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29/01/2021 | FRANCE | N°19/17658

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-1, 29 janvier 2021, 19/17658


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-1



ARRÊT SUR RENVOI DE CASSATION

DU 29 JANVIER 2021



N° 2021/48







Rôle N° RG 19/17658 - N° Portalis DBVB-V-B7D-BFFTF







[W] [U]





C/





S.C.P. [V] [L] ET A. LAGEAT liquidateur judiciaire de la SNCM

[W] [S] liquidateur amiable de la SNCM

Association AGS CGEA DE [Localité 5]













Copie exécutoire délivrée

le :



29 JANVIER 2

021



à :



Me Marie-julie CONCIATORI-BOUCHARD avocat au barreau de MARSEILLE



Me Michel FRUCTUS, avocat au barreau de MARSEILLE



Me Béatrice DUPUY, avocat au barreau de MARSEILLE







Décision déférée à la Cour :



Arrêt de la Cour de Ca...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-1

ARRÊT SUR RENVOI DE CASSATION

DU 29 JANVIER 2021

N° 2021/48

Rôle N° RG 19/17658 - N° Portalis DBVB-V-B7D-BFFTF

[W] [U]

C/

S.C.P. [V] [L] ET A. LAGEAT liquidateur judiciaire de la SNCM

[W] [S] liquidateur amiable de la SNCM

Association AGS CGEA DE [Localité 5]

Copie exécutoire délivrée

le :

29 JANVIER 2021

à :

Me Marie-julie CONCIATORI-BOUCHARD avocat au barreau de MARSEILLE

Me Michel FRUCTUS, avocat au barreau de MARSEILLE

Me Béatrice DUPUY, avocat au barreau de MARSEILLE

Décision déférée à la Cour :

Arrêt de la Cour de Cassation en date du 11 Septembre 2019, enregistré au répertoire général sous le n° 1189FP-P+B.

DEMANDEUR SUR RENVOI DE CASSATION

Monsieur [W] [U], demeurant [Adresse 4]

représenté par Me Marie-julie CONCIATORI-BOUCHARD, avocat au barreau de MARSEILLE

DÉFENDEURS SUR RENVOI DE CASSATION

S.C.P. [V] [L] ET A. LAGEAT, représentée par Maître [V] [L], mandataire liquidateur de la SOCIÉTÉ NATIONALE CORSE MÉDITERRANÉE (SNCM)

demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Béatrice DUPUY de l'AARPI LOMBARD / SEMELAIGNE / DUPUY, avocat au barreau de MARSEILLE

Monsieur [W] [S], liquidateur amiable de la SNCM, demeurant [Adresse 3]

représenté par Me Béatrice DUPUY, avocat au barreau de MARSEILLE

Association AGS CGEA DE [Localité 5], demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Michel FRUCTUS, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Stéphanie BESSET-LE CESNE, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 09 Novembre 2020 en audience publique devant la Cour composée de :

Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller faisant fonction de Président

Mme Nathalie FRENOY, Conseiller

Mme Stéphanie BOUZIGE, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier lors des débats : Monsieur Kamel BENKHIRA

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 29 Janvier 2021..

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 29 Janvier 2021.

Signé par Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller faisant fonction de Président et Monsieur Kamel BENKHIRA, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Monsieur [W] [U], qui a été employé en qualité de marin par la SOCIETE NATIONALE CORSE-MEDITERRANEE (SNCM), a saisi la direction départementale des territoires et de la mer (service de la préfecture des Bouches-du-Rhône) aux fins de conciliation dans le cadre d'une demande de versement de dommages et intérêts par la SNCM en réparation de préjudices d'anxiété et de modification des conditions de vie liés à une exposition à l'amiante, puis en l'absence de conciliation, a saisi le tribunal d'instance de Marseille.

Par jugement du 28 novembre 2014, modifié par ordonnance du 18 décembre 2014, le tribunal de commerce de Marseille a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la SNCM, Société Anonyme à Directoire, et désigné la SCP DOUHAIRE AVAZERI et la Société d'exercice libéral ABITBOL en qualité d'administrateurs judiciaires.

