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01/06/2022 | FRANCE | N°18/16361

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 2-4, 01 juin 2022, 18/16361


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 2-4



ARRÊT AU FOND

DU 01 JUIN 2022

MJ

N° 2022/ 124













Rôle N° RG 18/16361 - N° Portalis DBVB-V-B7C-BDGEF







[X] [P]





C/



[H] [K] [P]

[O] [C] [P]

[M] Florence GRIVOT

[Y] [N]

[T] [N]

[D] [N]













Copie exécutoire délivrée

le :

à :Me Régis DURAND

Me Sandra PULVIRENTI

Me Alexandra

BOISRAME

















Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal de Grande Instance de TOULON en date du 20 Septembre 2018 enregistré (e) au répertoire général sous le n° 15/05657.





APPELANT



Monsieur [X] [P]

né le 28 Août 1950 à VERSAILLES (78000)

de nationalité...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 2-4

ARRÊT AU FOND

DU 01 JUIN 2022

MJ

N° 2022/ 124

Rôle N° RG 18/16361 - N° Portalis DBVB-V-B7C-BDGEF

[X] [P]

C/

[H] [K] [P]

[O] [C] [P]

[M] Florence GRIVOT

[Y] [N]

[T] [N]

[D] [N]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :Me Régis DURAND

Me Sandra PULVIRENTI

Me Alexandra BOISRAME

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de TOULON en date du 20 Septembre 2018 enregistré (e) au répertoire général sous le n° 15/05657.

APPELANT

Monsieur [X] [P]

né le 28 Août 1950 à VERSAILLES (78000)

de nationalité Française, demeurant 2 Chemin Serfaty - 83160 LA VALETTE-DU-VAR

représenté par Me Régis DURAND de l'AARPI DDA & ASSOCIES, avocat au barreau de TOULON

INTIMES

Madame [H] [K] [P]

née le 06 Septembre 1970 à BEZONS (95870), demeurant 15 rue de Sofia - 75018 PARIS

représentée par Me Sandra PULVIRENTI, avocat au barreau de TOULON et assistée par Me FLECHELLES-DELAFOSSE Bénédicte, avocat au barreau de VERSAILLES, avocat plaidant

Madame [O] [C] [P]

née le 04 Novembre 1972 à BEZONS (95870), demeurant 14 Rue du ratrait - 92150 SURESNES

représentée par Me Sandra PULVIRENTI, avocat au barreau de TOULON et assistée par Me FLECHELLES-DELAFOSSE Bénédicte, avocat au barreau de VERSAILLES, avocat plaidant

Madame [M] [L] [P]

née le 09 Juillet 1980 à ARGENTEUIL (95100), demeurant 58 BIS Rue Gabriel PERI - 78500 SARTROUVILLE

représentée par Me Sandra PULVIRENTI, avocat au barreau de TOULON et assistée par Me FLECHELLES-DELAFOSSE Bénédicte, avocat au barreau de VERSAILLES, avocat plaidant

Madame [Y] [N] Venant aux droits de Madame [U] [V] née [P]

née le 22 Octobre 1963 à SOISY SOUS MONTMORENCY, demeurant VILLA URONDOA - Quartier ERROBI - 64250 ITXASSOU

représentée par Me Alexandra BOISRAME, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE et ayant pour avocat plaidant Me Isabelle FORESTIER, avocat au barreau de TOULON

Monsieur [T] [N] Venant aux droits de Madame [U] [V] née [P], décédée.

né le 27 Novembre 1969 à DAKAR, demeurant AVENUE TUPAC AMARU - S/N EL TABLAZO - PEROU PAITA

représenté par Me Alexandra BOISRAME, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE et ayant pour avocat plaidant Me Isabelle FORESTIER, avocat au barreau de TOULON

Monsieur [D] [N] Venant aux droits de Madame [U] [V] née [P], décédée

né le 05 Mars 1979 à DAKAR, demeurant PASEO DEL DOCTOR VALLEJO NAJERA 32 7G - 28005 MADRID - ESPAGNE

représenté par Me Alexandra BOISRAME, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE et ayant pour avocat plaidant Me Isabelle FORESTIER, avocat au barreau de TOULON

PARTIE(S) INTERVENANTE(S)

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 27 Avril 2022 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Madame JAILLET Michèle, Présidente a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Madame Michèle JAILLET, Présidente

Madame Nathalie BOUTARD, Conseillère

Madame Myriam GINOUX, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Anne-Marie BLANCO.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 01 Juin 2022.

