La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

07/01/2021 | FRANCE | N°19/04963

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 3-2, 07 janvier 2021, 19/04963


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 3-2



ARRÊT AU FOND

DU 07 JANVIER 2021



N° 2021/9













Rôle N° RG 19/04963 - N° Portalis DBVB-V-B7D-BEAL6







[K] [M]

[F] [S]





C/



[O] [D]









Copie exécutoire délivrée

le :

à :



Me Roselyne SIMON-THIBAUD de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,





Me Agnès CHABRE, avo

cat au barreau de TOULON









Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal de Commerce de TOULON en date du 05 Mars 2019 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 2017F00583.





APPELANTS



Madame [K] [M]

née le [Date naissance 3] 1960 à [Localit...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 3-2

ARRÊT AU FOND

DU 07 JANVIER 2021

N° 2021/9

Rôle N° RG 19/04963 - N° Portalis DBVB-V-B7D-BEAL6

[K] [M]

[F] [S]

C/

[O] [D]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Roselyne SIMON-THIBAUD de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,

Me Agnès CHABRE, avocat au barreau de TOULON

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Commerce de TOULON en date du 05 Mars 2019 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 2017F00583.

APPELANTS

Madame [K] [M]

née le [Date naissance 3] 1960 à [Localité 9] ([Localité 9]), demeurant [Adresse 4]

représentée par Me Roselyne SIMON-THIBAUD de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,

assistée de Me Lucien SIMON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, plaidant

Monsieur [F] [S]

né le [Date naissance 6] 1985 à [Localité 8] ([Localité 8]), demeurant [Adresse 5]

représenté par Me Roselyne SIMON-THIBAUD de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

assisté de Me Lucien SIMON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, plaidant

INTIME

Maître [O] [D]

ès qualités de Liquidateur Judiciaire de la Société AUTO CONCEPT VENELLES, Société à Responsabilité Limitée au capital de 2 000,00 euros, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés d'AIX EN PROVENCE sous le numéro 512 994 260, dont le siège social est fixé à [Adresse 1], et anciennement situé sis à [Adresse 2].

Régulièrement désigné à cette fonction aux termes d'un Jugement rendu le 20 mai 2014 par le Tribunal de commerce de Toulon, demeurant [Adresse 7]

représenté par Me Agnès CHABRE, avocat au barreau de TOULON

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 18 Novembre 2020 en audience publique devant la cour composée de :

Madame Michèle LIS-SCHAAL, Président de chambre

Mme Marie-Pierre FOURNIER, Conseiller rapporteur

Madame Muriel VASSAIL, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Chantal DESSI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 07 Janvier 2021.

MINISTERE PUBLIC :

Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 07 Janvier 2021,

Signé par Madame Michèle LIS-SCHAAL, Président de chambre et Madame Chantal DESSI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

Faits et procédure:

La sarl Auto Concept Venelles, dont l'activité était le négoce de véhicules, a transféré à Venelles son siège social initialement fixé à [Localité 10]. Elle était gérée par une des associés, [K] [M], dont le fils, [F] [S], également associé, occupait les fonctions de directeur commercial.

Mis en examen du chef d'escroquerie à la TVA en bande organisée, ils ont été placés le 28 juin 2013 sous contrôle judiciaire avec interdiction d'exercer toute activité commerciale en lien avec la vente de véhicules.

Sur déclaration de cessation des paiements du nouveau gérant, le tribunal de commerce de Toulon a ouvert une procédure de redressement judiciaire par jugement du 17 décembre 2013 convertie en liquidation judiciaire par jugement du 20 mai 2014. La date de cessation des paiements a été fixée au 29 novembre 2013.

Par jugement du 5 mars 2019 rendu sur assignation du liquidateur, Maître [O] [D], le tribunal de commerce a rejeté la demande de sursis à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure pénale en cours, constaté que les fautes de gestion commises par [K] [M], gérante de droit et par [F] [S], gérant de fait, avaient contribué à l'insuffisance d'actif de la liquidation judiciaire et les a condamnés in solidum à payer la somme de 1.000.000 d'euros sur le fondement de l'article L 651-2 du code de commerce.

