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10/09/2020 | FRANCE | N°19/08061

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-6, 10 septembre 2020, 19/08061


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-6



ARRÊT AU FOND

DU 10 SEPTEMBRE 2020



N° 2020/175













N° RG 19/08061



N° Portalis DBVB-V-B7D-BEJES







[C] [S]





C/



[T], [Y], [K] [E]

Organisme CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE ([9])















Copie exécutoire délivrée

le :

à :



-Me Bernard KUCHUKIAN



-SCP ERMENEUX-ARNAU

D- CAUCHI & ASSOCIES



-SCP BBLM













Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE en date du 04 Avril 2019 enregistrée au répertoire général sous le n° 15/04667.





APPELANT



Monsieur [C] [S]

N° de sécurité sociale: [XXXXXXXXXXX01]

...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-6

ARRÊT AU FOND

DU 10 SEPTEMBRE 2020

N° 2020/175

N° RG 19/08061

N° Portalis DBVB-V-B7D-BEJES

[C] [S]

C/

[T], [Y], [K] [E]

Organisme CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE ([9])

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

-Me Bernard KUCHUKIAN

-SCP ERMENEUX-ARNAUD- CAUCHI & ASSOCIES

-SCP BBLM

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE en date du 04 Avril 2019 enregistrée au répertoire général sous le n° 15/04667.

APPELANT

Monsieur [C] [S]

N° de sécurité sociale: [XXXXXXXXXXX01]

né le [Date naissance 6] 1992 à MARSEILLE (13000)

de nationalité Française,

demeurant [Adresse 7]

représenté par Me Bernard KUCHUKIAN, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMES

Monsieur [T], [Y], [K] [E]

médecin pédiatre retraité,

né le [Date naissance 3] 1954 à [Localité 15],

demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Agnès ERMENEUX de la SCP ERMENEUX-ARNAUD- CAUCHI & ASSOCIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, postulant et assisté par Me Philippe CHOULET, avocat au barreau de LYON, plaidant.

Organisme CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE ([9]),

demeurant [Adresse 8]

représentée par Me Gilles MARTHA de la SCP BBLM, avocat au barreau de MARSEILLE.

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 07 Juillet 2020 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Madame Françoise GILLY-ESCOFFIER, Conseiller, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Monsieur Jean-Wilfrid NOEL, Président

Madame Françoise GILLY-ESCOFFIER, Conseiller

Madame Anne VELLA, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Charlotte COMBARET.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 10 Septembre 2020.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 10 Septembre 2020,

Signé par Monsieur Jean-Wilfrid NOEL, Président et Madame Charlotte COMBARET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

 FAITS ET PROCÉDURE

Une fistule sacrée a été diagnostiquée chez M. [C] [S] lors de sa naissance le 26 octobre 1992 due à une malformation congénitale de nature neurologique ; une intervention chirurgicale a été pratiquée le 1er février 1993 au centre hospitalier universitaire de [10] par le professeur [G] ; parallèlement l'enfant a été suivi par M. [T] [E], pédiatre.

À partir de l'année 2000 M. [S] a souffert d'énurésie nocturne puis diurne ; il a été hospitalisé en urgence le 30 août 2004 à l'hôpital [14] et a été pris en charge par le docteur [X] pour des douleurs abdominales en rapport avec une rétention d'urine ; ce médecin l'a orienté vers le professeur [L] exerçant à l'hôpital pour enfants de [10] ; le 6 janvier 2005 au sein de cet établissement M. [S] a subi une nouvelle intervention chirurgicale par le professeur [A] consistant en une libération du cône médullaire et des racines de la queue de cheval pour refixation avec une plastie par gore-tex afin d'éviter une récidive.

Le 15 mars 2005 le professeur [A] adressait un courrier à M. [E] dans lequel il indiquait qu'il regrettait que M. [S] n'ait pas eu le suivi électro physiologique et urodynamique qu'il faisait de manière systématique pour ces pathologies, ce qui avait entraîné une vessie neurologique à bas bruits.