ARRÊT

contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 01 Juin 2022,

Signé par Madame Michèle JAILLET, Présidente et Madame Céline LITTERI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOS'' DU LITIGE

Mme [G] [I] veuve [P] est décédée à La-Londe-Les-Maures (Var) le 27 septembre 2013. Elle laisse à sa survivance ses trois enfants : Mme [U] [P], M. [X] [P] et M. [R] [P].

M. [R] [P] est mort le 07 août 2014. Il laisse à sa survivance Mme [H] [P], Mme [O] [P] et Mme [M] [P]. Ces dernières sont venues ainsi en représentation de leur père dans la succession de leur grand-mère, Mme [G] [I] veuve [P].

Mme [H] [P], Mme [O] [P] et Mme [M] [P] ont fait assigner les 14 et 19 octobre 2015 Mme [U] [P] et M. [X] [P] devant le tribunal de grande instance de Toulon aux fins de voir ordonner l'ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de la succession de Mme [G] [I] veuve [P], de désignation d'un notaire et de voir M. [X] [P] et Mme [U] [P] rapporter diverses sommes à la succession en raison d'un recel successoral qui aurait été commis par ces derniers.

L'instance a été interrompue par le décès de Mme [U] [P] survenu le 20 août 2016.

Mme [Y] [N], M. [T] [N] et M. [D] [N] sont intervenus ès qualité d'héritiers de Mme [U] [P] par conclusions de reprise volontaire d'instance signifiées le 24 mai 2017. Ces derniers ont accepté de rapporter la somme de 123.000 euros à la succession.

À la suite de cette reprise d'instance, Mme [H] [P], Madame [O] [P] et Mme [M] [P] n'ont dirigé leur demande de recel successoral qu'à l'encontre de M. [X] [P].

Par jugement contradictoire en date du 20 septembre 2018 auquel il convient de se référer pour plus ample exposé des faits et des prétentions des parties, le tribunal de grande instance de Toulon a :

- Ordonné l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de la succession de [G] [I] veuve [P] à La-Londe-Les-Maures (Var) le 27 septembre 2013,

- Désigné pour y procéder Maître [W] [F], notaire associé membre de la SCP [W] [F] et [A] [E] titulaire de l'office notarial dont le siège est à Le Lavandou, avenue du Maréchal Juin,

- Dit qu'en cas d'empêchement ou de refus du notaire, il pourra être procédé à son remplacement par ordonnance sur requête,

- Dit n'y avoir lieu de commettre un juge pour suivre les opérations,

- Dit que les consorts [N] devront rapporter à la succession la somme de 123.000 euros,

- Dit que Monsieur [X] [P] devra rapporter à la succession 'la somme' de la somme de 386.450 euros,

- Dit que Monsieur [X] [P] a recelé la somme de 386.450 euros et dit qu'il ne pourra prendre aucune part de cette donation,

- Condamné M. [X] [P] à payer à Mesdames [H], [O] et [M] [P], la somme de 1.018,50 euros avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement,

- Ordonné l'exécution provisoire du présent jugement,

- Dit n'y avoir lieu d'appliquer l'article 700 du code de procédure civile

- Dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de partage et dit que Maître Sandra Pulvirenti et Maître Bruno Dravet, avocats, pourront faire application à leur profit des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Par déclaration reçue le 15 octobre 2018, M. [X] [P] a interjeté appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions déposées le 14 janvier 2019, l'appelant demande à la cour de :

