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05/05/2022 | FRANCE | N°20/00717

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-7, 05 mai 2022, 20/00717


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-7



ARRÊT AU FOND

DU 05 MAI 2022

N° 2022/ 176













Rôle N° RG 20/00717 - N° Portalis DBVB-V-B7E-BFOKP







[E] [O]





C/



[L] [W]



[G] [O]

[P] [O]















Copie exécutoire délivrée

le :

à :



SCP COHEN GUEDJ MONTERO DAVAL GUEDJ





Me Fanny GUEYE







Déc

ision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal d'Instance de MARSEILLE en date du 05 Décembre 2019 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 11 19-406.



APPELANT



Monsieur [E] [O] représenté par Madame [M] [O] en qualité de mandataire spécial selon ordonnance du juge des tutelles du 25 septembre 2019

...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-7

ARRÊT AU FOND

DU 05 MAI 2022

N° 2022/ 176

Rôle N° RG 20/00717 - N° Portalis DBVB-V-B7E-BFOKP

[E] [O]

C/

[L] [W]

[G] [O]

[P] [O]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

SCP COHEN GUEDJ MONTERO DAVAL GUEDJ

Me Fanny GUEYE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal d'Instance de MARSEILLE en date du 05 Décembre 2019 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 11 19-406.

APPELANT

Monsieur [E] [O] représenté par Madame [M] [O] en qualité de mandataire spécial selon ordonnance du juge des tutelles du 25 septembre 2019

né le 20 Février 1948 à MARSEILLE (13), demeurant 3 Traverse Félix Frégien - 13007 MARSEILLE

représenté par Me Maud DAVAL-GUEDJ de la SCP COHEN GUEDJ MONTERO DAVAL GUEDJ, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,

assisté de Me Etienne PIERI, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMEE

Madame [L] [W](Madame [W] [L] se constitue intimée tant en son nom personnel que pour le compte de son fils mineur [R] [N] né le [Date naissance 2])

née le [Date naissance 1] à [Localité 4], demeurant Chez Monsieur [N] [Adresse 3]

représentée par Me Fanny GUEYE, avocat au barreau de MARSEILLE, plaidant

PARTIE(S) INTERVENANTE(S)

Monsieur [G] [O] (intervenant volontaire es qualité de tuteurs de Monsieur [E] [O] né le 20 février 1948 à MARSEILLE, de nationalité française, appelant représenté jusqu'alors par Mme [M] [O] en qualité de mandataire spécial ainsi dorénavant désignés pour représenter ce dernier et administrer ses biens et sa personne selon jugement de tutelle rendu par le Tribunal judiciare de MARSEILLE en date du 09 mars 2020)

demeurant 20, chemin du Roy d'ESPAGNE - Résidence Marveyre Bât C - 13009 MARSEILLE 09

Monsieur [P] [O] (intervenant volontaire es qualité de tuteurs de Monsieur [E] [O] né le 20 février 1948 à MARSEILLE, de nationalité française, appelant représenté jusqu'alors par Mme [M] [O] en qualité de mandataire spécial ainsi dorénavant désignés pour représenter ce dernier et administrer ses biens et sa personne selon jugement de tutelle rendu par le Tribunal judiciare de MARSEILLE en date du 09 mars 2020), demeurant 31, rue des ondes - 12000 RODEZ

représentés par Me Maud DAVAL-GUEDJ de la SCP COHEN GUEDJ MONTERO DAVAL GUEDJ, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,

asssités de Me Etienne PIERI, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 16 Février 2022 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Carole MENDOZA, Conseillère, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Madame Carole DAUX-HARAND, Présidente de chambre

Madame Carole MENDOZA, Conseillère,

Madame Mireille CAURIER-LEHOT, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Mme Natacha BARBE.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 05 Mai 2022.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 05 Mai 2022,

Signé par Madame Carole DAUX-HARAND, Présidente de chambre et Mme Natacha BARBE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

Par acte sous seing privé du 15 mars 2010 à effet à la même date, Monsieur [E] [O], représenté par son gestionnaire, le cabinet ROUCHE, a donné à bail d'habitation à Madame [L] [W] un appartement situé au premier étage d'un immeuble sis 9 traverse du Charron à Marseille (16ème), moyennant un loyer mensuel de 640 euros.

