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28/04/2022 | FRANCE | N°21/08363

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-4, 28 avril 2022, 21/08363


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-4



ARRÊT AU FOND

DU 28 AVRIL 2022



N°2022/81













Rôle N° RG 21/08363 - N° Portalis DBVB-V-B7F-BHSOM







S.A. AXA FRANCE IARD





C/



S.A.R.L. LA CANTINE DE LULU





































Copie exécutoire délivrée le :

à :



Me CHERFILS

Me WOLFF







Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal de Commerce de NICE en date du 06 Mai 2021 enregistré au répertoire général sous le n° 2020F00485.





APPELANTE



S.A. AXA FRANCE IARD

prise en la personne de son représentant légal en exercice sise 313 Terrasses de l'Arche - 92727 NANTERRE CEDEX



représentée ...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-4

ARRÊT AU FOND

DU 28 AVRIL 2022

N°2022/81

Rôle N° RG 21/08363 - N° Portalis DBVB-V-B7F-BHSOM

S.A. AXA FRANCE IARD

C/

S.A.R.L. LA CANTINE DE LULU

Copie exécutoire délivrée le :

à :

Me CHERFILS

Me WOLFF

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Commerce de NICE en date du 06 Mai 2021 enregistré au répertoire général sous le n° 2020F00485.

APPELANTE

S.A. AXA FRANCE IARD

prise en la personne de son représentant légal en exercice sise 313 Terrasses de l'Arche - 92727 NANTERRE CEDEX

représentée et assistée par Me Romain CHERFILS de la SELARL LEXAVOUE BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée par Me David CUSINATO, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMEE

S.A.R.L. LA CANTINE DE LULU sise 26 rue Alberti - 06000 NICE

représentée par Me Martine WOLFF, avocat au barreau de NICE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 09 Février 2022 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Rose-Marie PLAKSINE, Présidente de chambre, et Monsieur Nicolas ERNST, Conseiller,

chargés du rapport qui en ont rendu compte dans le délibéré de la cour composée de :

Madame Rose-Marie PLAKSINE, Présidente de chambre

Mme Sophie LEYDIER, Conseillère

Monsieur Nicolas ERNST, Conseiller

Greffier lors des débats : Mme Pauline BILLO.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 28 Avril 2022.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 28 Avril 2022.

Signé par Madame Rose-Marie PLAKSINE, Présidente de chambre et Mme Natacha BARBE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Exposé du litige :

La SARL La Cantine de Lulu exploitant un restaurant de spécialités niçoises situé 26, rue Alberti à Nice, a souscrit un contrat d'assurance multirisque professionnelle le 8 décembre 2011 se composant des conditions générales référencées n°690200 et des conditions particulières référencées 2296075904.

Les conditions particulières prévoient une extension de garantie des pertes d'exploitation en cas de fermeture administrative de l'établissement assuré, ainsi libellée: « la garantie est étendue aux pertes d'exploitation consécutives à la fermeture provisoire totale ou partielle de l'établissement assuré, lorsque les deux conditions suivantes sont réunies:

1. La décision de fermeture a été prise par une autorité administrative compétente, et extérieure à vous-même (l'assuré),

2. La décision de fermeture est la conséquence d'une maladie contagieuse, d'un meurtre,d'un suicide, d'une épidémie ou d'une intoxication. ['] »

Cette extension de garantie est assortie de la clause d'exclusion suivante :

« SONT EXCLUES :

- LES PERTES D'EXPLOITATION, LORSQUE, A LA DATE DE LA DECISION DE FERMETURE, AU MOINS UN AUTRE ETABLISSEMENT, QUELLE QUE SOIT SA NATURE ET SON ACTIVITE, FAIT L'OBJET, SUR LE MEME TERRITOIRE DEPARTEMENTAL QUE CELUI DE L'ETABLISSEMENT ASSURE, D'UNE MESURE DE FERMETURE ADMINISTRATIVE, POUR UNE CAUSE IDENTIQUE ».

