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04/06/2020 | FRANCE | N°18/06567

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 3-2, 04 juin 2020, 18/06567


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 3-2



ARRÊT AU FOND

DU 04 JUIN 2020



N° 2020/109













Rôle N° RG 18/06567 - N° Portalis DBVB-V-B7C-BCJCW







Société JAIPUR LTD Anciennement dénommée FIDJI LTD





C/



[F] [B]

[I] [L]

S.A. SGB FINANCE











Copie exécutoire délivrée

le :

à :



Me Alexandra BOISRAME, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

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Me Paul GUEDJ de la SCP COHEN GUEDJ MONTERO DAVAL GUEDJ, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,















Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal de Commerce de FREJUS en date du 29 Janvier 2018 enregistré au répertoire général sous le n° 2017 00374.




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COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 3-2

ARRÊT AU FOND

DU 04 JUIN 2020

N° 2020/109

Rôle N° RG 18/06567 - N° Portalis DBVB-V-B7C-BCJCW

Société JAIPUR LTD Anciennement dénommée FIDJI LTD

C/

[F] [B]

[I] [L]

S.A. SGB FINANCE

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Alexandra BOISRAME, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

Me Paul GUEDJ de la SCP COHEN GUEDJ MONTERO DAVAL GUEDJ, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Commerce de FREJUS en date du 29 Janvier 2018 enregistré au répertoire général sous le n° 2017 00374.

APPELANTE

Société JAIPUR LTD (anciennement dénommée FIDJI LTD,

dont le siège social est sis, [Adresse 1] (SEYCHELLES)

représentée par Me Alexandra BOISRAME, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

assistée de Me Pierre-Michel LE CORRE, avocat au barreau de NICE, plaidant

INTIMES

Madame [F] [B]

agissant en sa qualité de Liquidateur Judiciaire de la SA MADRACO, société ayant son siège social sis à [Adresse 3],

demeurant [Adresse 4]

non représentée

Monsieur [I] [L]

Président de la SA MADRACO, société ayant son siège social sis [Adresse 3], immatriculée au RCS de FREJUS sous le numéro 404 367 773, dont la liquidation judiciaire a été prononcée par le Tribunal de Commerce de FREJUS en date du 28.07.2014, demeurant [Adresse 2]

non représenté

S.A. SGB FINANCE

dont le siège social est [Adresse 7], prise en la personne de son représentant légal domicilié es qualités audit siège

représentée par Me Paul GUEDJ de la SCP COHEN GUEDJ MONTERO DAVAL GUEDJ, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,

assistée de Me Christian LEQUINT, avocat au barreau de LILLE, plaidant

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 26 Février 2020 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Madame Marie-Pierre FOURNIER, Conseiller a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Madame Michèle LIS-SCHAAL, Président de chambre

Mme Marie-Pierre FOURNIER, Conseiller

Madame Muriel VASSAIL, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Chantal DESSI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 26 Mars 2020.

A cette date, le prononcé de la décision a été prorogé à ce jour suite aux mesures gouvernementales prévues par la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 relative à l'état d'urgence sanitaire 

ARRÊT

Défaut,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 4 JUIN 2020,

Signé par Madame Michèle LIS-SCHAAL, Président de chambre et Madame Chantal DESSI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

Faits et procédure:

Par acte sous seing privé du 19 juin 2012, la société Fidji Ltd, devenue la société Jaïpur Ltd , société de droit seychellois, a acheté à la société SA Madraco au prix de 650.000 euros un voilier Océanis 58 de marque Béneteau.

Par jugement du 24 juin 2013, le tribunal de commerce de Fréjus a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la SA Madraco et désigné Maître [P] [Y] en qualité d'administrateur judiciaire.

N'ayant pas reçu livraison avant l'ouverture de la procédure du voilier qu'elle avait commandé et dont elle avait payé une partie du prix, la société Fidji a saisi l'administrateur judiciaire d'une demande en acquiescement de revendication du bateau Océanis 58 par lettre recommandée avec accusé de réception du 17 juillet 2013.