L'état des lieux d'entrée mentionnait un appartement comprenant des éléments en mauvais état, ainsi que la présence d'humidité et de fissures à différents endroits du logement.

Le diagnostic de performance énergétique du 13 octobre 2008 joint à l'état des lieux d'entrée évoquait un appartement 'énergivore'.

Un constat de risque d'exposition au plomb mentionnait la présence de revêtements non dégradés, non visibles en état d'usage contenant du plomb selon un seuil supérieur aux normes admises. Il était recommandé au bailleurs de veiller à l'entretien des revêtements.

Par lettre du 24 août 2018, Madame [W] a donné congé pour le 28 septembre 2018 et a mandaté un huissier de justice qui a établi un procès-verbal de constat le premier octobre 2018.

Par acte d'huissier des 22 et 25 janvier 2019, dénoncé à la caisse d'allocations familiales, Madame [W], agissant en son nom et en qualité de représentante légale de son fils [R] [N], a fait assigner Monsieur [E] [O] et le cabinet VILLEMAIN, aux fins principalement de le voir condamner à lui verser des dommages et intérêts en réparation de son préjudice de jouissance et de celui de son fils, correspondant à la moitié du loyer depuis la prise de possession des lieux et de voir condamner le cabinet VILLEMAIN à lui verser, pour elle et son fils, des dommages et intérêts au titre de leur préjudices de jouissances.

Sont intervenus à la procédure Madame [M] [O], mandataire spécial de Monsieur [E] [O], placé sous sauvegarde de justice et la société CITYA CARTIER, venant aux droits de la société VILLEMAIN.

Par jugement contradictoire du 05 décembre 2019, le tribunal d'instance de Marseille a, sous le bénéfice de l'exécution provisoire :

- condamné Monsieur [E] [O] à verser à Madame [L] [W] la somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice de jouissance,

- débouté Madame [W] de sa demande indemnitaire en qualité de représentante légale de son fils [R] [N],

- débouté Madame [W] de ses demandes à l'encontre de la société VILLEMAIN aux droits de laquelle vient la société CITYA CARTIER,

- condamné Monsieur [E] [O] à verser à Madame [W] la somme de 1500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu à l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de la société CITYA CARTIER venant aux droits du cabinet VILLEMAIN,

- condamné Monsieur [O] aux dépens comprenant les frais exposés pour l'établissement du procès-verbal d'huissier à hauteur de 384, 09 euros, distraits au profit de Maître Fanny GUEYE.

Le premier juge a estimé que l'action intentée par Madame [W] n'était pas prescrite. Il a relevé que cette dernière n'avait été avisée de l'indécence du logement qu'elle louait et du caractère dangereux de certains éléments (électricité; exposition au plomb; état des marches de l'escalier; absence de barres de garde-corps) qu'à la suite d'un diagnostic établi 10 avril 2018.

Le premier juge a déclaré que le logement était indécent depuis l'origine du bail (problèmes d'infiltrations ; problèmes de ventilation, problèmes d'électricité ; état de l'escalier). Il a indiqué qu'un diagnostic d'avril 2018 permettait en outre de constater que le logement était dangereux en raison d'un seuil d'exposition au plomb supérieur à la moyenne. Il a écarté toute responsabilité de la locataire dans la survenue des désordres.

Il a reproché au bailleur ne n'avoir rien fait pour remédier aux troubles affectant le logement.

Il a rejeté la demande de réfaction rétroactive du loyer à compter du 15 mars 2010 jusqu'au premier octobre 2018. Il a estimé que cette demande se heurtait à une prescription pour toute demande antérieure au 22 janvier 2016. Il a ajouté que la créance de Madame [W] n'était ni certaine, ni liquide, puisqu'une partie des loyers était prise en charge par la caisse d'allocations familiales.

Il a indemnisé le préjudice de jouissance de Madame [W] à hauteur d'une somme correspondant à moins de la moitié du rendement locatif. Il a rejeté sa demande distincte faite au nom de son fils; il a estimé que le préjudice accordé à Madame [W] tenait compte du préjudice de l'ensemble des occupants du logement.