Suite à l'arrêté du 14 mars 2020 du Ministre des solidarités et de la santé et au décret du 29 octobre 2020 pris dans le cadre de la lutte contre l'épidémie de Covid-19, la société La Cantine de Lulu a été contrainte de fermer son établissement du 15 mars 2020 au 2 juin 2020, ainsi qu'à partir du 29 octobre 2020.

Le 29 juillet 2020, le conseil de la société La Cantine de Lulu a déclaré un sinistre auprès de la société Axa France Iard, sollicitant la mise en jeu de la garantie et le paiement d'une provision correspondant à un mois de la marge brute du dernier exercice fiscal de l'assurée.

Par courrier du 31 juillet 2020, l'assureur a refusé sa garantie au motif que 'd'autres établissements sur le territoire départemental avaient été nécessairement impactés par la décision prise par arrêté du 14 mars 2020".

Par acte du 1er décembre 2020, la SARL La Cantine de Lulu a fait assigner à jour fixe la société Axa France Iard devant le tribunal de commerce de Nice, aux fins principalement d'obtenir la mise en jeu de la garantie perte d'exploitation et l'indemnisation du préjudice subi par elle du fait des fermetures administratives.

Par jugement contradictoire du 6 mai 2021, le tribunal de commerce de Nice a :

Dit que la SARL La Cantine de Lulu a eu connaissance des conditions particulières du contrat et qu'elle les a acceptées en y portant sa signature le 8 décembre 2011,

Déclaré non écrite la clause d'exclusion de garantie ci-dessous reproduite:

'Sont exclues : les pertes d'exploitation lorsque, à la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelle que soit sa nature et son activité, fait l'objet sur le même territoire départemental que celui de l'établissement assuré, d'une mesure de fermeture administrative pour cause identique',

Dit que la SARL La Cantine de Lulu doit être indemnisée par la SA Axa France Iard en raison des fermetures administratives priss par les arrêtés du 14 mars 2020 et du 29 octobre 2020 de Monsieur le Ministre des solidarités et de la santé pour lutter contre l'épidémie de Covid-19,

Condamné la SA Axa France Iard à payer à la SARL La Cantine de Lulu la somme de 10 000 euros à titre de provision à valoir sur l'indemnité définitive qui sera évaluée par une expertise judiciaire,

Dit que les sommes dues par la SA Axa France Iard porteront intérêts, au taux légal, à compter du 23 juillet 2020, date de la déclaration de sinistre,

Avant dire droit au fond tous droits et moyens des parties demeurant réservés,

Désigné comme expert judiciaire, aux frais de la demanderesse, la SARL La Cantine de Lulu: Monsieur [E] [T] - 380 Chemin de la Gaude à Galtières - 06610 La Gaude, avec les chefs de mission suivants:

Déterminer le montant des dommages constitués par la perte de marge brute pendant la période d'indemnisation et le montant des éléments ayant pu avoir une influence sur le chiffre d'affaires de référence, au vu des garanties accordées par la SA Axa France Iard dans ses conditions particulièrs et générales,

Evaluer le montant des frais supplémentaires d'exploitation pendant la période d'indemnisation,

Se faire communiquer tous documents et pièces qu'il estimera utile à sa mission,

Entendre tous sachant qu'il estimera utile,

S'il l'estime nécessaire se rendre sur place (...),

Dit que le rapport de l'expert devra être déposé au greffe du tribunal de commerce de Nice en trois exemplaires dans un délai de six mois à compter de la consignation de la provision de 4 000 euros mise à la charge de la demanderesse,

Dit n'y avoir lieu au paiement de dommages et intérêts,

Débouté les parties de toutes leurs autres demandes, fins et conclusions,

Rappelé que l'exécution provisoire est de droit :

Réservé l'application de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens.