Vu les articles 771 et suivants du Code civil, Vu les articles 778 et suivants du Code civil, Vu les articles 852 et suivants du Code civil, Vu les articles 843, 844 et suivants du Code civil,

CONFIRMER le jugement du Tribunal de Grande Instance de TOULON en ce qu'il a :

- ORDONNÉ l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de la succession de Madame [G] [I], veuve [P] survenu à LA LONDE-LES-MAURES le 27 septembre 2013, - DESIGNÉ pour y procéder Maître [W] [F], Notaire au LAVANDOU (Var), - DIT n'y avoir lieu de commettre un Juge pour suivre les opérations,

LE REFORMER pour le surplus, et STATUANT à nouveau :

DIRE et JUGER que les sommes reçues par Monsieur [X] [P] sont des présents d'usage,

A défaut,

DIRE et JUGER que les sommes reçues par Monsieur [X] [P] sont des donations à titre de préciput et hors part,

DIRE et JUGER que le délit civil de recel successoral ne peut être retenu à l'encontre de Monsieur [X] [P],

DEBOUTER Mesdames [H], [O] et [M] [P] de toutes leurs demandes, fins et conclusions,

DIRE et JUGER n'y avoir lieu à condamner Monsieur [X] [P] au titre du remboursement des frais bancaires,

Y AJOUTANT :

CONDAMNER Mesdames [H], [O] et [M] [P] à payer à Monsieur [X] [P] la somme de 5.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure civile s'agissant de ses frais irrépétibles d'appel,

CONDAMNER Mesdames [H], [O] et [M] [P] aux entiers dépens de l'instance distraits au profit de Maître Régis DURAND, sur sa due affirmation de droit.

Une médiation a été proposée aux parties le 15 juillet 2021 par la présidente de la chambre. Les consorts [N], intimés, l'ont refusée.

Dans leurs dernières écritures notifiées le 21 mars 2022, Mme [H] [P], Mme [O] [P] et Mme [M] [P] sollicitent de la cour de :

Vu les dispositions de l'article 1360 du Code de procédure civile Vu les articles 815 et suivants du Code civil, Vu l'article 778 du Code Civil, Vu l'article 843 du Code Civil,

CONFIRMER le jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de Toulon en date du 20 septembre 2018 en toutes ses dispositions sauf en ce qui concerne l'article 700 CPC ;

STATUANT A NOUVEAU sur l'article 700 CPC :

- Condamner Monsieur [X] [P] à payer à Mesdemoiselles [H], [O] et [M] [P] la somme de 3 000 € en application de l'article 700 CPC pour leurs frais engagés en première instance ;

- Condamner Monsieur [X] [P] à payer Mesdemoiselles [H], [O] et [M] [P] la somme de 3 000 € en application de l'article 700 CPC pour leurs frais engagés devant la Cour d'Appel.

- Condamner Monsieur [X] [P] aux entiers dépens d'appel dont distraction au profit de Me Sandra PULVIRENTI, Avocat aux offres de droit, conformément aux dispositions de l'article 699 du CPC.

A titre infiniment subsidiaire,

- Dire et juger que les donations reçues devront faire l'objet d'une réduction qui sera calculée par le Notaire désigné.

Dans leurs dernières écritures en date du 21 mars 2022, Mme [Y] [N], M. [T] [N] et M. [D] [N] demandent à la Cour de :

Vu les dispositions de l'article 778 du Code civil. 843 du Code civil, 844 du Code civil, 852 du Code civil

Vu l'article 700 du Code de procédure civile Vu les écritures de Monsieur [X] [P] Vu les écritures des Consorts [P] Vu les pièces versées au débat

CONFIRMER le jugement du Tribunal de Grande Instance en ce qu'il :

- ORDONNE l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de la succession de Madame [G] [I], veuve [P] survenu à la Londe-Les-Maures le 27 septembre 2013,

- DESIGNE pour y procéder Maître [W] [F], Notaire au LAVANDOU (Var)

- DIT n'y avoir lieu de commettre un Juge poursuivre les opérations DEBOUTER purement et simplement Monsieur [P] de toutes demandes, fins, et conclusions.