Il a rejeté la demande indemnitaire formée à l'encontre du mandataire du propriétaire. Il a indiqué que la preuve d'une faute de ce dernier n'était pas rapportée.

Le 05 décembre 2019, Monsieur [O], représenté par Madame [M] [O], a relevé appel de tous les chefs de cette décision, sauf en ce qu'elle a rejeté la demande indemnitaire de Madame [W] faite au nom de son fils [R] [N] et sauf en ce qu'elle a débouté Madame [W] de ses demandes faite à l'encontre de la société CYTIA CARTIER venant aux droits du cabinet VILLEMAIN.

Madame [W] a constitué avocat.

Par ordonnance du 15 décembre 2020, le conseiller de la mise en état a donné acte à Messieurs [G] et [P] [O] de leur intervention volontaire en qualité de tuteurs de Monsieur [E] [O] et rejeté la demande de radiation de l'affaire du rôle formée par Madame [W].

Par conclusions notifiées le 22 juillet 2021 sur le RPVA auxquelles il convient de se référer, Monsieur [E] [O], représenté par Messieurs [G] et [P] [O] demandent à la cour:

- de déclarer son appel recevable et bien fondé,

- de réformer le jugement entrepris en ce qu'il débouté M. [E] [O] de la fin de non-recevoir opposée a Mme [W] tirée de la prescription triennale spéciale des baux d'habitation,

- de réformer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné M. [E] [O] à payer à Mme [L] [W] la somme de 30.000 € a titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice de jouissance,

- de réformer le jugement entrepris en ce qu'i1 a condamné M. [E] [O] à payer à Mme

[L] [W] la somme de 1.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

-de réformer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné Monsieur [O] aux dépens en ce inclus le coût du constat d'huissier, qu'a fait effectuer Mme [L] [W] à hauteur de 384,09€.

Statuant de nouveau,

- A titre principal,

- de déclarer Mme [W] irrecevable en toutes ses demandes en raison de l'acquisition de la prescription extinctive triennale spéciale des baux d'habitation soumis à la loi du 06 juillet 1989,

- A titre subsidiaire,

- de déclarer Mme [W] irrecevable en toutes ses demandes à raison de l'acquisition de la prescription extinctive triennale spéciale des baux d'habitation soumis a la loi du 6 juillet 1989 pour la période antérieure au 22 janvier 2016,

- de réduire en conséquence le montant alloué à Mme [W] au titre de l'indemnisation de son

préjudice de jouissance à la somme de 6.000 € et subsidiairement à une somme qui ne saurait

être supérieure à 9.412 €.

- En tout état de cause,

- de débouter Mme [W] de sa demande de condamnation de M. [E] [O] à lui verser la

somme de 4.000 € au titre de préjudice moral pour procédure abusive,

- de débouter Mme [W] de sa demande de condamnation de M. [E] [O] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- de condamner Mme [W] à payer à M. [E] [O] la somme de 2.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre aux dépens de première instance et d'appel, ces derniers distraits au profit de la SCP COHEN GUEDJ ' MONTERO ' DAVAL GUEDJ sur son offre de droit.

Il soutient que ses demandes au titre de la prescription de l'action intentée par Madame [W] sont recevables.

Il soulève la prescription de l'action intentée par Madame [W]. Il souligne que cette dernière connaissait dès l'origine du bail les désordres dont elle demande réparation. Il note qu'en tout état de cause, elle connaissait les moyens pour remédier aux troubles qu'elle dénonçait depuis le 08 avril 2014, date d'une lettre qu'elle avait envoyée en recommandé.

Subsidiairement, il estime que Madame [W] ne peut solliciter l'indemnisation de son troubles de jouissance pour la période antérieure au 22 janvier 2016, alors que son assignation date du 22 janvier 2019. Il ajoute qu'il doit être tenu compte des sommes versées pour elle par la caisse d'allocations familiales.

Il conteste l'existence d'une exposition au plomb pouvant présenter un danger.

