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01/06/2022 | FRANCE | N°19/10911

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-8, 01 juin 2022, 19/10911


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-8



ARRÊT AU FOND

DU 1er JUIN 2022



N° 2022/ 264









N° RG 19/10911



N° Portalis DBVB-V-B7D-BERYZ







SA CABINET [V]





C/



SARL [J] ET [V]















































Copie exécutoire délivrée

le :

à :



Me

Edouard BAFFERT



Me Stéphane GALLO











Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE en date du 17 Juin 2019 enregistrée au répertoire général sous le n° 17/02271.



APPELANTE



SA CABINET [V]

dont le siège social est sis 26 Avenue Emile Augier 78170 LA CELLE SAINT CLOUD, prise en la personne de son ...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-8

ARRÊT AU FOND

DU 1er JUIN 2022

N° 2022/ 264

N° RG 19/10911

N° Portalis DBVB-V-B7D-BERYZ

SA CABINET [V]

C/

SARL [J] ET [V]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Edouard BAFFERT

Me Stéphane GALLO

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE en date du 17 Juin 2019 enregistrée au répertoire général sous le n° 17/02271.

APPELANTE

SA CABINET [V]

dont le siège social est sis 26 Avenue Emile Augier 78170 LA CELLE SAINT CLOUD, prise en la personne de son représentant légal en exerice

représentée et plaidant par Me Edouard BAFFERT de la SARL BAFFERT-MALY, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMEE

SARL [J] ET [V]

dont le siège social est sis 18 rue CHARTRAN 92200 NEUILLY SUR SEINE, prise en la personne de son représentant légal en exercice

représentée par Me Stéphane GALLO de la SELARL ABEILLE & ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE, plidant par Me Florence REBUT DELANOE de l'ASSOCIATION L & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804, 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 15 Mars 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-Paul PATRIARCHE, Conseiller, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Philippe COULANGE, Président

Madame Céline ROBIN-KARRER, Conseillère

Monsieur Jean-Paul PATRIARCHE, Conseiller

Greffier lors des débats : Mme Maria FREDON.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 1er Juin 2022.

ARRÊT

Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 1er Juin 2022, signé par Monsieur Philippe COULANGE, Président et Madame Maria FREDON, greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE ANTÉRIEURE

La société CABINET [V] a été créée en 1978 par M. [D] [V] pour exercer une activité d'ingénieur conseil et d'expertise dans les domaines du bâtiment et du génie civil. Elle est locataire d'un ensemble de bureaux et locaux annexes en rez-de-chaussée et en sous-sol d'une villa située 41 avenue du Bailli de Suffren à Cassis (13) appartenant à M. [D] [V] et constituant par ailleurs sa résidence secondaire.

Suivant un premier acte sous seing privé daté du 23 mai 1987, la société CABINET [V] a donné en sous-location pour une durée indéterminée une partie de ces locaux à une société partenaire dénommée CABINET [J] et [V], dans laquelle M. [M] [J] détenait la majorité des parts, et M. [D] [V] une participation minoritaire.

Une seconde convention a été conclue entre les parties le 1er janvier 1995, annulant et remplaçant la précédente, fixant à neuf années la période de sous-location.

Celle-ci s'est tacitement renouvelée à son échéance du 31 décembre 2004.

Suivant un avenant conclu le 30 août 2013, le montant du loyer annuel a été fixé à la somme de 16.458,46 euros TTC, et la sous-location a été renouvelée pour une nouvelle période de neuf ans commençant à courir le 1er septembre 2013, pour se terminer le 30 août 2022.

Au mois de décembre 2015, M. [M] [J] a cédé ses parts dans le cabinet [J] ET [V] au groupe ERGET, concurrent direct du groupe [V].

Le nouveau gérant Monsieur [O] [X] a alors contesté le montant des charges qui était réclamées dans le cadre du contrat de sous-location.

