COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 3-2
ARRÊT AU FOND
DU 04 JUIN 2020
N° 2020/115
Rôle N° RG 19/09539 - N° Portalis DBVB-V-B7D-BENRQ
SELURL [B] [H]
C/
[Z] [O] épouse [P]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Julien SIMONDI, avocat au barreau de TOULON
Me Stéphane PIGNAN, avocat au barreau de MARSEILLE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Commerce de TOULON en date du 23 Mai 2019 enregistré au répertoire général sous le n° 2017F02243.
APPELANTE
SELURL CHRISTINE RIOUX
ès qualité de « Mandataire liquidateur » de la « SARLU CARRELAGE SAINT CYRIEN »,
dont le siège social est sis [Adresse 3]
représentée par Me Julien SIMONDI, avocat au barreau de TOULON, plaidant
INTIMEE
Madame [Z] [O] épouse [P]
née le [Date naissance 1] 1974 à [Localité 4], demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Stéphane PIGNAN, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Sebastien SALLES, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 04 Mars 2020 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Madame Marie-Pierre FOURNIER, Conseiller a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Michèle LIS-SCHAAL, Président de chambre
Mme Marie-Pierre FOURNIER, Conseiller
Madame Muriel VASSAIL, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Chantal DESSI.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 09 Avril 2020.
A cette date, le prononcé de la décision a été prorogé à ce jour suite aux mesures gouvernementales prévues par la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 relative à l'état d'urgence sanitaire
MINISTERE PUBLIC :
Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 04 JUIN 2020,
Signé par Madame Michèle LIS-SCHAAL, Président de chambre et Madame Chantal DESSI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Faits et procédure:
Par jugement du 27 janvier 2015, le tribunal de commerce de Toulon a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la Sarlu Carrelage Saint-Cyprien, entreprise de pose de carrelage immatriculée en 2007 et dont la gérante était [Z] [O] épouse [P].
Le redressement judiciaire a été converti en liquidation judiciaire par jugement du 12 février 2015 et la Selurl [B] [H] désignée en qualité de liquidateur.
Par acte d'huissier du 23 novembre 2017, le liquidateur a assigné [Z] [O] épouse [P] devant le tribunal aux fins de la voir condamner à supporter l'insuffisance d'actif, d'une part, et à une interdiction de gérer une société durant quinze ans, d'autre part.
Le tribunal de commerce de Toulon, par jugement du 23 mai 2019, a déclaré irrecevable l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif aux motifs que le liquidateur fondait sa demande sur un passif non déterminé et qu'il n'avait pas engagé la vérification du passif avec la gérante. Par ailleurs, le tribunal a retenu les fautes de gestion reprochées à la gérante par le liquidateur ' absence de comptabilité, défaut de paiement des dettes sociales et fiscales, détournement d'actifs - et a condamné [Z] [P] à une interdiction de gérer une société durant quinze ans.
La selurl [B] [H] es qualités a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 14 juin 2019: l'appelante a limité son appel aux dispositions du jugement aux termes desquelles le tribunal a déclaré irrecevable son action en responsabilité pour insuffisance d'actif irrecevable, l'a déboutée de sa demande sur ce point et passé les dépens en frais privilégiés de procédure collective.
Aux termes de ses conclusions déposées et signifiées le 3 juillet 2019, l'appelante demande à la cour de réformer le jugement en ce qu'il a déclaré irrecevable l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif, et, statuant à nouveau, de condamner [Z] [P] à lui payer la somme de 705.881,60 euros outre celle de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. L'appelante demande aussi à la cour de condamner l'intimée aux dépens de première instance et d'appel.
L'intimée, par conclusions déposées et notifiées le 27 février 2020, a sollicité la confirmation
du jugement en toutes ses dispositions.
Dans de nouvelles conclusions déposées et notifiées le 28 février 2020, l'appelante a conclu à l'irrecevabilité des conclusions de la partie adverse sur le fondement de l'article 905-2 du code de procédure civile, l'intimée n'ayant pas conclu dans le délai d'un mois suivant le 3 juillet 2019, date à laquelle elle a constitué avocat et a reçu notification des conclusions de l'appelante.
