COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-8
ARRÊT AU FOND
DU 25 MAI 2022
N° 2022/ 247
N° RG 18/16826
N° Portalis DBVB-V-B7C-BDHOM
SCI JUNI
C/
SARL BOWLING DU BRAS D'OR
SASU MAC DONALD'S FRANCE
SARL BBO AIX
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Agnès ERMENEUX
Me Rachel SARAGA-BROSSAT
Me Philippe-laurent SIDER
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE en date du 06 Septembre 2018 enregistré au répertoire général sous le n° 12/14039.
APPELANTE
SCI JUNI
prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié es qualité au siège social sis ZI Athelia I - Immeuble Bronzo 13600 LA CIOTAT
représentée par Me Agnès ERMENEUX de la SCP ERMENEUX-CAUCHI & ASSOCIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, plaidant par Me Hélène MARTY, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMEES
SARL BOWLING DU BRAS D'OR
prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège sis Avenue Simon Lagunas Lieudit du Bras d'Or 13400 AUBAGNE
représentée par Me Philippe-laurent SIDER, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, Me Christian SALORD, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
SASU MAC DONALD'S FRANCE
prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis 1 rue Gustave Eiffel 78280 GUYANCOURT
représentée par Me Rachel SARAGA-BROSSAT de la SELARL SARAGA-BROSSAT RACHEL, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, plaidant par Me Emmanuelle CHAVANCE de l'AARPI OPERA AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, assisté de Me Jean-Baptiste GERGES, avocat au barreau de PARIS
PARTIE INTERVENANTE
SARL BBO AIX
prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège sis Le Valcros 6 rue Charloun Rieu 13090 AIX EN PROVENCE
représentée par Me Philippe- laurent SIDER, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE Me Christian SALORD, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 1er Mars 2022 en audience publique devant la cour composée de :
Monsieur Philippe COULANGE, Président
Madame Céline ROBIN-KARRER, Conseillère
Monsieur Jean-Paul PATRIARCHE, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Maria FREDON.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 25 Mai 2022.
ARRÊT
Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 25 Mai 2022, signé par Monsieur Philippe COULANGE, Président et Madame Maria FREDON, greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE ANTÉRIEURE
La société d'économie mixte d'aménagement du pays d'Aubagne, dite SAEMPA, a obtenu en 1996 une concession pour l'aménagement de parcelles dépendant du domaine privé de ladite commune, comprenant notamment la construction d'un ensemble immobilier sur deux niveaux destiné à accueillir les bureaux d'une agence ASSEDIC, une salle municipale polyvalente, un établissement de restauration rapide et un bowling.
Aux termes de l'état descriptif de division reçu par acte notarié du 12 mai 1997, il était stipulé que l'ensemble immobilier n'était pas soumis au statut de la copropriété, mais divisé en 'volumes' supportant diverses servitudes afin de tenir compte de leur imbrication et de leur superposition.
Une partie des 'volumes' du premier étage, comprenant notamment le restaurant, une voie d'accès et un parking extérieur, a été vendue en l'état futur d'achèvement à la société MAC DONALD'S FRANCE, qui en a confié l'exploitation à un locataire-gérant la société SODEXAUB.
La SCI JUNI a acquis pour sa part une partie des 'volumes' du rez-de-chaussée, à usage de bowling, situés à l'aplomb.
Ceux-ci ont ensuite été donnés à bail commercial à la société BOWLING DU BRAS D'OR à compter du 26 mai 1998, moyennant un loyer annuel de 370.000 francs hors taxes, payable trimestriellement et d'avance, et révisable annuellement en fonction de la variation de l'indice de référence.
A compter de l'année 1999, le preneur a été confronté à des dégâts des eaux récurrents en provenance de la dalle supérieure, pour lesquels il a effectué plusieurs déclarations de sinistre auprès de son assureur la compagnie QBE, par l'intermédiaire de son courtier la société SIACI SAINT HONORE.
Il a également demandé à son bailleur d'actionner la garantie dommages-ouvrage souscrite par le promoteur auprès de la compagnie SAGENA. Toutefois, la déclaration de sinistre n'ayant été formalisée que le 12 mars 2008, celle-ci a opposé l'expiration du délai décennal de garantie dans la mesure où la réception de l'ouvrage avait été prononcée le 11 février 1998.