Par jugement du 20 novembre 2015, le même tribunal a ordonné la cession de l'entreprise SNCM au profit de Monsieur [K] (avec faculté de substitution), a maintenu en fonction la SCP DOUHAIRE AVAZERI et la SEL ABITBOL en qualité d'administrateurs judiciaires pour la mise en 'uvre du plan jusqu'à la réalisation de la cession, a prononcé la conversion du redressement judiciaire en liquidation judiciaire et désigné la SCP [L] et LAGEAT, représentée par Maître [L], en qualité de liquidateur judiciaire de la SNCM.

Par jugement du 5 janvier 2016, le tribunal d'instance de Marseille a déclaré Monsieur [W] [U] recevable en ses demandes, l'en a débouté et l'a condamné à payer la somme de 150 euros au titre des frais irrépétibles à, ensemble, la SOCIETE NATIONALE CORSE-MEDITERRANEE, la SCP DOUHAIRE AVAZERI et la SEL ARBITOL.

Suite à l'appel interjeté par Monsieur [W] [U], la 18ème Chambre B de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence a, par arrêt du 22 septembre 2017, infirmé le jugement en ce qu'il a débouté Monsieur [W] [U] de sa demande d'indemnisation du préjudice d'anxiété et en ce qu'il a condamné celui-ci aux entiers dépens ainsi qu'à payer la somme de 150 euros à, ensemble, la SNCM, la SCP DOUHAIRE AVAZERI et la SEL ABITBOL sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, statuant à nouveau, a déclaré hors de cause la SCP DOUHAIRE AVAZERI et la SEL ABITBOL, a fixé au passif de la procédure collective de la SNCM la somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice d'anxiété et celle de 100 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, a dit l'arrêt opposable à l'AGS-CGEA de Marseille, a débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires et a dit que les dépens de première instance et d'appel seraient inscrits en frais privilégiés de la procédure collective.

Suite aux pourvois interjetés par la SCP [L] & LAGEAT en qualité de liquidateur judiciaire de la SNCM et Maître [W] [S] en qualité de liquidateur amiable de la SNCM, la Cour de cassation a, par arrêt du 11 septembre 2019, cassé et annulé en toutes ses dispositions l'arrêt rendu le 22 septembre 2017 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence, a renvoyé les parties devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée, a condamné le salarié aux dépens et a rejeté les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Monsieur [W] [U] a saisi la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée par trois déclarations, enregistrées sous les numéros 19/17183, 19/17746 et 19/17658, qui ont fait l'objet de jonctions le 22 juin 2020, sous le numéro 19/17658.

Monsieur [W] [U] demande à la Cour de :

Vu les anciens articles 1134 et 1147 du Code civil,

Vu les dispositions des articles L 4121-1 du Code du Travail,

Vu la jurisprudence,

Vu les pièces versées aux débats,

ACCUEILLIR la saisine de la Cour d'Appel de renvoi de Monsieur [U];

LA DECLARER régulière en la forme et fondée au fond;

DEBOUTER la SOCIETE NATIONALE MARITIME CORSE MEDITERRANEE, la SCP [V] [L] et A LAGEAT, mission conduite par M. [V] [L] ès qualités de liquidateur judiciaire, et le Centre de Gestion et d'études AGS (CGEA) de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions;

CONFIRMER le jugement de première instance N° RG 11143942 en ce qu'il a estimé recevable l'action de Monsieur [U] et, ce faisant, rejeté les exceptions de procédure développées à son encontre;

L'INFIRMER pour le surplus et, statuant de nouveau;

DIRE ET JUGER que Monsieur [U] est bien fondé à solliciter indemnisation de son préjudice d'anxiété ;

FIXER, en conséquence, au passif de la procédure collective de la SOCIETE NATIONALE MARITIME CORSE MEDITERRANNE la somme de 20.000€ à titre de dommages-intérêts de ce chef ;

De plus,

CONSTATER que le demandeur a été pendant toute son activité professionnelle en contact avec l'amiante, sans protection et que de ce fait la SNMCM a commis l'infraction de mise en danger de la vie d'autrui.