Cet incident de procédure a été joint au fond.
Le Ministère Public, aux termes d'un avis communiqué aux parties par Rpva le 27 février 2010, a conclu à la réformation partielle du jugement en ce qu'il a déclaré irrecevable l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif.
L'ordonnance de clôture est intervenue à l'audience.
Motifs:
Sur l'irrecevabilité des conclusions de l'intimée:
L'article 905-2 dans son deuxième alinéa impartit à l'intimé, à peine d'irrecevabilité de ses conclusions, un délai pour conclure d'une durée d'un mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant.
L'intimée a constitué avocat le 3 juillet 2019 et le même jour, l'appelante lui a notifié ses conclusions.
Les conclusions de l'intimée, notifiées le 27 février 2020, soit plus d'un mois après la date de la notification par l'appelante de ses conclusions, sont donc irrecevables.
Sur l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif:
Pour déclarer irrecevable l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif engagée par le liquidateur contre la gérante de la société Carrelage Saint-Cyprien, les premiers juges ont estimé que le liquidateur fondait son action sur un passif qui n'était pas déterminé et constaté qu'il n'avait ni procédé à la vérification du passif ni pris attache avec la gérante pour engager cette vérification.
Le liquidateur soutient devant la cour que le passif antérieur au jugement d'ouverture déclaré et admis s'élève à la somme de 705.881,60 euros et qu'aucun actif n'a été réalisé dans le cadre de la liquidation judiciaire, de sorte que l'insuffisance d'actif est certaine même en l'absence de vérification des créances. Il fait observer à la cour qu'il a dûment convoqué la gérante en vue de la vérification du passif par courrier recommandé du 13 mars 2018, d'une part, et que les créances qu'elles a contestées devant le tribunal s'élèvent à la somme totale de 300.055 euros, ce qui laisse subsister en tout état de cause une insuffisance d'actif de 405.826 euros.
Le préjudice causé à la collectivité des créanciers par l'insuffisance d'actif découle de l'impossibilité d'être réglés du montant de leurs créances dans le cadre de la procédure collective: le montant de ce préjudice est donc égal à la différence entre le montant du passif déclaré et admis et celui des actifs réalisés ou susceptibles d'être recouvrés.
Même en l'absence de vérification du passif, ce préjudice est certain si le passif non contesté est très largement supérieur à l'actif existant.
Pour justifier du passif de la société Carrelage Saint-Cyprien, le liquidateur produit la liste des créances déposée le 18 juin 2019, laquelle laisse apparaître un passif définitif de 405.826,38 euros et un passif non définitif de 300.055,22 euros constitué de l'ensemble des créances contestées par la société débitrice.
Aucun actif n'a été réalisé dans le cadre de la liquidation judiciaire et l'intimée ne rapporte pas la preuve de l'existence des éléments d'actifs d'une valeur nette comptable de 15.000 euros qu'elle a évoqué dans ses écritures de première instance en produisant un extrait du compte « état des dotations » alors même que lesdits biens ne figurent pas dans le procès-verbal de prisée des actifs.
En l'absence d'actif, l'insuffisance d'actif s'élève donc à la somme de 405.826,38 euros, montant de l'intégralité du passif déclaré et non contesté par la débitrice.
Le liquidateur reproche à l'ancienne gérante de la société Carrelage Saint-Cyprien de ne pas avoir tenu de comptabilité pour l'exercice 2014, de s'être abstenue de régler les dettes fiscales et sociales et enfin d'avoir détourné des actifs.
Devant les premiers juges, l'intimée a contesté avoir commis la moindre faute de gestion et expliqué que la déconfiture de son entreprise était intégralement imputable à la conjoncture économique et à la forte diminution des commandes.