Par déclaration enregistrée au greffe le 4 juin 2021, la société Axa France Iard a interjeté un appel limité de cette décision en ce qu'elle a :

- considéré que la clause d'exclusion ne serait ni formelle ni limitée au sens de l'article L113-1 du code des assurances et qu'elle devra garantir la SARL La cantine de Lulu au titre de la perte d'exploitation de son activité de restauration,

- dit que la la SARL La cantine de Lulu doit être indemnisée par la SA Axa France Iard en raison des fermetures administratives prise par les arrêtés du 14 mars 2020 et du 29 octobre 2020 de Monsieur le Ministre des Solidarités et de la Santé pour lutter contre l'épidémie de Covid-19,

- condamné la SA Axa France Iard à payer à la la SARL La cantine de Lulu la somme provisionnelle de 10 000 euros à valoir sur l'indemnité définitive,

- ordonné une expertise judiciaire et nommé à cette fin Monsieur [E] [T] avec la mission telle que décrite dans le jugement entrepris,

- débouté la société Axa France Iard de ses autres demandes, fins et conclusions,

- réservé l'application de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens.

~*~

Les parties ont exposé leur demande ainsi qu'il suit, étant rappelé qu'au visa de l'article 455 du code de procédure civile, l'arrêt doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens :

La société Axa France Iard, appelante (conclusions du 24 janvier 2022), sollicite au visa de l'article 562 du code de procédure civile et des articles 1103, 1170, 1171 et 1188 et suivants du code civil :

A titre principal :

L'infirmation du jugement du 6 mai 2021 du tribunal de commerce de Nice en ce qu'il a :

considéré que la clause d'exclusion ne serait ni formelle ni limitée au sens de l'article L 113-1 du code des assurances et que la société Axa France Iard devra garantir la société La Cantine de Lulu au titre de la perte d'exploitation de son activité de restauration,

dit que la société La Cantine de Lulu doit être indemnisée par la société Axa France Iard en raison des fermetures administratives prise par les arrêtés du 14 mars 2020 et du 29 octobre 2020 de Monsieur le Ministre des Solidarités et de la Santé pour lutter contre l'épidémie de Covid-19,

condamné la société Axa France Iard à payer à la société La Cantine de Lulu la somme provisionnelle de 10 000 euros à valoir sur l'indemnité définitive,

ordonné une expertise judiciaire et nommé à cette fin Monsieur [E] [T] avec la mission telle que décrite dans le jugement entrepris,

débouté la société Axa France Iard de ses autres demandes, fins et conclusions,

réservé l'application de l'article 700 du Code de procédure civile,

condamné la société Axa France Iard aux entiers dépens.

Et statuant à nouveau,

Juger que la clause d'exclusion respecte le caractère formel exigé par l'article L113-1 du code des assurances en ce qu'elle est claire et ne laisse pas de place à l'incertitude,

Juger que la clause d'exclusion ne vide pas l'extension de garantie de sa substance et qu'elle ne prive pas l'obligation essentielle d'Axa France Iard de sa substance,

En conséquence,

- déclarer applicable en l'espèce la clause d'exclusion dont est assortie l'extension de garantie relative aux pertes d'exploitation consécutives à une fermeture administrative pour cause d'épidémie,

- débouter la société La Cantine de Lulu de sa demande de condamnation à son encontre,

A titre subsidiaire:

La réformation du jugement entrepris sur la mission confiée à l'expert judiciaire ainsi que sur le montant de la provision allouée,

En conséquence :

Le rejet des fins de l'appel incident formé par la société La Cantine de Lulu,

Le rejet de la demande provisionnelle de la société La Cantine de Lulu comme injustifiée et infondée,

Statuant à nouveau :

Que soit ordonné que l'expert judiciaire aura pour mission de :

Se faire communiquer tous documents et pièces qu'il estimera utile à l'accomplissement de sa mission, notamment l'estimation effectuée par l'assurée et/ou son expert-comptable, accompagnée de ses bilans et comptes d'exploitation sur les trois dernières années,

Entendre les parties ainsi que tout sachant et évoquer, à l'issue de la première réunion avec les parties le calendrier possible de la suite de ses opérations,

Examiner les pertes d'exploitation garanties contractuellement par le contrat d'assurance, en tenant compte de la franchise de 3 jours ouvrés et de la limite de garantie à « 3 mois maximum » par sinistre applicables,

