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22/10/2020 | FRANCE | N°18/17485

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-7, 22 octobre 2020, 18/17485


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-7



ARRÊT AU FOND

DU 22 OCTOBRE 2020



N° 2020/ 235













Rôle N° RG 18/17485 - N° Portalis DBVB-V-B7C-BDJKI







SCI L'ETANG

SARL KENNEDY IMMO





C/



[V] [F]





















Copie exécutoire délivrée

le :

à :





SCP MAGNAN PAUL MAGNAN JOSEPH







Me Paul-victo

r BONAN





Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE en date du 11 Septembre 2018 enregistrée au répertoire général sous le n° 18/01924.





APPELANTES



SCI L'ETANG prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège, de...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-7

ARRÊT AU FOND

DU 22 OCTOBRE 2020

N° 2020/ 235

Rôle N° RG 18/17485 - N° Portalis DBVB-V-B7C-BDJKI

SCI L'ETANG

SARL KENNEDY IMMO

C/

[V] [F]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

SCP MAGNAN PAUL MAGNAN JOSEPH

Me Paul-victor BONAN

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE en date du 11 Septembre 2018 enregistrée au répertoire général sous le n° 18/01924.

APPELANTES

SCI L'ETANG prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège, demeurant [Adresse 4]

représentée par Me Joseph MAGNAN de la SCP MAGNAN PAUL MAGNAN JOSEPH, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,

assistée de Me Marie FAVRE-PICARD, avocat au barreau de MARSEILLE, plaidant

SARL KENNEDY IMMO prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège, demeurant [Adresse 4]

représentée par Me Joseph MAGNAN de la SCP MAGNAN PAUL MAGNAN JOSEPH, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,

assistée de Me Marie FAVRE-PICARD, avocat au barreau de MARSEILLE, plaidant

INTIME

Monsieur [V] [F]

né le [Date naissance 2] 1986 à [Localité 5], demeurant [Adresse 3]/FRANCE

représenté par Me Paul-victor BONAN, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 02 Septembre 2020 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Laurence DEPARIS, Conseillère, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Monsieur Yves BENHAMOU, Président de Chambre

Madame Carole MENDOZA, Conseillère

Madame Laurence DEPARIS, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Mme Natacha BARBE.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 22 Octobre 2020.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 22 Octobre 2020,

Signé par Monsieur Yves BENHAMOU, Président de Chambre et Mme Natacha BARBE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

La S.C.I. L'ETANG est propriétaire d'un bien immobilier (rez de chaussée, 1er étage, cave et entresol) sis [Adresse 1] depuis le 22 décembre 2010. La S.A.R.L. KENNEDY IMMOBILIER a cédé le 30 septembre 2013 les étages supérieurs de l'immeuble à la S.C.I. L'ETANG.

Suite à la cession du fonds de commerce de salon de thé y étant exploité (bail du 10 août 2010), en date du 1er janvier 2013, Mme [V] [F] a pris à bail le local commercial situé au rez-de-chaussée de cet immeuble.

Elle a fait réaliser des travaux à son entrée dans les lieux.

Du fait de la survenance de certains problèmes d'humidité dans les locaux, le bailleur a mandaté un ingénieur béton pour vérifier l'ensemble de l'immeuble. Le diagnostic structurel effectué, confirmé par le diagnostic de l'expert judiciaire M. [N] (désigné par le Tribunal administratif de MARSEILLE) a permis de constater qu'une cloison semi-porteuse devenue porteuse avait été abattue, mettant en péril la structure de l'immeuble.

La Mairie de [Localité 5] a pris un arrêté de péril en date du 3 octobre 2013 interdisant son occupation.

Du fait de la gravité des dégradations qu'elle imputait à sa locataire, la S.C.I. L'ETANG a fait assigner celle-ci devant le juge des référés du tribunal de grande instance de MARSEILLE afin que soit prononcée, d'une part, sa condamnation au paiement de 10.000 euros à titre de provision sur son préjudice, et d'autre part, la résiliation du bail commercial.

Par ordonnance de référé du 22 janvier 2014, le président du tribunal de grande instance de MARSEILLE a débouté la S.C.I. L'ETANG de ses demandes et a cependant autorisé Mme [F] à suspendre le paiement des loyers tant que l'arrêté de péril resterait en vigueur.

Par courrier adressé par la voie de son conseil, Mme [F] a demandé sa réintégration dans les lieux loués.

Par courrier du 26 novembre 2014, la S.C.I. L'ETANG lui a répondu que :

' - faute de notification, la cession du bail ne lui était pas opposable ;

- en tout état de cause, un réinvestissement des lieux n'était envisageable qu'à la condition qu'elle apure sa dette locative contractée avant l'arrêté de péril ;

- au surplus, étant en partie responsable de la mise en péril de l'immeuble, il lui revenait de prendre en charge une partie des frais de remise en état ainsi que ceux relatifs à la perte d'exploitation.'

La mainlevée de l'arrêté de mise en péril est intervenue le 24 mars 2015.

Mme [F] a réitéré sa demande de réintégration des lieux par courrier du 20 avril 2015, la S.C.I. L'ETANG lui faisant réponse qu'elle sollicitait le paiement des sommes de 3.895,70 euros correspondant à l'arriéré de loyer, celle de 9.846 euros correspondant à une caution équivalente à six mois de loyer, celle de 61.779,55 euros correspondant aux travaux réalisés, ainsi qu'une proposition de changement d'activité.

La S.C.I. L'ETANG a conclu un nouveau contrat de bail avec une société dénommée FUSION FOOD.

En date du 28 janvier 2016, Mme [F] a notifié à la S.C.I. L'ETANG une sommation de lui restituer les clés du local sous 48 heures.