DIRE ET JUGER que cette infraction ouvre droit au paiement de dommages et intérêts spécifiques car en effet, du fait de la seule exposition à l'amiante sans protection la Société défenderesse mettant en danger la vie du salarié, c'est cette mise en danger qui est indemnisable même s'il n'y a aucun trouble psychologique pour le salarié.

FIXER la créance du demandeur de ce chef à la somme de 20 000 €

FIXER, en conséquence, au passif de la procédure collective de la SOCIETE NATIONALE MARITIME CORSE MEDITERRANNE la somme de 20.000 € à titre de dommages-intérêts de ce chef DECLARER en toute hypothèse ces créances opposables au CGEA

DIRE ET JUGER que ces condamnations porteront intérêt à taux légal à compter de la saisine de la Direction Départementale des Territoires et de la Mer jusqu'au jour de la procédure de redressement,

ORDONNER la capitalisation des intérêts;

DIRE ET JUGER l'arrêt à intervenir opposable à la SCP [V] [L] et A LAGEAT, mission conduite par M. [V] [L], ès qualités de liquidateur, et au CGEA ;

CONDAMNER les défendeurs, outre aux entiers dépens de première instance et d'appel, à verser la somme de 1.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

La SCP [V]. [L] & A. LAGEAT, représentée par Maître [V] [L], mandataire liquidateur de la SA SNCM, et Maître [W] [S], liquidateur amiable de la SNCM, concluent, vu l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 11 septembre 2019, à la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a jugé que le marin aujourd'hui appelant ne rapportait la preuve ni d'une faute de son employeur (directement ou par présomption), ni d'un préjudice indemnisable, y ajoutant, à ce qu'il soit jugé que Monsieur [U] ne peut obtenir l'indemnisation d'un préjudice moral au titre du délit de mise en danger de la vie d'autrui, à titre très infiniment subsidiaire et si par impossible, la Cour considérait que les appelants ont droit à la réparation d'un préjudice d'anxiété, vu l'article L.3253-6-1 du code du travail, à ce qu'il soit jugé que les sommes qui seraient alors dues au salarié seraient garanties par les AGS-CGEA.

L'UNEDIC Délégation AGS CGEA de [Localité 5] demande à la Cour de :

Vu les articles L 3253-6 à L 3253-21 du code du travail régissant le régime de garantie des salaires,

Vu l'article L 624-4 du code de commerce,

Vu les articles 6 et 9 du code de procédure civile,

Vu la mise en cause de I'AGS/CGEA par Monsieur [U] sur le fondement de l'article L625-3 du Code de Commerce,

Vu l'arrêt rendu par la Cour de Cassation le 11 septembre 2019,

Vu l'article 3253-6 du code du travail,

Donner acte au concluant de ce qu'il s'en rapporte sur le fond à l'argumentation développée par l'employeur de Monsieur [U] représenté par son mandataire liquidateur,

Confirmer le jugement déféré en ce qu'il a jugé que Monsieur [U] ne rapportait la preuve ni d'une faute de son employeur (directement ou par présomption), ni d'un préjudice indemnisable ;

Débouter de surcroit Monsieur [U] de sa demande d'indemnisation au titre du délit de mise en danger de la vie d'autrui ;

En tout état concernant la demande relative à la mise en danger de la vie d'autrui, dire et juger que s'il était fait droit à la demande, l'AGS CGEA sera purement et simplement mis hors de cause et que la somme susceptible d'être allouée à Monsieur [U] sera déclarée inopposable au concluant.