Considérant que ce courrier établissait des manquements de M. [E] dans sa prise en charge, M. [S] l'a assigné en responsabilité et indemnisation de son préjudice devant le tribunal de grande instance de Marseille par exploit du 10 avril 2015, délivré également à la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches du Rhône (CPAM).

Par jugement du 19 mai 2016 le tribunal a ordonné une expertise judiciaire confiée au docteurs [J] et [N] ultérieurement remplacés par les docteurs [W] et [R] puis par les docteurs [U] et [P] qui ont établi leur rapport le 12 décembre 2017.

Par jugement du 4 avril 2019 cette juridiction a :

- débouté M. [S] de l'ensemble de ses demandes,

- condamné M. [S] à payer à M. [E] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [S] aux dépens avec application de l'article 699 du code de procédure civile.

Le tribunal a rejeté la demande de nouvelle expertise formulée par M. [S] et a considéré que celui-ci ne rapportait pas la preuve d'une faute de M. [E] dans les actes de soins qu'il avait pratiqués car les troubles urinaires dont il avait souffert n'avaient pas fait l'objet de consultations auprès de ce praticien qui avait adressé son patient dès 2004 au docteur [X] urologue, car il présentait une pathologie qui imposait une prise en charge multidisciplinaire supposant une collaboration étroite entre le neurochirurgien et l'urologue pédiatre qui ne pouvait être assurée que dans un service hyper-spécialisé comme celui du professeur [L] et qu'on ne pouvait reprocher à M. [E], médecin de ville, de n'avoir pas à lui seul réalisé cette surveillance, laquelle au demeurant n'apparaissait pas systématique.

Par déclaration du 16 mai 2019 M. [S] a interjeté appel de cette décision pour :

- faire juger la faute professionnelle de M. [E] et obtenir sa condamnation à lui verser une indemnité de 2'500'000 euros et une rente mensuelle de 3 000 euros avec indexation sur le coût de la vie,

- ne pas retenir les conclusions des experts [U] et [P],

- obtenir une nouvelle mesure d'expertise confiée à deux médecins experts établis hors de [Localité 11] et de [Localité 12] du niveau universitaire de l'agrégation de médecine avec la mission initialement définie au dispositif du jugement du 19 mai 2016 et notamment au septième point de déterminer si M. [E] praticien spécialisé qui suivait M. [S] depuis sa naissance devait diriger son patient vers d'autres praticiens universitaires que ceux des hôpitaux de [Localité 11] pour disposer d'avis différents quant au traitement de la maladie, en d'autres termes de savoir s'il a été fautif de n'avoir pas suggéré d'autres pistes de traitement et au point 10 quant aux conséquences des fautes éventuelles sur l'état de santé de M. [S] avec l'examen de la perte de chance pour lui de disposer partout où besoin aurait été d'autres traitements peut-être ou sans doute meilleurs,

- obtenir sa condamnation aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile à hauteur de 5 000 euros ou d'avantage en l'état de l'évolution du procès.

Par ordonnance du 20 novembre 2019 le conseiller de la mise en état a rejeté la demande de M. [S] tendant à faire ordonner à la CPAM de verser aux débats les relevés des prestations payées pour son compte pour la période du 1er janvier 2000 au 31 décembre 2004.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

M. [S] demande à la cour dans ses conclusions du 9 février 2020, de :

Le cas échéant

En attendant, suivant la question à soumettre au conseiller de la mise en état et avoir ordonné à la CPAM de verser aux débats le simple relevé des prestations payées pour la période du 1er janvier 2000 au 31 décembre 2004 à M. [E] pour le compte de M. [S] alors sous la garde de sa mère Madame [H] [B], né le [Date naissance 4] 1965 à [Localité 13] (Israël) immatriculée à l'assurance-maladie sous le numéro [XXXXXXXXXXX05]

Et révélations tirées des productions de la CPAM quant au nombre des consultations sur M. [S] de M. [E]

