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28/05/2020 | FRANCE | N°18/04176

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 3-3, 28 mai 2020, 18/04176


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 3-3



ARRÊT AU FOND

DU 28 MAI 2020



N° 2020/107













Rôle N° RG 18/04176 - N° Portalis DBVB-V-B7C-BCCLM







SAS DEPIL TECH





C/



SELARL BG ET ASSOCIES

[L] [G]

SCP [Personne physico-morale 1][U]

Société BEAUTY PULSE





















Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me MAGNAN
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Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal de Commerce de NICE en date du 25 Janvier 2018 enregistrée au répertoire général sous le n° 2016F00939.





APPELANTE



SAS DEPIL TECH prise en la personne de son représentant légal,

dont le siège social est sis [Adre...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 3-3

ARRÊT AU FOND

DU 28 MAI 2020

N° 2020/107

Rôle N° RG 18/04176 - N° Portalis DBVB-V-B7C-BCCLM

SAS DEPIL TECH

C/

SELARL BG ET ASSOCIES

[L] [G]

SCP [Personne physico-morale 1][U]

Société BEAUTY PULSE

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me MAGNAN

Me SIDER

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Commerce de NICE en date du 25 Janvier 2018 enregistrée au répertoire général sous le n° 2016F00939.

APPELANTE

SAS DEPIL TECH prise en la personne de son représentant légal,

dont le siège social est sis [Adresse 1]

représentée par Me Joseph MAGNAN de la SCP MAGNAN PAUL MAGNAN JOSEPH, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,

assistée de Me Joseph MAGNAN, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituant Me Hubert DIDON, avocat au barreau de PARIS

INTIMES

SELARL BG ET ASSOCIES, prise en la personne de Me [V] [O], assignée en intervention forcée en qualité d'administrateur à la procédure de sauvegarde de la société DEPIL TECH,

dont le siège social est sis [Adresse 2]

non comparant

Monsieur [L] [G]

né le [Date anniversaire 1] 1970 à ROOST WARENDIN,

demeurant [Adresse 3]

représenté par Me Philippe- Laurent SIDER, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

assisté de Me Rodolphe PERRIER, avocat au barreau de PARIS substituant Me Charlotte BELLET, avocat au barreau de PARIS

SCP [Personne physico-morale 1], prise en la personne de Me [H] [U], assignée en intervention forcée en qualité de mandataire à la procédure de sauvegarde de la société DEPIL TECH,

dont le siège social est sis [Adresse 4]

non comparante

S.A.R.L. BEAUTY PULSE prise en la personne de son représentant légal, dont le siège social est sis [Adresse 5]

représentée par Me Philippe- Laurent SIDER, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

assistée de Me Rodolphe PERRIER, avocat au barreau de PARIS, substituant Me Charlotte BELLET, avocat au barreau de PARIS

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 11 Février 2020 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Mme DUBOIS, conseiller, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Madame Valérie GERARD, Président de chambre

Madame Françoise PETEL, Conseiller

Madame Anne DUBOIS, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Laure METGE.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 02 Avril 2020.

Le prononcé de la décision par mise à disposition a été prorogé au 28 Mai 2020 en application de la loi n°220-290 du 23 mars 2020 sur l'état d'urgence sanitaire.

ARRÊT

Réputé contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 28 Mai 2020,

Signé par Madame Valérie GERARD, Président de chambre et Madame Laure METGE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DES FAITS :

Fin 2014, [L] [G] a contacté la société Depil tech qui exploite un concept de dépilation définitive par lumière pulsée et de photo rajeunissement de la peau et a proposé d'ouvrir un institut à [Localité 1] (30) et à [Localité 2] (26).

Le 20 octobre 2014, il a reçu le document d'information précontractuel (DIP), et à cette même date, il a réservé les zones géographiques souhaitées pour 30 jours.

Le contrat de franchise a été signé le 10 novembre 2014 et [L] [G] et la SARL Beauty pulse dont il est le gérant, ont versé deux droits d'entrée d'un total de 52.800 euros TTC le 13 novembre 2014.

Ils n'ont pas ouvert de centre à [Localité 2] mais à [Localité 1].

Considérant, d'une part, que leur consentement a été vicié du fait d'un coût de travaux supérieur de 16% au budget prévisionnel et d'un chiffre d'affaires très éloigné de ceux annoncés par le franchiseur, et, d'autre part, que le centre de [Localité 2] n'a pu ouvrir en raison des refus bancaires fondés sur l'illicéité de l'activité, [L] [G] et la société Beauty pulse ont assigné la société Depil tech en nullité du contrat pour dol et en indemnisation de leurs préjudices devant le tribunal de commerce de Nice par acte du 25 novembre 2016.