Les premiers juges ont estimé que les appelants, dans le cadre de leur activité de négoce de véhicules d'occasion, avaient fondé leur modèle économique sur une fraude systématique à la TVA qui leur permettait de pratiquer des prix en dessous de ceux du marché et supposait notamment de fournir des fausses factures d'acquisitions intracommunautaires de véhicules. Ils ont retenu à l'encontre des appelants les trois fautes de gestion suivantes: inobservation de la législation fiscale, tenue d'une comptabilité irrégulière et incompétence manifeste et relevé que le redressement de TVA effectué par l'administration fiscale s'élevait à la somme de 1.123.713 euros représentant les deux tiers du passif de la société.

Par déclaration au greffe du 26 mars 2019, [K] [M] et [F] [S] ont interjeté appel de ce jugement.

Dans leurs dernières conclusions signifiées par Rpva le 5 juin 2019, les appelants demandent à la cour:

-de réformer le jugement en toutes ses dispositions,

-à titre principal d'ordonner le sursis à statuer dans l'attente de l'issue des procédures pénales en cours,

- à titre subsidiaire d'ordonner une mesure d'instruction sur le fondement de l'article L 651-4 tendant à charger le juge-commissaire ou, à défaut, un membre de la juridiction à l'effet d'obtenir communication de tout document ou information sur la situation patrimoniale des dirigeants, ainsi que les revenus de ces derniers, afin de respecter le principe de proportionnalité de la sanction dont le prononcé est envisagé à leur encontre,

-à titre infiniment subsidiaire de débouter Maître [O] [D] de toutes ses demandes et le condamner au paiement de la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

[K] [M] et [F] [S] soutiennent que les poursuites pénales en cours ' l'instruction ouverte du chef d'escroquerie en bande organisée et la plainte de l'administration fiscale du chef de fraude fiscale ' font obstacle au prononcé d'une sanction personnelle à leur encontre, dès lors qu'ils sont susceptibles d'être condamnés à supporter solidairement avec la société liquidée les sommes prétendument fraudées.

Ils font par ailleurs observer à la cour que l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif étant soumise au respect du principe de proportionnalité, la cour ne pourra se prononcer sans prendre en considération leur situation de fortune: aussi estiment-ils indispensables qu'elle obtienne préalablement communication de toute information sur leur situation patrimoniale et leurs revenus.

Ils sollicitent enfin la réformation du jugement car le montant de l'insuffisance d'actif n'est pas encore définitivement arrêté: des actions sont actuellement en cours aux fins d'annulation de plusieurs ventes de véhicules, notamment celle d'un véhicule Ferrari d'une valeur de 225.563 euros et d'un véhicule Porsche d'une valeur de 55.000 euros dont le retour dans l'actif de la procédure permettra l'apurement partiel du passif. Ils contestent de surcroît les fautes de gestion que le liquidateur leur reproche sans toutefois les démontrer.

Dans ses dernières conclusions déposées et signifiées par Rpva le 3 juillet 2019, Maître [O] [D] sollicite la confirmation du jugement en toutes ses dispositions outre la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Après avoir souligné que l'insuffisance d'actif atteignait la somme de 1.300.000 euros, le liquidateur soutient que les agissements fautifs de [K] [M], gérante de droit de la société, et son fils [F] [S], gérant de fait, se sont perpétués pendant plusieurs années et ont conduit inévitablement à la liquidation judiciaire. L'intimé fait grief aux appelants d'avoir détourné un véhicule de marque Toyota Rav 4, un véhicule de marque Mini ainsi qu'un véhicule de marque Ferrari type 458 Spider, d'avoir éludé la TVA à hauteur de la somme de 1.123.713 euros, d'avoir tenu une comptabilité irrégulière de 2010 à 2013. Il fustige aussi l'inertie des appelants qui ont perpétué leurs pratiques malgré les contrôles fiscaux et l'accumulation des dettes fiscales.

Par avis signifié par Rpva à toutes les parties le 17 janvier 2020, le ministère public conclut à la confirmation du jugement en toutes ses dispositions, les fautes graves et multiples commises par les appelants ayant indiscutablement contribué au montant colossal de l'insuffisance d'actif constatée.