Infiniment subsidiairement,

Dire et juger, en tout état de cause, que le montant des dommages et intérêts pour préjudice d'anxiété sera réduit à plus juste proportion en fonction des pièces produites par Monsieur [U] qui ne pourra pas se contenter de demander une somme forfaitaire identique aux autres marins, mais qui devra individualiser son préjudice,

Dire et juger que le montant de l'avance de 5.000 euros avancée par I'AGS CGEA en exécution de l'arrêt du 22 septembre 2017 sera déduite de l'indemnisation accordée à Monsieur [U] dans l'hypothèse où la somme allouée serait supérieure à ce montant,

En tout état de cause,

Débouter Monsieur [U] de toute demande de condamnation au paiement d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et en tout état déclarer le montant des sommes allouées inopposable à I'AGS CGEA.

En tout état constater et fixer en deniers ou quittances les créances de Monsieur [U] selon les dispositions de articles L 3253-6 à L 3253-21 et D 3253-1 à D.3253-6 du Code du Travail.

Dire et juger que I'AGS ne devra procéder à l'avance des créances visées à l'article L.3253-8 et suivants du Code du Travail que dans les termes et conditions résultant des dispositions des articles L 3253-19 et L 3253-17 du Code du Travail, limitées au plafond de garantie applicable, en vertu des articles L3253-17 et D 3253-5 du Code du Travail, plafonds qui incluent les cotisations et contributions sociales et salariales d'origine légale, ou d'origine conventionnelle imposées par la loi, ainsi que la retenue à la source prévue à l'article 204 A du code général des impôts,

Dire et juger que les créances fixées seront payables sur présentation d'un relevé de créance par le mandataire judicaire, et sur justification par celui-ci de l'absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement en vertu de l'article L.3253-20 du Code du Travail.

Dire et juger que le jugement d'ouverture de la procédure collective a entraîné l'arrêt des intérêts légaux et conventionnels en vertu de l'article L.622-28 du Code de Commerce.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties, il y a lieu de se référer aux décisions intervenues dans ce litige et aux écritures déposées, oralement reprises.

SUR CE :

Sur la mise hors de cause du liquidateur amiable :

Par effet du jugement du 20 novembre 2015 du tribunal de commerce de Marseille ayant prononcé la liquidation judiciaire de la SOCIETE NATIONALE MARITIME CORSE MEDITERRANEE (SNCM), seule la SCP [V]. [L] & A. LAGEAT, désignée mandataire liquidateur de la SNCM, peut exercer les droits et actions de la société liquidée, en vertu des dispositions de l'article L.641-9 du code de commerce.

Dans ces conditions, il convient d'ordonner la mise hors de cause de Maître [W] [S], qui avait été désigné liquidateur amiable par décision de l'Assemblée Générale de la SNCM en date du 26 octobre 2016.

Sur la demande d'indemnisation du préjudice d'anxiété :

Monsieur [W] [U] fait valoir qu'il existe une présomption de manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat en ce qui concerne l'exposition à l'amiante, le salarié ayant exercé des fonctions listées "fonctions amiante" à bord de navires comportant des équipements contenant de l'amiante (c'est-à-dire des navires construits avant le 31 décembre 1998), que la SNCM est une entreprise amiante puisque les arrêtés (arrêtés du 7 juillet 2000 et du 26 mai 2015) visent l'entreprise dans son intégralité, les navires, éléments corporels, faisant partie intégrante de la SNCM en tant qu'entreprise amiante, que le concluant démontre par son relevé de navigation et l'attestation d'exposition à l'amiante qui lui a été remise qu'il a exercé des fonctions "amiante".

Il soutient que, si la Cour devait dénier au demandeur le bénéfice de la présomption de préjudice d'anxiété, il lui appartiendrait néanmoins de retenir que l'employeur, qui avait pour obligation d'assurer la sécurité du salarié et qui avait connaissance des risques afférents à l'exposition aux poussières d'amiante, ne démontre pas avoir pris toutes les mesures nécessaires pour préserver ses salariés alors qu'il est incontestable que la réglementation antérieure aux décrets n° 96-97 et 96-98 du 7 février 1996 et n° 96-1133 du 24 décembre 1996 imposait déjà aux employeurs de protéger leurs salariés contre l'inhalation des poussières d'amiante, que même postérieurement aux décrets de 1996, la SNCM n'a pas rempli ses obligations, le problème de l'amiante persistant y compris jusqu'en 2014, manifestement pour des raisons budgétaires.