Par acte du 8 février 2016, Mme [F] a fait assigner la S.C.I. l'ETANG devant le juge des référés du tribunal de grande instance de MARSEILLE.

Par ordonnance du 5 octobre 2016, le juge des référés a condamné la S.C.I. L'ETANG à remettre les clés à Mme [F] mais a débouté les bailleresses des demandes reconventionnelles formées. Cette ordonnance a été confirmée par un arrêt en date du 20 juillet 2017 de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence. Elle a été partiellement cassée par un arrêt en date du 11 avril 2019 de la Cour de cassation relevant l'absence d'un trouble manifestement illicite justifiant la remise des clés. Par arrêt en date du 12 décembre 2019, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a confirmé l'ordonnance déférée rejetant les demandes reconventionnelles formées par les bailleresses et l'a infirmé pour le surplus disant n'y avoir lieu à référé sur la demande de remise des clés du local commercial.

La S.C.I. L'ETANG et la S.A.R.L. KENNEDY IMMO ont formé un recours devant le Premier Président de la Cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE tendant à voir suspendre 1'exécution provisoire attachée aux dispositions de l'ordonnance du 5 octobre 2016.

Par actes des 14 novembre 2016 et 2 décembre 2016, la S.C.I. L'ETANG a fait délivrer à Mme [F] un commandement de payer visant la clause résolutoire du bail sollicitant le paiement de la somme de 3.895,70 euros au titre de loyers impayés sur la période de juillet 2013 au 3 octobre 2013.

Par assignation du 21 décembre 2016, Mme [F] a fait assigner la S.C.I. L'ETANG devant le Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE en vue d'obtenir la nullité du commandement de payer et sa condamnation au paiement de dommages et intérêts.

Selon la procédure à jour fixe, par acte du 8 février 2018, la S.A.R.L.KENNEDY IMMO et la S.C.I. L'ETANG ont fait assigner Mme [V] [F] devant le Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE aux fins de voir prononcer la résiliation judiciaire du bail commercial liant la S.C.I. L'ETANG à Mme [F] eu égard aux fautes graves lui étant imputables.

Par ordonnance de la Présidente de la 10e chambre civile du Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE rendue en date du 21 décembre 2017, la S.C.I. L'ETANG a été autorisée à assigner à jour fixe Mme [F] à l'audience du 19 avril 2018.

Par jugement en date du 11 septembre 2018, le Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE a statué ainsi :

- ORDONNE la jonction des procédures n° 17/570 et n°18/ 1924 sous le n°18/1924 ;

- ORDONNE la clôture de l'instruction de la procédure de l'affaire n° 17/570 au 12 juin 2018, jour de l'audience de plaidoiries, avant débats ;

- ORDONNE la clôture de l'instruction de la procédure de l'affaire n° 18/l 924 au 12 juin 2018, jour de l'audience de plaidoiries, avant débats;

- DÉCLARE nul et de nul effet le commandement de payer délivré les 24 novembre 2016 et 02 décembre 2016 à Mme [V] [F] ;

- DÉBOUTE la S.C.I. L'ETANG et la S.A.R.L. KENNEDY IMMO de l'ensemble de leurs demandes;

- CONDAMNE la S.C.I. L'ETANG à payer à Mme [V] [F] la somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts

- CONDAMNE in solidum la S.C.I. L'ETANG et la S.A.R.L. KENNEDY IMMO à payer à madame [V] [F] ensemble la somme de 3.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- REJETTE les demandes formulées par la S.C.I. L'ETANG et par la S.A.R.L. KENNEDY IMMO sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- CONDAMNE in solidum la S.C.I. L'ETANG et la S.A.R.L. KENNEDY IMMO aux dépens;

- ORDONNE l'exécution provisoire du présent jugement

Le tribunal a jugé, qu'eu égard au manquement du bailleur à son obligation de délivrance du fait des infiltrations dans les lieux loués dont la preuve n'était pas rapportée qu'elles soient la conséquence des travaux effectués par la locataire, les loyers n'étaient pas dus pour la période visée dans le commandement qui devait être déclaré nul et la demande en résiliation du bail en application de la clause résolutoire rejetée. Le tribunal a par ailleurs retenu que les infiltrations n'étaient pas la conséquence directe de l'abattage d'une semi-cloison porteuse dont la présence au moment de la signature du bail n'était d'ailleurs pas établie et qu'il n'était par conséquent pas établi que le péril constaté le 3 octobre 2013 était imputable aux travaux effectués par Mme [F]. Il a retenu une perte d'exploitation pour la locataire pendant l'arrêté de péril imminent et pour la période ultérieure notamment du fait de la persistance du refus de réintégration opposé par le bailleur à la locataire.

Par déclaration en date du 5 novembre 2018, la S.C.I. L'ETANG et la S.A.R.L. KENNEDY IMMO ont relevé appel de cette décision en ce qu'elle a :

- Déclaré nul et de nul effet le commandement de payer délivré les 24 novembre 2016 et 02 décembre 2016 à Mme [V] [F] ;

- Débouté la S.C.I, L'ETANG et la S.A.R.L.KENNEDY IMMO de l'ensemble de leurs demandes aux termes desquelles : la S.C.I. L'ETANG conclut au débouté de madame [F] en l'ensemble de ses demandes.

- Condamné la S.C.I. L'ETANG à payer à madame [V] [F] la somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts

- Condamné in solidum la S.C.I. L'ETANG et la S.A.R.L. KENNEDY IMMO à payer à Mme [V] [F] ensemble la somme de 3.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Rejeté les demandes formulées par la S.C.I. L'ETANG et par la S.A.R.L.KENNEDY IMMO sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Condamné in solidum la S.C.I. L'ETANG et la S.A.R.L. KENNEDY IMMO aux dépens ;

Par ordonnance en date du 29 mars 2019, le premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provence a ordonné l'arrêt de l'exécution provisoire du jugement.