Suivant ordonnance de référé du 25 février 2011, la SCI JUNI a obtenu l'organisation d'une première expertise judiciaire confiée à M. [R] [P], au contradictoire de son locataire et des sociétés SIACI SAINT HONORE, SODEXAUB et MAC DONALD'S FRANCE, cette dernière étant intervenue volontairement à l'instance.
L'expert a rendu son rapport le 12 octobre 2011, concluant que les désordres avaient deux causes distinctes, à savoir d'une part un défaut d'étanchéité de la dalle de couverture constituant le parking du restaurant MAC DONALD'S, et d'autre part un défaut d'étanchéité du réseau d'évacuation des eaux usées et de la dalle technique des cuisines de ce même restaurant, non contenu par le bac de rétention aménagé dans l'espace libre entre la sous-face de la dalle en béton porteuse et le faux-plafond de la salle de bowling.
S'agissant de la première des causes identifiées, l'expert ne s'est pas prononcé sur la nature des travaux à entreprendre, indiquant que des sondages de reconnaissance seraient certainement nécessaires.
S'agissant de la seconde, il a pris acte de ce que des travaux de réparation étaient envisagés à bref délai par la société MAC DONALD'S sur la base d'un devis de la société EURO CLIMATISATION.
Le preneur ayant cessé de régler son loyer, la SCI JUNI lui a fait signifier le 9 octobre 2012 un commandement de payer la somme de 103.567,33 euros, visant la clause résolutoire stipulée au contrat.
Par acte du 8 novembre 2012, la société BOWLING DU BRAS D'OR a saisi le tribunal de grande instance de Marseille afin d'entendre annuler ledit commandement, ou tout au moins obtenir la suspension des effets de la clause résolutoire, et réclamer une révision du loyer en raison de ses troubles de jouissance.
Par acte du 14 mai 2013, la SCI JUNI a appelé en garantie la société MAC DONALD'S FRANCE.
Suivant ordonnance rendue le 14 juin 2013, le juge de la mise en état a désigné de nouveau M. [R] [P] en qualité d'expert, et celui-ci a déposé un second rapport le 5 mars 2014, concluant d'une part que les travaux réalisés par la société MAC DONALD'S avaient mis fin aux infiltrations provenant du réseau d'évacuation des eaux usées, mais que celles en provenance de la dalle du parking n'avaient pas été résolues.
L'expert précisait cette fois la nature et le coût des travaux restant à exécuter, et prenait acte de l'engagement de la société MAC DONALD'S de les prendre en charge à ses frais avancés, tout en considérant pour sa part qu'il s'agissait d'un ouvrage commun.
Lesdits travaux ont été effectivement réalisés dans le courant de l'été 2014 par la société COLAS MIDI-MEDITERRANEE (agence SRMV) pour un coût de 25.920 euros.
Entre-temps la société BOWLING DU BRAS D'OR avait donné congé pour le 30 septembre 2014, date d'échéance du bail, après avoir cédé l'ensemble de son matériel d'exploitation à une autre société dénommée BBO AIX, dirigée par le même gérant, qui l'avait ensuite revendu à la société GC ANIMATION, à laquelle la SCI JUNI a finalement consenti un nouveau bail.
Par acte du 28 avril 2015, la SCI JUNI a dès lors appelé la société BBO AIX en intervention forcée, afin qu'il soit statué sur le privilège qu'elle détenait sur l'ensemble du matériel garnissant le fonds loué en vertu de l'article 2332 du code civil, et que la saisie conservatoire de créance diligentée entre les mains de la société GC ANIMATION puisse être convertie en saisie-attribution.
Par jugement rendu le 18 octobre 2018, le tribunal de grande instance de Marseille a :
- dit que la SCI JUNI avait commis une faute en ne garantissant pas au preneur une jouissance paisible des lieux,
- débouté néanmoins la société BOWLING DU BRAS D'OR de son opposition au commandement,
- débouté également la locataire de sa demande en paiement d'une somme de 772.504 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice d'exploitation et de ses troubles de jouissance,
- débouté la bailleresse de sa demande en paiement d'une somme de 226.004,17 euros au titre de la dette locative,
- débouté la SCI JUNI de son recours en garantie dirigé contre la société MAC DONALD'S FRANCE,
- mis hors de cause la société BBO AIX,
- et condamné la SCI JUNI aux dépens, ainsi qu'au paiement d'une indemnité au titre des frais irrépétibles exposés par les sociétés BOWLING DU BRAS D'OR et MAC DONALD'S FRANCE.