Maître [Y] n'a pas acquiescé à cette demande, le voilier faisant parallèlement l'objet d'une demande en revendication de la société SGB Finance, laquelle avait prêté à la société Madraco les fonds destinés à son acquisition.

Par ordonnance du 4 février 2014, le juge-commissaire, statuant sur la requête en revendication présentée par la société Fidji Ltd, a rejeté sa demande au motif que la société SGB Finance bénéficiait d'une clause de réserve de propriété sur le voilier Océanis 58.

Par ordonnance du 7 avril 2014, le juge-commissaire, statuant sur la requête en revendication du voilier présentée par la société SGB Finance, a ordonné la restitution à la requérante dudit voilier, au motif qu'elle avait financé son achat et que le contrat de financement prévoyait une clause de réserve de propriété dont les conditions d'opposabilité étaient réunies.

La société Fidji Ltd a exercé un recours devant le tribunal de commerce de Fréjus à l'encontre des deux ordonnances susvisées.

Après avoir joint les deux recours par jugement du 17 novembre 2014 et ordonné un sursis à , le tribunal de commerce de Fréjus, par jugement du 29 janvier 2018, a prononcé l'annulation de la requête en revendication présentée par la société Fidji Ltd et l'a condamnée à payer à la société SGB Finance la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Les premiers juges ont en effet estimé qu'en utilisant dans sa requête et dans tous les actes de procédure subséquents la dénomination sociale « Fidji Ltd » alors que depuis le 30 octobre 2012, sa nouvelle dénomination sociale était « Jaïpur Ltd », la requérante n'avait pas respecté les formalités requises par l'article 58 du code de procédure civile et que les difficultés d'identification d'une partie causait un grief à la partie adverse.

Le 13 avril 2018, la société Jaïpur Ltd, anciennement dénommée Fidji Ltd, a interjeté appel de ce jugement.

Dans ses dernières conclusions déposées et signifiées par Rpva le 29 janvier 2020, la société Jaipur Ltd demande à la cour d'infirmer le jugement, de la recevoir en sa revendication portant sur le voilier Oceanis 58, de juger qu'elle en est la propriétaire et de condamner l'intimée au paiement de la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

L'appelante conclut en premier lieu au rejet de l'exception de nullité: une erreur dans la dénomination sociale d'une partie ne correspond selon elle à aucun des trois cas de nullité pour vice de fond visés par l'article 117 du code de procédure civile et ne constitue qu'un vice de forme. Elle estime que l'usage d'une ancienne dénomination de la société Jaïpur dans la requête en revendication et dans les actes suivants n'a causé aucun grief à l'intimée dont les possibilités de défense n'ont été ni empêchées ni diminuées.

Sur le fond, elle conteste le droit de propriété de la société SGB Finance, laquelle a prêté les fonds ayant servi à l'acquisition du voilier et se prévaut, suite au paiement effectué, d'une subrogation conventionnelle dans les droits du vendeur du bateau et spécialement dans la clause de réserve de propriété dont il bénéficiait.

Elle plaide en premier lieu que l'intimée ne rapporte pas la preuve qu'une telle clause de réserve de propriété a été convenue entre le vendeur (SPBI Béneteau) et l'acheteur (la société Madraco) dans le cadre de la vente du voilier.

En second lieu, elle soutient que la subrogation ex parte creditoris prévue par l'article 1250 1° du code civil n'aurait pu avoir lieu, le paiement du créancier n'ayant pas été effectué par une tierce personne. La société SGB Finance se serait bornée selon elle à verser entre les mains du vendeur les fonds prêtés à la société Madraco qui en était devenue propriétaire de sorte que ce paiement n'a pas été juridiquement effectué par un tiers, mais par l'acquéreur. L'appelante fait observer à la cour que dans son avis du 28 novembre 2016, la cour de cassation a rappelé que dans le cas où le débiteur souscrit un crédit aux fins de payer sa dette, le paiement émane du débiteur lui-même.