Par exploit d'huissier du 27 avril 2016, la société CABINET [V] a fait signifier à la société CABINET [J] ET [V] un congé venant à échéance le 31 décembre 2016 pour motif grave et légitime, contenant refus de renouvellement du bail et refus de paiement d'une indemnité d'éviction.

Le preneur a effectivement libéré les lieux à la date susdite, deux états des lieux de sortie ayant été successivement dressés par voie d'huissier à la requête de chacune des parties.

Par acte du 16 février 2017 et conclusions ultérieures, la société CABINET [V] a fait assigner la société CABINET [J] ET [V] à comparaître devant le tribunal de grande instance de Marseille pour l'entendre condamner à lui payer la somme de 14.444,01 euros au titre des loyers et charges restant dus, celle de 22.221 euros en réparation des dégradations occasionnées dans les lieux, et celle de 9.632,86 euros au titre de l'impossibilité de remettre immédiatement le bien en sous-location.

La défenderesse a reconnu sa dette de loyer, mais conclu en revanche au rejet de la demande en paiement des charges correspondant aux consommations d'eau et d'électricité de la villa et à une quote-part des frais d'entretien du jardin, formulant au contraire une demande reconventionnelle aux fins de répétition d'une somme de 45.010 euros qu'elle considérait avoir indûment acquittée à ce titre au cours des cinq dernières années.

Elle s'est également opposée aux demandes afférentes à la remise en état des locaux.

Elle a réclamé d'autre part paiement d'une somme de 20.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait du caractère irrégulier et infondé du congé.

Par jugement rendu le 17 juin 2019 et assorti de l'exécution provisoire, le tribunal a :

- condamné la société CABINET [J] ET [V] à payer la somme de 12.385,11 euros au titre des loyers,

- condamné la société CABINET [V] à restituer la somme de 45.010 euros au titre des charges indûment perçues,

- ordonné la compensation entre ces deux créances,

- débouté les parties de leurs autres prétentions,

- et partagé par moitié la charge des dépens.

La société CABINET [V] a relevé appel de cette décision par déclaration adressée le 5 juillet 2019 au greffe de la cour.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Aux termes de ses conclusions récapitulatives notifiées le 21 février 2020, la société CABINET [V] soutient en premier lieu, s'agissant des charges locatives, qu'il existait initialement un accord entre les parties, voire un usage, pour mettre à la charge du preneur le paiement de l'ensemble des consommations d'eau et d'électricité de la villa, ainsi que 25 % du coût d'entretien des espaces extérieurs, en contrepartie de la modicité du loyer, de l'absence d'indexation, et de la mise à disposition gratuite de certaines dépendances, lequel accord a été exécuté pendant près de trente ans jusqu'au changement de gérant faisant suite à la cession de ses parts sociales par M. [M] [J].

Subsidiairement, elle fait valoir que la demande en restitution d'un trop perçu doit être dirigée contre M. [D] [V] à titre personnel, en sa qualité de propriétaire de l'immeuble.

S'agissant de ses demandes afférentes à la remise en état des lieux, elle se prévaut d'un constat d'huissier du 10 février 2017 faisant apparaître de nombreuses dégradations, et de factures de l'entreprise ATTANASIO attestant de la réalisation des travaux. Elle évalue l'indisponibilité des locaux à une période de sept mois, durant laquelle elle dit avoir été empêchée de les remettre en sous-location.

S'agissant enfin de la demande reconventionnelle en dommages-intérêts formulée par le preneur au titre de l'irrégularité du congé, elle fait valoir que celui-ci n'a pas agi dans le délai de deux ans imparti par l'article L 145-9 du code de commerce, et qu'en tout état de cause le congé était fondé sur un juste motif, à savoir la prise de contrôle de la société CABINET [J] ET [V] par un groupe concurrent.