Il relève qu'il a bien subi un préjudice en raison des manquements commis par son employeur, préjudice indiscutable et nécessairement en lien avec l'exposition aux poussières d'amiante, préjudice correspondant à une situation d'inquiétude face au risque de déclarer à tout moment une maladie liée à l'amiante, pathologie mettant en jeu le pronostic vital.

La SCP [V] [L] & A. LAGEAT ès qualités de mandataire liquidateur de la SOCIETE NATIONALE MARITIME CORSE MEDITERRANEE (SNCM) fait valoir que l'appelant ne peut se contenter d'affirmer qu'il a été exposé à de l'amiante durant sa vie professionnelle, mais doit rapporter la preuve de ce que son employeur a commis une faute au regard de son obligation de sécurité, qu'il ne peut bénéficier d'un régime de présomption, qu'il doit démontrer non seulement qu'il aurait été en contact avec de l'amiante durant son activité professionnelle, mais qu'il a été exposé à un risque d'inhalation de fibres d'amiante de manière habituelle et dans des proportions dangereuses, générant un risque élevé de développer une pathologie grave, qu'en l'espèce, l'appelant ne rapporte aucune preuve en ce sens, se contentant de procéder par voie d'affirmations et de considérations générales, que la seule présence d'amiante dans des matériaux non friables n'expose pas les marins à l'inhalation de fibres d'amiante, qui ne pourrait intervenir que si les salariés effectuaient des travaux sur des matériaux amiantés, ce qui n'est pas établi au cas d'espèce, que l'appelant n'apporte aucune preuve utile de son exposition fautive aux fibres d'amiante, que pour sa part, le mandataire liquidateur est en revanche en mesure de démontrer que la SNCM n'a pas commis de faute et n'a pas méconnu l'obligation de sécurité-résultat à laquelle elle était tenue, que c'est seulement à compter du mois de mai 1996 (décret n° 96-445 du 22 mai 1996) que la SNCM devait avoir conscience des dangers de l'exposition de ses salariés au risque d'inhalation des fibres d'amiante, que certains navires n'ont jamais contenu d'amiante [Paglia Orba, Danielle Casanova, Pasiphae Palace (ou Jean Nicoli), Pascal Paoli], que concernant les autres navires, les seuils fixés en la matière par les pouvoirs publics n'ont jamais été atteints, qu'il n'a jamais été détecté, sur l'ensemble des navires, de fibres d'amiante au-delà des valeurs d'exposition dans des conditions de nature à porter atteinte à la santé des marins comme des passagers et qu'aucune faute ne peut être retenue à l'encontre de la SNCM.

A titre subsidiaire, le mandataire liquidateur de la SNCM rappelle que, dans le droit commun de la responsabilité contractuelle applicable à l'espèce, il appartient au demandeur de démontrer son préjudice et le lien de causalité pouvant exister entre le préjudice et la faute reprochée, que l'appelant ne prend en l'espèce la peine ni d'expliciter ce qu'a pu être son préjudice d'anxiété, ni de documenter ce préjudice, se contentant d'affirmer que "pour la Haute Cour, le préjudice d'anxiété est présumé du fait de l'accomplissement d'un travail salarié dans un établissement classé amiante", alors que la Cour de Cassation décide aujourd'hui de manière constante que le salarié doit caractériser un préjudice personnellement subi, qu'en l'état, Monsieur [U], qui ne dit pas un mot sur son prétendu préjudice, ne peut évidemment obtenir quelque somme que ce soit à titre de dommages-intérêts.