En ce sens :

CONFIRMER le jugement du Tribunal de Grande Instance en ce qu'il :

-DIT que les Consorts [N] devront rapporter à la succession la somme de 123 000 euros

-DIT que Monsieur [X] [P] a recelé la somme de 386450 euros et qu'il ne pourra prendre aucune part de cette donation,

-CONDANME Monsieur [P] à payer à Mesdames [H], [O] et [M] [P] la somme de 1018. 50 euros avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement

Y AJOUTANT

CONDAMNER Monsieur [X] [P] à régler aux Consorts [N] la somme de 5000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile, pour leurs frais engagés devant la Cour d'appel

CONDAMNER Monsieur [X] [P] aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître BOISRAME, Avocat sur affirmation de droit conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 mars 2022.

MOTIFS DE LA DECISION

En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé pour plus de précisions sur les faits, prétentions et arguments des parties aux conclusions récapitulatives régulièrement déposées.

Sur l'étendue de la saisine de la cour

Il convient de rappeler qu'en application de l'article 954 du code de procédure civile, la cour ne doit statuer que sur les prétentions énoncées au dispositif.

Ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile les demandes des parties tendant à voir 'constater' ou 'donner acte' de sorte que la cour n'a pas à y répondre.

Par ailleurs, l'effet dévolutif de l'appel implique que la cour connaisse des faits survenus au cours de l'instance d'appel et depuis le jugement déféré et statue sur tous les éléments qui lui sont produits même s'ils ne se sont révélés à la connaissance des parties qu'en cours d'instance d'appel.

Sur la somme de 386.450 euros

M. [X] [P] demande l'infirmation du jugement sur le rapport de la somme de 386.450 euros et sur le recel successoral correspondant pour lequel il a été condamné en première instance. Il expose, en substance, que :

- Il a toujours été très proche de sa mère et s'en est occupé jusqu'à la fin de ses jours, avec sa soeur [U], contrairement aux autres membres de la famille et notamment les petits-enfants du de cujus,

- Il aurait été évident pour sa mère de l'aider financièrement, atteint depuis l'âge de quatre ans d'une poliomyélite, lequel, en contrepartie, avait également toujours veillé au bien-être de ses parents et de sa mère qu'il a assistée durant toute sa fin de vie,

- Les sommes dont il est question sont bien antérieures au décès de feue [G] [P], la plupart concernant les années 2008 et 2009. Madame [G] [P] pouvait ainsi gérer son patrimoine comme elle l'entendait et rien ne lui interdisait d'aider ses proches. Il avait une procuration générale sur les comptes de sa mère, n'en a jamais profité avec l'intention malveillante ou frauduleuse de nuire à une éventuelle succession future. Cela ne posait aucune difficulté à sa mère, ni d'ailleurs à sa soeur [U] [P], qui estimait que c'était bien la moindre des choses au regard de ce que faisait son frère pour sa mère,

- Par conséquent, il ne pouvait s'agit que de présents d'usage en contrepartie de l'investissement qu'avait le concluant pour sa mère ; Mme [U] [P] a d'ailleurs versé aux débats des écrits prouvant cet état de fait. Or, les présents d'usage doivent s'apprécier à la date à laquelle ils ont été consentis et au regard de la fortune du disposant ; qu'en l'espèce, il s'agissait d'une volonté non équivoque de Mme [G] [P] de remettre les fonds à ses enfants sans que ces sommes ne soient rapportables à la succession. Le patrimoine de la défunte le permettait totalement.

- Si la qualification de présent d'usage ne pouvait être retenue, il faudrait qualifier ces sommes comme des donations préciputaires selon l'appelant. La volonté du défunt serait sans ambiguïté sur ce point.

- En pareille situation, le recel successoral ne saurait être constitué en tout état de cause.

Mme [H] [P], Mme [O] [P] et Mme [M] [P] sollicitent la confirmation du jugement entrepris tant sur le rapport de la somme de 386.450 euros que sur le caractère de recel successoral.