Par conclusions notifiées sur le RPVA le 20 janvier 2020 auxquelles il convient de se référer pour l'exposé de leurs prétentions et de leurs moyens, la S.C.I. L'ETANG et la S.A.R.L. KENNEDY IMMO demandent de :

- INFIRMER la décision du Tribunal de Grande Instance de Marseille en date du 11septembre 2018 en ce qu'elle a :

- DECLARE nul et de nul effet le commandement de payer délivré les 24 novembre et 02 décembre 2016 à Madame [V] [F] ;

- DEBOUTE la SCI L'ETANG et la SARL KENNEDY IMMO de l'ensemble de leurs demandes aux termes desquelles :

la SCI L'ETANG conclut au débouté de Madame [F] de l'ensemble de ses demandes et sollicite sa condamnation à lui payer la somme de 4.674,84 euros avec intérêts à compter du 5 mai 2015 et capitalisation des intérêts ;

elles sollicitent la prononcé de la résolution du bail commercial avec effet au 3 octobre 2013, jour de l'arrêté de péril ;

elles sollicitent la condamnation de Madame [F] à payer à la S.C.I. L'ETANG la somme de 502.331,41 euros ;

elles sollicitent la condamnation de Madame [F] à payer la somme de 25.035,14 euros à la SARL KENNEDY IMMO avec capitalisation des intérêts échus et à échoir

elles sollicitent la condamnation de Madame [F] à payer à la S.C.I. L'ETANG et la SARL KENNEDY IMMO chacune la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du Code civil en sus des dépens.

- CONDAMNE la SCI L'ETANG à payer à Madame [F] la somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts ;

- CONDAMNE in solidum la SCI L'ETANG et la SARL KENNEDY IMMO à payer à Madame [F] ensemble la somme de 3.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- CONDAMNE in solidum la SCI L'ETANG et la SARL KENNEDY IMMO aux dépens.

EN CONSEQUENCE,

A TITRE LIMINAIRE

- DIRE ET JUGER que la demande de Madame [F] au titre de la remise des clés sous astreinte, et à défaut de dommages et intérêts pour l'indemnisation de la perte de son fonds de commerce constituent des demandes nouvelles en cause d'appel,

- PRONONCER l'irrecevabilité de la demande de Madame [F] au titre de la remise des clés sous astreinte, et à défaut de dommages et intérêts pour l'indemnisation de la perte de son fonds de commerce.

A TITRE PRINCIPAL

Sur le non paiement des loyers

- DECLARER valable le commandement de payer délivré les 24 novembre et 02 décembre 2016 à Madame [V] [F] ;

- CONSTATER le caractère inopérant de l'exception d'inexécution invoquée par Madame [F],

- CONSTATER que les loyers antérieurs à l'arrêté de péril pris par la Mairie de [Localité 5] n'ont pas été payés par Madame [F],

- DIRE ET JUGER qu'en ne payant pas ses loyers, Madame [F] a commis une faute grave de nature à entraîner le jeu de la clause résolutoire du bail commercial,

En conséquence,

- La CONDAMNER à verser à la S.C.I. L'ETANG la somme de 4.674,84 euros avec intérêts à échoir à compter du 5 mai 2015, date de la mise en demeure de la S.C.I. L'ETANG.

- ORDONNER la capitalisation des intérêts échus et à échoir

- CONSTATER le jeu de la clause résolutoire, suite aux commandements de payer des 14 novembre 2016 et 2 décembre 2016.

Sur les travaux à effectuer :

- CONSTATER que Madame [F] a fait réaliser ces travaux de manière illégale,

- DIRE ET JUGER que Madame [F] a commis une faute grave dans l'exécution de son contrat de bail, en procédant à des travaux sans autorisation du bailleur et sans faire appel à un architecte ou un bureau d'étude.

- CONSTATER que les travaux entrepris sont à l'origine de l'arrêté de péril, ou à tout le moins ont déclenché la mise en 'uvre de celui-ci,

- CONSTATER que le principe de la responsabilité de Madame [F] dans le sinistre a été mis en évidence tant par le diagnostic structurel de la Société MBA que par l'expert mandaté par le Tribunal Administratif de MARSEILLE,

- DIRE ET JUGER que cela constitue une violation tant des termes du contrat que de la loi et caractérise une faute grave, de nature à entraîner la résiliation du bail commercial, aux torts exclusifs du locataire,

En conséquence,

- PRONONCER la résolution judiciaire le bail commercial aux torts exclusifs de Madame [F], avec effet au jour de l'arrêté de mise en péril, soit le 3 octobre 2013

- CONDAMNER Madame [F] à verser les sommes de 502.331,41 euros à la S.C.I. L'ETANG et 25.035,14 euros à la S.A.R.L. KENNEDY IMMO.

- ORDONNER la capitalisation des intérêts échus et à échoir.

A TITRE SUBSIDIAIRE,

- CONSTATER l'abandon, par Madame [F], du local commercial ;

- CONSTATER l'existence d'un nouveau bail conclu par la S.C.I. L'ETANG avec un nouveau locataire, la Société FUSION FOOD en date du 4 janvier 2016 ;

- CONSTATER l'impossibilité pour la S.C.I. L'ETANG de délivrer la chose à Madame [F] ;

- DÉBOUTER Madame [F] de sa demande de remise des clés sous astreinte de 250 € par jour de retard,

En conséquence,

PRONONCER la résolution judiciaire du bail, avec effet au jour de la prise d'effet du nouveau bail, soit le 4 janvier 2016.