L'intimée, aux termes de ses dernières conclusions déposées et signifiées par Rpva le 27 janvier 2020, demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions et subsidiairement de l'autoriser à se faire restituer le bateau, de rejeter la revendication de la société Fidji Ltd dénommée actuellement Jaipur Ltd, de la débouter de toutes ses demandes et de la condamner au paiement de la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Elle demande à titre plus subsidiaire, dans l'hypothèse où le droit de propriété de l'appelante serait reconnu, de la condamner à lui payer, en sa qualité de sous-acquéreur du voilier, la fraction du prix non payée dans la limite du solde de son financement, soit la somme de 427.630,72 euros.

La société SGB Finance estime en effet que l'utilisation d'une dénomination sociale inexacte dans tous les actes de la procédure lui a fait grief en compromettant notamment les possibilités d'exécution des décisions judiciaires, la société Fidji Ltd étant une société offshore domiciliée dans un paradis fiscal.

Sur le fond, elle fait valoir que la clause de réserve de propriété a été expressément consentie entre le vendeur Béneteau et la société Madraco aux termes de l'article III§7 du contrat de concession de bateaux passé entre les sociétés Béneteau et Madraco et fait observer à la cour que le bon de conformité de l'Oceanis 58 mentionne recto et verso la subrogation de la clause de réserve de propriété au profit de la société SGB Finance.

Elle estime par ailleurs que son droit de propriété résulte de l'application du contrat-cadre du 17 janvier 2012 qu'elle a passé avec la société Madraco pour financer ses besoins professionnels, et plus particulièrement de l'article 5 dudit contrat lequel stipule que lors de chaque déblocage de fonds au profit de la société SPBI Béneteau, SGB Finance sera subrogée conventionnellement dans tous les droits et actions de SPBI Béneteau, notamment dans le bénéfice de la clause de réserve de propriété conformément aux dispositions de l'article 1250 alinéa 1 du code civil.

Après avoir rappelé que le vendeur Béneteau a bien reçu les fonds d'un tiers ' le prêteur ' et non du débiteur lui-même de sorte qu'il a pu subroger SGB Finance dans le bénéfice de la clause de réserve de propriété, l'intimée dénie à l'appelante, étrangère à la vente du bateau par la société SPBI Béneteau à la société Madraco, toute qualité à agir pour en critiquer les modalités, les conventions n'ayant d'effet qu'entre les parties contractantes selon les dispositions de l'article 1165 du code civil.

La société SGB Finance expose qu'en toute hypothèse, le prétendu droit de propriété de la société Jaïpur lui est inopposable car elle est titulaire d'un droit de rétention absolu sur toute la documentation du bateau par application de l'article 5.1.2 du contrat-cadre passé avec la société Madraco.

Subsidiairement, si la cour faisait droit à la demande de renvendication de l'appelante, elle s'estime en droit de revendiquer la fraction du prix non encore réglée par la société Jaïpur, sous-acquéreur, à la société Madraco, sur le fondement de l'article L 624-18 du code de commerce.

L'ordonnance de clôture a été fixée le 30 janvier 2020.

Motifs:

Sur la nullité de la requête en revendication présentée par la société Fidji Ltd:

Aux termes de l'article 58 du code de procédure civile, la requête doit contenir à peine de nullité, pour les personnes morales, l'indication de leur forme, leur dénomination sociale, leur siège social et de l'organe qui les représente légalement.

Il n'est pas contestable ni d'ailleurs contesté que la société Jaîpur a indiqué que sa dénomination sociale était « Fidji Ltd » dans sa requête en revendication déposée le 3 novembre 2013, dans des conclusions d'intervention volontaire ainsi que dans le recours qu'elle a formé le 10 avril 2014 contre l'ordonnance du juge-commissaire en date du 7 avril 2014, alors même qu'elle avait changé de dénomination sociale le 30 octobre 2012 et qu'à la date desdits actes de procédure, sa dénomination sociale était « Jaïpur Ltd ».