L'affaire, initialement fixée au 22 février 2020, a été renvoyée à l'audience du 20 mai 2020 à la demande des conseils des parties en raison du mouvement de grève des avocats.

Les parties se sont opposées par courrier du 7 mai 2020 à ce que l'affaire soit jugée sans audience en application de l'article 8 de l'ordonnance n°2020-304 du 25 mars 2020 et l'affaire a été fixée à l'audience du 18 novembre 2020.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 22 septembre 2020.

Motifs:

Sur le sursis à statuer:

Les appelants, invoquant la règle non bis in idem, demandent à la cour de surseoir à statuer dans l'attente de l'issue des procédures pénales en cours. En effet, ils exposent que dans le cadre d'une information judiciaire, ils sont mis en examen du chef d'escroquerie en bande organisée, faux et usage de faux pour avoir produit de fausses factures faisant état d'une TVA déjà acquittée ou de factures établies par une ou plusieurs sociétés, à l'existence réelle ou fictive, faisant faussement ou indûment apparaître l'application du régime de TVA à la marge.

Par ailleurs, la Commission des Infractions fiscales par lettre datée du 15 décembre 2015 a donné son avis favorable au dépôt d'une plainte du chef de fraude fiscale.

Or, les sommes susceptibles de leur être réclamées dans le cadre des poursuites pénales susvisées sont les mêmes que celles ayant servi à estimer l'insuffisance d'actif que le liquidateur voudrait leur faire supporter, puisque le passif pris en compte est pour l'essentiel composé de la créance fiscale déclarée à hauteur de la somme de 1.496.896 euros.

Maître [O] [D] rappelle que le pénal ne tient pas le civil en l'état et que les sommes payées par les appelants au titre de l'indemnisation du préjudice résultant de l'insuffisance d'actif seront distribuées aux créanciers et viendront en déduction des sommes que l'administration fiscale pourrait réclamer dans le cadre des instances pénales.

Poursuivis pour fraude fiscale et susceptibles d'être condamnés solidairement avec la société Auto Venelles Concept à payer les droits éludés, les appelants dont la responsabilité est par ailleurs recherchée par le liquidateur pour ne pas avoir respecté la législation fiscale, faute de gestion à l'origine de l'insuffisance d'actif de la société, ne veulent pas être condamnés à payer deux fois la même somme pour la même cause.

Cependant, la solidarité prononcée contre le dirigeant social en application de l'article 1745 du code général des impôts, qui constitue une garantie de recouvrement de la créance fiscale et ne tend pas à la réparation d'un préjudice, ne fait pas obstacle à la condamnation de ce dirigeant à supporter, à raison de la faute de gestion consistant à soustraire la société à l'établissement et au paiement de l'impôt et à omettre de passer des écritures en comptabilité, tout ou partie de l'insuffisance d'actif de la société, comprenant la dette fiscale objet de la solidarité, la contribution du dirigeant à l'insuffisance d'actif entrant dans le patrimoine de la société débitrice pour être répartie au marc le franc entre tous les créanciers et la part du produit de la condamnation du dirigeant versée au Trésor s'imputant sur le montant de sa créance ( Chambre Commerciale de la cour de cassation , 5 Septembre 2018 ' n° 17-13.626).

Par ailleurs la règle non bis in idem invoquée par les appelants, qui ne concerne que le prononcé de plusieurs sanctions pour réprimer un même fait, est étrangère à la situation soumise à la cour: les peines encourues par les anciens gérants dans le cadre des instances pénales en cours ne font donc pas obstacle à la réparation du préjudice résultant de l'insuffisance d'actif subi par les créanciers.

Enfin, comme l'intimé l'a indiqué dans ses écritures, le pénal ne tient plus le civil en état conformément à la nouvelle rédaction de l'article 4 du code de procédure pénale.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de sursis à statuer dans l'attente de l'issue des procédures pénales en cours.