A TITRE SUBSIDIAIRE

- DESIGNER tel expert qu'il plaira à la Cour, avec pour mission de déterminer la part de

responsabilité de Madame [F] dans la mise en péril de l'immeuble litigieux.

SUR L'APPEL INCIDENT

- CONSTATER que Madame [F] rapporte aucun élément pour justifier d'un quelconque préjudice,

- DÉBOUTER Madame [F] de sa demande de dommage et intérêt.

- CONDAMNER Madame [F] à verser à la S.C.I. L'ETANG et à la S.A.R.L. KENNEDY IMMO la somme de 5.000 euros chacune au titre des dispositions de l'artic1e 700 du Code de procédure civile,

- La CONDAMNER aux entiers dépens distraction

Au soutien de ses demandes, les sociétés font valoir que la demande de remise des clés sous astreinte et à défaut de paiement de la somme de 200 000 euros pour la perte du fonds de commerce sont des demandes nouvelles irrecevables en cause d'appel au vu de l'article 564du code de procédure civile. Elles sollicitent la résolution du bail commercial à titre principal par le jeu de la clause résolutoire contenue dans le bail au vu des loyers impayés pour la période de juillet à octobre 2013 antérieure à l'arrêté de péril alors qu'elle ne pouvait suspendre le paiement des loyers de sa propre autorité que si l'impossibilité d'utiliser les lieux était totale ce qui n'était pas le cas en l'espèce et qu'elle n'avait pas en outre l'autorisation judiciaire de suspendre le paiement de ces loyers. Elle demande que soit constaté la disproportion de l'exception d'inexécution mise en avant par la locataire et rappelle que les nouveaux articles 1219 et 1220 du code civil ne sont pas applicables au présent litige. Elles ajoutent que la locataire n'avait pas commencé à exploiter le local commercial au moment de la découverte des infiltrations et qu'elle ne peut donc se prévaloir de ces infiltrations pour justifier l'impossibilité d'utiliser les locaux loués. Elles ajoutent que la locataire est de mauvaise foi lorsqu'elle prétend que c'est le défaut d'entretien de l'immeuble qui est à l'origine de la mise en péril de l'immeuble alors que ce sont précisément les travaux réalisés par la locataire qui sont à l'origine de cet arrêté et alors même que la locataire n'a pas fait état de ces infiltrations dans son courrier de juillet 2013, infiltrations de l'étage supérieur d'ailleurs invisibles selon le rapport d'expertise.

La bailleresse fait valoir sa bonne foi en affirmant n'avoir jamais été en possession des locaux loués, avoir du fait du silence prolongé de Mme [F] loué les lieux à une société FUSION FOOD qui occupe désormais les lieux et ne pouvoir de ce fait remettre les clés à la locataire. Elle admet dès lors que son obligation de faire aurait dû trouver une exécution en paiement de dommages et intérêts en application de l'article 1142 du code civil nécessitant que la locataire rapporte en application de l'article 1382 du code civil la preuve d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité ce qu'elle ne fait pas n'ayant jamais exploité son fonds de commerce. Elle ajoute qu'en vertu du principe de réparation intégrale du préjudice, seul son dommage doit être indemnisé, dommage limité puisque la locataire n'a jamais exploité son fonds de commerce ni développé de clientèle. Elle ajoute que le litige l'opposant à l'autre locataire Mme [D] et qu'elle ne cherche pas à dissimuler ne se prononce pas sur les travaux effectués par Mme [F].

Elles font valoir les travaux de gros oeuvre entrepris par la locataire sans son autorisation et sans intervention d'un architecte contrairement à ce qui est prévu dans le bail et considèrent qu'ainsi la locataire, qui n'est en outre pas capable de justifier correctement de la réalisation de ces travaux, a manqué à son obligation d'user de la chose en bon père de famille. Elles ajoutent que cette cloison porteuse était bien existante au moment de la signature du bail contrairement à ce que retient le tribunal dans la décision déférée. Ce manquement constitue une seconde faute grave de nature à justifier la résolution judiciaire du bail.

A titre subsidiaire, la bailleresse demande de constater la résolution du bail en raison de l'impossibilité de délivrer la chose louée du fait du nouveau bail conclu en application de l'article 1741 du code civil et ainsi que l'ont déjà jugé le juge de l'exécution du Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE par jugement en date du 15 mai 2018 et la cour d'appel d'Aix-en-Provence par arrêt en date du 12 décembre 2019.

Elles ajoutent que l'attribution de la somme de 100 000 euros de dommages et intérêts à la locataire par le tribunal de grande instance de MARSEILLE n'est pas motivée et ne peut résulter de simples considérations d'équité, rappelant que la locataire n'a pas exploité les lieux du mois de février 2013 à juillet 2013 sans que cela ne lui soit imputable et que par la suite, comme elle n'a jamais exploité, seule une éventuelle perte de chance d'exploiter serait réparable ce qui n'a pas été demandé. Elles indiquent par ailleurs que la perte du fonds de commerce et la perte de la clientèle ne peuvent être évaluées, le prix de cession du fonds étant demeuré inconnu et payé en espèces.

Elles sollicitent enfin paiement des loyers impayés outre une clause pénale contractuellement prévue et des sommes nécessaires à la remise en état du bien rendu nécessaire par les travaux effectués par le locataire.

Par conclusions notifiées sur le RPVA le 17 janvier 2020 auxquelles il convient de se référer pour l'exposé de leurs prétentions et de leurs moyens, Mme [V] [F] demande de :

INFIRMER la décision dont appel,

DÉBOUTER la S.C.I. L'ETANG et la S.A.R.L. KENNEDY IMMO de toutes leurs demandes.

