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06/05/2022 | FRANCE | N°18/12809

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-3, 06 mai 2022, 18/12809


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-3



ARRÊT AU FOND



DU 06 MAI 2022



N° 2022/ 103



RG 18/12809

N° Portalis DBVB-V-B7C-BC3XJ







SAS RESIDENCE CLAUDE DEBUSSY





C/



[M] [R]

























Copie exécutoire délivrée le 6 mai 2022 à :



-Me Yves TALLENDIER, avocat au barreau de MARSEILLE



- Me Pascale MAZEL, avocat au barreau de MARSEILLE




























Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE en date du 02 Juillet 2018 enregistré au répertoire général sous le n° 16/02217.





APPELANTE



SAS RESIDENCE CLAUDE DEBUSSY, demeurant [Adre...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-3

ARRÊT AU FOND

DU 06 MAI 2022

N° 2022/ 103

RG 18/12809

N° Portalis DBVB-V-B7C-BC3XJ

SAS RESIDENCE CLAUDE DEBUSSY

C/

[M] [R]

Copie exécutoire délivrée le 6 mai 2022 à :

-Me Yves TALLENDIER, avocat au barreau de MARSEILLE

- Me Pascale MAZEL, avocat au barreau de MARSEILLE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE en date du 02 Juillet 2018 enregistré au répertoire général sous le n° 16/02217.

APPELANTE

SAS RESIDENCE CLAUDE DEBUSSY, demeurant [Adresse 3] - [Localité 1]

représentée par Me Yves TALLENDIER de la SELARL CAPSTAN - PYTHEAS, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMEE

Madame [M] [R], demeurant [Adresse 4] - [Localité 2]

représentée par Me Pascale MAZEL, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 22 Mars 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Estelle DE REVEL, Conseiller, chargée du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre

Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller faisant fonction de Président

Madame Estelle DE REVEL, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Florence ALLEMANN-FAGNI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 06 Mai 2022.

ARRÊT

CONTRADICTOIRE,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 06 Mai 2022

Signé par Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre et Madame Florence ALLEMANN-FAGNI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE

Le 12 avril 2014, Mme [M] [R] a été embauchée par la société Résidence Claude Debussy en qualité d'infirmière, statut technicien spécialisé, niveau II, coefficient 284 par contrat à durée indéterminée.

La convention collective applicable à la relation de travail était celle de l'Hospitalisation privée à but lucratif, dans ses dispositions propres aux établissements médico-sociaux (Ehpad).

Le 23 juillet 2015, la salariée s'est vue notifiée une mise en garde.

Le 18 mars 2016, elle a fait l'objet d'une mise à pied disciplinaire d'une durée de six jours.

Le 12 août 2016, elle a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 22 août suivant, avec mise à pied conservatoire.

Le 29 août 2016, la salariée s'est vue notifier un licenciement pour faute grave.

Contestant cette rupture, le 21 septembre 2016, Mme [R] a saisi le conseil de prud'hommes de Marseille lequel a, par jugement du 2 juillet 2018 :

'Constaté que l'employeur ne rapporte nullement la preuve des fautes qu'il allègue

Annulé la mise en garde du 23 juillet 2015

Constaté que les faits reprochés à la salariée ne constituent pas des fautes possibles d'une sanction disciplinaire

Prononcé l'annulation de la mise à pied disciplinaire du 21 mars 2013 au 26 mars 2016

Condamné la résidence Claude Debussy à verser à Mme [R] les sommes suivantes :

427,63€ à titre de rappels de salaires sur mise à pied disciplinaire

42,76€ à titre de congés payés y afférents

Constaté que l'employeur ne rapporte pas la preuve des faits qu'il allègue

Dit et jugé que le licenciement intervenu est dépourvu de cause réelle et sérieuse

Condamné la résidence Claude Debussy à verser Mme [R] les sommes suivantes :

1 150,87€ bruts à titre de rappels de mise à pied

115,09€ bruts à titre de congés payés y afférents

4 363,80€ bruts à titre d'indemnité de préavis

436,38€ bruts à titre de congés payés y afférents

1 090,00€ bruts à titre d'indemnité légale de licenciement

13 100,00€ nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul

Condamné l'employeur à verser une somme de 1 000,00€ net au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Ordonné l'exécution provisoire de la décision à intervenir

Ordonné les intérêts légaux à compter du jour de la demande en justice et leur capitalisation

Débouté la salariée du surplus de ses demandes

Débouté l'employeur de sa demande reconventionnelle

Dit que la moyenne des trois derniers mois de salaire s'élève à la somme de 2 181,90€ bruts

Condamné la partie défenderesse aux entiers dépens'.