Il indique n'avoir été avisé de difficultés liées à l'installation électrique que par lettre du 10 avril 2018 et note avoir immédiatement diligenté un électricien qui a réglé la difficulté.

Il précise que la locataire a pris l'initiative de déposer les radiateurs pour en mettre d'autres qu'elle a estimés plus performants.

Il relate n'avoir pas été avisé des de la difficulté liées aux des escaliers extérieurs. Il estime que n'est pas démontrée la nécessité de mettre en place un système de ventilation mécanique. Il soutient que Madame [W] s'est opposée en 2015 à l'intervention d'une société pour procéder à la remise en état des murs.

Il en conclut que sa locataire est en partie responsable des difficultés qu'elle dénonce. Il affirme avoir été diligent dès qu'il a été avisé des désordres allégués en 2018; ainsi relève-t-il avoir mandaté un électricien et avoir prévu des travaux structurels pour remédier aux infiltrations.

Il conteste le caractère abusif de son appel.

Il estime n'avoir pas à supporter le coût du procès-verbal d'huissier de justice effectué à la demande de Madame [W].

Par conclusions notifiées le 05 mai 2021 sur le RPVA auxquelles il convient de se référer, Madame [W] demande à la cour :

- de déclarer irrecevables les demandes formées par Monsieur [O] dans ses conclusions du 02 novembre 2020,

- de débouter Monsieur [O] de ses demandes,

- de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a retenu la responsabilité de Monsieur [E] [O], en ce qu'il l'a condamné à lui verser les sommes de 30.000 euros de dommages et intérêts et 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, en ce qu'il a rejeté les demandes de Monsieur [O] et en ce qu'il a condamné ce dernier aux dépens comprenant le coût du procès-verbal d'huissier à hauteur de 384,09 euros,

- de condamner Monsieur [O] à lui verser la somme de 4000 euros de dommages et intérêts en raison d'une procédure d'appel abusive,

- d'ordonner l'exécution provisoire,

- de condamner Monsieur [O] à lui verser la somme de 2500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

Elle estime irrecevables les demandes de Monsieur [O] en indiquant que ce dernier se borne, dans le dispositif de ses conclusions, à conclure à l'infirmation du jugement déféré sans formuler de prétentions sur les demandes tranchées dans le jugement. Elle soutient que la cour n'est donc pas saisie de prétention relative à ces demandes. Elle fait état du dispositif des conclusions du 07 mai 2020 et note qu'aucune demande n'était faite au titre de la fin de non-recevoir tirée de la prescription triennale ni au titre de l'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Elle estime que les demandes faites dans le cadre des conclusions du 02 novembre 2020 sont irrecevables, faute d'avoir été présentées dès les conclusions mentionnées à l'article 908 du code de procédure civile, en application de l'article 910-4 du même code. Elle estime ainsi irrecevables les demandes relatives à la prescription et à l'article 700 du code de procédure civile.

Sur le fond, elle soutient que sa demande ne se heurte à aucune prescription. Elle relève n'avoir pris connaissance du caractère indécent du logement que par le biais d'un diagnostic du 10 avril 2018.

Elle note que son préjudice de jouissance, lié à l'indécence du logement, doit être réparé intégralement et prendre en compte la durée totale des troubles qu'elle a subis et qui ont débuté dès la prise de possession des lieux loués. Elle rappelle que l'obligation de délivrer un logement décent doit être remplie dès la mise à disposition du logement et tout au long du bail. Elle soutient que la prescription triennale n'a pas vocation à s'appliquer aux dommages et intérêts qu'elle sollicite.

Elle conteste avoir une part de responsabilité dans les désordres qu'elle dénonce. Elle conteste s'être opposée à la remise en état des murs et précise qu'elle souhaitait des travaux efficaces. Elle relève que l'humidité du logement, l'insuffisance du chauffage, la déperdition thermique, la dangerosité de l'installation électrique, le manque d'isolation, la dangerosité de l'escalier, l'absence de garde-corps et la présence d'une VMC inadaptée caractérisent l'indécence du logement. Elle fait également état d'un risque d'exposition au plomb. Elle souligne avoir souffert d'un trouble de jouissance et reproche à son bailleur de n'avoir pas agi, alors qu'il connaissait la situation, puisqu'il savait qu'il existait une exposition au plomb et qu'elle avait dénoncé au mandataire de ce dernier des problèmes d'isolation, d'humidité, d'infiltration et de défaillances électriques par une lettre du 08 avril 2014.

