COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-1
ARRÊT AU FOND
DU 23 FEVRIER 2021
A.D.A.S.
N° 2021/ 76
N° RG 18/12678 - N° Portalis DBVB-V-B7C-BC3MQ
[N] [S]
[H] [W] épouse [S]
SCI SAINTE-VICTOIRE
C/
Société SOCIETE COMMERCIALE DE TELECOMMUNICATION SCT
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Carl-Stéphane FREICHET
Me Serge AYACHE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance d'AIX-EN-PROVENCE en date du 05 Juillet 2018 enregistrée au répertoire général sous le n° 17/06907.
APPELANTS
Monsieur [N] [S]
né le [Date naissance 2] 1970 à [Localité 7] de nationalité Française,
demeurant [Adresse 4]
et
Madame [H] [W] épouse [S]
née le [Date naissance 1] 1973 à [Localité 9] de nationalité Française,
demeurant [Adresse 4]
et
SCI SAINTE-VICTOIRE
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,
demeurant [Adresse 8]
ensemble représentés par Me Carl-stéphane FREICHET de la SELARL FREICHET AMG, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
INTIMEE
SAS SOCIETE COMMERCIALE DE TELECOMMUNICATION SCT
Prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège,
demeurant [Adresse 3]
assistée de Me Martine GUERINI, avocat au barreau de MARSEILLE,
et représentée par Me Serge AYACHE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 18 Janvier 2021 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Anne DAMPFHOFFER, Conseillère, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur Olivier BRUE, Président
Madame Anne DAMPFHOFFER, Conseiller
Mme Danielle DEMONT, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : M. Rudy LESSI
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 23 Février 2021.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 23 Février 2021,
Signé par Monsieur Olivier BRUE, Président et M. Rudy LESSI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE :
Par jugement du 29 juillet 2018, le tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence a statué ainsi qu'il suit :
- dit que l'acte du 15 mars 2016, (sic) modifié le 6 avril 2017 constituant la société immobilière Sainte Victoire portant sur l'acquisition, l'administration, et l'exploitation par bail, location, ou autrement, de tout bien immobilier, située à [Localité 6], dont la répartition des parts a été effectuée dans la donation-partage du 4 avril 2018 (sic) à raison de 25 parts sociales en nue propriété pour M. [V] [S], 25 parts sociales en nue-propriété pour [P] [S], 50 parts à [N] en qualité d'usufruitier et 50 parts à [H] [S] a été passé en fraude des droits de la société commerciale de télécommunication,
- dit que l'acte du 4 avril 2017 reçu par notaire de donation-partage consentie par [N] [S] au profit de ses deux enfants, mineurs, [V] et [P], portant sur la nue propriété de 50 parts pour un montant de 82'923,79€ a été réalisé en fraude des droits de la société commerciale de télécommunication,
- en conséquence, déclare inopposable à la société commerciale de télécommunication l'acte du 15 mars 2016 et du 4 avril 2017,
- condamne solidairement M. [N] et Mme [H] [S] à verser à la société commerciale de télécommunication la somme de 1800 € par application de l'article 700 du code de procédure, ainsi qu'à supporter les dépens
- rejette la demande de la société commerciale de télécommunication contre la société Sainte victoire en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile et au titre des dépens
- ordonne l'exécution provisoire.
Appel de cette décision a été interjeté par la société civile immobilière Sainte Victoire, M. [N] et Mme [H] [S].
Les appelants ont conclu le 14 décembre 2020 en demandant de :
à titre principal
- réformer le jugement,
- rejeter l'action en inopposabilité de l'acte de constitution de la société et de l'acte de donation-partage,
A titre subsidiaire ,
- rejeter la demande d'inopposabilité de la constitution de la société civile immobilière,
- confirmer l'opposabilité de la société existante avant l'intervention de la donation du 4 avril 2017,
- condamner la société commerciale de télécommunication à la somme de 5000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
La société commerciale de télécommunication a conclu le 10 décembre 2020 en demandant de :
- confirmer le jugement,
- y ajoutant :
- condamner les appelants à lui verser la somme de 10'000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à supporter les dépens.
L'ordonnance de clôture a été prise le 15 décembre 2020.
Motifs
La demande de la société commerciale de télécommunication tend à voir prononcer l'inopposabilité d'actes dont elle affirme qu'ils ont été passés en fraude de ses droits; il s'agit donc d'un acte de constitution de société avec sa modification et d'un acte de donation partage du 4 avril 2017.
Cette demande a été présentée au terme d'une assignation introductive instance du 30 août 2017.
Les dispositions de l'article 1341-2 du Code civil prévoient que le créancier peut agir en son nom personnel pour faire déclarer inopposables à son égard les actes faits en fraude de ses droits à charge, quand il s'agit d'un acte onéreux, que le tiers co-contractant ait connaissance de la fraude.
En l'espèce, M [S] a fait l'objet de plusieurs décisions de justice en suite d'un litige l'opposant à la SCT.
Ainsi, un arrêt du 4 septembre 2012 a été rendu par la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nîmes en suite de la cassation le 16 novembre 2011 d'un arrêt de la cour d'Aix du 13 octobre 2010.
La cour de Nîmes, saisie sur renvoi par cette décision de cassation, a ordonné le renvoi de M. [S] et de M [Y] devant le tribunal correctionnel
Par jugement du 6 juin 2014, le tribunal correctionnel de Nimes a relaxé M [S] des fins de la poursuite du chef de détournement d'une partie de la clientèle de la société commerciale des communication, puis la cour d'appel de Nimes a statué, le 11 septembre 2015, en condamnant solidairement M [S] et M [Y] au paiement de la somme de 612'160 € à titre de dommages et intérêts au profit de la SCT, et de celle de 5000 € par application de l'article l'article 475-1 du code de procédure pénale, les pourvois formés ayant été rejetés le 29 mars 2017.