- déclarer la faute professionnelle de M. [E],

- condamner M. [S] à l'indemniser par le versement d'une indemnité en capital de 2'500'000 euros et d'une rente mensuelle de 3 000 euros avec indexation de celle-ci sur le coût de la vie, indice des ménages urbains publié par l'INSEE,

- le condamner aux dépens de l'instance et au paiement de 3 000 euros au titre de participation aux frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile,

' subsidiairement

Alors qu'il existe toujours une demande tendant à dire que M. [E] n'a pas respecté ses obligations professionnelles, à déclarer sa faute professionnelle et à le condamner à l'indemniser par le versement d'une indemnité en capital de 2'500'000 euros et d'une rente mensuelle de 3 000 euros avec indexation de celle-ci sur le coût de la vie, indice des ménages urbains publié par l'INSEE, et condamner aux dépens de l'instance et au paiement de 3 000 euros au titre de participation aux frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile avec distraction le tout avec exécution provisoire du jugement à intervenir,

- ne pas retenir les conclusions des rapports des docteurs [P] et [U],

- ordonner une nouvelle expertise confiée à deux autres médecins experts du niveau universitaire de l'agrégation de médecine avec la mission initialement définie au dispositif du jugement du 19 mai 2016 ici encore précisée :

- au septième point quant à déterminer si M. [E] praticien spécialisé qui suivait M. [S] depuis sa naissance devait diriger son patient vers d'autres praticiens universitaires que ceux des hôpitaux de [Localité 11] pour disposer d'avis différents quant au traitement de la maladie, en d'autres termes à savoir s'il a été fautif de n'avoir pas suggéré d'autres pistes de traitement

- au point 10 quant aux conséquences des fautes éventuelles sur l'état de santé de M. [S] avec l'examen de la perte de chance pour lui de disposer partout où besoin aurait été d'autres traitements peut-être ou sans doute meilleurs,

- réserver les dépens en ce cas.

Il soutient essentiellement que :

- son carnet de santé établit que M. [E] a été son pédiatre habituel de sa naissance, en 1992, jusqu'à fin janvier 2005,

- alors que depuis sa naissance il avait un problème médical sérieux ayant donné lieu à des examens et traitements en milieu hospitalier M. [E] n'en a fait aucune mention dans le carnet de santé qui ne mentionne que 'des choses courantes et banales' ce qui révèle l'absence d'un suivi sérieux,

- durant près de 12 ans M. [E] ne s'est pas inquiété de l'énurésie tardive et persistante que M. [S] présentait,

- M. [E] n'a pas fait le diagnostic et n'a pas préconisé les traitements qui auraient pu éviter la situation actuelle s'ils avaient été pratiqués plus tôt ; ces fautes sont démontrées par deux lettres du docteur [X] à M. [E] notamment celle du 1er septembre 2004 qui transmet le compte-rendu d'hospitalisation de M. [S] du 19 août 2004 et précise 'la maman désire reparler avec toi de l'indication de cette thérapeutique' ,

- M. [E] s'est abstenu de diriger M. [S] vers d'autres praticiens que les praticiens hospitaliers de [Localité 11] et il a ainsi manqué à son devoir de conseil,

- l'évolution de sa pathologie à partir de l'année 2005 est la conséquence de l'absence de traitements appropriés et de l'attitude de M. [E] qui n'a rien fait alors que son attention avait été attirée sur la gravité de la situation ainsi que cela est révélé par les certificats médicaux du 23 mars 2007, du 4 janvier 2011 et du 2 janvier 2013 du professeur [L],

- son état de santé est grave, il a été reconnu invalide, ne peut pas avoir d'activité professionnelle et a des difficultés sexuelles,

- la demande d'expertise est fondée car le docteur [U] a été l'élève des praticiens hospitaliers qui l'ont suivi à [Localité 11], car aucun compte-rendu de la réunion d'expertise du 7 avril 2017 à l'hôpital Lapeyronie à [Localité 12] n'a été fait, car les experts n'ont pas sérieusement répondu aux critiques précises qu'il a formulées ni fait les recherches scientifiques qui s'imposaient,

- les conclusions des experts sont critiquables car la littérature médicale démontre que la maladie dont il est atteint n'est pas irréversible et car l'examen de son carnet de santé démontre que tous les signes de sa maladie décrits par les spécialistes étaient présents et que M. [E] ne les a pas diagnostiqués.

