'agence (pour mémoire, seul 3 collaborateurs sur 9 bénéficient de l'attribution des leads) pour des raisons qui ont déjà été explicitées. Les mêmes règles raisons ont été appliquées au niveau national ».

Dans ce contexte c'est à juste titre que le conseil de prud'hommes a déclaré le licenciement de Madame [V] [F] dépourvu de cause réelle et sérieuse puisque l'employeur a méconnu les termes du contrat de travail et ne peut donc reprocher à la salariée un manque de réalisation d'objectifs.

- 2 - Sur les conséquences de l'absence de motif réel et sérieux

Il est rappelé que licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse porte les effets suivants :

- condamnation de l'employeur au paiement d'une indemnité compensatrice de préavis, légale ou conventionnelle, avec incidence congés payés (articles L.1234-1 et L.1234-5 du code du travail)

- condamnation de l'employeur au paiement de l'indemnité légale (article L1234-9) ou conventionnelle de licenciement si l'ancienneté du salarié est suffisante ;

- condamnation de l'employeur au paiement d'une indemnité égale au minimum aux salaires des six derniers mois brut sans cumul avec une indemnité pour irrégularité de procédure et remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, lorsque l'effectif salarial est supérieur à 10 salariés et que le salarié concerné totalise une ancienneté supérieure à deux années,(article L1235-3 rédaction applicable aux faits de la cause antérieure à l'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017) ou à des dommages et intérêts proportionnels au préjudice subi sans plancher minimum, mais avec cumul avec une indemnité pour irrégularité de procédure, si ces deux conditions ne sont pas réunies,(article L1235-5) ;

2 - a : le préavis

Pour faire droit à la demande de Madame [V] [F] en paiement d'un 3ème mois de préavis ( deux mois lui ont été payés avec dispense d'exécution ), les premiers juges ont retenu que cette salariée a été licenciée par courrier du 29 février 2016 avec un préavis de deux mois prenant fin le 1er mai 2016 mais qu'elle produit aux débats le courrier de Pôle Emploi confirmant son inscription en date du 19 mai 2016 ainsi qu'un relevé de situation du Pôle Emploi qui stipule une période de carence de 24 jours et un courrier du 13 mai 2016, dans lequel il était indiqué qu'elle recevrait ses documents Pôle Emploi et son solde de tout compte ' la semaine prochaine'.

Il ne s'agit donc pas d'un complément de préavis, mais de dommages et intérêts compensatoires du retard dans la délivrance des documents de fin de contrat ;

dans ses conclusions Madame [V] [F] persiste à réclamer ' un mois supplémentaire de prévis ' avec incidence congés payés alors que ni l'article L. 1234-1 du code du travail ni l'accord d'entreprise Primonial ( article 22.2 cité par l'appelante ), ne prévoient un préavis de trois mois.

C'est donc à tort que le conseil des prud'hommes a fait droit à cette demande.

Le jugement sera infirmé sur ce point.

2 - b : Sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Eu égard à l'âge de la salariée au jour du licenciement, à son salaire brut de référence au cours des six derniers mois d'activité, à son ancienneté d'un peu moins de sept ans au sein de l'entreprise, et à l'effectif salarial de plus de dix personnes, c'est à juste titre que le conseil de prud'hommes a fixé à la somme de quarante-cinq mille euros le montant de l'indemnité due par l'employeur pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

il sera, par adjonction, précisé que cette indemnité est nette de tous prélèvements sociaux.

Le jugement entrepris sera donc confirmé sur ce point.

- 3 - Sur la demande au titre du harcèlement

Il résulte des articles L. 1152-1 du code du travail et L. 1154-1 de ce code, dans sa rédaction alors applicable, que la charge de la preuve d'un harcèlement moral ne pèse pas sur le salarié et qu'il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par celui-ci afin d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral, et dans l'affirmative, d'apprécier les éléments de preuve fournis par l'employeur pour démontrer que les mesures en cause étaient étrangères à tout harcèlement moral.