Cependant, le liquidateur est en possession des seuls comptes annuels relatfs aux exercices 2011, 2012 et 2013, [Z] [O] épouse [P] s'étant abstenue de lui communiquer la comptabilité de l'exercice 2014. En dirigeant son entreprise durant toute l'année précédant l'ouvrture de la procédure collective sans disposer d'une comptabilité fiable, la gérante s'est privée des moyens de prendre des décisions de gestion pertinentes de sorte que l'absence fautive de tenue d'une comptabilité conforme aux règles légales au cours de l'année 2014 a contribué à l'insuffisance d'actif.
Les déclarations de créances versées aux débats par l'appelante concernent des cotisations sociales impayées durant le deuxième trimestre de l'année 2013 et les quatre trimestres de l'année 2014 ainsi que des taxations d'office en l'absence de déclaration de TVA. En ayant ainsi exposé, pendant plus d'un an, sa société à des taxations d'office et à des pénalités de retard pour n'avoir pas observé la législation fiscale et sociale, l'intimée a poursuivi l'activité au prix de l'aggravation du passif et du préjudice de la collectivité des créanciers.
Les détournements d'actifs commis par la gérante sont pareillement caractérisés. En effet, dans le bilan de l'exercice 2013 apparaissent des immobilisations corporelles d'une valeur totale de 110.038 euros, lesquelles ne sont pas mentionnées dans le procès-verbal de prisée des actifs : ces éléments d'actifs n'ont donc pas été inventoriés. L'intimée n'a pas fourni la moindre explication au liquidateur sur l'absence des éléments d'actif inscrits dans la comptabilité. Elle n'a pas indiqué qu'ils avaient été vendus et n'a pas justifié du paiement effectif de leur prix. Bien au contraire, le seul document comptable de l'exercice 2014 qu'elle a versé aux débats est un état des dotations aux amortissements pour la période de janvier à novembre 2014 sur lesquels apparaissent ces immobilisations corporelles ( véhicules, logiciel, matériel de bureau, '.) qui appartenaient donc toujours à la société en 2014 et n'ont pas été inventoriées dans le cadre de la procédure ouverte début 2015.
La comptabilité de l'entreprise faisant état d'actifs immobilisés qui ne se retrouvent pas dans l'entreprise, et à défaut d'explications de la gérante quant à la destination des biens manquants, la faute de gestion de détournements d'actifs sera retenue à son encontre. La diminution de l'actif, conséquence des détournements opérés par la gérante, est une des causes de l'insuffisance d'actif préjudiciable aux créanciers.
La cour réformera donc le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré irrecevable l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif engagée par le liquidateur à l'encontre de l'intimée et la condamnera à supporter l'insuffisance d'actif à hauteur de la somme de 350.000 euros.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et sur les dépens:
Il est équitable en cause d'appel de condamner [Z] [O] épouse [P] à payer à la selurl [B] [H] es qualités de liquidateur la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a mis les dépens à la charge de la liquidation judiciaire alors qu'il a sanctionné les fautes de gestion retenues contre la défenderesse par une mesure d'interdiction de gérer durant quinze ans.
Les dépens de l'appel comme ceux de première instance seront mis à la charge de [Z] [O] épouse [P], partie perdante.
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant publiquement et contradictoirement,
Déclare irrecevables les conclusions de Mme [P] signifiées par le RPVA le 27 février 2020;
Confirme le jugement seulement en ce qu'il a prononcé à l'encontre de [Z] [P] une mesure d'interdiction de diriger, de gérer, d'administrer ou de contrôler une société pour une durée de 15 ans et l'a condamnée au paiement de la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Réforme pour le surplus le jugement entrepris et, statuant à nouveau,
Déclare recevable l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif engagée par le liquidateur à l'ncontre de [Z] [P].
Condamne [Z] [P] à supporter l'insuffisance d'actif à hauteur de la somme de 350.000 euros.
La condamne à payer à la selurl [B] [H] la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La condamne aux dépens de première instance et d'appel.
LA GREFFIERE,LA PRESIDENTE,