Elle expose que l'appel intenté par Monsieur [O] est abusif.

La clôture de l'affaire a été prononcée par ordonnance du 02 février 2022.

MOTIVATION

Sur la recevabilité de la demande de Monsieur [O] relative à la prescription de l'action intentée par Madame [W].

La déclaration d'appel formée par Monsieur [O] porte sur tous les chefs de la décision déférée, sauf en ce qu'elle a rejeté la demande indemnitaire formée par Madame [W] au titre du préjudice de son fils [R] [N].

L'article 910-4 du code de procédure civile énonce qu'à peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. L'irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures.

Néanmoins, et sans préjudice de l'alinéa 2 de l'article 802, demeurent recevables, dans les limites des chefs du jugement critiqués, les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

S'il est exact que dans les premières conclusions de Monsieur [O], ce dernier n'a pas explicitement, dans son dispositif, sollicité l'infirmation du jugement déféré en ce que sa demande tirée de la prescription de l'action de Madame [W] avait été rejetée, le dispositif de ses dernières conclusions saisit la cour de cette demande, qui doit être analysée comme une prétention destinée à répliquer aux demandes indemnitaires de Madame [W].

C'est donc à tort que cette dernière estime la demande de Monsieur [O] tendant à voir prescrite son action est irrecevable.

Sur la prescription des demandes indemnitaires de Madame [L] [W]

En application des articles 1719 du code civil et 6 de la loi du 06 juillet 1989, le bailleur est obligé pendant la durée du bail de remettre au locataire un logement décent ne laissant pas apparaître de risques manifestes pouvant porter atteinte à la sécurité physique ou à la santé, répondant à un critère de performance énergétique minimale et doté des éléments le rendant conforme à l'usage d'habitation.

Il est également tenu d'assurer au locataire la jouissance paisible du logement, d'entretenir les locaux en état de servir à l'usage prévu par le contrat et d'y faire toutes les réparations, autres que locatives, nécessaires au maintien en état et à l'entretien normal des locaux loués.

L'obligation de délivrance du bailleur relative à la décence du logement et à l'entretien des locaux en état de servir à l'usage prévu par le contrat est une obligation continue.

En conséquence de quoi, contrairement à ce que sollicite Monsieur [O], et même si certaines désordres existaient dès la prise d'effet du bail et que Madame [W] a formé des doléances au mandataire du bailleur par lettre du 08 avril 2014 (sa pièce 5) qui portaient sur l'humidité du logement, sa mauvaise isolation et l'existence d'infiltrations et de moisissures, les demandes indemnitaires de Madame [W] ne sont pas prescrites.

Le jugement déféré qui a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action de Madame [W] sera confirmé sur ce point, par substitution de motifs.

Sur la demande de dommages et intérêts formée par Madame [W]

L'état des lieux d'entrée du 07 mars 2010 fait état :

- dans le séjour : de fissures dans le crépi du plafond, de trous dans les murs, qualifiés en état d'usage ainsi que de traces d'humidité; du mauvais état des volets,

- sur le balcon : d'une évacuation des eaux pluviales en état d'usage,

- dans les chambres 1 et 2 : de fissures au plafond et d'une pièce globalement qualifiée à l'état d'usage,

- dans la salle de bains : d'une peinture au mur en mauvais état avec la présence d'humidité, d'un bac à douche en mauvais état et d'une pièce essentiellement qualifiée en état d'usage,

- dans la cuisine : de fissures sur les peintures du plafond; de traces d'humidités sur les murs.