Le CGEA de [Localité 5] soutient que la Cour de cassation a constaté, dans son arrêt du 11 septembre 2019, que Monsieur [U], comme les autres marins, n'avait pas travaillé dans un établissement mentionné à l'article 41 de la loi n° 98.1194 du 23 décembre 1998, que dans ces conditions, Monsieur [U] ne peut venir prétendre au bénéfice d'une présomption mais doit démontrer, au-delà de son activité en contact avec l'amiante, qu'il a été exposé à un risque d'inhalation de fibres d'amiante dans des proportions dangereuses par la faute de l'employeur, en application des règles de droit commun régissant l'obligation de sécurité de l'employeur, qu'en l'espèce, Monsieur [U] ne rapporte aucune preuve matériellement vérifiable, procédant uniquement par affirmations, que le concluant s'en rapporte aux explications très précises et détaillées du mandataire liquidateur et que Monsieur [U] doit être débouté de sa demande d'indemnisation au titre du préjudice d'anxiété, ne rapportant la preuve ni d'une faute de son employeur, ni d'un préjudice indemnisable.

***************

Il n'est plus discuté devant la Cour de céans que le régime de cessation anticipée d'activité pour les salariés marins ayant exercé des fonctions à la machine à bord de navires comportant des équipements contenant de l'amiante (selon la date de construction des navires) n'est pas assimilable au régime ACAATA prévu par l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 et que Monsieur [W] [U] ne bénéficie pas, à ce titre, d'une présomption de préjudice d'anxiété indemnisable.

Ce dernier doit, en application des règles de droit commun régissant l'obligation de sécurité de l'employeur, justifier d'une exposition à l'amiante, générant un risque élevé de développer une pathologie grave, et d'un préjudice d'anxiété personnellement subi résultant d'une telle exposition.

En l'espèce, Monsieur [W] [U] ne fait état que d'un préjudice "indicutable" résultant "nécessairement" d'une exposition aux poussières d'amiante entraînant un risque de développer à tout moment une pathologie grave potentiellement mortelle. Il ne verse aucune pièce aux fins d'établir son état d'inquiétude ou d'angoisse, ne justifie pas plus d'un suivi ou d'une surveillance médicale rendue nécessaire du fait de l'exposition à un risque pour sa santé et ne démontre pas avoir subi directement et personnellement un préjudice d'anxiété en lien avec un manquement de la SNCM à ses obligations contractuelles.

À défaut de rapporter la preuve d'un préjudice d'anxiété, la Cour confirme le jugement rendu le 5 janvier 2016 par le tribunal d'instance de Marseille en ce qu'il a débouté Monsieur [W] [U] de sa demande d'indemnisation d'un préjudice d'anxiété.

Sur la demande d'indemnisation relative à la mise en danger de la vie d'autrui :

Monsieur [U] demande également la condamnation de l'employeur à lui verser des dommages-intérêts sur le fondement de l'article 121-3 du code pénal, au titre du délit de mise en danger de la vie d'autrui, estimant être fondé à formuler sa demande devant la juridiction civile conformément aux articles 4 et 4-1 du code de procédure pénale. Il soutient qu'il suffit qu'il soit établi que l'employeur a commis l'infraction de mise en danger délibérée de la vie d'autrui, le préjudice découlant du fait de la mise en danger de la vie d'autrui étant différent du préjudice d'anxiété, la mise en danger de la vie d'autrui ne nécessitant pas la réalisation d'un préjudice puisque c'est le seul fait de faire courir un risque qui ouvre droit au paiement de dommages et intérêts et que le concluant doit être reçu en ses demandes.

La SCP [V] [L] & A. LAGEAT ès qualités de mandataire liquidateur de la SNCM réplique que, si l'article 4 du code de procédure pénale permet comme l'indique l'appelant l'exercice de l'action civile séparément de l'action publique, c'est à la condition que :

-l'action publique n'ait pas elle-même été initiée devant la juridiction pénale ; or, en l'espèce, le liquidateur est informé - sans qu'il n'ait pour l'instant toutes précisions sur le sujet - qu'une plainte avec constitution de partie civile a été déposée bien avant la liquidation judiciaire contre la SNCM pour une infraction d'homicide involontaire et mise en danger de la vie d'autrui devant le doyen des juges d'instruction de Marseille, précisément à raison d'une prétendue exposition à l'amiante ;