Le 27 juillet 2018, la société a relevé appel de la décision.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 26 octobre 2018, la société demande à la cour de :

'INFIRMER le jugement attaqué dans toutes ses dispositions

A titre principal :

DIRE ET JUGER que :

la mise en garde ainsi que la mise à pied disciplinaire du 18 mars 2016 sont fondées,

le licenciement pour faute grave de Madame [R] est parfaitement fondé,

DEBOUTER en conséquence, Madame [R] de l'ensemble de ses demandes indemnitaires et salariales émises à ce titre,

A titre subsidiaire :

DIRE ET JUGER que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse,

En tout état de cause :

CONDAMNER Madame [R] à verser à la Société RESIDENCE CLAUDE DEBUSSY une somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du CPC, outre les entiers dépens'.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 23 janvier 2019, la salariée demande à la cour de :

'Confirmer dans son principe la décision rendue par la juridiction de 1ère instance.

La réformer dans les montant alloués

En conséquence,

Sur la mise en garde du 23.07.2015

Constater que l'employeur ne rapporte nullement la preuve des fautes qu'il allègue.

En conséquence,

Annuler la mise en garde du 23.07.2015.

Condamner l'employeur à verser à la salariée une somme de 500,00 € à titre de dommages et intérêts pour usage abusif du pouvoir disciplinaire.

Sur la mise à pied disciplinaire du 21.03.2016 au 26.03.2016

Constater que les faits reprochés à la salariée ne constituent pas des fautes passibles d'une sanction disciplinaire.

En conséquence,

Prononcer l'annulation de la mise à pied disciplinaire du 21.03.2013 au 26.03.2016.

Condamner l'employeur à verser à la salariée les sommes suivantes :

427,63 € à titre de rappels de salaires sur mise à pied disciplinaire,

42,76 € à titre de congés payés y afférents,

500,00 € à titre de dommages et intérêts pour usage abusif du pouvoir disciplinaire.

A titre principal,

Sur la nullité du licenciement

Constater que l'employeur privait la salariée d'exercer ses droits fondamentaux de la défense.

En conséquence,

Dire et juger que le licenciement intervenu est nul.

Condamner l'employeur à verser au salarié les sommes suivantes :

1.150,87 € à titre de rappels de mise à pied.

115,09 € à titre de congés payés y afférents.

4.363,80 € à titre d'indemnité de préavis.

436,38 € à titre de congés payés y afférents.

2.618,28 € à titre d'indemnité légale de licenciement,

15.273,30 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul.

A titre subsidiaire,

Sur le caractère dépourvu de cause réelle et sérieuse du licenciement intervenu

Constater que l'employeur ne rapporte pas la preuve des faits qu'il allègue.

En conséquence,

Dire et juger que le licenciement intervenu est dépourvu de cause réelle et sérieuse, le doute profitant à la salariée.

Condamner l'employeur à verser au salarié les sommes suivantes :

1.150,87 € à titre de rappels de mise à pied.

115,09 € à titre de congés payés y afférents.

4.363,80 € à titre d'indemnité de préavis.

436,38 € à titre de congés payés y afférents.

2.618,28 € à titre d'indemnité légale de licenciement,

15.273,30 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif

Condamner l'employeur à verser à Madame [M] [R]:

une somme de 1.000,00 € relatif à la décision rendue par la juridiction de 1ère instance

une somme de 2.500,00 € relatif à la présente instance devant la Cour d'Appel.

Ordonner les intérêts légaux à compter du jour de la demande en justice et leur capitalisation.

Condamner aux entiers dépens.'

Pour l'exposé plus détaillé des prétentions et moyens des parties, il sera renvoyé, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, aux conclusions des parties.

MOTIFS DE LA DECISION

A titre liminaire, la cour rappelle qu'en application des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile « la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif » et que les 'dire et juger' et les 'constater' ne sont pas des prétentions en ce que ces demandes ne confèrent pas de droit à la partie qui les requiert hormis les cas prévus par la loi ; en conséquence, la cour ne statuera pas sur celles-ci, qui ne sont en réalité que le rappel des moyens invoqués .

