COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-2
ARRÊT AU FOND
DU 13 MAI 2022
N° 2022/126
Rôle N° RG 18/10937 - N° Portalis DBVB-V-B7C-BCWCH
[H] [O] [U] épouse [T]
C/
[G] [Z] épouse [I]
Copie exécutoire délivrée
le : 13 mai 2022
à :
Me Michelle CHAMPDOIZEAU- PASCAL, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
(Vestiaire 258)
Me Philippe RAFFAELLI, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
(Vestiaire 123)
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARTIGUES en date du 07 Mai 2018 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 17/00673.
APPELANTE
Madame [H] [O] [U] épouse [T], demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Michelle CHAMPDOIZEAU- PASCAL de la SCP PASCAL CHAMPDOIZEAU, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
INTIMEE
Madame [G] [Z] épouse [I], demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Philippe RAFFAELLI, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 Mars 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Florence TREGUIER, Présidente de chambre, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Florence TREGUIER, Présidente de chambre
Madame Marie-Noëlle ABBA, Présidente de chambre suppléante
Madame Véronique SOULIER, Présidente de chambre suppléante
Greffier lors des débats : Mme Cyrielle GOUNAUD.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 13 Mai 2022.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 13 Mai 2022
Signé par Madame Florence TREGUIER, Présidente de chambre et Mme Cyrielle GOUNAUD, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Embauchée le 1er janvier 1976 en qualité de conditionneuse par la 'pharmacie de l'église'
ayant appartenu à divers pharmaciens dont Madame [G] [I] en dernier lieu, Madame [H] [O] [U], épouse [T], dont le contrat de travail a été suspendu pour maladie à compter du 16 novembre 2012 a été déclarée « inapte au postede conditionneuse » sans possibilité de reclassement par avis du médecin du travail des 1er et 21avril 2015.
Elle a été licenciée par lettre du 21 mai 2015 en raison de cette inaptitude avec impossibilité de reclassement .
Contestant le bien-fondé de ce licenciement et imputant la rupture du lien contractuel au
comportement de l'employeur, Madame [H] [O] [U], épouse [T] a, le 22 février 2016, saisi le conseil de prud'hommes d'Aix-en-Provence qui, par jugement du 7 mai 2018 a ainsi statué :
« - déclare Madame [H] [O] [U], épouse [T] irrecevable en toutes ses demandes,
- déboute Madame [H] [O] [U], épouse [T] de toutes ses demandes et prétentions'
Mme [H] [O] [U], épouse [T] a interjeté appel par voie électronique via le RPVA, le 29 juin 2018, à l'encontre de l'ensemble des dispositions de ce jugement.
Par ordonnance en date du 19 novembre 2021 le conseiller de la mise en état , statuant sur l'incident élévé par l'intimé a dit que l'instance n'était pas périmée.
Par conclusions en date du 29septembre 2018 notifiée par RPVA l'appelante demande à la cour de :
'Infirmer le jugement du 7 mai 2018
' Requalifier la rupture et dire que la rupture du contrat de travail de Madame [T] est imputable à l'Employeur.
' Condamner Madame [I] à payer à Madame [T] :
o Une somme de 34 312.32 €uros à titre de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
o Une somme de 15 000.00 €uros pour exécution lourdement fautive du contrat de travail et harcèlement.
o Une indemnité compensatrice de préavis et d'incidence congés payés de 3 145.29 €uros.
o Une somme de 2 500.00 €uros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
18
' Enjoindre à Madame [I] de remettre à Madame [T] les documents inhérents à la rupture : certificat de travail, Attestation Pôle Emploi, Solde de tout compte sous astreinte de 100.00 €uros par document et par jour de retard commençant à courir un mois après la notification de la décision à intervenir et se réserver compétence pour la liquidation de l'astreinte.
' Condamner Madame [I] aux entiers dépens.