Elle demande à la cour de réformer le jugement entrepris en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes autres que celle en paiement des loyers, et de condamner la société CABINET [J] ET [V] à lui payer en sus les sommes suivantes :

- 2.268,00 euros au titre de sa participation aux frais d'entretien des espaces extérieurs,

- 2.449,50 euros au titre des factures de consommations d'eau,

- 22.221,00 euros au titre du coût de la remise en état des locaux,

- 9.632,86 euros au titre de la perte de loyers durant la période d'exécution des travaux.

Elle demande également à la cour de réformer le jugement en ce qu'il a fait droit à la demande reconventionnelle en restitution d'un trop perçu de charges, et statuant à nouveau de ce chef de débouter la société CABINET [J] ET [V] de cette prétention.

Elle poursuit enfin la condamnation de l'intimée à lui payer une somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre ses entiers dépens comprenant les frais de constat d'huissier.

Par conclusions notifiées le 26 novembre 2019, la société CABINET [J] ET [V] soutient pour sa part que les différentes conventions conclues entre les parties ne prévoyaient pas qu'elle devrait supporter l'ensemble des consommations d'eau et d'électricité de la villa, ni une partie des frais d'entretien des extérieurs dont elle n'avait pas la jouissance. Elle en conclut qu'il s'agit là de charges indues dont elle est fondée à poursuivre la répétition.

Elle fait valoir d'autre part que les locaux ont été rendus dans un état d'usage normal après trente années d'occupation, et se prévaut d'un autre constat d'huissier dressé à sa demande le 30 décembre 2016, ne faisant pas apparaître de dégradations qui lui soient imputables. Elle ajoute que les factures dont il est réclamé remboursement par la partie adverse consistent soit en des travaux d'entretien courant, soit en des travaux d'amélioration.

S'agissant enfin de sa demande reconventionnelle fondée sur l'irrégularité du congé, elle soutient que celui-ci ne pouvait lui être délivré avant le 30 août 2022, date d'échéance du bail, et qu'en tout état de cause il devait contenir une offre d'indemnité d'éviction. Elle fait valoir que son préjudice consiste dans les frais de déménagement et de nettoyage des locaux ainsi que de transfert du courrier.

Elle conclut à la confirmation du jugement entrepris, sauf en ce qu'il l'a déboutée de sa demande en dommages-intérêts, et poursuit à ce titre la condamnation de la société CABINET [V] à lui payer une somme de 20.000 euros.

Elle réclame en outre accessoirement paiement d'une somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que ses entiers dépens.

DISCUSSION

Sur les demandes afférentes aux charges locatives :

La première convention conclue entre les parties le 23 mai 1987 stipulait que la société CABINET [J] ET [V] rembourserait à la société CABINET [V] une quote-part des charges relatives aux locaux mis à sa disposition au prorata de la surface occupée.

La seconde convention du 1er janvier 1995 prévoyait quant à elle que le sous-locataire ferait son affaire personnelle des consommations de téléphone, électricité, chauffage et eau qui lui étaient imputables.

Aucune stipulation écrite ne mettait donc à la charge du preneur la totalité des consommations d'eau et d'électricité de la villa, dont une partie principale était demeurée à usage d'habitation, ni une quote-part de l'entretien du jardin et de la piscine dont il n'avait pas la jouissance effective.

L'usage qui s'est instauré en ce sens entre les parties ne s'explique que par la communauté d'intérêts qui existait entre deux sociétés appartenant à l'origine à un même groupe, ce dont le contenu de la convention du 1er janvier 1995 rend parfaitement compte, mais celui-ci ne saurait perdurer à partir du moment où la société CABINET [J] ET [V] a acquis une réelle indépendance par l'effet de la cession de la majorité des parts sociales à un groupe concurrent.

La société CABINET [V] doit être en conséquence déboutée de ses demandes en paiement d'un reliquat de charges.

Toutefois, les paiements antérieurs ayant été effectués en toute connaissance de cause, la société CABINET [J] ET [V] doit être déboutée de sa demande reconventionnelle en répétition de l'indu.