-la question relative à l'existence ou à l'inexistence du délit ait pu elle-même être appréciée par l'autorité naturellement compétente ; qu'il est aujourd'hui radicalement impossible de demander à une juridiction civile statuant en matière sociale de condamner un employeur sur le fondement d'une obligation qui découlerait de la commission d'une infraction pénale, alors qu'aucune juridiction pénale ne se serait au préalable prononcée sur la constitution ou non du délit, notamment en son élément moral, qui suppose une mise en danger "délibérée" et donc consciente et volontaire de la vie d'autrui ; qu'aucune juridiction pénale - ni même d'ailleurs aucune juridiction civile - n'a décidé que le fait d'exposer des salariés à de l'amiante (à supposer que cette exposition soit avérée) puisse caractériser le délit pénal d'homicide ou de blessures involontaires ou même de mise en danger délibérée de la vie d'autrui, que faute pour la juridiction civile aujourd'hui saisie de pouvoir caractériser les négligences ou le degré de conscience coupable qu'aurait pu avoir la SNCM sur la question de l'amiante, il ne pourra être fait droit aux demandes des marins appelants.

Le CGEA de [Localité 5] fait valoir qu'il est impossible de demander à une juridiction civile statuant en matière sociale de condamner un employeur sur le fondement d'une obligation qui découlerait de la commission d'une infraction pénale alors qu'aucune juridiction pénale ne se serait au préalable prononcée sur la question de savoir si le délit, qui servirait de base à la responsabilité aujourd'hui recherchée, serait ou non constitué, que faute pour la Cour de pouvoir établir les négligences ou la connaissance coupable qu'aurait pu avoir la SNCM pour mettre en danger la vie de ses salariés caractérisant ainsi la notion de mise en danger de la vie d'autrui, la demande ne pourra qu'être rejetée, qu'en tout état, cette demande ne concerne pas une créance résultant du contrat de travail mais se rattacherait à une action en responsabilité dirigée contre l'employeur et qu'il ne s'agit pas d'une demande susceptible d'être garantie en vertu de l'article 3253-6 du code du travail, en sorte que la somme allouée devra être déclarée inopposable à l'AGS CGEA qui sera purement et simplement mise hors de cause pour ce chef de demande.

L'existence d'une plainte ou d'une action pénale en matière de mise en danger délibérée de la vie d'autrui n'est pas établie en l'espèce.

Monsieur [W] [U] ne précise pas la nature du préjudice qu'il aurait effectivement subi, différent selon lui du préjudice d'anxiété.

Il ne verse aucun élément de nature à démontrer qu'il aurait personnellement souffert d'un dommage qui aurait été directement causé par une faute délictuelle commise par la SNCM.

À défaut de justifier de l'existence d'un préjudice en relation directe avec une infraction de mise en danger de la vie d'autrui qui aurait été commise par l'employeur, il convient de débouter Monsieur [W] [U] de sa demande d'indemnisation de ce chef.

Sur l'article 700 du code de procédure civile :

L'équité n'impose pas qu'il soit fait application, au cas d'espèce, des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile et en matière prud'homale,

Ordonne la mise hors de cause de Maître [W] [S] en sa qualité de liquidateur amiable de la SOCIETE NATIONALE MARITIME CORSE MEDITERRANEE (SNCM),

Confirme le jugement du tribunal d'instance de Marseille en date du 5 janvier 2016 et, y ajoutant,

Déboute Monsieur [W] [U] de ses demandes d'indemnisation,

Déclare le présent arrêt opposable à la SCP [V]. [L] & A. LAGEAT ès qualités de mandataire liquidateur de la SNCM et à l'AGS-CGEA de [Localité 5],

Condamne Monsieur [W] [U] aux dépens d'appel et dit n'y avoir lieu, en cause d'appel, à application de l'article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

Ghislaine POIRINE faisant fonction


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-1
Numéro d'arrêt : 19/17658
Date de la décision : 29/01/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2021-01-29;19.17658 ?
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