Elle fait valoir qu'à compter de 2003/2004 elle a été victime de harcèlement de son employeur à l'origine de son inaptitude et se manifestant par des reflexions désobligeantes puis des imputations infondées d'erreurs , une surveillance constante qui ont entrainé la consultation d'un psychologue puis un état anxio- dépressif avéré ainsi qu'il ressort des certificats médicaux et attestations qu'elle produit aux débats.
Que dans ces conditions son licenciement doit être considéré comme dépourvu de cause réelle et sérieuse ainsi que le juge la cour de cassation.
Que les attestations produites en défense émanent de personnes qui ont un lien d'intérêt avec l'intimée et sont donc dépourvues de force probante.
Par conclusions notifiées via le RPVA le 21 décembre 2018 l'intimée , formant appel incident, demande à la cour de :
'confirmer le jugement entrepris.
Y AJOUTANT,
'Condamner Madame [H] [T] à payer la somme de 3500 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
'Condamner Madame [H] [T] aux entiers dépens.
Elle fait valoir qu'il appartient à la salariée d'établir des faits précis permettant de présumer un harcèlement moral conformément aux dispositions de l'article 1154-1 du code du travail , la simple détérioration de l'état de santé étant insuffisante à rapporter une telle preuve.
Elle estime qu'en l'espèce la salariée échoue dans sa démonstration ; qu'en revanche elle même démontre avoir repositionné la salariée sur une grille de rémunération plus favorable en lui proposant un poste d'employée en pharmacie, lui avoir attibué des primes eceptionnelles qu'elle était la seule à percevoir ainsi que divers autres avantages professionnels ( cf fractionnement des congés, possibilité de se servir à la pharmacie en dehors des heures de travail ...).
Elle souligne que les visites effectuées par la médecine du travail ne mentionnent aucune problematique d'origine professionnelle.
Elle soutient qu'elle n'a pas sanctionné la salariée lors d'une confusion , au demeurant reconnue , dans la délivrance d'un médicament ni n'a adopté une comportement critique à son égard.
Qu'aucune observation n'a été faite quand à la disparition d'un chèque retrouvé dans la poubelle sans que personne ne sache ce qui s'était passé;Que c'est à la suite d'une erreur que les indemnités journalaières n'ont pas été versées du 1er avril au 22 mai 2015 , ce qu'elle a réparé dès qu'elle en a eu connaissance .
Que les attestations qu'elle produit démontrent qu'il régnait une bonne ambiance de travail dans la pharmacie.
Elle considère en conséquence que l'état dépressif de l'appelante est en lien avec des difficultés personnelles sur lesquelles il lui est arrivé de se confier et critique les attestations produites par l'appelante comme étant dépourvue d'objectivité.
L'ordonnance de clôture est en date du 21 février 2022;
Motifs de la décision
Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Selon l'article L. 1154-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2018-1088 du 8 août 2016, le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer ou laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Si la rupture du contrat de travail résulte d'une situation d'inaptitude à tout poste dans l'entreprise, laquelle est la conséquence des conditions de travail du salarié et de la situation de harcèlement moral qu'il a subie, dès lors par application des dispositions de l'article L.1152-3 du code du travail, le licenciement est nul.
En l'espèce Mme [T] considère que le harcèlement résulte de
'Réflexions désobligeantes et d'un dénigrement du travail accompli à compter de 2003-2004 s'accompagnant de la reflexion ' quand j'ai acheté la pharmacie vous étiez là donc je ne vous ai pas choisie'
'Reproches infondés quant à la délivrance des médicaments et d'une surveillance constante à partir de 2009 , ce qui a entrainé la consultation d'un psychologue
'Imputation injustifiée de la perte d'un chèque le 15 novembre 2012 , provoquant l'arrêt maladie du 16 novembre 2012 pour dépression ' sur harcèlement moral au travail '
Il ressort de l'examen des pièces versées aux débats que Mme [T] ne produit aucun élément suceptible d'étayer l'existence du dénigrement et des réflexions dont elle fait état à partir de l'année 2004 alors qu'elle ne mentionne aucune difficulté entre 1999 , année d'acquisition de la pharmacie par Mme [I] , et 2003/2004.