DIRE ET JUGER nul et sans cause le Commandement de payer délivré les 14 novembre 2016 et le 02 décembre 2016 à la requête de la S.C.I. L'ETANG.

DIRE ET JUGER que les loyers impayés sur la période du mois de juillet 2013 au 3 octobre 2013 ne sont pas dus par la locataire.

Subsidiairement, suspendre les effets de la clause résolutoire et accorder 24 mois de délais à Madame [F].

ORDONNER la remise des clés du local sis [Adresse 1] à Madame [V] [F].

CONDAMNER la S.C.I. L'ETANG à verser à Madame [V] [F] la somme de 200.000 € à titre de dommages et intérêts.

CONDAMNER la S.C.I. L'ETANG à verser à Madame [V] [F] la somme de 273.600 € au titre du préjudice de jouissance.

CONDAMNER la S.C.I. L'ETANG et la S.A.R.L. KENNEDY IMMO à verser à Madame [V]

[F] la somme de 3.000 € en application de l'article 700 du CPC.

CONDAMNER la S.C.I. L'ETANG et la S.A.R.L. KENNEDY IMMO aux dépens.

Au soutien de ses prétentions, elle fait valoir la mauvaise foi de la S.C.I. L'ETANG qui résiste à exécuter les décisions de justice, dissimule l'affaire l'opposant à Mme [D], locataire des étages supérieurs de l'immeuble.

Elle s'oppose au paiement des loyers pour la période de juillet à octobre 2013 en raison des manquements du bailleur à assurer le clos et le couvert signalé dès le mois de mai 2013 et demande subsidiairement suspension de la clause résolutoire et octroi de délais de paiement pendant 24 mois. Elle conteste avoir fait abattre une cloison semi-porteuse et ajoute que, quoiqu'il en soit, les désordres qui ont justifié l'arrêt de péril sont sans lien avec le prétendu abattage de cette cloison ainsi que l'a décidé le tribunal.

Elle s'oppose à l'acquisition de la clause résolutoire contestant que les loyers visés étaient dûs et la résiliation pour non paiement des loyers du fait du manquement du bailleur à son obligation de délivrance. Elle conteste avoir réalisé des travaux illégaux justifiant la résiliation du bail et soutient n'avoir réalisé que des travaux d'embellissement. Elle ajoute que la bailleresse a reloué les lieux en fraude de ses droits et que cela ne justifie pas une résiliation du bail pour impossibilité de délivrer le bien loué. Elle sollicite une indemnisation pour la perte du fonds de commerce si les clés ne peuvent lui être remises et une indemnisation de ses pertes d'exploitation et de son préjudice économique du fait de l'arrêté de péril imminent et de la résistance du bailleur à lui remettre les clés des lieux.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 22 janvier 2020.

L'affaire a été plaidée le 2 septembre 2020 et mise en délibéré au 22 octobre 2020.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la résiliation du bail commercial

Sur l'acquisition de la clause résolutoire du fait du non paiement des loyers pour la période de juillet à octobre 2013

Par actes en date du 14 novembre et 2 décembre 2016, la locataire s'est vu signifier un commandement de payer les loyers pour la période de juillet 2013 jusqu'au 1er octobre 2013 inclus pour un montant total de 3 895,70 auquel elle a formé opposition en arguant du manquement du bailleur à assurer le clos et le couvert des lieux loués.

Par ordonnance en date du 5 octobre 2016 confirmée par arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence en date du 20 juillet 2017, le juge des référés du Tribunal de Grande Instance de Marseille a rejeté la demande de provision visant ces loyers en indiquant que cette demande se heurtait à des contestations sérieuses du fait de l'absence de décompte et du signalement par la locataire dès le mois d'avril 2013 de la fermeture de son commerce et de la nécessité d'effectuer des travaux nécessaires pour reprendre son exploitation.

Aux termes de l'article 1728 du code civil et du contrat de bail, le preneur est tenu de payer le prix du bail aux termes convenu. Le bail commercial en date du 10 août 2010 liant les parties au vu de la cession de fonds de commerce intervenue entre M. [T] et Mme [F] et l'avenant au bail commercial en date du 10 août 2010 prévoit, conformément à l'article L. 145-41 du code du commerce, et en son article 18 une clause résolutoire et la résiliation de plein droit du bail en cas de commandement de payer demeuré infructueux pendant un mois.

La locataire ne conteste pas l'absence de paiement des loyers sus-visés. Cependant, dès le 14 mai 2013, elle faisait savoir par mel au bailleur avoir subi plusieurs dégâts des eaux dont une infiltration du toit et une poutre imbibée d'eau. Par mise en demeure en date du 24 juillet 2013, le conseil de la locataire mettait en demeure la bailleresse d'effectuer les travaux nécessaires pour lui permettre la reprise de son activité et la jouissance normale du local commercial en visant l'obligation d'entretien du bailleur et d'assurer la jouissance paisible des lieux au preneur. Par attestation en date du 21 janvier 2014, l'assureur de Mme [F] mentionnait, dès sa première visite en janvier 2013, des traces de moisissures laissant supposer des infiltrations d'eau au niveau de la fenêtre du premier étage, un défaut d'entretien et de conception du bâtiment constaté en avril 2013 suite à de violents orages ayant entraîné des dégâts des eaux puis la découverte, après la dépose des faux plafonds abîmés par l'eau, d'une poutre de soutènement en très mauvais état. L'assureur rapporte qu'au vu de l'importance de cette détérioration, il appartenait au propriétaire de sécuriser le local et que la locataire n'aurait pu avoir d'activité professionnelle sans risque pour sa clientèle ou elle-même et qu'elle n'aurait pas été couverte en cas d'incident au vu de ces éléments. Il ajoute que la locataire n'a pu avoir d'activité professionnelle au sein du local loué depuis la prise de possession des lieux.