Pour l'exposé plus détaillé des prétentions et moyens des parties, il sera renvoyé, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, aux conclusions des parties.

I. Sur les sanctions disciplinaires

1/ Sur la mise en garde du 23 juillet 2015

Aux termes de l'article L.1333-1 du code du travail, en cas de litige relatif à une sanction disciplinaire, l'employeur fournit les éléments retenus pour prendre la sanction et, au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l'appui de ses allégations, le juge apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction ; si, éventuellement après mesure d'instruction, un doute subsiste, il profite au salarié.

Il résulte de ce texte et de l'article L.1333-2 qui le suit que le juge peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise.

En l'espèce, l'employeur a, le 23 juillet 2015, notifié à la salariée un courrier de mise en garde versé à son dossier personnel, lui reprochant un comportement fautif constitué par le fait d'avoir eu un langage et un comportement inaproprié envers ses collègues en indiquant à l'encontre d'une nouvelle collaboratrice qu'elle n'était pas la bienvenue au sein de la résidence.

L'employeur fait valoir le fait que la salariée a reconnu avoir tenu des propos en lien avec l'arrivée de cette nouvelle salariée et que, vu leur teneur, elle ne peut soutenir qu'ils étaient dirigés contre l'organisation du service.

Conformément à son courrier de contestation du 29 juillet 2015, l'intimée nie les propos qui lui sont attribués soutenant avoir évoqué l'organisation du service bouleversée par l'arrivée de cette salariée mais n'avoir émis ni critique, ni plainte à l'encontre de cette personne.

La société ne versant aucun élément de nature à justifier les faits reprochés, il existe un doute sérieux quant à la réalité des propos qui aurait été tenus par la salariée. Il s'ensuit que c'est à tort que la salariée a été sanctionnée.

Le jugement déféré est donc confirmé en qu'il a annulé la sanction disciplinaire du 23 juillet 2015.

Il convient également de confirmer la décision qui a rejeté la demande de dommages et intérêts à hauteur de 500 euros pour usage abusif du pouvoir disciplinaire faute pour la salariée de démontrer son préjudice.

2/ Sur la mise à pied disciplinaire du 18 mars 2016

La société a sanctionné la salariée d'une mise à pied disciplinaire de six jours rédigée dans les termes suivants :

« Le 24 février 2016, la direction vous entend parler à haute voix avec une soignante dans les couloirs du 1er étage exprimant 'cette nulasse de directrice'. Quelques heures plus tard, le direction vous reçoit dans son bureau avec la soignante concernée afin d'avoir des explications sur les propos tenus à l'étage.

Lors de cet entrevue, vous avez confirmé avoir utilisé un qualificatif se rapprochant au terme 'nulasse' pour signifier incompétente. Vous avez également ajouté que la directrice ne savait pas gérer le personnel soignant.

De plus, vous avez ajouté que certains soignants 'léchaient les bottes de la directrice'. Nous vous avons demandé si vos propos ont pour intention de nuire à l'établissement, ce à quoi vous n'avez pas répondu.

Lors de l'entretien du 14 mars 2016 en présence de Mme [E], responsable hébergement, vous avez confirmé avoir qualifié la directrice d'incompétente, propos que vous maintenez.

Vous avez confirmé avoir dit 'certains personnels soignants lèchent les bottes de la directrice.' Vous avez ajouté que ce type de comportement n'était pas choquant. Vous avez aussi reconnu que ce type de propos était inadapté dans un établissement accueillant des personnes âgées. En effet, cet incident s'est produit dans les couloirs lors de la distribution des médicaments ce qui implique qu'un résidant a pu entendre les propos cités ci-dessus, propos dénigrants complètement la direction.

Nous vous rappelons que le règlement intérieur, à l'article 7 'exécution des tâches' dans la partie 1Discipline et comportement, indique que le personnel doit de plus faire preuve de correction dans son comportement et dans son langage vis-à vis de ses collègues et de la hiérarchie, ainsi qu'envers les résidants, sous peine de sanction'.