L'article 114 du code de procédure civile dispose: « Aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n'en est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d'inobservation d'une formalité substantielle ou d'ordre public. La nullité ne peut être prononcée qu'à charge pour l'adversaire qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité, même lorsqu'il s'agit d'une formalité substantielle ou d'ordre public. »

L'intimée fait observer à la cour que l'appelante n'a révélé sa véritable dénomination sociale que dans ses conclusions du 4 mars 2017 et que l'utilisation d'une fausse dénomination sociale était de nature à entraver le cours normal des procédures en cours telle que l'exécution de condamnations déjà prononcées contre elle par la cour d'appel d'Aix-en-Provence le 28 avril 2016. Selon la société SGB Finance, l'opacité de la partie adverse, société offshore établie dans un paradis fiscal dont l'identité n'est établie que par de simples copies de documents non traduits en français et d'attestations de personnes privées et qui a utilisé dans sa requête une fausse dénomination sociale rend son identification difficile et lui cause de ce fait un grief.

L'intimée ne justifie pas que l'utilisation de son ancienne dénomination sociale par la société Jaïpur dans la requête en revendication et dans deux actes de procédure suivants lui ont causé un grief, alors même que la société Jaïpur a utilisé son actuelle dénomination sociale dans des conclusions ultérieures de sorte qu'il ne subsistait plus aucun doute sur le nom de la partie adverse et que les difficultés d'identification alléguées ne sont pas démontrées.

Le jugement qui a annulé la requête et les actes subséquents sera donc infirmé et la cour évoquera le fond du litige conformément aux dispositions de l'article 568 du code de procédure civile.

Au fond:

Sur la revendication du voilier Océanis 58:

La clause de réserve de propriété est une sûreté qui suspend le transfert de propriété jusqu'à complet paiement du prix.

Dans le cadre de la subrogation conventionnelle prévue par l'ancien article 1250 alinéa 1 du code civil, applicable aux faits de la présente espèce, le créancier qui a reçu son paiement d'une tierce personne la subroge dans ses droits et lui transmet notamment le bénéfice de la clause de réserve de propriété stipulée par le contrat de vente ( subrogation ex parte creditoris). Ainsi, le transfert de propriété est suspendu jusqu'à complet paiement du prix à la tierce personne qui a désintéressé le créancier à la place du débiteur.

La société Béneteau S.A a confié à la société Madraco la distribution des bateaux de plaisance qu'elle fabrique dans une zone territoriale comprise enre [Localité 6] et [Localité 5], selon contrat de concession du 31 octobre 1998.

Le 17 janvier 2012, la société Madraco et la société SGB Finance ont conclu un contrat-cadre de financement de stocks de bateaux neufs, aux termes duquel SGB Finance s'est engagée à accorder à la société Madraco, distributeur de bateaux de plaisance de marque Béneteau, une ligne de crédit destinée aux besoins de son activité professionnelle, laquelle consistait en la mise à disposition de fonds pouvant être utilisés par le distributeur pour l'achat de bateaux à concurrence de l'ouverture de crédit consentie.

L'article 5 de ce contrat-cadre de financement stipule: « garantie ' réserve de propriété : toute vente entrant dans le cadre du contrat de financement des stocks doit être conclue avec une clause subordonnant le transfert de propriété au paiement intégral du prix. Cette clause est stipulée et acceptée expressément par le distributeur dans le contrat de distribution conclu entre SPBI et le distributeur lors de chaque déblocage de fonds au profit de SPBI, SGB Finance sera subrogé conventionnellement dans tous les droits et actions de SPBI, notamment dans le bénéfice de la clause de réserve de propriété conformément aux dispositions de l'article 1250 alinéa 1 du code civil.

La société Madraco a commandé à la société Béneteau un voilier Océanis 58 le 24 mai 2012.

Le prix a été payé par virement émis le 22 août 2012 par la société SGB Finance à l'ordre de société SPBI Béneteau.

La société Fidji Ltd s'est ensuite portée acquéreur du voilier Oceanis 58 selon bon de commande du 25 mai 2012 au prix de 685.000 euros HT payable par quatre virements d'un montant total de 165.000 euros et par la dation en paiement du bateau Azimut 47 ( pièce n°7 communiquée par l'appelante).