Sur l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif:

Pour fixer à la somme de 1.384.299,01 euros le montant de l'insuffisance d'actif, les premiers juges ont retenu le montant du passif non provisionnel et non contesté, les avances effectuées par les AGS, deux actions en recouvrement du prix de vente d'un véhicule de marque Ferrari et d'un véhicule de marque Porsche ainsi que le montant de l'actif. Evalué avec pertinence par le tribunal et non contesté par les appelants, ce montant sera confirmé par la cour.

Parmi les quatre fautes de gestion reprochées par le liquidateur aux gérants dans son assignation, le tribunal a écarté les faits de détournement d'actif. Le dispositif des conclusions du liquidateur tendant à la confirmation pure et simple du jugement, la cour considère en application de l'article 954 alinéa 3 du code de procédure civile qu'il n'a pas formé un appel incident sur ce point même si dans le contenu de ses conclusions il fait grief aux premiers juges de ne pas avoir retenu cette faute et argumente pour caractériser les faits de détournement d'actif. Il ne sera donc pas statué sur cette faute de gestion, la cour, en l'absence d'appel incident de l'intimé, ne pouvant infirmer le jugement entrepris dans un sens défavorable à l'appelant.

La responsabilité de [K] [M] est recherchée en sa qualité de gérante de droit et celle de [F] [S] en sa qualité de gérant de fait. Ce dernier selon le liquidateur accomplissait en effet en toute indépendance des actes de gestion outrepassant ses fonctions de directeur commercial, ce qu'il n'a d'ailleurs pas contesté.

Sur les infractions à la législation fiscale et sociale :

De la lettre du 15 décembre 2015 adressée au liquidateur par la commission des infractions fiscales, il ressort que l'administration fiscale reproche à la société gérée par les appelants d'avoir organisé une fraude massive à la TVA. Après vérification de la comptabilité de la société, elle estime en effet que la société Auto Concept Venelles anciennement Auto Concept Varois s'était volontairement soustraite à l'établissement et au paiement partiel de la TVA exigible au titre de la période du 1er juin 2010 au 30 juin 2012, en déposant des déclarations mensuelles de taxes sur le chiffre d'affaires minorées, à raison de l'application abusive du régime de la marge à des opérations taxables sur le prix total, s'agissant de la revente en France, de véhicules automobiles neufs ou d'occasion, acquis sous le régime des livraisons communautaires ou auprès de professionnels français ayant facturé la taxe sur le prix total ou ayant établi des factures mentionnant à tort le régime de la marge, dès lors qu'ils avaient été acquis auprès d'assujettis revendeurs établis en Allemagne.

[K] [M] et [F] [S] ne se défendent pas sur le fond et se bornent à soutenir qu'il est prématuré de les condamner au titre de cette faute de gestion dès lors que ces mêmes faits vont nécessairement entrainer des poursuites pénales à leur encontre.

Cependant, aux termes de l'article 4 dernier alinéa du code de procédure pénale, la mise en mouvement de l'action publique n'impose pas la suspension du jugement des autres actions exercées devant la juridiction civile, de quelque nature qu'elles soient, même si la décision à intervenir au pénal est susceptible d'exercer, directement ou indirectement, une influence sur la solution du procès civil. La cour estime par ailleurs disposer d'éléments suffisants pour statuer sur cette faute de gestion.

La fraude à la TVA a consisté pour les anciens gérants de la société Auto Concept dont l'activité était le négoce de véhicules haut de gamme, à bénéficier abusivement du régime de TVA à la marge, lequel consiste à calculer la TVA due non sur le prix de vente total mais seulement sur la marge bénéficiaire réalisée par le vendeur. Bénéficiant indûment d'une TVA minorée, ils pouvaient pratiquer ensuite des prix inférieurs à ceux du marché.

Pour la TVA, l'assiette de l'imposition est en principe le prix de vente. Cependant, sous certaines conditions, les biens d'occasion bénéficient du régime dit de la marge bénéficiaire résultant des articles 312 à 341 de la Directive 2006/112/CE du conseil du 28 novembre 2006, transposé en droit français à l'article 297 A 1-I-1° du code général des impôts: l'assiette d'imposition n'est dans ce régime que la différence entre le prix d'achat et le prix de revente..