Nous vous rappelons également que les relations contractuelles impliquent une obligation de loyauté entre les parties. Le dénigrement de la direction et l'insubordination sont considérés comme des fautes graves, aussi nous insistons sur la clémence de la sanction prononcée à votre encontre pour les propos que vous avez tenus et confirmés en entretien.

Si de tels faits venaient à se reproduire, nous envisagerons une sanction plus lourde à votre encontre'.

La cour relève, après analyse des pièces versées, que les propos reprochés sont établis par les attestations produites par l'employeur, lesquelles corroborent le contenu du courrier de mise à pied.

Par les termes employés et leur signification, la salariée est ainsi sortie de sa liberté d'expression qui l'autorisait à évoquer et critiquer le fonctionnement et l'organisation de l'entreprise mais pas à la dénigrer.

Les deux commentaires litigieux sur la direction ont été de nature à porter une atteinte à l'image de la société auprès de la salariée à laquelle ils ont été tenus mais aussi d'éventuels résidants ou de leur famille, présents dans l'établissement lors de la tenue des propos fautifs.

La cour dit en conséquence que les faits reprochés sont fautifs.

L'article 23 du règlement intérieur de la société (pièce 10) stipule que tout agissement considéré comme fautif pourra en fonction de sa gravité faire l'objet de l'une ou l'autre des sanctions classées par ordre d'importance.

La mise à pied, classée au 2e rang des sanctions dans l'ordre d'importance, est une suspension temporaire des fonctions avec suspension de la rémunération pendant une durée maximum de six jours ouvrés.

L'employeur doit adapter la sanction à la faute commise.

Au vu de ces dispositions, la cour considère que la sanction ayant consisté en une suspension du contrat de travail et un non paiement du salaire durant une période correspondant au maximum conventionnel prévu pour la mise à pied est disproportionnée au regard des faits, de leur nature et de leur ampleur, et en prononce l'annulation.

Il convient par conséquent de confirmer le jugement et de faire droit à la demande de rappel de salaire à hauteur de 427,63 euros outre 42,76 euros à titre de congés afférents, non autrement contestés.

Faute pour la salariée de démontrer l'existence d'un préjudice distinct du rappel de salaire auquel il a été fait droit, le jugement doit également être confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts pour usage abusif du pouvoir disciplinaire.

II. Sur la rupture du contrat de travail

1/ Sur la nullité du licenciement

Il convient de rappeler que le licenciement ne peut être annulé que si la loi le prévoit expressément ou en cas de violation d'une liberté fondamentale.

La salariée se fonde sur les dispositions de l'article 6.1 de la convention européenne des droits de l'homme et sur l'article 7 de la convention n°158 de l'organisation internationale du travail pour conclure à la nullité de son licenciement dans la mesure où la lettre de convocation à l'entretien préalable ne comporte pas les motifs sous-tendant la mesure de licenciement envisagée, circonstances constitutives, selon elle, d'une violation de ses droits fondamentaux et en particulier des droits de la défense.

La société lui oppose les exigences relatives à la convocation à l'entretien préalable prévues par le code du travail et la non application de l'article 6.1 susvisé en dehors des procédures contentieuses.

Les dispositions de la convention européenne des droits de l'homme et de la convention n°158 de l'organisation internationale du travail sont d'application directe en droit interne, de sorte qu'il appartient à la cour de vérifier si elles ont été ou non méconnues en l'espèce.

L'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales intitulé «Droit à un procès équitable» dispose en son paragraphe 1 que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.

C'est en vain que la salariée invoque ces dispositions dont il ressort que le principe du droit à un procès équitable ne s'applique pas au stade non juridictionnel de l'entretien préalable.

L'article 7 de la convention n°158 de l'OIT prévoit qu'un travailleur ne devra pas être licencié pour des motifs liés à sa conduite ou à son travail avant qu'on ne lui ait offert la possibilité de se défendre contre les allégations formulées, à moins que l'on ne puisse pas raisonnablement attendre de l'employeur qu'il lui offre cette possibilité.

Ces dispositions reconnaissent au salarié le droit de se défendre contre les griefs de son employeur avant le prononcé de son licenciement pour motif personnel et sont donc bien applicables en l'espèce.

En droit interne, la phase préalable au prononcé du licenciement pour motif personnel est régie par les dispositions des articles L.1232-2 et suivants du code du travail.