Le diagnostic de performance énergétique et d'analyse des risques datant du 13 octobre 2008, annexé au bail, établi moins de deux ans avant la prise d'effet du bail, évoque un appartement 'énergivore', avec un système de chauffage électrique. Le diagnostic établi le 14 octobre 2008 au titre des risques d'exposition au plomb (versé par l'appelant et en partie peu lisible) mentionne que ' des revêtements non dégradés, non visibles ou en état d'usage contenant du plomb' ont été mis en évidence. Il fait la recommandation suivante : 'il est rappelé au propriétaire l'intérêt de veiller à l'entretien des revêtements les recouvrant afin d'éviter leur dégradation future'. Il était toutefois mentionné qu'il n'existait pas de facteur de dégradations.

Il est ainsi établi que le bailleur, dès l'origine, a donné à bail d'habitation à Madame [W] un bien immobilier dans lequel il existait quelques fissures, qui était au mieux en état d'usage, qui souffrait de traces d'humidité dans la cuisine, le séjour et la salle de bains et qui présentait un risque d'exposition au plomb.

Il appartenait ainsi au bailleur, dans le cadre de son obligation de délivrance d'un logement décent et en bon état de réparations, de vérifier si son bien répondait aux normes en cours, ne présentait pas de source d'humidité ni de risques d'exposition au plomb.

L'obligation de délivrance du bailleur ne suppose pas une mise en demeure du locataire.

Le 08 avril 2014, Madame [W] écrivait au mandataire de son bailleur pour se plaindre d'une isolation défaillante, avec un problème majeur d'humidité lors de la survenance d'épisodes pluvieux. Elle évoquait des murs très abîmés avec la présence de 'champignons' sur ces derniers et des infiltrations. Elle demandait à pouvoir faire effectuer un état des lieux 'intermédiaire'. Ces doléances témoignent que son bailleur s'est peu soucié, depuis la prise de possession des lieux par Madame [W], de trouver une solution pour mettre fin au problème d'humidité du logement qui existait à l'origine.

Le 09 avril 2018, Madame [W] écrivait à nouveau au mandataire de son bailleur pour se plaindre d'infiltrations d'eau dans le logement, de l'humidité générale au bas des murs, du manque d'isolation et d'une installation électrique défaillante et dangereuse. Elle rappelait que l'humidité était existante depuis sa prise de possession des lieux et évoquait des bas de murs pourris par l'humidité et couverts de champignons. Elle détaillait les désordres qu'elle rencontrait pièce par pièce. Cette lettre, adressée en recommandé au cabinet VILLEMAIN, était également envoyée à Monsieur [O] qui la réceptionnait le 12 avril 2018 (pièce 6 de l'intimée).

Dans un rapport du 10 avril 2018, la société Général Services Contrôle, spécialisée dans les diagnostics immobiliers a conclu à l'indécence du logement en raison des problèmes d'humidité. Il y est évoqué des plafonds avec de nombreuses fissures, des traces d'infiltrations en bas de parois sur tout le linéaire des murs en contact avec l'extérieur et sur le fenestron de la salle d'eau. Il y est mentionné, au titre des éléments pouvant présenter un risque pour la sécurité physique et la santé des occupants :des menuiseries extérieures qui ne protègent pas contre les infiltrations d'eau, l'absence de protection contre les eaux de ruissellements et contre les remontées d'eau, des gardes corps qui ne sont pas à bonne hauteur, une installation électrique défaillante et des marches abîmées dans l'escalier.

La même société, le 10 avril 2018, a relevé qu'avait été mise en évidence la présence de revêtements contenant du plomb au-delà des seuils en vigueur.

Le décret du 30 janvier 2002 énonce que le logement doit satisfaire, au regard de la sécurité physique et de la santé des locataires aux conditions suivantes :

1. Il assure le clos et le couvert. Le gros oeuvre du logement et de ses accès est en bon état d'entretien et de solidité et protège les locaux contre les eaux de ruissellement et les remontées d'eau. Les menuiseries extérieures et la couverture avec ses raccords et accessoires assurent la protection contre les infiltrations d'eau dans l'habitation.