Dans un diagnostic structurel établi en août 2013 par la société MBA STRUCTURE à la demande de la société KENNEDY IMMO et portant sur le renforcement du plancher bois suite à des infiltrations d'eau provenant des pathologies importantes sur la structure, il est préconisé une réparation de la fuite d'eau provenant de l'étage de dessus, la mise à sec de la zone, un étaiement sous le plancher, la mise en place de profilés et le remplacement des enfustages bois détériorées au niveau des appuis dûs aux infiltrations d'eau durant la vie du plancher.

A la suite d'un rapport d'expertise ordonné par le tribunal administratif de MARSEILLE à la demande du maire de la ville, un arrêté de péril grave et imminent est signé le 3 octobre 2013 ordonnant l'évacuation de l'immeuble et des travaux urgents à effectuer.

Par conséquent, lorsque la bailleresse délivre le commandement de payer au locataire après que le juge des référés lui a rappelé dans son ordonnance en date du 5 octobre 2016 qu'il ne pouvait prononcer la résiliation du bail et qu'aucun commandement de payer visant la clause résolutoire n'avait été délivré, elle sait délivrer un commandement pour une période au cours de laquelle l'état de l'immeuble est très dégradé ainsi qu'il résulte des documents techniques, qu'il donnera lieu à un arrêté de péril et que ses manquements à son obligation de délivrance sont évidents et graves.

Dans ces conditions, au vu des circonstances de mise en oeuvre de la clause résolutoire et de la délivrance du commandement de payer attestant de la mauvaise foi de la bailleresse à cette période, il convient de confirmer la décision du tribunal en ce qu'il a décidé que le commandement de payer ne pouvait produire effet et a rejeté la demande tendant à voir constater la résiliation du bail et la demande en paiement de loyers y afférent.

Sur la demande de résiliation du bail du fait des travaux effectués par le preneur

La bailleresse argue de la réalisation par la locataire de travaux en contrariété avec les dispositions du bail et ayant été à l'origine de la mise en péril de l'immeuble au soutien de sa demande en résiliation du bail pour manquement de la locataire. Le preneur est tenu d'user la chose louée en bon père de famille en application des articles 1728 et 1729 du code civil et de se conformer aux dispositions du bail, celui-ci prévoyant en ses articles 10.2.2 et 10.2.1 que le preneur pourra effectuer tous travaux de transformation, changement de distribution sans accord du bailleur et que les travaux affectant le gros oeuvre seront exécutés sous la surveillance d'un architecte et que le preneur ne pourra rien faire qui puisse détériorer les lieux loués.

La bailleresse reproche à la locataire d'avoir fait abattre une cloison porteuse située en sous-face de la volée d'escalier et du palier du 1er étage. L'imprécision des termes ( confusion entre poutre et cloison porteuse), dates et descriptifs utilisés par les uns et les autres ne permettent pas de savoir précisément quels sont les travaux réalisés par la locataire. Ainsi, si le diagnostic structurel établi en août 2013 note une démolition partielle d'une cloison semi-porteuse ( cloison légère devenue porteuse au fil du temps) située en face de la volée d'escalier et du palier du premier étage, aucun élément dans ce rapport ne permet de dater cette démolition. Il en est de même dans le rapport d'expertise de M. [N] qui constate cette disparition en page 5 sans la dater ni en déterminer l'origine. L'attestation de M. [L] dont l'authenticité a été contestée par ce dernier, n'apporte pas non plus, au-delà de la discussion sur son authenticité, d'élément déterminant quant aux travaux qu'il aurait pu réaliser à la demande de la locataire du fait de son imprécision puisqu'il mentionne avoir procédé ' à la dépose BA 13 ce qui a permis de mettre en évidence une vieille fuite d'eau située sur une poutre porteuse provenant du plancher supérieur'. Il ne mentionne pas dans ce document les pièces et lieux précis où il aurait effectué ces travaux et où se situe cette poutre et non cette cloison porteuse, ne précisant qu'avoir déposer une B13, à savoir une plaque de placoplâtre. Enfin, les écritures de la locataire déposées dans un précédent contentieux devant la cour et dans lesquelles elle écrit 'l'abatage de la cloison a simplement permis de révéler l'étendue de la fuite d'eau provenant des étages supérieurs' sont trop imprécises pour attester précisément de la réalisation des travaux effectués. S'il est exact que les circonstances dans lesquelles ces travaux ont été exécutés demeurent opaques et que la locataire n'a fourni ni devis ni facture, les éléments du dossier ne permettent pas d'affirmer qu'elle a procédé à l'abattage de la cloison porteuse située en sous-face de la volée d'escalier et du palier du 1er étage qui aurait nécessité l'accord du bailleur, étant d'ailleurs précisé que les cloisons en question n'étaient auparavant que des cloisons de distribution, dont la suppression relevait des travaux de changement de distribution et sont devenues, au fil du temps, porteuses.