La SCI JUNI a relevé appel de cette décision par déclaration adressée le 23 octobre 2018 au greffe de la cour.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par conclusions notifiées le 2 juillet 2019, la SCI JUNI fait valoir :
- que le bail commercial contient une clause aux termes de laquelle le preneur déclare renoncer expressément à tout recours contre le bailleur en cas de trouble apporté à sa jouissance par la faute d'un tiers, laquelle déroge de manière parfaitement licite aux dispositions des articles 1719 et suivants du code civil, qui ne sont pas d'ordre public,
- que les sinistres subis par le preneur sont imputables au défaut d'entretien des ouvrages appartenant à la société MAC DONALD'S FRANCE, alors que celle-ci avait été mise en garde contre les risques inhérents à la circulation sur son parking de véhicules lourds, en violation de l'une des servitudes instituées par l'état descriptif de division,
- que les garanties de la police dommages-ouvrage n'ont pu être mobilisées par la faute de son courtier la société SIACI SAINT HONORE, qui aurait tardé à effectuer la déclaration de sinistre,
- qu'elle a accompli néanmoins toutes les diligences en son pouvoir afin de faire cesser les infiltrations subies par son locataire,
- que la société BOWLING DU BRAS D'OR ne pouvait invoquer l'exception d'inexécution pour cesser de régler son loyer, alors que les locaux n'étaient pas entièrement inutilisables et que leur exploitation a toujours été poursuivie,
- que le premier juge a écarté sans motif légitime la valeur probante du décompte récapitulant le montant de la dette locative, alors que celle-ci n'était pas contestée par le preneur, qui avait seulement conclu à sa compensation avec une créance de dommages-intérêts,
- et qu'enfin le bailleur conserve le privilège établi par l'article 2332 du code civil sur le matériel garnissant le fonds loué en quelque main qu'il se trouve.
Elle demande à la cour de réformer la décision entreprise, et statuant à nouveau :
- de condamner la société BOWLING DU BRAS D'OR à lui payer une somme de 250.439,81 euros au titre de sa dette locative, outre intérêts au taux légal à compter de la date d'exigibilité de chacun des termes restant dus,
- de dire que cette condamnation sera opposable à la société BBO AIX, et qu'elle sera fondée à en poursuivre le recouvrement sur les fonds détenus par la société GC ANIMATION représentant le solde du prix d'achat du matériel constituant l'objet de son privilège,
- de débouter la société BOWLING DU BRAS D'OR de toutes ses prétentions,
- subsidiairement, de condamner la société MAC DONALD'S FRANCE à la relever et garantir de toutes sommes mises à sa charge, sur le fondement des articles 1240 et 1241 du code civil,
- de condamner solidairement les sociétés BOWLING DU BRAS D'OR, BBO AIX et MAC DONALD'S FRANCE aux entiers dépens de première instance et d'appel, comprenant le coût des deux expertises,
- et de condamner en outre chacune d'entre elles à lui payer une somme de 10.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions notifiées le 3 avril 2019, la société BOWLING DU BRAS D'OR poursuit pour sa part la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté la SCI JUNI de sa demande en paiement d'une dette locative et dit que la bailleresse avait commis une faute en ne lui assurant pas une jouissance paisible des locaux loués.
Elle soutient à cette fin que la clause du bail invoquée par l'appelante est contraire aux dispositions d'ordre public des articles 1719 et suivants du code civil.
Elle conclut en revanche à l'infirmation de la décision en ce qu'elle l'a déboutée de sa demande en dommages-intérêts, et poursuit la condamnation de la SCI JUNI à lui payer une somme de 772.504 euros en réparation de ses pertes d'exploitation.
Aux termes des mêmes conclusions, la société BBO AIX sollicite pour sa part la confirmation du jugement en ce qu'il a prononcé sa mise hors de cause.
Les concluantes réclament enfin la condamnation de la SCI JUNI aux entiers dépens, ainsi qu'à leur payer une somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses écritures notifiées le 17 avril 2019, la société MAC DONALD'S FRANCE conclut pour sa part à la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions, aux motifs:
- qu'étant un tiers au contrat de bail, les conditions d'engagement de sa responsabilité délictuelle ne sont pas réunies, dès lors que les deux rapports d'expertise ne font état d'aucune faute qui lui serait imputable, et qu'elle a accepté de réaliser les travaux qui lui étaient demandés,
- que la preuve d'une perte d'exploitation du preneur en lien avec les désordres constatés n'est pas rapportée, l'expert ayant au contraire conclu dans son second rapport que les infiltrations n'avaient affecté que des locaux non ouverts au public, et que la société BOWLING DU BRAS D'OR ne lui avait communiqué aucun élément permettant d'évaluer son préjudice,
- et que la SCI JUNI a été défaillante dans la gestion des sinistres subis par son locataire, en ne mobilisant pas efficacement la garantie dommages-ouvrage, et en introduisant une procédure de référé-expertise de manière bien trop tardive.