Sur les demandes afférentes aux réparations locatives :

En vertu de l'article L 145-40-1 du code de commerce, le bailleur qui n'a pas accompli toutes les diligences nécessaires pour établir un état des lieux d'entrée ne peut invoquer la présomption de bon état édictée par l'article 1731 du code civil.

D'autre part, le procès-verbal de constat dressé le 10 février 2017 par Maître [B] à la demande de la société CABINET [V] ne revêt pas un caractère contradictoire, dans la mesure où il n'est pas justifié d'une convocation en bonne et due forme du preneur sortant à assister à un état des lieux de sortie.

Les mentions de ce procès-verbal sont en outre contredites par un autre constat dressé le 30 décembre 2016 par Maître [G] à la requête de la société CABINET [J] ET [V], ne faisant pas apparaître de dégradations imputables au sous-locataire.

Enfin, en application de l'article 1755 du code civil, aucune des réparations réputées locatives n'est à la charge des locataires lorsqu'elles ne sont occasionnées que par la vétusté, le cabinet [J] ET [V] ayant en l'espèce occupé les locaux dont s'agit durant près de trente années.

La société CABINET CERRUTI doit être en conséquence déboutée de sa demande en paiement des travaux de remise en état, ainsi que de sa réclamation tendant à être indemnisée d'une perte de loyer qui en constitue le corollaire.

Sur la régularité et le bien fondé du congé :

La société CABINET [J] ET [V] est recevable à mettre en cause la régularité et le bien fondé du congé dès lors que sa réclamation a été formulée devant le premier juge par conclusions notifiées le 22 octobre 2018, soit avant l'expiration du délai de deux ans à compter de la date d'échéance de celui-ci, conformément aux dispositions de l'article L 145-9 dernier alinéa du code de commerce.

- sur le motif du congé :

L'article L 145-17 du même code dispose que le bailleur peut refuser le renouvellement du bail sans être tenu au paiement d'une indemnité d'éviction s'il justifie d'un motif grave et légitime à l'encontre du locataire sortant.

En l'espèce le congé était ainsi motivé : ' La sous-location consentie au cabinet [J] & [V] n'était causée que parce que les deux sociétés faisaient partie du même groupe [V] et avaient une collaboration professionnelle incontestable à tous les niveaux. Dès lors que la majorité du capital du cabinet a été vendue au groupe ERGET, qui est un groupe concurrent, ce principe fondateur essentiel a été violé du fait de l'ancien et du nouveau gérant du cabinet [J] & [V]. La société requérante ne peut accepter que l'un de ses concurrents soit installé dans les mêmes locaux qu'elle '.

La cour considère que ces justifications constituent bien un motif grave et légitime au sens du texte susvisé.

- sur la date d'effet du congé :

C'est en revanche par de justes motifs que le premier juge a retenu que le congé ne pouvait être valablement donné par le bailleur à l'issue d'une période triennale, cette faculté ne lui étant ouverte que dans des cas limitativement énumérés par l'article L 145-4.

Il ne pouvait prendre effet qu'au 30 août 2022, date d'échéance du contrat de sous-location en cours, conformément à l'article L 145-9 qui autorise le bailleur à dénoncer le bail à la fin des neuf premières années ou à l'expiration de l'une des périodes suivantes.

Cette irrégularité a nécessairement occasionné un préjudice au sous-locataire, qui doit être réparé par l'allocation d'une somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société CABINET [J] ET [V] au paiement des loyers restant dus, et débouté la société CABINET [V] de ses autres prétentions,

L'infirme pour le surplus, et statuant à nouveau :

Déboute la société CABINET [J] ET [V] de sa demande en répétition de charges locatives indues,

Condamne la société CABINET [V] à payer à la société CABINET [J] ET [V] la somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts au titre de l'irrégularité du congé,

Condamne la société CABINET [V] aux entiers dépens de première instance et d'appel,

Rejette les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIERELE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 1-8
Numéro d'arrêt : 19/10911
Date de la décision : 01/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-01;19.10911 ?
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