C'est ainsi que l'article L.1232-2 du code du travail dispose que l'employeur qui envisage de licencier un salarié, le convoque, avant toute décision, à un entretien préalable. La convocation est effectuée par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge. Cette lettre indique l'objet de la convocation. L'entretien préalable ne peut avoir lieu moins de cinq jours ouvrables après la présentation de la lettre recommandée ou la remise en main propre de la lettre de convocation.

L'article L.1232-3 du même code précise qu'au cours de l'entretien préalable, l'employeur indique les motifs de la décision envisagée et recueille les explications de ce dernier.

Enfin, l'article L.1232-4 définit les modalités d'assistance du salarié lors de son audition, cette possibilité d'assistance devant être mentionnée dans la lettre de convocation à l'entretien préalable.

Il résulte de la combinaison de ces dispositions qu'au stade de la convocation à l'entretien préalable, l'employeur a seulement l'obligation d'en mentionner l'objet et que ce n'est qu'au cours de l'entretien qu'il doit indiquer au salarié les motifs de la décision envisagée et recueillir ses explications ainsi que ses moyens de défense.

En l'espèce, Mme [R] a été dûment informée par la convocation à l'entretien préalable du 12 août 2016 que l'employeur envisageait à son égard une mesure de licenciement ; il y est précisé que lui sont reprochés des agissements fautifs justifiant une mise à pied à titre conservatoire; la lettre indique qu'elle peut se faire assister, lors de l'entretien, par une personne de son choix appartenant au personnel.

Par ailleurs, la salariée ne contredit pas avoir eu connaissance des griefs, lors de l'entretien préalable au cours duquel elle a pu répondre.

En conséquence, l'énonciation de l'objet de l'entretien dans la lettre de convocation adressée à la salariée par l'employeur qui veut procéder à un licenciement et la tenue de l'entretien préalable au cours duquel la salariée - laquelle a la faculté d'être assistée - peut se défendre contre les griefs formulés par son employeur, satisfait à l'exigence de loyauté et au respect des droits du salarié.

Aucune nullité n'est encourue.

2/ Sur le bien fondé du licenciement

La société reproche aux premiers juges de ne pas avoir tenu compte des griefs dont elle faisait état et qu'elle démontre par la production de pièces, et d'avoir mal interprété l'article 23 du règlement intérieur sur la mise à pied disciplinaire.

La salariée fait valoir que la durée de la mise à pied conservatoire dépasse ce qui est autorisé par le règlement intérieur et que le délai entre les premiers griefs reprochés et la notification du licenciement est également trop long s'agissant d'une faute qui empêcherait la poursuite du contrat de travail.

Elle soutient ensuite que l'employeur ne démontre pas l'existence et la gravité des fautes reprochées.

La lettre de licenciement fixe les limites du litige.

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. Il incombe à l'employeur d'en rapporter la preuve.

L'employeur n'est pas tenu de procéder à une mise à pied conservatoire avant d'engager la procédure de licenciement pour faute grave.

En l'espèce, la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige est rédigée comme suit :

'Le 21 juillet 2016, je vous ai convoquée dans mon bureau pour un échange en vue de certaines transmissions notifiées dans le logiciel de soins qui n'étaient pas appropriées. Vous m'avez répondu que vous ne vouliez pas discuter avec moi.

D'autre part, le 27 juillet 2016, alors même que vous étiez dans le couloir à proximité des résidants, vous vous êtes permis d'aborder des sujets organisationnels d'un ton agressif envers votre supérieur hiérarchique, l'infirmière coordinatrice en ajoutant 'faites votre travail' en présence de la responsable hébergement. Ce même jour, vous avez également évoqué le travail de l'une de vos collègues de travail en disant qu'elle n'avait 'que ca à foutre'.

Enfin, le 12 août 2016, je vous ai rencontré dans la salle de restaurant et vous ai dit 'bonjour'. Dans un premier temps, vous ne m'avez pas répondu. Croyant que vous n'aviez pas entendu, je vous ai dit 'bonjour' une nouvelle fois devant le bureau médical. C'est alors que vous m'avez répondu d'un ton agressif que vous ne vouliez pas me répondre, et que vous n'aviez 'pas envie de me souhaiter la bonne journée et que si je n'étais pas contente, c'était pareil'.