La question se pose donc de savoir qui est propriétaire du voilier, la société SGB Finance, prêteur de deniers, qui se prévaut d'une subrogation conventionnelle dans le bénéfice de la clause de réserve de propriété consentie par la société Madraco à son fournisseur SPBI Béneteau, ou la société Fidji Ltd devenue Jaïpur Ltd, sous-acquéreur, qui soutient que la propriété lui a été transférée le 25 mai 2012 lors de l'achat à la société Madraco.

La société Béneteau, fournisseur du bateau Océanis 58, bénéficiait bien d'une réserve de propriété convenue par écrit dans le contrat conclu avec la société Madraco, distributeur de sa marque, ainsi que l'exigent les dispositions des articles 2368 du Code civil et L. 624-16 alinéa 2 du code de commerce.

En effet, l'article III § 7 du contrat de concession passé le 31 octobre 1998 entre la société Béneteau et la société Madraco est rédigé comme suit: « Par le présent contrat, le concessionnaire accepte expressément que tous les produits vendus par Béneteau restent la propriété de Béneteau jusqu'à complet paiement du prix, conformément à la clause qui sera reproduite sur les documents qui seront adressés au concessionnaire avant la livraison des produits ». En outre, le bon de commande du voilier Océanis 58 n° 141612 a en-tête de la société Béneteau signé par la société Madraco porte la mention suivante: « Je soussigné commande le bateau suivant les spécifications ci-dessous aux conditions générales de vente figurant au verso que je déclare accepter et plus précisément la clause de réserve de propriété... ». L'article XIII intitulé « réserve de propriété » des conditions générales de vente stipule: « Nous nous réservons la propriété des marchandises jusqu'à complet paiement des sommes dues par l'acheteur.... » ( pièces n° 21 et 22 communiquées par l'intimée).

La société SGB Finance, laquelle a prêté à la société Madraco les fonds destinés à l'acquisition du voilier, fait valoir à l'appui de son action en revendication du voilier qu'elle en a intégralement réglé le prix par virement du 22 août 2012 au vendeur Béneteau lequel l'a subrogée dans tous ses droits et plus particulièrement dans le bénéfice de la clause de réserve de propriété que la société Madraco avait acceptée.

La société Jaïpur Ltd ( anciennement Fidji Ltd) soutient au contraire que la société SGB Finances n'a pas pu être subrogée dans les droits de la société Béneteau, créancière, au motif que le paiement du bateau n'a pas été effectué par un tiers, comme l'exige l'article 1250 ancien du code civil, mais par la débitrice elle-même, la société Madraco.

L'intimée demande à la cour d'écarter ce moyen de défense, l'effet relatif des contrats interdisant à l'appelante, laquelle n'est qu'un tiers par rapport au contrat de vente passé entre Béneteau et Madraco ainsi qu'au contrat de prêt passé entre SGB Finance et Madraco, de remettre en question la subrogation conventionnelle voulue par les parties auxdits contrats.

La cour, saisie de deux actions en revendication concurrentes, est cependant tenue de trancher la question de la propriété du voilier Océanis 58 et de vérifier les éléments de preuve de la propriété avancés par l'appelante et l'intimée à l'appui de leur action en revendication respective.

Tandis que la société Jaïpur produit l'acte de vente du 19 juin 2012 aux termes duquel la société Madraco lui a cédé le voilier Océanis 58, la société SGB Finance de son côté fait valoir qu'elle a été subrogée conventionnellement dans tous les droits et actions du vendeur Béneteau et notamment le bénéfice de la clause de réserve de propriété, et pour preuve verse aux débats le bon de conformité et la facture du voilier, documents adressés à l'acheteur par le vendeur, lequel y a précisé : « jusqu'au complet remboursement des sommes prêtées, SGB Finance, subrogée dans les droits du vendeur, bénéficiera de la clause de réserve de propriété stipulée au contrat de vente. »

Elle produit aussi une quittance subrogative délivrée par la société Béneteau le 22 août 2012

aux termes de laquelle elle reconnaît avoir reçu de la société SGB Finance le solde du prix de vente et la subroge, conformément aux dispositions de l'article 1250 alinéa 1 du code civil, dans tous les droits et actions contre les cesionnaires-emprunteurs et notamment dans l'entier effet de la clause de réserve de propriété.