M. [E] demande à la cour dans ses conclusions du 5 septembre 2019, en application des articles L. 1142-1 du code de la santé publique, 145, 146 et 663 du code de procédure civile, de :

- dire irrecevable ou à tout le moins injustifié et infondé l'appel de M. [S] et confirmer en toutes ses dispositions le jugement,

- juger qu'il n'a commis aucune faute causale dans la prise en charge du demandeur et rejeter l'ensemble de ses demandes comme injustifiées et infondées,

- pour les mêmes raisons rejeter les demandes de la CPAM,

- prononcer sa mise hors de cause,

- rejeter la demande de contre expertise qui apparaît inutile et illégitime en l'absence de controverse médicale nourrie par des médecins spécialistes à l'encontre de l'avis expertal déposé par les docteurs [U] et [P],

- condamner M. [S] à lui verser la somme de 3 000 euros au titre des frais de justice non compris dans les dépens en appel en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [S] aux dépens avec distraction.

Il expose qu'après l'intervention chirurgicale du 1er février 1993, le docteur [S], père de M. [S] lui avait demandé de suivre son fils pour les pathologies pédiatriques courantes conjointement avec lui, soit vaccins, surveillance de la croissance, maladies de l'enfance et qu'il était convenu que les problèmes neurochirurgicaux seraient traités et suivis par les médecins hyper-spécialisés de l'Assistance publique de [Localité 11] comme les professeurs [G] et [A] ou le docteur [X], urologue pédiatre à l'hôpital [14] et hautement spécialisé dans les problèmes urologiques.

Il rappelle que la responsabilité médicale est fondée sur la faute et que M. [S], à l'absence de fondement juridique de l'action entreprise, l'article1134 du code civil invoqué à l'appui de la demande ne régissant pas le contentieux de la responsabilité médicale, ajoute une absence de démonstration médico-légale d'une faute.

Il relève qu'à la simple lecture du dossier médical de M. [S] et de son carnet de santé il apparaît qu'il n'était pas en charge de la pathologie de lipome dont M. [S] était atteint dès sa naissance et qu'à partir des années 2000 il n'a jamais été consulté pour des troubles d'ordre neurologique ou urologique à l'exception d'une seule fois en 2004 où il a immédiatement adressé l'enfant au docteur [X], ce qui a été confirmé par les experts judiciaires ; aucun défaut de surveillance tant au regard de l'absence de symptômes relevant de la neurologie ou de l'urologie lors des consultations qu'il a données ne peut lui être imputé, d'autant qu'entre 1999 et 2003 il a été très peu consulté et uniquement pour des pathologies pédiatriques courantes.

Il souligne que les experts ont conclu à l'absence de négligence, d'inattention, d'imprudence et de défaut de surveillance car en pareil cas la surveillance est assurée par des services spécialisés en neurologie et urologie infantile et contrairement à ce qu'avait affirmé un peu rapidement le professeur [A] le 15 février 2005 qui déplorait l'absence de surveillance électro-physiologique et aérodynamique, les experts judiciaires ont rappelé utilement, références médicales à l'appui, que 63,6 % des enfants opérés de la moelle n'ont pas été vus par un urologue.

Il ajoute qu'il n'y avait aucun élément objectif qui aurait pu l'inciter à diriger M. [S] vers d'autres praticiens universitaires que ceux choisis par son père, médecin, tous étant hautement spécialisés dans la prise en charge de la pathologie de lipome.