Votre comportement est totalement inadmissible et constitue un dénigrement permanent de la direction de l'établissement, ce qui ne saurait être toléré plus longuement.

En effet, vous avez déjà fait l'objet d'une mise à pied disciplinaire de 6 jours du fait de propos inadaptés envers la direction en date du 18 mars 2016 dernier, ainsi que d'une mise en garde le 23 juillet 2015 pour des faits similaires, que vous avez toutes deux reconnues.

Nous vous rappelons également que les relations contractuelles impliquent une obligation de loyauté entre les parties. Le dénigrement de la direction et l'insubordination constituent un manquement à cette obligation.

Outre votre manque de respect évident, nous ne pouvons tolérer cette attitude au sein de notre établissement.

Ces faits graves et inadmissibles sont incompatibles tant avec l'image de notre établissement auprès des familles qu'avec les objectifs de bien-être et de confort que nous nous devons d'assurer à nos résidants.

De surcroît, votre comportement traduit une méconnaissance totale des valeurs humaines qui font pourtant partie intégrante de notre profession et de notre éthique.

En conséquence, et compte tenu de la gravité des faits, votre maintien dans l'entreprise s'avère impossible, y compris pendant la durée de votre préavis. Votre licenciement sans indemnité de préavis ni de licenciement prend donc effet à compter de la date d'envoi de la présente.'

Ainsi, l'employeur reproche-t-il trois séries de faits qui auraient été commis les 21 juillet, 27 juillet et 12 août 2016 consistant en un comportement et des propos qu'il qualifie de dénigrants envers la société et par conséquent incompatibles avec le maintien de la salariée en son sein.

Au soutien, il produit des attestations de salariés qui corroborent le fait que Mme [R] n'ait pas dit bonjour à la directrice le 12 août, sans cependant qu'il en ressorte clairement que cette scène se soit produite à l'intérieur des locaux puisque c'était 'Place de l'Opéra'.

Concernant les faits du 27 juillet, une aide-soignante et un responsable hébergement font état du fait que l'intimée aurait dit à l'infirmière coordinatrice de faire son travail sur un ton agressif. Il y a cependant une divergence sur le contenu des autres propos reprochés ce même jour, l'aide soignante affirmant l'avoir entendu dire à 'une autre collègue' (qui') qu'elle n'avait 'que ca à foutre', tandis que le responsable hébergement atteste avoir entendu l'intimée évoquer le travail d'une de ses collègues en disant 'qu'elle n'en avait rien à foutre'.

Les autres attestations produites décrivent le comportement de l'intimée en termes généraux sans que leur auteur ne fasse référence à des situations concrètes dont ils auraient été témoins et qui permettraient de les rendre crédibles et utiles.

De son côté, Mme [R] produit des attestations de parents de résidants de la maison de retraite faisant part de son grand professionnalisme et de son dévouement ; l'attestation d'une ancienne salariée ayant quitté la société en avril 2016 fait état de pressions de la direction pour diviser les équipes, elle vante les qualités professionnelles et humaines de l'intimée et le fait qu'elle était appréciée des résidants.

Contrairement à ce que soutient la salariée, la mise à pied durant six jours ouvrés maximum ne concerne pas la mise à pied conservatoire qui a été décidée lors du courrier de convocation à l'entretien préalable, en ce qu'elle n'est pas une sanction disciplinaire mais une mesure provisoire visant à écarter immédiatement le salarié de l'entreprise jusqu'au prononcé d'une sanction définitive. Par conséquent, cette mise à pied pouvait tout à fait durer plus de six jours sans incidence sur le bien fondé du licenciement.

Par ailleurs, le temps écoulé entre les premiers griefs figurant dans la lettre de licenciement (21 juillet 2016) et la notification de celui-ci (29 août 2016) ne dépasse pas le délai de deux mois en matière disciplinaire et ne fait pas obstacle à un licenciement pour faute grave.

La cour retient, après analyse des pièces, que les relations entre la salariée et la direction étaient certes dégradées, sans cependant qu'il ne soit démontré que les propos attribués à l'intimée aient été exactement et complètement tenus dans les formes rapportées. Rien n'est démontré quant aux propos du 21 juillet et le refus de dire bonjour à la directrice le 12 août n'est pas suffisamment précis quant aux circonstances pour en déduire un caractère fautif. En tout état de cause, la gravité des griefs ne ressort pas des attestations de l'employeur, notamment lorsqu'elles sont mises en corrélation avec celles produites par la salariée.