L'attestation de Mme [V] ( pièce 18 ) démontre au contraire qu''aucune difficulté n'existait à la pharmacie entre 2006 et 2008 'où tout s'est bien passé ' Elle ne fait état d'aucune difficulté entre l'appelante et son employeur ; La cour relève au surplus qu'après avoir travaillé pour d'autres employeurs Mme [V] n'a réintégré la pharmacie qu'en 2014 et n'a pu en conséquence être le témoin des relations professionnelles entretenues par l'appelante avec l'intimée en 2010/2012 de sorte que l' allégation ' je savais ce qu'avait subi [H] et où elle en est arrivée à cause de cela ' qui ne repose sur aucun élément concret n'est pas suceptible de faire présumer l'existence d'un harcèlement .
Pour le surplus les difficultés qu'auraient rencontrées Mme [V] avec l'intimée sont étrangères au débats et ne sont d'ailleurs pas plus étayées sur des éléments de fait.
De même la cour relève que Mme [S] ( pièce 23 de l'appelante ) n'a pu être le témoin des relations professionnelles de l'appelante avec l'intimé puisqu'elle a été embauchée le 2 mai 2013 , pendant l'arrêt maladie de Mme [T] . Les difficultés qu'elle allègue avoir elle même rencontrées avec son employeur sont exprimées en des termes particulièrement vagues et imprécis , sans exemple concrètement vérifiable alors qu'il apparait manifestement que Mme [S] a été déçue de ne pas voir son contrat prolongé.
La même analyse s'impose d'agissant de l'attestation de Mme [M] (pièce 31)
Aucune des attestations produites n'établit des reproches suite à l' erreur dans la délivrance des médicaments ou la perte de chèque remis en paiement dont l'intimée affirme la réalité sans que Mme [E] ne soit en mesure d'établir l'inexactitude des fait.;
La surveillance exercée en conséquence, dont Mme [T] fait état, n'est pas plus établie
Enfin les certificats médicaux produits ne font que rapporter les dires de la patiente (pièce 1 , p3, p9) .
Au contraire l'intimée démontre avoir reclassé en 2004 Mme [T] en qualité d'employée ( pièce 10-1) la faisant ainsi bénéficier d'une grille indiciaIre plus favorable ,lui avoir 'attributé des primes exceptionnelles en 2009 ( pièce 12) et même postérieurement à l'arrêt maladie de novembre 2012 .Elle produit également des attestations d'anciens employés ayant travaillé dans l'officine avec Mme [T] sans remarquer un quelconque comportement de dénigrement de l'intimée à l'encontre de l'appelante .
La cour ne peut pas plus déduire l'existence du harcèlement allégué de fait postérieurs à la rupture du contrat de travail résultant du paiement d'indemnités journalières avec retard en décembre 2015 alors qu'elles étaient versées à l'employeur en aout 2015 , Mme [I] ayant réparé son omission à première demande.
Ainsi c'est à juste titre que les premiers juges ont retenu que si il est indéniable que Mme [T] était une employée particulièrement appréciée de ses employeurs avant l'achat de la pharmacie par Mme [I] , aucun fait de nature à laisser présumer un harcèlement moral à l'origine de l'inaptitude n' est établi en l'espèce .
Il convient de condamner l'appelante qui succombe à payer à Mme [I] la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du CPC etd e la condamner aux dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement et contradictoirement
Confirme le jugement en toutes ses dispositions et y ajoutant
Condamne Madame [H] [O] [U], épouse [T] à payer à Mme [I] la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du CPC
Condamne Madame [H] [O] [U], épouse [T] au dépens de l'instance d'appel
Le greffier Le président