Elle poursuit également la condamnation de la SCI JUNI aux entiers dépens, ainsi qu'à lui payer une somme de 5.000 euros au titre de ses frais irrépétibles.
DISCUSSION
Sur les rapports entre bailleur et locataire :
En vertu des dispositions des articles 1719 et 1720 du code civil, le bailleur est obligé par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière :
- de délivrer au preneur la chose louée, ce qui implique de mettre à sa disposition des locaux conformes à la destination envisagée par le contrat,
- d'entretenir les lieux en l'état de servir, et d'y faire toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaires, autres que les réparations locatives,
- ainsi que d'en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail.
L'article 1721 dispose pour sa part qu'il est dû garantie au preneur pour tous les vices ou défauts de la chose louée qui en empêchent l'usage, quand bien même le bailleur ne les aurait pas connus lors de la conclusion du bail.
Ces dispositions ne revêtent pas un caractère d'ordre public, de sorte que les parties peuvent y déroger par des clauses particulières, à la condition toutefois de ne pas vider de sa substance l'obligation de délivrance sus-énoncée.
En l'espèce le bail conclu entre les parties stipule en son article B 15°) :
' Le locataire renonce expressément à tout recours contre le bailleur ...
- en cas de trouble apporté à sa jouissance par la faute de tiers, quelle que soit leur qualité, sauf si ces tiers relèvent de la responsabilité du bailleur, le locataire devant agir directement contre eux sans pouvoir mettre en cause le bailleur,
- en cas d'inondation par refoulement d'égouts, humidité, infiltrations, fuites, le bailleur n'étant aucunement responsable de tous dégâts ainsi occasionnés, sauf s'il n'a pas rempli ses obligations au titre de l'article 606 du code civil.'
Or il résulte des conclusions de l'expert judiciaire que le siège des désordres ne se situait pas dans les locaux loués, mais dans ceux du volume supérieur appartenant à la société MAC DONALD'S FRANCE, lesquels présentaient d'une part un défaut d'étanchéité de la dalle de couverture utilisée comme parking, et d'autre part un défaut d'étanchéité du réseau d'évacuation des eaux usées et de la dalle technique des cuisines du restaurant.
Ces dernières infiltrations n'étaient pas efficacement contenues par le bac de rétention aménagé dans l'espace libre entre la sous-face de la dalle en béton porteuse et le faux-plafond de la salle de bowling, étant toutefois précisé que cet ouvrage avait été installé par la SAEMPA à la demande expresse de la société BOWLING DU BRAS D'OR, sans aucune intervention de la SCI JUNI.
L'état descriptif de division établi par le promoteur stipule en effet que l'ensemble immobilier n'est pas soumis au statut de la copropriété, mais divisé en 'volumes' supportant diverses servitudes afin de tenir compte de leur imbrication et de leur superposition.
Ainsi la propriété de chaque dalle de niveau est partagée par moitié entre le 'volume inférieur' et le 'volume supérieur', chaque propriétaire supportant exclusivement la charge de l'entretien et de la réfection de son propre lot.
S'agissant des réseaux de viabilité, notamment des évacuations des eaux pluviales et usées, il est prévu que leur propriété est fonction de celle des locaux desservis.
Contrairement à l'opinion juridique exprimée par l'expert dans son second rapport, ces clauses dérogent valablement au statut de la copropriété des immeubles bâtis, comme le permettait à l'époque l'article 1er de la loi du 10 juillet 1965, dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2019-1101 du 30 octobre 2019, pour les ensembles immobiliers destinés à d'autres usages que l'habitation.
Il en résulte que la SCI JUNI n'est pas tenue de garantir son locataire contre des troubles de jouissance imputables à un tiers, alors qu'il n'est pas démontré qu'elle aurait elle-même manqué à son obligation d'entretenir les lieux loués, notamment en ce qui concerne les grosses réparations mises à la charge du propriétaire par l'article 606 du code civil.
De fait, les réparations préconisées par l'expert ont bien été réalisées et financées par la société MAC DONALD'S FRANCE et par elle seule.