Donner son avis sur le montant des pertes d'exploitation consécutives à la baisse du chiffre d'affaires causée par l'interruption ou la réduction de l'activité, de la marge brute (chiffre d'affaires ' charges variables) incluant les charges salariales, les économies réalisées,

Donner son avis sur le montant des aides/subventions d'Etat perçues par l'assurée,

Donner son avis sur les coefficients de tendance générale de l'évolution de l'activité et des facteurs externes et internes susceptibles d'être pris en compte pour le calcul de la réduction d'activité imputable à la mesure de fermeture, en se fondant notamment sur les recettes encaissées les semaines ayant précédé le 15 mars 2020,

En tout état de cause:

La condamnation de la société La Cantine de Lulu à lui payer la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens de première instance et d'appel, distraits au profit de la SELARL Lexavoue Aix-en-Provence, avocats associés aux offres de droit.

La SARL La Cantine de Lulu, intimée (conclusions du 11 janvier 2022), solllicite au visa de l'article L 113-1 du code des assurances, de l'article

L 1108, 1169, 1170, 1231-6 nouveaux et 1153 ancien du code civil et subsidiairement de l'article 1190 du code civil, ainsi que des articles 565 et 566 du code de procéudre civile:

La confirmation du jugement déféré,

* en ce qu'il a condamné la société Axa France Iard à garantir le sinistre subi en raison des fermetures administratives prises par les arrêtés du 14 mars 2020 et du 29 octobre 2020 de Monsieur le Ministre des solidarités et de la santé pour lutter contre l'épidémie de Covid 19 après avoir dit et jugé que la clause d'exclusion qu'elle devait être réputée non écrite,

* en ce qu'il a désigné l'expert [T] avec pour mission de:

Déterminer le montant des dommages constitués par la perte de marge brute pendant la période d'indemnisation et le montant des éléments ayant pu avoir une influence sur le chiffre d'affaires de référence, au vu des garanties accordées par la société Axa France Iard dans ses conditions particulières et générales,

Evaluer le montant des frais supplémentaires d'exploitation pendant la période d'indemnisation,

Se faire communiquer tous documents et pièces qu'il estimera utile à sa mission,

Entendre tous sachant qu'il estimera utile,

S'il estime nécessaire se rendre sur place.

* en ce qu'il a condamné la société Axa France Iard à lui verser une provision à valoir sur l'indemnisation des sinistres pertes d'exploitation dont elle a été victime,

La réformation du jugement déféré en ce qu'il n'a condamné la société Axa France Iard à lui verser une provision de 10 000 euros,

Statuant à nouveau,

la condamnation de la société Axa France Iard à lui verser :

une provision de 30 000 euros à valoir sur l'indemnisation des 1er et 2ème sinistres dont elle a été victime pour la période du 17 mars 2020 au 2 juin 2020 et du 29 octobre 2020 au 30 janvier 2021,

la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la participation aux frais et honoraires d'avocat pour la procédure de première instance à l'origine du jugement du 6 mai 2021 et d'appel,

outre la condamnation de la société Axa France Iard aux dépens pour la procédure de première instance à l'origine du jugement du 6 mai 2021 et d'appel, avec distraction en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 25 janvier 2021.

MOTIFS :

A titre liminaire, la cour constate qu'en l'état de l'appel principal et de l'appel incident limités aux dispositions du jugement déféré susvisées, elle n'est pas saisie:

- de la première disposition de celui-ci aux termes de laquelle les premiers juge ont dit que la SARL La cantine de Lulu a eu connaissance des conditions particulières du contrat et qu'elle les a acceptées en y portant sa signature le 8 décembre 2011,

- du rejet de la demande de dommages et intérêts pour résistance abusive formée par la SARL La cantine de Lulu en première instance.

Sur la garantie perte d'exploitation en cas de fermeture d'un établissement pour épidémie:

En vertu des articles suivants du code civil, dans leur version applicable en l'espèce au jour de la conclusion du contrat le 8 décembre 2011, soit antérieurement à l'ordonnance du 10 février 2016 entrée en vigueur le 1er octobre 2016:

Article 1156 « On doit dans les conventions rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes, plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes».