Elles font observer notamment que :

- Il ressort des pièces versées aux débats que M. [X] [P] s'est rendu coupable de recel successoral.

- Deux chèques auraient été tirés au profit de M. [X] [P] pour un montant de 88.000 euros. Les intimées précisent que c'est uniquement en raison des recherches effectuées auprès de la Banque qu'elles ont pu avoir la preuve de ces versements. Elles ont écrit à leur oncle pour lui demander des explications, ainsi que leur avocat, sans aucun succès. M. [X] [P] avait donc la possibilité, lors des opérations de succession devant le Notaire, puis en réponse aux courriers reçus, de mentionner ces chèques et de s'expliquer sur la qualification ou non de donation. Les intimées ne contestent pas qu'il s'agisse de donations de la part de leur grand-mère à l'égard de leur oncle puisqu'il est versé aux débats un mot manuscrit indiquant que leur grand-mère souhaitait lui remettre ces chèques.

Un chèque tiré le 23 décembre 2008 BNP n°3126337 à l'ordre de M. [X] [P] d'un montant de 15 000 € ;

Un chèque tiré le Chèque 28 octobre 2010 BNP n°2504139 à l'ordre de Monsieur [X] [P] d'un montant de 73 000 € ;

- En l'espèce, Monsieur [P] ne donne aucune explication sur les occasions qui expliqueraient des remises de chèques pour 88 000 € à son profit (73.000 + 15 000) signés par sa mère.

Par ailleurs, les intimées avancent que si l'on ajoute à cette somme, les autres sommes diverties, le montant total des sommes que M. [P] s'est octroyé s'élève à 386.450 €. Compte tenu du patrimoine détenu par Mme [P] à cette époque (502.350 €), le montant détourné représenterait 77% du patrimoine de la défunte. Les intimées rappellent qu'il ne restait plus que 19.932,71 € sur les comptes bancaires de la défunte. Il ne s'agirait donc pas de présents d'usage.

- Entre le 30 septembre et le 7 octobre 2008, soit en 7 jours, M. [P] aurait établi 12 chèques soit pour un montant total de 72.000 € à son propre ordre, soit à l'ordre d'un ami (M. [B]), soit encore de son épouse (Mme [Z] [P]) ou de sociétés qui n'avaient aucun rapport avec sa mère, pour un montant total de 227 350 €. Elles listent les chèques suivants :

Chèque de 22 700 € à l'ordre de la société SOLEIL MER SABLE. Cette société a son siège social à JOINVILLE LE PONT, à l'adresse du domicile de M. [P]. Il est à noter que son dirigeant est M. [S] [B], auquel Monsieur [P] a aussi établi des chèques ;

Chèque de 24 800 € à l'ordre de M. [S] [B]. Il s'agit donc du dirigeant de la société SOLEIL MER SABLE mais aussi le liquidateur de la société ATIRE (à l'ordre de laquelle un chèque a été établi) et encore l'un des anciens dirigeants de la société CONFORT DU MALADE dirigée par M. [X] [P] et dont l'une des boutiques est à LA VALETTE DU VAR (actuel domicile de M. [P]) ;

Chèque de 13 700 € à l'ordre de [Z] [P]. Il s'agit de l'épouse de M. D. [P];

Chèque de 16 000 € à l'ordre de la société ATIRE, dont M. [B] est le liquidateur;

Chèque de 17 500 € à l'ordre de M. [X] [P] ;

Chèque de 18 000 € à l'ordre de M. [X] [P] ;

Chèque de 33 000 € à l'ordre de la société SOLEIL MER SABLE ;

Chèque de 35 000 € à l'ordre de la société ATIRE ;

Chèque de 10 000 € à l'ordre de M. [X] [P] ;

Chèque de 13 000 € à l'ordre de M. [X] [P] ;

Chèque de 10 150 € à l'ordre de Monsieur [B] ;

Chèque de 13 500 € à l'ordre de M. [X] [P] .