Par ailleurs, il résulte du rapport de diagnostic structurel et du rapport d'expertise précités que l'immeuble, et plus précisément les locaux loués, étaient gravement et structurellement affectés par plusieurs désordres dont la gravité a justifié l'évacuation de l'immeuble et ont été relevés sur le plancher haut du rez-de-chaussée la présence d'une infiltration d'eau permanente au travers du plancher haut, la rupture de bois d'enfustage, des poutres de bois affaiblies, le doublage d'une poutre peu orthodoxe, des réparations de fortune des enfustages bois, la disparition des cloisons déjà mentionnée, sur le plancher haut du sous-sol un assemblage atypique des poutres métalliques dont l'âme est rongée par l'humidité, un effondrement des bois d'enfustage, sur la volée d'escalier et le palier du 1er étage, un effondrement en cours de deux à trois marches et une fissure sur une poutre. Ont été notamment préconisés en urgence l'étaiement du plancher du bas du palier du 1er étage, la vérification de l'ensemble des planchers de rez-de-chaussée et de premier étage. Les éléments techniques du dossier, peu précis sur l'origine de ces multiples désordres, évoquent effectivement des infiltrations d'eau permanentes mais laissent penser ainsi que le notait le tribunal et ainsi qu'en convient la bailleresse que la fragilisation du bâtiment est la conséquence de plusieurs facteurs.

De ces éléments, il résulte que la demande de résiliation du bail du fait des manquements de la locataire doit être rejetée. Les pièces techniques produites aux débats, à savoir le diagnostic structurel et l'expertise ordonnée par le tribunal administratif, rendent inutile la réalisation d'une nouvelle expertise telle que sollicitée par les bailleresses. Ainsi qu'indiqué plus haut, les locaux loués étaient gravement et structurellement affectés par plusieurs désordres découverts peu de temps après la signature du bail, désordres dont la gravité a rapidement justifié l'évacuation de l'immeuble et il n'y a pas lieu de retenir une responsabilité de la locataire dans cet état de l'immeuble et du fait des quelques travaux réalisés alors qu'elle a elle-même pâti rapidement d'une violation de l'obligation de délivrance des bailleresses. Par conséquent, la demande en paiement formée par la bailleresse des frais de remise en état des lieux loués évalués à 502.331,41 euros pour la S.C.I. L'ETANG et 25.035,14 euros pour la S.A.R.L. KENNEDY IMMO sera rejetée.

Sur la demande en résiliation du bail du fait de l'impossibilité de délivrer la chose

La S.C.I. L'ETANG indique avoir conclu de bonne foi un nouveau bail le 4 janvier 2016 avec une société FUSION FOOD du fait du silence de la locataire. Elle indique que cette dernière ne lui a pas répondu à son courrier en date du 26 novembre 2014 lui indiquant les conditions utiles à sa réintégration des lieux. Ce courrier, qui est adressé en réponse à une télécopie du conseil de Mme [F], atteste dès cette époque de la demande de réintégration des lieux formée dès la fin de l'année 2014 et alors que l'arrêté de péril imminent n'est toujours pas levé. Par ailleurs, le bailleur y pose des conditions telles que le paiement de l'arriéré des loyers antérieurs à l'arrêté de péril imminent et la prise en charge de frais de remise en état alors que le bail n'est pas résilié et qu'il ne peut imposer ces conditions et qu'une décision de justice a déjà rejeté ses demandes en paiement provisionnel de ses préjudices et en résiliation du bail.

Par courrier en date du 20 avril 2015, soit un mois après la levée de l'arrêté de péril imminent, la locataire demande à nouveau la réintégration dans les lieux loués, demande à laquelle la S.C.I. L'ETANG oppose à nouveau par courrier en date du 5 mai 2015 les conditions préalablement citées, outre une nouvelle difficulté quant à la nature de l'exercice de l'activité exercée dans les lieux. Suivront une sommation de restituer les clés du local signifiée à la bailleresse le 28 janvier 2016 et une assignation en date du 8 février 2016 devant le juge des référés du tribunal de grande instance de MARSEILLE pour demander sous astreinte remise des clés du local, donnant lieu à la cassation partielle évoquée plus haut. Devant ce premier juge, la bailleresse ne fera pas état à d'un nouveau bail pourtant conclu depuis plusieurs mois.

La S.C.I. L'ETANG ne peut dès lors, au vu de ces nombreux éléments, exciper de sa bonne foi pour expliquer la conclusion d'un nouveau bail. Il n'y a pas lieu dans ces conditions de prononcer la résiliation du bail aux torts de la locataire.

Toutefois, il convient de constater que la poursuite du contrat est en l'état impossible. Mme [F] maintient cependant sa demande de remise des clés pour pouvoir réintégrer les lieux loués. Cette demande, qui n'avait pas effectivement été expressément formulée en première instance, intervient en réponse aux demandes de résiliation de bail formées par la bailleresse et est recevable au vu des dispositions de l'article 564du code de procédure civile.

S'il est exact que les décisions rendues en matière de référé, à savoir en l'espèce l'arrêt de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence en date du 12 décembre 2019 intervenant après arrêt de cassation, et déboutant Mme [F] de sa demande de remise des clés, n'ont pas autorité de chose jugée, il est constant que, si l'exécution forcée en nature est la règle en matière contractuelle, en application de l'article 1142 ancien du code civil et 1221 nouveau du code civil applicable depuis le 1er octobre 2016 aux instances en cours, cette règle reçoit exception lorsque l'exécution est impossible et il en est spécialement ainsi dans le cas où le débiteur se trouve dans l'impossibilité d'exécuter son obligation de faire parce qu'il a formé une convention avec un tiers et exécuté à l'égard de celui-ci les obligations qui en dépendent et qui sont identiques à l'obligation inexécutée, quand bien même il se savait engagé par une première convention et n'a pas conclu la seconde de bonne foi vis-à-vis de son premier co-contractant. Tel est le cas de l'exécution en nature d'un contrat de bail en raison de la location du même bien à un tiers. En l'espèce, un contrat de bail liant la bailleresse et la société FUSION FOOD a bien été conclu le 4 janvier 2016. Si l'on peut s'interroger sur ce bail et sa date d'effet comme l'avait fait la cour d'appel dans l'arrêt précité au vu de la franchise de loyers pendant dix mois, de l'inscription de la société FUSION FOOD au registre du commerce et des sociétés que le 3 octobre 2016 et de l'absence de production de ce bail devant le juge des référés en première instance, il convient de prendre acte de son existence en l'absence d'autres éléments et de débouter la locataire de sa demande de remise des clés. Cependant, s'il est impératif de constater que le bail litigieux n'est plus exécutable et qu'il convient de prononcer sa résiliation, il importe de noter que cette inexécution est imputable à la bailleresse et que la résiliation du bail doit être prononcée à ses torts au vu de la gravité des manquements commis.