Article 1157 « Lorsqu'une clause est susceptible de deux sens, on doit plutôt l'entendre dans celui avec lequel elle peut avoir quelque effet, que dans le sens avec lequel elle n'en pourrait produire aucun'.

Article 1158 « Les termes susceptibles de deux sens doivent être pris dans le sens qui convient le plus à la matière du contrat'.

Article 1161 « Toutes les clauses des conventions s'interprètent les unes par les autres, en donnant à chacune le sens qui résulte de l'acte entier'.

Article 1162 « Dans le doute, la convention s'interprète contre celui qui a stipulé et en faveur de celui qui a contracté l'obligation'.

L'article L 113-1 alinéa premier du code des assurances dispose que :

« Les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l'assuré sont à la charge de l'assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police ».

En matière d'assurance, l'assuré doit connaître l'étendue des garanties incluses dans le contrat d'assurance qu'il a souscrit et être en mesure de les comprendre.

Et, il a été jugé qu'il résulte de l'article L 113-1 du code des assurances:

- d'une part, que les clauses d'exclusion de garantie ne peuvent être tenues pour formelles et limitées dès lors qu'elles doivent être interprétées et qu'elles ne se réfèrent pas à des critères précis et à des hypothèses limitativement énumérées,

- d'autre part, que n'est ni formelle, ni limitée, la clause d'exclusion de garantie qui vide la garantie d'une partie significative ou de la totalité de sa substance.

Dans tous les cas, la validité d'une clause d'exclusion de garantie doit être appréciée par le juge par rapport à la définition du risque garanti.

En l'espèce, dans les conditions particulières du contrat d'assurance multirisque professionnelle du 8 décembre 2011, figure, sous le titre 'PERTE D'EXPLOITATION SUITE À FERMETURE ADMINISTRATIVE' (page 9), une garantie des pertes d'exploitation consécutive à une fermeture administrative intervenue notamment à la suite d'une épidémie, ainsi rédigée :

« La garantie est étendue aux pertes d'exploitation consécutives à la fermeture provisoire totale ou partielle de l'établissement assuré, lorsque les deux conditions suivantes sont réunies :

1. La décision de fermeture a été prise par une autorité administrative compétente, et extérieure à vous-même

2. La décision de fermeture est la conséquence d'une maladie contagieuse, d'un meurtre, d'un suicide, d'une épidémie ou d'une intoxication.

Durée et limite de la garantie

la garantie intervient pendant la période d'indemnisation, c'est-à-dire la période commençant le jour du sinistre et qui dure tant que les résultats de l'établissement sont affectés par ledit sinistre, dans la limite de trois mois maximum.

Le montant de la garantie est limité à 300 fois l'indice.

L'assuré conservera à sa charge une franchise de 3 jours ouvrés ».

A la suite de plusieurs décisions administratives interdisant aux restaurateurs de recevoir du public en raison de l'épidémie de coronavirus, dit Covid 19, et donc de la fermeture administrative en résultant, l'assurée a subi des pertes d'exploitation dont elle demande l'indemnisation.

Cependant, l'assureur dénie toute garantie en invoquant la clause d'exclusion suivante:

« SONT EXCLUES :

- LES PERTES D'EXPLOITATION, LORSQUE, A LA DATE DE LA DECISION DE FERMETURE, AU MOINS UN AUTRE ETABLISSEMENT, QUELLE QUE SOIT SA NATURE ET SON ACTIVITE, FAIT L'OBJET, SUR LE MEME TERRITOIRE DEPARTEMENTAL QUE CELUI DE L'ETABLISSEMENT ASSURE, D'UNE MESURE DE FERMETURE ADMINISTRATIVE, POUR UNE CAUSE IDENTIQUE».

Il résulte des différentes pièces produites par les parties que si une épidémie peut être définie comme étant le résultat du développement et de la propagation rapide d'une maladie contagieuse dans une population, cette population peut être celle d'un lieu limité, mais aussi d'un village, d'une ville, d'un département, d'une région, d'un ou de plusieurs pays.