- Entre le 3 décembre 2008 et le 19 mars 2009, plusieurs autres chèques auraient été tirés par M. [X] [P]. Les intimées les listent ainsi :

Chèque de 4 500 € à l'ordre de Mme [P], épouse de Monsieur [P] ;

Chèque de 15 000 € à l'ordre de M. [X] [P] ;

Chèque de 35 000 € à l'ordre de M. [X] [P] ;

- Le montant total des sommes diverties par M. [X] [P], entre septembre 2008 et novembre 2010, s'élève à 281 850 € (227 350 + 54 500).

- En l'espèce, il ressortirait clairement des pièces versées aux débats que M. [X] [P] a utilisé le chéquier de sa mère pour signer lui-même des chèques soit à son ordre, soit à l'ordre de personnes très proches, soit à l'ordre d'entreprises n'ayant aucun lien avec sa mère. L'appelant ne rapporte aucune preuve de l'existence d'un don manuel de la part de sa mère, en l'absence d'intention libérale dont il justifierait l'existence. Le fait matériel de recel est donc parfaitement établi selon les intimées.

- Il en est de même de l'élément intentionnel puisque M. [X] [P] n'a jamais admis que ces fonds prélevés sur le patrimoine de sa mère, devaient entrer dans l'actif successoral estimant parfaitement normal de les conserver pour lui-même.

- Les éléments constitutifs du recel successoral sont donc réunis selon les intimées. En conséquence, conformément aux dispositions de l'article 778 du code Civil, la somme de 386.450 euros devrait être rapportée à la succession.

Mme [Y] [N], M. [T] [N] et M. [D] [N] sollicitent également la confirmation du jugement entrepris.

Ils font valoir, entre autres, que :

- M. [P] aurait établi des chèques à son ordre ou à des personnes proches entre septembre 2008 et novembre 2010. Ces chèques, personnellement signés, attesteraient de l'élément matériel du recel successoral. L'intention frauduleuse de M. [P] serait caractérisée par son utilisation frauduleuse de la procuration que sa mère lui a consentie.

- Sur l'élément intentionnel, c'est bien grâce à la seule initiative des consorts [P], demanderesses en première instance, que la supercherie de M. [X] [P] a été constatée. M. [P] aurait détourné près de 400.000 euros.

- La qualification du présent d'usage ne saurait être retenue. Le handicap de M. [P] n'aurait aucun lien avec cette affaire.

Le jugement entrepris a rejeté la qualification de présent d'usage puisqu'il n'établit pas l'usage en vertu duquel ces sommes lui ont été données ni les évènements à l'occasion desquels il les a perçues. Les sommes, qu'il reconnaît avoir encaissées, doivent donc être rapportées à la succession.

L'élément matériel du recel successoral est constitué, selon les premiers juges, par les retraits importants effectués sur les comptes bancaires du défunt dans un court laps de temps. L'élément intentionnel est caractérisé par la volonté de rompre l'égalité du partage par l'intention de dissimulation de ces donations.

M. [P] est condamné aux sanctions prévues par l'article 778 du code civil. Il doit rapporter la somme de 386.450 euros sans pouvoir prétendre à aucun droit sur cette somme au titre du recel successoral qu'il a commis.

La cour doit s'intéresser à la qualification de présents d'usage et de donations préciputaires avant d'examiner le recel successoral allégué.

1°/ La qualification de présent d'usage

M. [X] [P] expose que la qualification de présent d'usage serait pertinente en pareille situation.

Le demandeur doit rapporter la preuve des éléments caractéristiques du présent d'usage, à savoir l'usage en vertu duquel les présents ont été donnés et les évènements à l'occasion desquels ils ont été perçus.

Si M. [X] [P] expose que cette qualification s'imposerait en raison de la situation factuelle notamment en raison de sa propre maladie et de l'aide matérielle qu'il a apportée à ses parents. Mais ces éléments ne sont pas de nature à démontrer l'existence de présents d'usage à eux seuls.