Il est utile d'ajouter que la bailleresse est coutumière de telles pratiques puisqu'il résulte de la décision de justice qui l'a opposé à Mme [D] qui louait les étages supérieurs du même immeuble sous forme d'hôtel meublé, que cette dernière s'est vue également privé de ses droits de locataire puisque les lieux ont été configurés pour être loués en appartement et ont été loués à des tiers au mépris de tous ses droits puisque le contrat de bail la liant à la S.C.I. L'ETANG était également toujours en cours.

Sur la réparation des préjudices subis par la locataire

Sur le préjudice résultant de la perte du fonds de commerce

Cette prétention n'avait pas été formée en première instance ainsi que le relèvent les bailleresses. Toutefois, cette demande fait suite aux décisions de la cour de cassation en date du 11 avril 2019 et de la cour d'appel d'Aix-en-Provence en date du 12 décembre 2019 constatant postérieurement au jugement déféré l'impossibilité de mettre à la charge de la bailleresse une obligation de remise des clés du fait du nouveau bail conclu. Elle se trouve dès lors recevable en application de l'article 564du code de procédure civile.

Plusieurs méthodes existent pour évaluer un fonds de commerce et notamment l'évaluation par le chiffre d'affaires consistant à prendre en compte le chiffre d'affaires moyen des trois derniers exercices, à le pondérer d'un coefficient selon la nature de l'activité et à le pondérer au vu des éléments propres au fonds concerné tels que l'état des locaux et du matériel, le loyer, la concurrence, l'emplacement géographique. En l'espèce, si quelques éléments sont connus du fait de la nature du litige, à savoir l'état des lieux et le montant du loyer, la locataire produit peu d'éléments complémentaires au soutien de sa demande, ceci résultant aussi de l'absence d'exploitation du commerce du fait de l'état des lieux, de l'arrêté de péril et de la procédure judiciaire. Elle produit toutefois un compte de résultat prévisionnel pour les années 2013 à 2015, sans que l'auteur de ce document ne soit d'ailleurs identifié, et aux termes duquel le chiffre d'affaires moyen pour cette période et pour une activité de salon de thé, snacking, est d'un montant de 183.624 euros HT. Il est d'usage pour ce type d'activité d'appliquer un coefficient de l'ordre de 40 à 100%. Ce document fait apparaître également un fonds de commerce qui aurait nécessité un investissement de 60 000 euros. L'acte d'acquisition du fonds de commerce n'est quant à lui pas du tout renseigné, tant en ce qui concerne les données comptables du fonds cédé que l'activité et le prix de cession.

Dans ces conditions, au vu des éléments au dossier, il convient d'octroyer la somme de 70 000 euros à la locataire en réparation de ce préjudice.

Sur le préjudice résultant de la privation de jouissance, de la perte d'exploitation et le préjudice économique

Il est acquis que Mme [F] a été privée de la jouissance des lieux loués depuis l'arrêté de péril intervenu le 3 octobre 2013 jusqu'à ce jour ainsi qu'elle le rappelle et qu'il en ait résulté un préjudice direct. S'agissant de la perte d'exploitation, en l'absence de toute donnée comptable émanant de Mme [F] du fait de son absence d'exploitation mais également de son prédécesseur, il apparaît que le préjudice résultant de la perte d'exploitation n'est pas certain et que seule la perte de chance dont Mme [F] ne demande pas l'indemnisation aurait pu être réparée.

Au vu de ces éléments, la somme de 30 000 sera allouée à la locataire en réparation de son préjudice résultant de la privation de jouissance des lieux loués.

Sur les demandes formées en application de l'article 700 du code de procédure civile

En équité, la somme de 3 000 euros sera allouée à Mme [F].

Sur les dépens

En application de l'article 696 du code de procédure civile, ils seront supportés par la S.C.I. L'ETANG et la S.A.R.L. KENNEDY IMMO.

PAR CES MOTIFS,

Statuant par arrêt contradictoire, rendu en dernier ressort, et par mise à disposition au greffe,

CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a condamné la S.C.I. L'ETANG à payer à Mme [F] [V] la somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts.

STATUANT A NOUVEAU ET Y AJOUTANT,

PRONONCE la résiliation du bail en date du 1er janvier 2013 liant Mme [F] [V] et la S.C.I. L'ETANG.

CONDAMNE la S.C.I. L'ETANG à payer à Mme [F] [V] la somme de 70 000 euros en réparation de la perte de son fonds de commerce et de 30 000 euros au titre de son préjudice résultant de la privation de jouissance.

DÉBOUTE Mme [F] [V] du surplus de ses demandes.

CONDAMNE la S.C.I. L'ETANG et la S.A.R.L. KENNEDY IMMO à payer la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

CONDAMNE in solidum la S.C.I. L'ETANG et la S.A.R.L. KENNEDY IMMO aux dépens.

LA GREFFIÈRE, LE PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 1-7
Numéro d'arrêt : 18/17485
Date de la décision : 22/10/2020

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence A1, arrêt n°18/17485 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-10-22;18.17485 ?
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