En l'espèce, Madame [V] [F] affirme que ' le harcèlement ne fait aucun doute relativement aux pratiques mises en place par PRIMONIAL ; [que ] le fait de façon répétée, d'appauvrir [son] portefeuille clients a effectivement eu pour effet direct une dégradation de ses conditions de travail ayant des effets sur sa santé (un stress notable face à une situation incontrôlable de sa part) mais surtout qui ont eu pour effet de compromettre son avenir professionnel ; [qu'] en effet, en appauvrissant [son] portefeuille clients, tout en maintenant la cadence des objectifs fixés comme si de rien n'était, les objectifs ne pouvaient être réalisés ; [que] l'employeur était parfaitement conscient de cela ; peut-être espérait-il que la salariée craque et parte d'elle-même ; (...) [que son] âge a été semble-t-il déterminant dans la décision de PRIMONIAL, ce qui est discriminatoire et illégal '.

Toutefois les pièces produites à l'appui de ces allégations (certaines en forme dubitative), examinées ci-dessus dans le cadre de l'appréciation du bien-fondé du licenciement, démontrent que l'employeur n'a pas respecté ses obligations contractuelles mais ne suffisent pas à établir une présomption de harcèlement.

Dans ces conditions c'est à juste titre que les premiers juges ont débouté Madame [V] [F] de sa demande en dommages et intérêts pour harcèlement moral.

- 4 - Sur les frais non répétibles

A juste titre le conseil des prud'hommes a alloué une somme à Madame [V] [F] au titre de ses frais non répétibles de première instance ;

Il serait en outre inéquitable de lui laisser supporter l'intégralité de ses frais d'instance d'appel ; une somme de 2.000 € lui sera donc allouée en application de l'article 700 du code de procédure civile

- 5 - Sur les intérêts

S'agissant des intérêts sur les créances indemnitaires, dont le régime est fixé par l'article 1153-1 devenu 1231-7 du code civil, ils courront, au taux légal, à compter du jugement déféré.

- 6 - Sur le remboursement des indemnités de chômage

Dans sa rédaction applicable aux faits de la cause, en vigueur du 1er mai 2008 au 10 août 2016, l'article L. 1235-4 du code du travail disposait [caractère gras ajouté par la cour] : « dans les cas prévus aux articles L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé.

Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.» ;

Il y a lieu d'appliquer ce texte puisque les dommages et intérêts ont été accordés sur le fondement d'un des cas qu'il énumère.

PAR CES MOTIFS

La cour

Déclare l'appel recevable.

Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a :

- Condamné la SAS Primonial à verser à Mme [V] [F] les sommes de :

' 1.826, 47 € au titre du mois supplémentaire de préavis,

' 182, 64 € à titre d 'incidence congés payée sur ce préavis,

- Ordonné la remise des documents sociaux conformes à cette condamnation.

Statuant à nouveau de ces chefs :

Déboute Madame [V] [F] de ses demandes en complément d'indemnité compensatrice de préavis, avec incidence congés payés, et en remise de documents au titre de cette indemnité.

Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a :

- Dit que le licenciement de Mme [V] [F] est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

- Dit que Mme [V] [F] n 'a pas été victime de harcèlement moral.

- Condamné la SAS Primonial à verser à Mme [V] [F] les sommes suivantes :

' 45.000 € à titre d'indemnité pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse

' 1.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Débouté Mme [V] [F] de sa demande en dommages et intérêts pour préjudice moral.

Y ajoutant :

Dit que l'indemnité pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse n'est pas soumise à prélèvements sociaux et portera intérêts, calculés au taux légal à compter du 12 décembre 2017.

Dit que la somme allouée par les premiers juges au titre des frais non répétibles portera intérêts, calculés au taux légal à compter de la même date du 12 décembre 2017.

Condamne la SAS Primonial à payer à Madame [V] [F] la somme de 2.000,00 € en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre de ses frais non répétibles d'appel, avec intérêts calculés au taux légal à compter de la présente décision.

Ordonne le remboursement par la SAS Primonial à pôle emploi des indemnités de chômage versées à Madame [V] [F] , du jour de son licenciement au jour du jugement de première instance, dans la limite de six mois d'indemnités.

Condamne la SAS Primonial aux dépens de première instance et d'appel.

Le GreffierLe Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-2
Numéro d'arrêt : 18/01624
Date de la décision : 10/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-10;18.01624 ?
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