M. [X] [P] ne rapporte, en cause d'appel, aucune démonstration de la qualité de présents d'usage de cette somme de 386.450 euros.

La qualification de présent d'usage ne saurait donc être retenue faute de pièces en prouvant la réalité.

2°/ La qualification de donation hors part successorale

L'article 843 du code civil dispose que 'Tout héritier, même ayant accepté à concurrence de l'actif, venant à une succession, doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu'il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement ; il ne peut retenir les dons à lui faits par le défunt, à moins qu'ils ne lui aient été faits expressément hors part successorale.

Les legs faits à un héritier sont réputés faits hors part successorale, à moins que le testateur n'ait exprimé la volonté contraire, auquel cas le légataire ne peut réclamer son legs qu'en moins prenant'.

L'article 844 du code civil dispose que 'Les dons faits hors part successorale ne peuvent être retenus ni les legs réclamés par l'héritier venant à partage que jusqu'à concurrence de la quotité disponible : l'excédent est sujet à réduction'.

En vertu de ces textes, les donations sont présumées faite en avancement de part successorale. C'est à celui qui se prévaut du renversement de la présomption, d'apporter la preuve de la volonté du de cujus de réputer hors part successorale la libéralité.

M. [P] expose que la somme de 386.450 euros aurait été une donation préciputaire, soit hors part successorale eu égard à la terminologie de la loi du 23 juin 2006.

En cause d'appel, M. [P] procède par voie d'affirmation, dans ses dernières écritures aux pages 9 et 10, dans lesquelles il invoque cette qualification. La cour ne dispose d'aucun élément probatoire permettant de justifier que Mme [P] a voulu avantager son fils sans faire peser sur ce dernier un rapport successoral.

La qualification de donation préciputaire sera donc également rejetée.

Il sera ajouté au jugement que M. [X] [P] doit être débouté de sa demande tendant à dire et juger que les sommes reçues par Monsieur [X] [P] sont des donations à titre de préciput et hors part.

3°/ Le recel successoral

L'article 778 du code civil dispose que 'Sans préjudice de dommages et intérêts, l'héritier qui a recelé des biens ou des droits d'une succession ou dissimulé l'existence d'un cohéritier est réputé accepter purement et simplement la succession, nonobstant toute renonciation ou acceptation à concurrence de l'actif net, sans pouvoir prétendre à aucune part dans les biens ou les droits détournés ou recelés. Les droits revenant à l'héritier dissimulé et qui ont ou auraient pu augmenter ceux de l'auteur de la dissimulation sont réputés avoir été recelés par ce dernier.

Lorsque le recel a porté sur une donation rapportable ou réductible, l'héritier doit le rapport ou la réduction de cette donation sans pouvoir y prétendre à aucune part.

L'héritier receleur est tenu de rendre tous les fruits et revenus produits par les biens recelés dont il a eu la jouissance depuis l'ouverture de la succession'.

Le recel successoral est un délit civil commis par un héritier qui dissimule une partie des biens de la succession dans le but de rompre l'égalité du partage avec ses cohéritiers. Il suppose la réunion d'un élément matériel (les biens successoraux dissimulés) et d'un élément intentionnel (la volonté de rompre l'égalité du partage).

La cour a rejeté précédemment la qualification de présent d'usage et celle de donation hors part successorale en ce qui concerne la somme de 386.450 euros.

M. [X] [P] ne contredit pas l'argumentation de Mme [H] [P], Mme [O] [P] et Mme [M] [P] sur l'utilisation d'une somme totale de 386.450 euros par divers moyens, notamment sous forme de chèques.

C'est ainsi une somme de 386.450 euros provenant des deniers de Mme [G] [P] qui a été dépensée.

L'élément matériel du recel successoral est donc caractérisé puisque l'appelant ne nie pas la matérialité des sommes dépensées alors qu'il détenait une procuration sur les comptes bancaires de sa mère.