Par jugement du 25 janvier 2018, ce tribunal a :

- débouté la société Depil tech de l'ensemble de ses demandes à titre principal relatives au sursis à statuer dans l'attente d'un décret d'application de l'article L1151-2 du code de la santé publique ou de la réponse de la Cour de Justice de l'Union Européenne,

- débouté [L] [G] et la société Beauty pulse de leur demande de nullité du contrat pour objet illicite,

- prononcé la nullité des contrats de franchise pour dol et vice du consentement aux torts exclusifs de la société Depil tech,

- condamné la société Depil tech à payer à [L] [G] et la société Beauty pulse les sommes de :

- 44.000 euros en remboursement du droit d'entrée pour les instituts d'[Localité 1] et de [Localité 2],

- 106.474,98 euros avec intérêts de droit à compter du 22 avril 2018, date de réception de la mise en demeure,

- débouté [L] [G] et la société Beauty pulse du surplus de leurs demandes de dommages et intérêts,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- condamné la SAS Depil tech à verser à [L] [G] et la société Beauty pulse la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté la SAS Depil tech de l'ensemble de ses demandes,

- condamné la défenderesse aux dépens.

La société Depil tech a interjeté appel le 6 mars 2018.

Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées le 18 septembre 2019 et tenues pour intégralement reprises, elle demande à la cour de :

- in limine litis :

- constater et dire que le règlement UE 2017/745 est applicable à la présente affaire ;

- ordonner le renvoi préjudiciel vers la CJUE pour répondre aux questions préjudicielles ainsi posées ;

- ordonner le sursis à statuer dans l'attente de la décision du Conseil d'état saisi par une requête en abrogation ;

- sur le fond :

- constater la signature par la société Beauty pulse et par [L] [G] de deux DIP et de deux contrats dé'nitifs de franchise dans le strict respect des dispositions de l'article L1150-3 du code de commerce concernant les villes d'[Localité 1] et de [Localité 2] ;

- constater que le défaut de soutien bancaire est imputable au seul demandeur et, en tout état de cause :

- constater que tous ces refus concernent d'autres sociétés et pas la société Beauty pulse ;

- constater le caractère parfaitement licite de l'objet des contrats définitifs de franchise signés par les parties ;

- constater la transparence des informations tirées du document d'information pré contractuel qui n'est absolument pas mensonger ;

- en conséquence :

- dire et juger que les versements des droits d'entrée sont acquis au franchiseur, la société Depil tech ;

- dire et juger irrecevables et mal fondées les demandes exposées par la société Beauty pulse et [L] [G] ;

- débouter ces derniers de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;

- à titre reconventionnel :

- écarter l'appel incident de la partie adverse ;

- constater la réservation abusive de la zone de [Localité 2] opérée par la société Beauty pulse et [L] [G] ;

- constater l'absence de versement des redevances mensuelles prévues au contrat de franchise ;

- constater la mauvaise foi de la société Beauty pulse et [L] [G] dans l'exécution du contrat et au travers des arguments invoqués pour pallier à leurs propres carences ;

- en conséquence :

- les condamner à lui régler le montant des redevances mensuelles et ce jusqu'au prononcé de la résiliation des deux contrats aux torts exclusifs de la société Beauty pulse ;

- les condamner à lui payer la somme de 10.000 euros en réparation du préjudice subi du fait de leur mauvaise foi contractuelle ;

- en tout état de cause :

- ordonner la compensation entre les éventuelles créances des parties ;

- condamner la demanderesse au règlement d'une somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre aux entiers dépens de l'instance.

Dans leurs dernières écritures déposées et notifiées le 23 septembre 2019 et tenues pour intégralement reprises, les intimés demandent à la cour de :

- dire et juger que le règlement UE n° 2017/745 du 5 avril 2017 n'est pas applicable au présent litige,

- rejeter toute demande de renvoi d'une question préjudicielle à la CJUE,

- déclarer irrecevable la demande de sursis à statuer formée par la société Depil tech dans l'attente de la décision du Conseil d'état saisi d'une requête en abrogation de l'arrêté du 6 janvier 1962,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- débouté la société Depil tech de l'ensemble de ses demandes à titre principal relatives au sursis à statuer dans l'attente d'un décret d'application de l'article L1151-2 du code de la santé publique ou de la réponse de la Cour de justice de l'Union européenne,

- prononcé la nullité des contrats de franchise pour dol et vice du consentement aux torts exclusifs de la société Depil tech.

- condamné la société Depil tech à payer à [L] [L] [G] et la société Beauty pulse les sommes de 44.000 euros en remboursement du droit d'entrée pour les instituts d'[Localité 1] et [Localité 2] et de 106.474,98 euros avec intérêts à compter du 22 avril 2016, date de réception de la mise en demeure.

- débouté la société Depil tech de l'ensemble de ses demandes.