Pour la garantie souscrite par la SARL La cantine de Lulu auprès de la SA Axa France Iard, aucune distinction n'est opérée quant à la population visée, aucune définition des termes maladie contagieuse et épidémie ne figure au contrat.

L'obligation essentielle de l'assureur est donc celle d'indemniser son assurée des pertes d'exploitation subies suite à une fermeture administrative en raison d'une épidémie.

L'objet de la garantie des pertes d'exploitation suite à une fermeture administrative prévue en page 9 des conditions particulières du contrat est de garantir une indemnisation des pertes financières subies par l'assurée en cas de fermeture administrative l'empêchant de poursuivre son activité, selon deux conditions cumulatives:

1/ la décision de fermeture doit avoir été prise par une autorité administrative compétente, extérieure à l'assurée,

2/ la décision de fermeture doit être 'la conséquence d'une maladie contagieuse, d'un meurtre, d'un suicide, d'une épidémie ou d'une intoxication'.

En l'espèce, comme le soutient pertinemment l'assurée, l'événement contractuellement garanti est bien survenu puisque la fermeture administrative de son établissement a été prononcée par une autorité administrative compétente, extérieure à l'assurée, suite à l'épidémie de coronavirus dit COVID 19, qui est à la fois une maladie contagieuse et une épidémie.

La rédaction de la clause d'exclusion de garantie susvisée, notamment dans sa locution finale « pour une cause identique », renvoie nécessairement à la cause de la fermeture administrative garantie, soit une maladie contagieuse, un meurtre, un suicide, une épidémie ou une intoxication, de sorte que, même si elle ne figure pas dans la clause d'exclusion, la notion d'épidémie constitue une condition de la mise en oeuvre de la garantie.

La SA Axa France Iard indique justement que l'assurée a signé les conditions particulières et contracté sans que les termes utilisés relèvent d'un vocabulaire spécialisé ou technique. Cependant, les parties s'opposent sur la définition du terme « épidémie».

Selon l'assurée, le terme est ambigu et peu clair, ne permettant en particulier ni de distinguer l'épidémie de la maladie contagieuse [autre situation dans laquelle la garantie est due si l'établissement fait l'objet d'une fermeture administrative dans les conditions du 1) du paragraphe «pertes d'exploitation suite à fermeture administrative»] ni de comprendre que la garantie ne s'applique qu'aux fermetures individuelles et non aux fermetures collectives.

À l'inverse, l'assureur considère que le terme est clair et dépourvu d'ambiguïté, qu'il doit se comprendre dans sa globalité, avec pour conséquence d'entraîner des fermetures collectives mais aussi la fermeture individuelle d'un seul établissement, cette dernière situation étant expressément prévue par la clause d'exclusion de garantie. Il ajoute que les définitions scientifiques, la définition du dictionnaire Larousse ainsi que les termes de l'article L 3131-1 du code de la santé publique (qui vise la possibilité pour l'État de prendre des mesures individuelles en présence d'une épidémie) n'impliquent pas nécessairement une grande étendue géographique de l'épidémie ou un grand nombre de personnes affectées.

Cependant, l'assureur ne peut valablement soutenir que le terme ne nécessite aucune interprétation et se prévaloir des dispositions de l'article 1192 du code civil selon lesquelles on ne peut interpréter des clauses claires et précises à peine de dénaturation, alors que les décrets des 11 et 31 mai 2020 pris dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, contiennent dans leur intitulé la prescription des «mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid 19», la notion d'épidémie ayant dans ce cas précis justifié la fermeture administrative de l'ensemble des restaurants au niveau national.

Le fait qu'une épidémie de légionellose, de listériose ou de grippe aviaire a pu n'entraîner la fermeture que d'un seul établissement correspond à des cas d'espèce et ne saurait suffire à exclure toute interprétation autre que celle proposée par la SA Axa France Iard.

De même, les différentes acceptions possibles du terme «épidémie» ne permettent pas à l'assureur d'énoncer valablement que l'assurée, en tant que restaurateur très informé des risques relatifs à l'hygiène alimentaire, a au moment de la souscription du contrat, contracté l'extension de garantie pour couvrir les risques d'une fermeture administrative liée à la survenance d'une épidémie au sein de son seul établissement.