2. Les dispositifs de retenue des personnes, dans le logement et ses accès, tels que garde-corps des fenêtres, escaliers, loggias et balcons, sont dans un état conforme à leur usage ;

3. La nature et l'état de conservation et d'entretien des matériaux de construction, des canalisations et des revêtements du logement ne présentent pas de risques manifestes pour la santé et la sécurité physique des locataires ;

4. Les réseaux et branchements d'électricité et de gaz et les équipements de chauffage et de production d'eau chaude sont conformes aux normes de sécurité définies par les lois et règlements et sont en bon état d'usage et de fonctionnement ;

Il est démontré par les diagnostics du 10 avril 2018 que le logement loué à Madame [W] était indécent en raison de l'absence de protection du logement aux infiltrations, d'une hauteur inadapté du garde-corps, d'un risque d'exposition au plomb et d'une installation électrique défaillant.

S'il est exact que le risque au plomb n'existait pas au moment de la prise de possession des lieux, le diagnostic effectué en 2008 invitait néanmoins le propriétaire à surveiller le revêtement des murs.

Les problèmes d'électricité, d'humidité et de hauteur de garde-corps ont toujours existé. S'agissant de l'humidité, ce désordre est allé crescendo durant les années, alors même que le bailleur savait qu'une telle difficulté existait dès la prise de possession des lieux par sa locataire.

Le manquement de Monsieur [O] à son obligation de délivrance d'un logement décent et en bon état de réparation est avéré et a débuté dès le bail conclu avec Madame [W].

Comme il l'a été indiqué précédemment, il n'était pas nécessaire à Madame [W] de le mettre en demeure de respecter ses obligations essentielles.

Madame [W] établit avoir subi un préjudice en lien avec les manquements de son bailleur, qui ne peut, pour écarter la demande indemnitaire de sa locataire, faire état de l'intervention d'un électricien en avril 2018 et de son intention de procéder à des travaux structurels. Il ressort d'un écrit du 17 juillet 2018 de Madame [W] au mandataire du bailleur qu'une première intervention d'un électricien avait au moins permis qu'elle ne soit plus victime d'électrocution lorsqu'elle et son fils prennaient leur douche mais que l'électricien devait effectuer d'autres travaux, qu'il était passé pour l'établissement d'un devis mais qu'elle n'avait plus de nouvelles. Le bailleur ne démontre pas que l'électricien qu'il a mandaté a réparé les défaillances de l'installation électrique du logement.

L'état des lieux de sortie du premier octobre 2018 évoque un appartement dont les murs sont en mauvais état, avec des traces d'humidité, certains étant qualifiés de très abîmés.

Le constat d'huissier effectué à la même date mentionne ce que avait été relevé lors du diagnostic du 10 avril 2018, à savoir de nombreuses traces d'infiltrations et de dégâts des eaux au niveau des bas de murs, avec du plâtre qui s'effrite et des dépôts de moisissures à de nombreux endroits. Ce constat fait état de traces d'humidité et de moisissures au niveau du plafond dans la salle d'eau. Les photographies prises par l'huissier de justice permettent de constater des désordres importants qui témoignent du préjudice subi par l'occupante des lieux.

Contrairement à ce qu'indique Monsieur [O], Madame [W] n'est pas à l'origine des désordres qu'elle dénonce. Cette dernière explique dans sa lettre du 09 avril 2018 qu'elle avait refusé l'intervention d'un entrepreneur en 2015 car il devait se contenter de reprendre les plâtres dégradées des murs, alors que ces derniers restaient humides et que les travaux envisagés apparaissaient tout à fait superficiels. Monsieur [O] ne démontre pas avoir pris le problème suffisamment au sérieux ni avoir tenté de le résoudre, alors qu'il savait depuis le début du bail que son appartement souffrait d'humidité. Enfin, aucune pièce ne permet de démontrer que les désordres subis par Madame [W] seraient, même en partie, de sa responsabilité.

Compte tenu de ces éléments, il est démontré que le logement était indécent dès l'origine et que Monsieur [O] n'a pas respecté son obligation de délivrance d'un logement en bon état d'usage et d'entretien de l'appartement en état de servir à l'usage convenu, alors même que l'état des lieux d'entrée faisait état de certains désordres, qui se sont aggravés au fil du temps. Madame [W] démontre qu'elle a dû vivre avec son fils dans un appartement humide, avec des murs qui se sont dégradés de plus en plus pour se retrouver couverts, dès l'année 2014, de moisissures dans leur partie basse, mais également au plafond de la salle de bains. Elle a également dû souffrir d'une installation électrique défaillante dont les principales nuisances n'ont finalement été réparées qu'en mai 2018.