Arguant d'un droit de propriété découlant du mécanisme de la subrogation conventionnelle, l'intimée est tenue de rapporter la preuve qu'elle a bien été subrogée dans le bénéfice de la réserve de propriété de sorte que la règle légale de l'effet relatif des contrats vis-à-vis des tiers par elle invoquée est étrangère à la question de la détermination de la propriété du voilier.

Le contrat de vente et le contrat de prêt ayant été conclus avant la réforme du droit des obligations, l'article 1250 ancien du code civil est applicable aux faits de l'espèce et dispose:

« Cette subrogation est conventionnelle :

1° Lorsque le créancier recevant son paiement d'une tierce personne la subroge dans ses droits, actions, privilèges ou hypothèques contre le débiteur : cette subrogation doit être expresse et faite en même temps que le paiement ; ( subrogation ex parte creditoris)

2° Lorsque le débiteur emprunte une somme à l'effet de payer sa dette, et de subroger le prêteur dans les droits du créancier. Il faut, pour que cette subrogation soit valable, que l'acte d'emprunt et la quittance soient passés devant notaires...Cette subrogation s'opère sans le concours de la volonté du créancier. ( subrogation ex parte debitoris).

Sous l'empire de l'article 1250 alinéa 1 ancien du code civil, le mécanisme de la subrogation conventionnelle ex parte creditoris était subordonné à deux conditions: le créancier devait subroger expressément dans ses droits l'auteur du paiement, lequel était nécessairement une tierce personne et non le débiteur lui-même.

Toutes les pièces produites par la société SGB Finance établissent que la société Béneteau l'a expressément subrogée dans le bénéfice de la clause de réserve de propriété.

Reste à vérifier si la société Béneteau a été payée par une personne autre que le débiteur lui-même ce qui est la deuxième condition posée par la loi et implique de déterminer qui était propriétaire des fonds virés à la société Béneteau le 22 août 2012.

L'intimée soutient que, lorsque le prêteur, à la demande de l'emprunteur, remet les fonds prêtés au vendeur, il convient de considérer que ce dernier reçoit bien les fonds d'un tiers lequel peut alors être subrogé par le vendeur dans ses droits.

A l'inverse, l'appelante soutient que l'emprunteur devient propriétaire des fonds prêtés dès la conclusion du contrat de crédit et qu'en conséquence le paiement n'a pas été effectué par un tiers quand le prêteur s'est borné à verser au vendeur les fonds empruntés par son client. Auteur matériel du paiement, le prêteur de deniers n'en serait pas l'auteur juridique.

Par application de l'article 1238 du code civil, lequel dispose : « pour payer valablement, il faut être propriétaire de la chose donnée en paiement', l'auteur juridique du paiement est nécessairement celui qui est propriétaire des fonds au moment du paiement.

Dans le cadre d'un contrat de prêt d'argent, l'emprunteur devient propriétaire des fonds prêtés par l'effet du prêt qu'il a conclu conformément aux dispositions de l'article 1893 ancien du code civil applicable aux faits de l'espèce.

La société Madraco, bénéficiaire d'une ouverture de crédit de 2.160.000 euros utilisable par fraction, chaque fraction étant affectée au financement à 100% de l'achat d'un bateau neuf, consentie le 17 janvier 2012 par la société SGB Finance, est devenue propriétaire des fonds dès lors qu'elle a commandé le voilier Océanis 58 à la société Béneteau.