En ce qui concerne l'élément intentionnel, M. [X] [P] argue qu'il n'existerait aucune volonté de rompre l'égalité du partage. Mme [H] [P], Mme [O] [P] et Mme [M] [P] prouvent avoir interrogé M. [X] [P] sur l'existence de ces retraits et chèques sans que ce dernier ne réponde à leurs solicitations amiables.

Les intimées rapportent encore la preuve que ces deniers ont permis de servir les sociétés en rapport avec M. [X] [P] ou des personnes en lien avec lui. Comme le rappelle le jugement entrepris, ce n'est qu'à l'issue des investigations de Mme [H] [P], Mme [O] [P] et Mme [M] [P] que ces éléments ont pu être connus.

En tout état de cause, en tant que mandataire de Mme [G] [I] veuve [P] puisqu'il avait procuration, M. [X] [P] doit rendre compte de sa gestion. En cause d'appel, M. [P] ne produit pas de justificatifs sur ce point en procédant par voie d'assertions sur la volonté de sa mère.

L'élément intentionnel du recel successoral est donc établi.

Le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu'il a condamné M. [X] [P] à rapporter la somme de 386.450 euros et en ce qu'il a dit que M. [X] [P] a recelé la somme de 386.450 euros et dit qu'il ne pourra prendre part de cette donation.

Sur les frais bancaires

Au vu de ce qui précède, il convient également de confirmer la décision attaquée de ce chef, l'absence de réponse de M. [X] [P] ayant contraint les intimées à effectuer des recherches pour retrouver les chèques litigieux.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Le jugement entrepris doit être confirmé en ses dispositions relatives aux dépens mais infirmé sur les frais irrépétibles.

M. [X] [P] sera condamné à payer la somme globale de 2.000 euros au profit de Mme [H] [P], Mme [O] [P] et Mme [M] [P] en première instance, au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

M. [X] [P], appelant qui succombe, doit donc être condamné aux dépens d'appel avec possibilité de recouvrement direct par les mandataires de Mme [H] [P], Mme [O] [P] et Mme [M] [P] et de Mme [Y] [N], M. [T] [N] et M. [D] [N] conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

M. [X] [P] doit être débouté de sa demande en remboursement de ses frais irrépétibles en cause d'appel.

Les consorts [P] et les consorts [N] ont exposé, en leur qualité d'intimés, des frais de défense complémentaires. L'appelant sera condamné à leur verser au titre de l'article 700 du code de procédure civile :

- la somme globale de 3.000 euros au profit de Mme [H] [P], Mme [O] [P] et Mme [M] [P] en cause d'appel,

- la somme globale de 5.000 euros au profit de Mme [Y] [N], M. [T] [N] et M. [D] [N].

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Infirme le jugement en date du 20 septembre 2018 du tribunal de grande instance de Toulon seulement en ce qu'il a dit n'y avoir lieu d'appliquer l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau sur le chef de jugement infirmé :

Condamne M. [X] [P] à payer à Mme [H] [P], Mme [O] [P] et Mme [M] [P] une somme globale de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour leurs frais engagés en première instance,

Le confirme pour le surplus,

Y ajoutant,

Déboute M. [X] [P] de sa demande tendant à dire et juger que les sommes reçues par ce dernier sont des donations à titre de préciput et hors-part,

Condamne M. [X] [P] aux dépens d'appel avec possibilité de recouvrement direct par les mandataires de Mme [H] [P], Mme [O] [P] et Mme [M] [P] et de Mme [Y] [N], M. [T] [N] et M. [D] [N] qui en ont fait la demande,

Déboute M. [X] [P] de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

Condamne M. [X] [P] à payer, au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, à :

- Mme [H] [P], Mme [O] [P] et Mme [M] [P] une somme globale de 3.000 euros,

- Mme [Y] [N], M. [T] [N] et M. [D] [N] une somme globale de 5.000 euros,

Déboute les parties de leurs demandes plus amples et contraires.

Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

Signé par Mme Michèle Jaillet, présidente, et par Mme Céline Litteri, greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

la greffière la présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 2-4
Numéro d'arrêt : 18/16361
Date de la décision : 01/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-01;18.16361 ?
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