Elle a occupé le logement du 15 mars 2010 au 28 septembre 2018. Elle devait acquitter un loyer mensuel de 640 euros.

Compte tenu de ces éléments, le préjudice de jouissance subi par Madame [W] sera intégralement réparé par une allocation de 26112 euros, correspondant à une indemnité équivalente à environ 30% du montant du loyer.

Le jugement déféré sera infirmé sur le montant du quantum alloué à cette dernière.

Sur la demande de dommages et intérêts formé par Monsieur [E] [O]

Ce dernier ne démontre pas que la procédure intentée par Madame [W] aurait été abusive, alors qu'il a manqué à ses principales obligations de bailleur. Il sera débouté de sa demande de dommages et intérêts.

Sur la demande de dommages et intérêts formée par Madame [L] [W] pour procédure d'appel abusive

Madame [L] [W] ne démontre pas que l'appel formé par Monsieur [E] [O] aurait dégénéré en abus de droit. Elle sera en conséquence déboutée de sa demande de dommages et intérêts sur ce fondement.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Monsieur [O] est essentiellement succombant. Il sera condamné aux dépens de première instance et d'appel. Il ne sera toutefois pas condamné au coût du procès-verbal d'huissier de justice exposés par Madame [W] au titre des dépens : en effet, les frais de constat d'huissier exposés par une partie pour faire constater un fait au soutien de son action, s'ils n'ont pas fait l'objet d'une ordonnance sur requête, ne constituent ni des dépens ni un préjudice réparable mais seulement des frais non compris dans les dépens entrant dans les prévisions de l'article 700 al. 1 er I du code de procédure civile.

Monsieur [O] sera débouté de ses demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile, qu'il s'agisse des frais irrépétibles exposés en première instance et de ceux exposés en cause d'appel.

Il n'est pas équitable de laisser à la charge de Madame [W] les frais irrépétibles qu'elle a exposés en première instance et en appel. Monsieur [O] sera condamné à lui verser la somme 1500 euros au titre des frais irrépétibles qu'elle a exposés en première instance et 2500 euros au titre des frais irrépétibles qu'elle a exposés en cause d'appel.

Ainsi, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a mis à la charge de Monsieur [O] les dépens, infirmé en ce qu'il l'a condamné à verser la somme de 384, 09 euros au titre des frais de constat d'huissier (qui ne font pas partie des dépens) et confirmé s'agissant de la condamnation au titre des frais irrépétibles.

Sur l'exécution provisoire

Madame [W] sera déboutée de cette prétention qui ne peut prospérer devant la cour d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe

REJETTE la demande de Madame [L] [W] tendant à voir déclarer irrecevable la demande de Monsieur [E] [O] au titre de la prescription de sa demande indemnitaire.

CONFIRME le jugement déféré sauf en ce qu'il a condamné Monsieur [E] [O] à verser à Madame [L] [W] la somme de 30.000 euros de dommages et intérêts en réparation de son trouble de jouissance et en ce qu'il l'a condamné à verser la somme de 384, 09 euros au titre des frais de constat d'huissier,

STATUANT A NOUVEAU ET Y AJOUTANT,

CONDAMNE Monsieur [E] [O], représenté par ses tuteurs, Messieurs [G] et [P] [O], à verser à Madame [L] [W] la somme de 27.112 euros en réparation de son trouble de jouissance,

REJETTE la demande de dommages et intérêts formée par Monsieur [E] [O] à l'encontre de Madame [L] [W],

REJETTE la demande de dommages et intérêts formée par Madame [L] [W] pour procédure d'appel abusive,

CONDAMNE Monsieur [E] [O], représenté par ses tuteurs, Messieurs [G] et [P] [O], à verser à Madame [L] [W], la somme de 2500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés par cette dernière en cause d'appel,

REJETTE la demande d'exécution provisoire formée par Madame [L] [W].

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 1-7
Numéro d'arrêt : 20/00717
Date de la décision : 05/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-05;20.00717 ?
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