Si la SA Axa France Iard souhaitait exclure la couverture des risques de nature à entraîner le déséquilibre du portefeuille des contrats assurés, il lui incombait de définir les risques couverts de manière claire et dépourvue d'ambiguïté, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

De même, l'assureur ne peut se prévaloir de la commune intention des parties lors de la souscription du contrat qui n'était pas de couvrir le risque d'une fermeture généralisée à l'ensemble du territoire mais de couvrir les aléas inhérents à l'exploitation d'un restaurant exposé à des risques biologiques, alors qu'il est constant qu'il est le seul rédacteur des termes de la clause d'exclusion de garantie dont le caractère non formel a été retenu ci-dessus.

Au surplus, la clause d'exclusion susvisée n'est nullement limitée puisqu'elle vise:

- tout autre établissement, quelle que soit sa nature et son activité, la notion «d'autre établissement» étant particulièrement large,

- le département, soit un territoire géographiquement étendu au sein duquel exerce un nombre important d'établissements, même si ce nombre varie en fonction de la densité de la population de chaque département, de sorte que l'hypothèse de l'assureur selon laquelle cette clause s'appliquerait en cas d'épidémie pour un nombre limité de personnes à l'intérieur d'un seul et unique établissement au sein d'un département, rend illusoire la garantie des pertes d'exploitation en cas d'épidémie, et aboutit à la vider de sa substance.

Il s'ensuit que les premiers juges ont à bon droit retenu que la clause d'exclusion de garantie litigieuse nécessitait une interprétation du terme «épidémie» visé dans la clause d'exclusion comme «cause identique», de sorte qu'elle n'est pas formelle et limitée au sens de l'article L 113-1 du code des assurances.

En conséquence, le jugement déféré doit être confirmé en ce qu'il a déclaré réputée non écrite la clause d'exclusion de garantie ci-dessus reproduite.

Sur l'expertise et sur la demande de provision:

En application des conditions particulières du contrat:

La Protection financière comprenant la garantie perte d'exploitation renvoie à l'article 2.1 et aux plafonds de garanties indiqués aux conditions générales, et stipule 'y compris frais supplémentaires et avec période d'indemnisation de 18 mois' (page 4/13).

'La garantie intervient pendant la période d'indemnisation, c'est-à-dire la période commençant le jour du sinistre et qui dure tant que les résultats de l'établissement sont affectés par ledit sinistre, dans la limite de trois mois maximum.

Le montant de la garantie est limité à 300 fois l'indice.

L'assuré conservera à sa charge une franchise de 3 jours ouvrés » (pages 9 et 10/13).

Les conditions générales concernent au point 2.1 la perte d'exploitation et la perte de revenus et stipulent notamment en page 27:

Les dommages assurés 'selon mention aux conditions particulières, soit la garantie s'exerce pour la perte que vous subissez et pour les frais supplémentaires que vous devez engager, soit elle est limitée à ces seuls frais supplémentaires.

La perte faisant l'objet de la garantie est:

- soit la perte de marge brute que vous subissez durant la période d'indemnisation à la suite de la diminution de votre chiffre d'affaires causée par les événements précédents.

La marge brute est la différence entre: le chiffre d'affaires annuel hors TVA corrigé de la variation des stocks et le total des achats et charges variables (...)

- soit la perte de revenus (ou d'honoraires) professionnels que vous subissez durant la période d'indemnisation à la suite de la diminution de votre activité causée par les événements précédents.

Les frais supplémentaires sont les frais d'exploitation excédant vos charges normales, qu'au cours de la période d'indemnisation vous engagez avec notre accord afin de retrouver ou de maintenir, à la suite des événements concernés, le niveau de marge brute ou de revenus (honoraires) correspondant à votre activité professionnelle garantie',

et précisent les modalités de calcul de l'indemnité.