Les véhicules d'occasion sont soumis à la TVA de droit commun calculée sur le prix de vente du véhicule sauf si le fournisseur est lui-même autorisé à appliquer le régime de la TVA sur la marge bénéficiaire et l'a mentionné expressément dans sa facture.

L'enquête réalisée par l'administration fiscale dans le cadre de la vérification de la comptabilité de la société Auto Concept Venelles, dont les résultats ne sont pas véritablement discutés par les appelants dans leurs écritures, a révélé que la société achetait les véhicules auprès de deux fournisseurs français, la société Duranne Auto et la société BLF Développement, lesquels lui délivraient des factures mentionnant le régime dit de la marge bénéficiaire. Or, les véhicules ayant été acquis par ces deux fournisseurs auprès de sociétés de négoce de véhicules situées en Allemagne et soumises au régime de la TVA de droit commun, les deux fournisseurs et par suite la société Auto Concept ne pouvaient bénéficier du régime dit de la marge bénéficiaire.

Les gérants de la société Auto Concept ont acquis ces véhicules en parfaite connaissance de cause de l'application indue de la TVA sur la marge bénéficiaire. Particulièrement informés du régime d'imposition de la TVA sur les acquisitions intracommunautaires pour avoir, dans le cadre de la même société, en 2009 et en 2010, fait l'objet d'un premier redressement de TVA à la suite de la revente de véhicules achetés à une société autrichienne en appliquant indûment le régime dit de la marge bénéficiaire, ils ne pouvaient ignorer, en leur qualité de professionnels du négoce intra-communautaire de véhicules d'occasion, que les véhicules achetés à leurs deux fournisseurs ne pouvaient bénéficier du régime de la marge. Au contraire, l'administration fiscale a relevé que les appelants ont pleinement et participé au mécanisme frauduleux, pour [F] [S] en contactant lui-même directement les vendeurs allemands et pour [K] [M] en joignant des factures falsifiées aux dossiers d'immatriculation des véhicules.

Par cette fraude, les appelants ont éludé un montant de TVA de 805.844 euros au titre de l'exercice 2012-2013 ( cf pages 12 et 13 de la pièce n°19 communiquée par l'intimé).

En outre, la société ne s'acquittait plus des cotisations sociales.

Sur le défaut de tenue d'une comptabilité régulière :

Pour preuve de cette faute de gestion, le liquidateur se fonde sur les conclusions de la proposition de rectification faisant suite à la vérification de comptabilité pour la période du 1er juillet 2012 au 30 juin 2013: les services fiscaux ont en effet constaté qu'il manquait de nombreuses pièces justificatives de ventes et d'achats et qu'il existait des pièces justificatives falsifiées ou fictives en vue de bénéficier abusivement du régime de TVA sur la marge.

Selon les appelants, de tels agissements font double emploi avec la faute de gestion reprochée au titre du non-respect des obligations fiscales.

La fraude fiscale à la TVA et la tenue d'une comptabilité irrégulière sont toutefois des faits distincts, les irrégularités comptables, notamment les factures de vente de véhicules mentionnant indûment le régime de TVA sur la marge bénéficiaire, ayant permis la réalisation et la dissimulation de la fraude que seul un examen approfondi de la comptabilité a permis de détecter.

Les faits de tenue d'une comptabilité irrégulière ou fictive sont caractérisés par l'administration fiscale qui a relevé dans sa proposition de rectification du 27 novembre 2014 que manquaient dans la comptabilité la quasi-totalité des pièces justificatives des ventes ainsi que des factures d'achats de véhicules pourtant enregistrés en comptabilité pour un montant total de 3.072.922,47 euros ( cf page 20 de la pièce n°17 Communiquée par le liquidateur, annexe 1 tableau intitulé «' achats sans factures d'achat'»). Ont été également découvertes dans la comptabilité des factures d'achat de véhicules établies par les fournisseurs Duranne Autos et BLF Développement portant la mention: «' TVA calculée sur la marge en vertu de l'article 297-1 du CGI'» alors qu'en réalité ces deux fournisseurs les avait acquis auprès de négociants allemands dans le cadre de livraisons intra-communautaires taxables selon le droit commun. Ces fausses factures s'élèvent à la somme totale de 648.850 euros ( cf page 20 de la pièce n°17 Communiquée par le liquidateur, annexe 1 tableau intitulé «'achats facturés abusivement selon le régime de la marge'»). Il a été de surcroît constaté que le registre des ventes de véhicules n'était pas tenu correctement, n'étant ni à jour, ni coté ni paraphé.