Le jugement entrepris doit être dès lors infirmé en ce qu'il déclaré que la bailleresse avait commis une faute en ne garantissant pas au preneur une jouissance paisible des lieux loués.
Il convient au contraire de considérer que la société BOWLING DU BRAS D'OR ne peut valablement opposer l'exception d'inexécution des obligations incombant à son cocontractant pour s'exonérer du paiement du loyer. Elle ne démontre pas en outre avoir subi une interruption de son activité, et les pertes d'exploitation qu'elle allègue ne reposent que sur ses seules affirmations.
Le jugement doit être ainsi confirmé, par substitution de motifs, en ce qu'il a débouté la société locataire de son opposition au commandement de payer, ainsi que de sa demande en paiement de dommages-intérêts.
La décision doit être au contraire infirmée en ce qu'elle a débouté la société bailleresse de sa demande en paiement de la dette locative au seul motif que le décompte produit était insuffisamment probant, alors que le preneur n'en contestait pas l'exactitude et que la preuve des règlements effectués incombe au débiteur de l'obligation.
Le montant définitif de cette dette, qui s'élevait à 224.436,71 euros au 1er juillet 2014 (y compris l'échéance du 3ème trimestre) suivant le décompte faisant l'objet de la pièce n° 72 du dossier de plaidoirie de la SCI JUNI, doit être désormais porté à 236.046,71 euros compte tenu du prorata de la taxe foncière 2014.
Sur le privilège du bailleur :
En vertu de l'article 2332 du code civil, le bailleur bénéficie d'un privilège spécial pour le recouvrement de sa créance de loyer s'exerçant sur l'ensemble du mobilier et du matériel garnissant les lieux loués, en quelque main qu'ils se trouvent.
Il résulte des pièces produites aux débats que la société BOWLING DU BRAS D'OR a cédé dès le 31 août 2013 l'ensemble de son matériel d'exploitation à une autre société dénommée BBO AIX, dirigée par le même gérant, qui l'a ensuite revendu le 30 septembre 2014 à la société GC ANIMATION.
Le 30 mars 2015 la SCI JUNI, agissant en vertu d'une ordonnance du juge de l'exécution, a fait pratiquer une saisie conservatoire de créance entre les mains de la société GC ANIMATION sur les sommes que celle-ci restait devoir à la société BBO AIX en règlement du prix d'acquisition dudit matériel.
Par un arrêt rendu le 1er juin 2017 la cour de céans, statuant dans une autre formation, a débouté la société BBO AIX de ses contestations et validé le principe de cette saisie.
En application de l'article L 523-2 du code des procédures civiles d'exécution, le présent arrêt constituera un titre exécutoire permettant à la SCI JUNI de convertir la saisie conservatoire en saisie-attribution, étant rappelé que le créancier devra procéder conformément aux dispositions des articles R 523-7 et suivants du même code.
Sur le recours en garantie dirigé contre la société MAC DONALD'S FRANCE :
Dans la mesure où la SCI JUNI n'est pas jugée débitrice d'une quelconque somme à l'égard de sa locataire, son recours en garantie dirigé contre la société MAC DONALD'S FRANCE doit être considéré comme dépourvu d'objet.
Néanmoins, faisant application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre à la charge de cette dernière le coût des deux expertises diligentées par M. [R] [P], puisque le siège des désordres se situait dans ses locaux.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté la société BOWLING DU BRAS D'OR de son opposition au commandement de payer, ainsi que de sa demande en dommages-intérêts,
L'infirme pour le surplus, et statuant à nouveau :
Juge que la SCI JUNI n'a pas manqué à ses obligations contractuelles,
Condamne la société BOWLING DU BRAS D'OR à payer à la SCI JUNI la somme de 236.046,71 euros en règlement de sa dette locative, avec intérêts au taux légal à compter du 30 septembre 2014,
Dit que le présent arrêt constituera un titre exécutoire permettant à la SCI JUNI de convertir en saisie-attribution la saisie conservatoire de créance effectuée le 30 mars 2015 entre les mains de la société GC ANIMATION sur les sommes dont celle-ci est redevable envers la société BBO AIX,
Déclare sans objet le recours en garantie exercé par la SCI JUNI à l'encontre de la société MAC DONALD'S FRANCE,
Condamne la société BOWLING DU BRAS D'OR aux dépens de première instance et d'appel, excepté le coût des deux expertises diligentées par M. [R] [P] qui sera à la charge de la société MAC DONALD'S FRANCE,
Rejette les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIERELE PRESIDENT