Il avance par ailleurs que la demande d'expertise ne pourra prospérer car contrairement à ce que soutient M. [S] aucun dire médical n'a été adressé aux experts au cours des opérations à l'exception de deux dires abordant des questions médicales et rédigés par un avocat et non par un médecin-conseil ou un médecin de recours alors que dans la phase de l'expertise médicale les débats doivent porter exclusivement sur les aspects médicaux et scientifiques auxquels les experts ont d'ailleurs répondu ; aucun élément ne permet de mettre en doute le respect du contradictoire et la loyauté des débats devant les experts et ceux-ci ne se sont pas contredits.

Il fait valoir que la partie adverse a fait preuve d'une mauvaise foi procédurale lors des opérations d'expertise notamment en soutenant que les experts auraient reçu une lettre du professeur [L] dont il n'auraient pas fait état alors qu'ils ont affirmé n'avoir reçu aucun courrier et en déposant à son encontre une plainte ordinale.

La CPAM demande à la cour dans ses conclusions du 5 septembre 2019, de :

- réserver ses droits dans l'attente de la détermination du montant définitif de sa créance,

- réserver les dépens, les intérêts légaux, les frais irrépétibles de justice ainsi que l'indemnité forfaitaire visée à l'article L. 376-1 alinéa 9 du code de la sécurité sociale.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la responsabilité

La responsabilité de M. [E] à l'égard de M. [S] est régie, pour la période antérieure à l'entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002, qui s'applique aux actes réalisés à compter du 5 septembre 2001, par l'article 1147 du code civil et pour la période échue postérieurement au 5 septembre 2001 par l'article L. 1142-1 du code de la santé publique.

Ces textes instituent une responsabilité pour faute, laquelle doit être prouvée par le patient, ainsi que son dommage et le lien de causalité entre eux.

M. [S] doit ainsi démontrer notamment que M. [E] que ne lui a pas dispensé des soins consciencieux, attentifs et conformes aux données acquises de la science.

Sur ce point les experts, le docteur [Z] [U], spécialisé en urologie et le docteur [V] [P], spécialisé en pédiatrie, dont aucun élément ne permet de mettre en doute l'impartialité, ont relevé dans leur rapport du 16 novembre 2017, après avoir examiné le carnet de santé et le dossier médical de M. [S] ainsi que l'ensemble des courriers échangés entre les divers praticiens ayant suivi M. [S] et M. [E] et les comptes-rendus des examens pratiqués, que :

- M. [S] né le [Date naissance 6] 1992 a été opéré le 22 février 1993, par le professeur [G] d'une moelle attachée basse (gros filum descendant jusqu'à S3 attaché à un lipome), dépistée à la naissance,

- le professeur [G] a indiqué dans des courriers adressés à M. [E] vouloir l'instauration d'une surveillance urologique auprès du professeur [L], urologe pédiatre, mais celle-ci n'a pas été mise en oeuvre,

- à partir de l'année 2000 M. [S] a présenté une énurésie nocturne, mise sur le compte de problèmes psychologiques liés à la séparation de ses parents, puis à partir de 2002 des pertes urinaires diurnes mais M. [E] n'a été consulté qu'une fois entre le 25 mai 1999 et le 2 juillet 2003, alors que l'enfant était âgé de 6 à 11 ans et qu'il s'agit d'une période importante dans l'acquisition de la propreté,

- en 2004 M. [E] a adressé M. [S] au docteur [X] urologue à la suite d'un traitement médicamenteux prescrit en raison d'un épisode de rétention d'urine ; le professeur [L] a diagnostiqué une vessie neurologique et a mis en place un cathétérisme intermittent ; cette évolution s'est avérée être en rapport avec une récidive de la moelle fixée qui a conduit à une nouvelle intervention chirurgicale,

- la surveillance de la vessie ne pouvait être réalisée que dans un service typer spécialisé comme celui du professeur [L] ; cette prise ne charge est classiquement pluridisciplinaire et suppose une étroite collaboration entre le neurochirurgien et l'urologue pédiatre ; la prise en charge de la pathologie de lipome présentée par M. [S] ne pouvait être assurée que par des équipes hyper-spécialisées de neurologie et d'urologie pédiatrique,