Sur l'incompétence manifeste des dirigeants en matière de gestion:

Le liquidateur déduit l'incompétence manifeste des deux appelants en matière de gestion de ce qu'ils n'ont pas changé leur manière d'opérer en dépit des divers contrôles fiscaux intervenus et qn'ils ne tenaient même pas une comptabilité régulière.

[K] [M] et [F] [S] invoquent les dispositions de l'article L. 651-2 du code de commerce selon lesquelles, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée.

Pour retenir à leur encontre cette faute de gestion, les premiers juges ont estimé que les comportements fautifs de [K] [M] et [F] [S] allaient bien au-delà de la négligence et s'assimilaient à une incompétence manifeste en matière de gestion.

La cour infirmera le jugement et ne retiendra pas l'incompétence manifeste en matière de gestion alléguée par le liquidateur. En effet, les agissements concrets mis en exergue par le liquidateur pour étayer cette faute de gestion sont exactement les mêmes que ceux fondant les deux fautes de gestion précédentes, à savoir l'inobservation de la législation fiscale et la tenue d'une comptabilité irrégulière. Les fautes de gestion commises par les appelants ne relèvent par ailleurs ni de l'incompétence ni de l'incurie mais de la mise en place délibérée d'un système frauduleux dans l'objectif déterminé d'échapper au paiement de la TVA et de pouvoir pratiquer des prix plus attractifs que leurs concurrents.

La fraude massive à la TVA et les irrégularités comptables destinées à les dissimuler sont à l'origine de l'insuffisance d'actif de la société dont le passif est composé pour l'essentiel de la TVA éludée.

[K] [M] et [F] [S] sont donc responsables du dommage subi par les créanciers découlant de l'insuffisance d'actif d'un montant de 1.384.299,01 euros.

Il n'y a pas lieu d'ordonner la mesure d'instruction sollicitée par les appelants pour cerner la consistance de leur patrimoine et de leurs revenus afin de proportionner le montant de la condamnation à leurs capacités financières.

En effet, outre qu'il leur appartient de fournir à la cour toute information qui leur paraîtrait utile sur ce point, leurs capacités financières ne sont qu'un élément d'appréciation parmi d'autres que la cour a la faculté de prendre en compte.

La cour ayant écarté une des trois fautes retenues par les premiers juges, les appelants seront condamnés solidairement en application de l'article L 651-2 du code de commerce à supporter l'insuffisance d'actif de la société Auto Concept Venelles à hauteur de la somme de 900.000 euros, justifiée par l'ampleur de la fraude à la TVA érigée en modèle économique et par la gravité des manquements aux obligations fiscales et comptables.

Il est équitable de condamner in solidum [F] [S] et [K] [M] à payer à Maître [O] [D] ès qualités la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS:

Par arrêt contradictoire rendu publiquement,

Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a retenu contre [K] [M] et [F] [S] la faute d'incompétence manifeste en matière de gestion et les a condamnés à supporter l'insuffisance d'actif de la société à hauteur de la somme de 1.000.000 d'euros,

Infirme le jugement sur ces deux points,

Statuant à nouveau,

Dit que [K] [M] et [F] [S] n'ont pas commis la faute d' incompétence manifeste en matière de gestion,

Les condamne solidairement à supporter l'insuffisance d'actif de la société Auto Concept Venelles à hauteur de la somme de 900.000 euros,

Les condamne in solidum à payer à Maître [O] [D] ès qualités la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Les condamne aux dépens.

LA GREFFIERE,LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 3-2
Numéro d'arrêt : 19/04963
Date de la décision : 07/01/2021

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence 8A, arrêt n°19/04963 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2021-01-07;19.04963 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award