L'existence d'une faute grave ayant empêché toute poursuite des relations contractuelles n'est donc pas démontrée.

Il convient par conséquent de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

3/ Sur les conséquences financières de la rupture

- Sur le rappel de salaire durant la mise à pied

Il convient de confirmer la décision et de faire droit à la demande de rappel de salaire durant la période de suspension du contrat de travail du 12 au 29 août 2016, soit la somme de 1 150,87 euros telle qu'indiquée sur le bulletin de salaire d'août 2016, outre 115,09 euros à titre de congés payés afférents.

- Sur l'indemnité compensatrice de préavis

Contrairement à ce qu'indique l'employeur, la salariée a droit à une indemnité compensatrice de préavis qui est fonction de son ancienneté et de son statut, de sorte qu'elle est indépendante d'une quelconque autre preuve de préjudice.

Selon l'article L1234-1 du code du travail, applicable aux faits de l'espèce, lorsque le licenciement n'est pas motivé par une faute grave, le salarié a droit à un préavis de deux mois s'il justifie chez le même employeur d'une ancienneté de services continus d'au moins deux ans, sauf disposition plus favorable de la convention collective ou du contrat de travail.

La salariée ayant deux ans d'ancienneté et son salaire brut mensuel s'élevant à la somme de 2 181,90 euros (bulletin de salaire d'août 2016), il convient de confirmer la décision entreprise et de condamner l'employeur à lui verser la somme de 4 363,80 euros outre celle de 436,38 euros à titre de congés afférents.

- Sur l'indemnité légale de licenciement

En vertu de l'article L.1234-9 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, la salariée qui compte une année d'ancienneté ininterrompue au service du même employeur a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement.

L'article 47 de la convention collective applicable la fixe à 1/5 de salaire par année d'ancienneté pour les techniciens.

En application de ces dispositions et au vu du salaire brut mensuel de la salariée, il convient par conséquent d'infirmer la décision entreprise et de condamner la société à verser à la salariée la somme de 1 890 euros.

- Sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

L'employeur fait valoir que la salariée ne justifie ni de l'existence, ni de l'ampleur de son préjudice et se contente de produire un avis d'inscription à Pôle Emploi datant de septembre 2016 sans autre élément ou explication.

La salariée fonde sa demande sur les conditions brutales et vexatoires de la rupture du contrat de travail; elle indique être toujours allocataire des indemnités Pôle Emploi à la date de ses conclusions (23 janvier 2019).

L'article L.1235-3 du code du travail, applicable en l'espèce, édicte que le juge octroie au salarié une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Mme [R] a une ancienneté de 4 ans et 4 mois dans l'entreprise; elle était âgée de 52 ans lors de la rupture. Elle ne produit aucune autre pièce quant à sa situation personnelle et professionnelle, hormis une inscription à Pôle Emploi datant du 13 septembre 2016 (pièce 15).

Au vu de ces éléments, il convient de confirmer le jugement entrepris ayant condamné l'employeur à lui verser la somme de 13 100 euros à titre d'indemnité, mais de rectifier la décision en disant qu'elle est due pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et non pas nul.

III. Sur les autres demandes

Les sommes allouées à titre indemnitaire produiront intérêt au taux légal à compter de la date de la présente décision.

La capitalisation des intérêts sera ordonnée dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil.

Il convient de condamner la société à verser à la salariée la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, en matière prud'homale,

Confirme le jugement entrepris sauf s'agissant du montant de l'indemnité légale de licenciement, et de la nature des dommages et intérêts accordés,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et Y ajoutant,

Dit que la somme de 13 100 euros a été allouée à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Condamne la société Résidence Claude Debussy à verser à Mme [M] [R] la somme de 1890 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement, avec intérêts au taux légal à compter de la décision,

Ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil,

Condamne la société Résidence Clause Debussy à verser à Mme [R] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Rejette les autres demandes,

Condamne la société Résidence Claude Debussy aux dépens d'appel.

LE GREFFIERLE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-3
Numéro d'arrêt : 18/12809
Date de la décision : 06/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-06;18.12809 ?
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