La Société SGB Finance qui s'est bornée à verser à la société Béneteau les fonds empruntés par la société Madraco pour financer l'acquisition du voilier Oceanis 58 n'est donc pas l'auteur du paiement. En effectuant le virement du prix de vente à l'ordre du vendeur, la société SGB Finance n'a fait qu'exécuter l'article 4 intitulé « Déblocage des fonds » du contrat-cadre de financement susvisé, lequel stipule: « la somme financée pour l'achat d'un bateau neuf sera directement versée entre les mains du vendeur... ».

Dès lors, la subrogation dans la clause de réserve de propriété que lui a consentie le vendeur aux termes de la quittance subrogative est inopérante, le véritable auteur du paiement étant la société Madraco, propriétaire des fonds dès leur déblocage dans le cadre de l'ouverture de crédit souscrite le 17 janvier 2012.

La société SGB Finance, simple créancière des fonds qu'elle a prêtés à la société Madraco pour financer l'achat du voilier, ne détient donc aucun droit de propriété sur le bien qu'elle revendique et sera déboutée de sa demande.

En revanche, la société Jaïpur Ltd anciennement Fidji Ltd justifie être propriétaire dudit voilier pour l'avoir acheté à la société Madraco aux termes du contrat de vente du 19 juin 2012 ( cf pièce n° 8 de l'appelante). Il sera donc droit à sa demande de revendication.

Sur la revendication du prix du voilier Océanis 58:

L'intimée demande à la cour, à défaut de lui restituer le bateau, de condamner l'appelante, en sa qualité de sous-acquéreur, à lui payer la partie du prix dont à ses dires elle reste redevable à l'égard de la société Madraco et qui s'élève à la somme de 427.630,72 euros.

Elle fonde sa demande sur les dispositions suivantes de l'aricle L 624-18 du code de commerce: « Peut être revendiqué le prix ou la partie du prix des biens visés à l'article L 624-16 qui n'a été payé ni payé, ni réglé en valeur, ni compensé entre le débiteur et l'acheteur à la date du jugement ouvrant la procédure ».

La société SGB Finance rappelle à la cour que la société Jaïpur Ltd a réglé une partie du prix du voilier, à hauteur de la somme de 520.000 euros, par dation en paiement d'un voilier Azimut 47 dont elle était propriétaire. Elle s'estime en droit de revendiquer cette partie du prix au motif que la dation en paiement n'est pas un des trois modes de règlement admis par les dispositions de l'article L 624-18 du code de commerce.

Cependant, aux termes des articles L 624-16 et L 624-18 du commerce, l'action en revendication d'un bien détenu par un débiteur soumis à une procédure collective tout comme l'action en revendication du prix de ce bien sont réservées au propriétaire dudit bien et ne sont pas ouvertes au créancier d'une somme d'argent, lequel ne peut que déclarer sa créance au passif de la procédure.

La société SGB Finance n'ayant pas été subrogée dans la clause de réserve de propriété dont bénéficiait la société Benéteau sur le voilier Océanis 58, elle est seulement créancière des fonds prêtés pour son acquisition et n'est pas fondée à en revendiquer le prix.

Elle sera en conséquence déboutée de sa demande tendant à la condamnation de l'appelante au paiement de la somme de 427.630,72 euros.

Sur l'article 700 du code de procédure civile:

L'équité justifie de condamner la société SGB Finance à payer à la société Jaïpur Ltd la somme de 2.500 euros sur le fondemen de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Par Arrêt rendu publiquement et par défaut,

Infirme le jugement entrepris,

Statuant à nouveau,

Rejette l'exception de nullité de la requête en revendication de la société Jaïpur Ltd anciennement Fidji Ltd et des actes subséquents,

Dit que la société Jaïpur Ltd est propriétaire du voilier Océanis 58 de marque Benéteau,

Ordonne la restitution dudit voilier à la société Jaïpur Ltd,

Déboute la société SGB Finance de toutes ses demandes,

La condamne à payer à la société Jaïpur Ltd la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La condamne aux dépens.

LA GREFFIERE,LA PRESIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 3-2
Numéro d'arrêt : 18/06567
Date de la décision : 04/06/2020

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence 8A, arrêt n°18/06567 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-06-04;18.06567 ?
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