- la surveillance de la vessie n'est pas systématique ; ainsi dans une étude portant sur 114 enfants, entre 1993 et 2010, 63,6 % des enfants opérés de la moelle n'ont pas été vus par un urologue et le délai de la consultation urologique après la neurochirurgie a été de 2,1 à 2,9 ans,

- les complications urinaires et sexuelles de la pathologie de la moelle sont connues ; dans 71 % des cas il existe une altération de la paroi vésicale et dans 50 % des cas les enfants relèveront d'un cathétérisme intermittent,

- dans le cas de M. [S] le mode de révélation de la vessie pathologique a été un épisode de rétention d'urine le 1er septembre 2004,

- la prise ne charge par le professeur [L] a permis d'obtenir une fonction vésicale satisfaisante dans le contexte de la pathologie de M. [S],

- il est impossible de dire si l'absence de prise en compte des troubles mictionnels, soit énurésies nocturnes puis diurnes a pu modifier le pronostic de la vessie de M. [S],

- sur le plan sexuel le taux de dysfonctionnement érectiles est élevé, soit de 28 à 86 % des cas.

En outre les experts ont indiqué que les deux interventions chirurgicales n'ont pas permis d'empêcher l'évolution naturelle de la maladie, qu'il ne semble pas que les symptômes de vessie neurologique aient représenté un motif de consultation chez M. [E] et qu'un diagnostic plus précoce n'aurait pas empêché l'évolution naturelle de la maladie vers une paralysie vésicale définitive.

Les appréciations de ces experts qui ont répondu de façon détaillée aux dires de M. [S] ne sont pas utilement remises en cause par des documents médicaux contraires pertinents.

La demande de nouvelle expertise n'est donc pas fondée et le jugement doit être confirmé sur ce point.

Par ailleurs l'examen du carnet de santé et celui du dossier médical de M. [S] révèlent que M. [E] n'a été en charge que du suivi pédiatrique courant de l'enfant, dont les maladies infantiles et petites pathologies (varicelle, angines, rhumes...) et les vaccinations et qu'à partir de l'année 1998 les consultations chez lui se sont considérablement espacées pour devenir sporadiques.

Compte tenu de la nature de la pathologie de M. [S], nécessitant l'intervention de plusieurs praticiens hyper-spécialisés en neurologie et en urologie pédiatrique et alors que M. [E] n'avait pas la compétence ni les moyens de suivre les suites de cette pathologie ni n'avait été en charge de le faire, le patient conservant le choix du praticien et du traitement, que face à l'épisode de rétention d'urine survenu en 2004, première manifestation avérée d'une vessie pathologique, M. [E] a adressé l'enfant au docteur [X], urologue, ce qui a permis de détecter une récidive de la moelle fixée et de l'opérer, et qu'en toute hypothèse un suivi urologique plus précoce n'aurait pas permis d'éviter l'évolution vers une vessie pathologique, aucune faute en relation de cause à effet avec les dommages dont M. [S] se plaint ne peut être imputée à M. [E].

M. [S] doit donc être débouté de l'ensemble de ses demandes à l'égard de M. [E] ce qui rend sans objet les prétentions de la CPAM.

Sur les demandes annexes

Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux frais irrépétibles doivent être confirmées.

M. [S] qui succombe en son recours supportera la charge des dépens d'appel avec application de l'article 699 du code de procédure civile.

L'équité commande d'allouer à M. [E] une indemnité de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour et le rejet de la demande de M. [S] formulée au même titre.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

- Confirme le jugement,

Y ajoutant,

- Condamne M. [C] [S] à verser à M. [T] [E] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

- Déboute M. [C] [S] de sa demande au titre de ses propres frais irrépétibles d'appel,

- Condamne M. [C] [S] aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Le greffier Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 1-6
Numéro d'arrêt : 19/08061
Date de la décision : 10/09/2020

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence 10, arrêt n°19/08061 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-09-10;19.08061 ?
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