Il s'en suit, vu la chronologie ci-dessus et la proximité immédiate existant entre les dates de l'acte de donation et des décisions sus citées :
- que la SCT avait bien une créance certaine, liquide et exigible au jour de l' acte de donation de la nue propriété des parts sociales de M [N] [S] à ses enfants ;
- que M [S] avait donc connaissance non seulement de la créance de la SCT à son encontre lorsqu'il a passé l'acte de donation, mais également du préjudice qu'il causait à son créancier par cet acte, qui l'appauvrissait indéniablement et diminuait sa solvabilité dès lors que quelque soit par ailleurs, le contexte qu'il invoque quant aux circonstances de la donation et qu'au demeurant il ne prouve pas, la donation à chacun des deux enfants de la nue propriété de 50 des parts du capital de la SCI Sainte Victoire dont il avait jusqu'alors la pleine propriété avait pour conséquence de rendre leur cession plus difficile et aussi de diminuer la valeur du gage des créanciers tout en appauvrissant le débiteur .
Ces premières observations démontrent que sont ainsi déjà satisfaites deux des trois conditions de l'action paulienne.
Reste dès lors à rechercher s'il est satisfait à la troisième condition, à savoir, que le créancier établit l'insolvabilité au moins apparente du débiteur, le débiteur devant, si cette preuve est rapportée, à son tour démontrer que son patrimoine est suffisant pour désintéresser le créancier.
A cet égard, le débiteur affirme qu'il détenait un bien à [Localité 5] d'une valeur de 350 000€ outre l'usufruit de ses parts sociales dont on soulignera qu'il avait été évalué à 124 385€ dans la donation- partage.
Or, la valeur du bien de [Localité 5] à 350 000€ n'est nullement établie et l'on sait seulement
- que sa vente amiable a été judiciairement autorisée pour un prix qui ne devait pas aller en deça de 203 000€, le jugement rendu de ce chef retenant que 'rien ne permet d'affirmer que le bien sera vendu aux enchères à un prix supérieur à 203 000€' alors que par ailleurs, aucun élément d'évaluation sérieux n'est de ce chef produit par les appelants;
- que le Crédit foncier de France qui avait initié la saisie en novembre 2016 avait une créance de 127 384€ à faire valoir sur le produit de sa vente, la fiche hypothécaire révélant pour sa part qu'il avait pris une hypothèque pour la garantie d'une somme principale de 258 000€;
- que sur le bien de [Localité 6] appartenant à la SCI Sainte Victoire, le Crédit Mutuel avait un privilège de prêteur de deniers pour 772 010€ ( le bien a été vendu 1 060 000€),
de sorte que quelle que soit la date à laquelle on se place pour apprécier cette condition d'insolvabilité du débiteur, qu'il s'agisse du jour de la donation en litige ou du jour de la demande, celle de M [S] était au moins apparente et n'est en outre pas utilement combattue par les appelants.
Enfin, le créancier démontre également à ce propos que le 3 avril 2017, son huissier a vainement diligenté des tentatives de saisie de tous ses comptes .
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a déclaré inopposable à la SCT la donation du 4 avril 2017.
En ce qui concerne l'inopposabilité de l'acte de constitution de société civile immobilière, on relèvera que les appelants font exactement valoir qu'il date du 19 avril 2010, le bien ayant été acheté le 12 mai 2010.
Il est donc certain que la société a été constituée à une époque antérieure à la donation, ayant alors pour seuls actionnaires M et Mme [S], lesquels détenaient, chacun, 50 parts.
Par ailleurs, et quand bien même la SCT avait, à cette date, déjà déposé plainte contre M [S], rien n'établit que l'acte a été fait en fraude des droits du créancier, lequel ne pouvait alors se prévaloir ni d'une créance exigible, ni même d'un principe de créance, étant de ce chef relevé que tant le juge d'instruction que la cour d'appel d'Aix avaient pris des décisions de non lieu à son égard et qu'en toute hypothèse, la constitution de cette société dans laquelle M [S] était détenteur en pleine propriété de 50 parts sociales ne constituait pas un acte d'appauvrissement.
La donation a certes nécessairement entraîné une modification de la répartition des parts sociales et par suite, a donné lieu à une modification des statuts de la société, mais cette modification des statuts qui est donc la conséquence de la donation n'est pas, non plus,un acte qui appauvrit le débiteur, de sorte qu'il ne peut, non plus, être concerné par l'action paulienne.
L'inopposabilité demandée sera donc limitée au seul acte de donation du 4 avril 2017.
Le jugement sera de ce chef réformé.
Vu les articles 696 et suivant d du Code de Procédure Civile et la succombance des appelants sur l'action paulienne relativement à la donation partage.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort,
Réforme le jugement en ce qu'il a déclaré inopposable à la société commerciale de télécommunication l'acte du '15 mars 2016" de constitution de la société civile immobilière Sainte Victoire et sa modification dite 'du 6 avril 2017" et statuant à nouveau:
Rejette toute demande relative à l'acte de constitution de la société et à sa modification,
Confirme le jugement pour le surplus de ses dispositions,
Y ajoutant :
Condamne in solidum [N] et [H] [S] à payer à la société commerciale de télécommunication la somme de 2000 € par application de l'article 700 du code de procédure,
Rejette les demandes plus amples,
Condamne in solidum [N] et [H] [S] aux dépens et en ordonne la distraction conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
LE PRESIDENTLE GREFFIER