Alors que la garantie 'perte d'exploitation suite à fermeture administrative' est une garantie complémentaire faisant partie de la protection financière assurée par la police souscrite, les pertes d'exploitation doivent être calculées selon les conditions prévues en page 27 des conditions générales applicables à toutes les pertes d'exploitation quel que soit l'événement ayant donné lieu à ces pertes.

Il s'ensuit que ce n'est pas par unique référence au chiffre d'affaires que l'indemnité doit être calculée, étant au surplus relevé que le montant de la garantie est limité à 300 fois l'indice.

En l'état des pièces produites, c'est à juste titre que le premier juge a ordonné une expertise comptable confiée à Monsieur [T], étant observé qu'il a été convenu au cours du premier accédit que les opérations d'expertise porteraient sur les deux périodes suivantes:

1/ du 16 mars 2020 au 2 juin 2020 (premier confinement),

2/ du 29 octobre 2020 au 30 janvier 2021 (deuxième confinement dans la limite de trois mois) (pièce 60 de l'intimée).

Le jugement déféré doit donc être confirmé en ce qu'une expertise a été ordonnée, sauf à ajouter à la mission confiée à l'expert les chefs de mission suivants:

- examiner les documents comptables, notamment les bilans et comptes d'exploitation sur les trois années antérieures à chaque sinistre, ainsi que le détail des comptes sur l'année 2020 et jusqu'au 30/01/2021,

- préciser le montant des aides et/ou subventions octroyées par l'Etat à la SARL La cantine de Lulu et donner son avis sur l'incidence de ces aides et/ou subventions pour chaque sinistre.

Et, compte tenu des pièces comptables produites par l'assurée (pièces 51, 52 et 58) et des premières conclusions de l'expert [T] évaluant la perte de marge brute après franchise sur les deux périodes à 37 373 euros sans tenir compte des facteurs externes, et à 32 515 euros en tenant compte de ces derniers (pièce 60 de l'intimée), il convient d'allouer à la SARL La cantine de Lulu une provision de 25 000 euros à valoir sur l'indemnisation des sinistres.

En conséquence, le jugement déféré doit être ici partiellement infirmé.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile:

Succombant, l'appelante supportera les dépens de première instance et d'appel et devra régler à la SARL La cantine de Lulu une indemnité de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

En conséquence, le jugement déféré doit être ici infirmé.

PAR CES MOTIFS

LA COUR :

Statuant publiquement et contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Dans les limites de l'appel,

CONFIRME le jugement déféré, excepté en ce que les premiers juges ont condamné la SA Axa France Iard à régler à la SARL La cantine de Lulu une provision de 10 000 euros à valoir sur son indemnisation définitive,

STATUANT A NOUVEAU ET Y AJOUTANT,

CONDAMNE la SA Axa France Iard à payer à la SARL La cantine de Lulu une provision de 25'000 euros à valoir sur l'indemnisation définitive des pertes d'exploitation subies lors de la fermeture de son établissement pour les périodes suivantes :

- du 16 mars 2020 au 2 juin 2020,

- du 29 octobre 2020 au 30 janvier 2021,

DIT que la mission confiée à l'expert [E] [T] comprendra les chefs suivants :

- examiner les documents comptables, notamment les bilans et comptes d'exploitation sur les trois années antérieures à chaque sinistre, ainsi que le détail des comptes sur l'année 2020 et jusqu'au 30/01/2021,

- préciser le montant des aides et/ou subventions octroyées par l'Etat à la SARL La cantine de Lulu et donner son avis sur l'incidence de ces aides et/ou subventions pour chaque sinistre.

RENVOIE la cause et les parties devant le tribunal de commerce de Marseille pour la suite de la procédure,

DIT qu'une copie du présent arrêt sera adressée par le greffe à l'expert [E] [T],

CONDAMNE la SA Axa France Iard à payer à la SARL La cantine de Lulu 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la SA Axa France Iard aux dépens de première instance et d'appel et en ordonne la distraction en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Le présent arrêt a été signé par Rose-Marie Plaksine présidente de chambre et par Natacha BARBE, greffière, à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 1-4
Numéro d'arrêt : 21/08363
Date de la décision : 28/04/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-04-28;21.08363 ?
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