- condamné la défenderesse aux dépens,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- débouté [L] [G] et la société Beauty pulse de leur demande de nullité du contrat pour objet illicite,

- débouté la société Beauty pulse de sa demande de condamnation de la société Dépil Tech à lui payer la somme de 16.000 euros HT au titre du droit au bail,

- débouté la société Beauty pulse de sa demande de condamnation de la société Depil tech à lui payer la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts correspondant à la perte de chance de faire une meilleure utilisation de ses fonds,

- débouté [L] [G] de sa demande de condamnation de la société Depil tech à lui payer la somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts correspondant à la perte de chance de mieux investir ses capitaux et au manque à gagner en termes de rémunération,

- statuant de nouveau :

- dire et juger que le droit d'entrée pour l'institut de [Localité 2] n'a reçu aucune contrepartie,

- dire et juger que les deux contrats de franchise sont nuls pour objet illicite,

- dire et juger que les contrats de franchise sont nuls en raison des man'uvres dolosives dont la société Depil tech s'est rendue coupable et qui ont vicié le consentement de [L] [G] et de la société Beauty pulse,

- en conséquence :

- prononcer la nullité des contrats de franchise,

- condamner la société Dépil Tech à payer à la société Beauty pulse la somme de 44.000 euros HT en remboursement du droit d'entrée pour les instituts d'[Localité 1] et [Localité 2],

- la condamner à lui payer la somme de 62.757,75 euros HT au titre des travaux d'aménagement du local,

- la condamner à lui payer la somme de 27.985,78 euros HT au titre de l'achat du matériel technique,

- la condamner à lui payer la somme de 368,72 euros HT au titre de l'achat du mobilier,

- la condamner à lui payer la somme de 464,07 euros HT au titre de l'achat du matériel informatique,

- la condamner à lui payer la somme de 14.898,66 euros HT au titre des redevances et des opérations publicitaires engagées,

- la condamner à lui payer la somme de 16.000 euros HT au titre du droit au bail,

- la condamner à payer à la société Beauty pulse la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts correspondant à la perte de chance de faire une meilleure utilisation de ses fonds,

- dire et juger que ces sommes porteront intérêt au taux légal à compter du 22 avril 2016, date de réception de la mise en demeure,

- condamner la société Dépil Tech à payer à [L] [G] la somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts correspondant à la perte de chance de mieux investir ses capitaux et au manque à gagner en termes de rémunération,

- la condamner à lui payer la somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles puisqu'elle a refusé la proposition de règlement amiable du litige,

- la condamner aux entiers dépens.

Mes [O] et [U], administrateurs judiciaires de la société Depil tech placée sous sauvegarde de justice le 24 mai 2018, appelés en intervention forcée par actes des 26 et 27 juillet 2018 remis à personne morale, n'ont pas constitué avocat.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 24 septembre 2019.

La société Depil tech a déposé de nouvelles conclusions le 10 février 2020 et sollicité la révocation de l'ordonnance de clôture.

***

**

SUR CE :

Sur la révocation de l'ordonnance de clôture :

L'appelante fait valoir que le 8 novembre 2019, le Conseil d'état a rendu un arrêt de principe sur l'illégalité de l'article 2 de l'arrêté du 6 janvier 1962 en jugeant que les dispositions de cet article sont illégales en ce qu'elles « méconnaissent, en tant qu'elles réservent ces modes d'épilation aux docteurs en médecine, la liberté d'établissement et la libre prestation de services garanties par les articles 49 et 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ».

Elle sollicite donc la révocation de l'ordonnance de clôture du 24 septembre 2019 au motif que cette décision est susceptible d'avoir une incidence cruciale sur l'issue du litige en cours puisqu'elle tranche définitivement la question de la légalité de son activité et qu'elle constitue donc la cause grave visée par l'article 784 du code de procédure civile.

Cependant, la portée de l'annulation, par l'arrêt susvisé, de la décision implicite de rejet par la ministre des solidarités et de la santé des dispositions du 5° de l'article 2 de l'arrêté du 6 janvier 1962, est de dire aux autorités compétentes d'abroger, dans un délai raisonnable, le 5° de l'article 2 précité et d'encadrer les pratiques d'épilation au laser et à la lumière pulsée par des mesures de nature à garantir, dans le respect des règles de l'Union européenne relatives au libre établissement et à la libre prestation de services, la protection de la santé publique.

L'abrogation à intervenir n'a pas d'effet rétroactif et ne vaut que pour l'avenir. Les lois en vigueur à la signature des contrats de franchise querellés restent donc applicables.

Au surplus, et alors que l'arrêt qu'elle vise date du 8 novembre 2019 et qu'elle connaissait depuis le 29 octobre 2019 la date d'audience renvoyée au 11 février 2020 à sa demande, la société Depil tech a attendu la veille de l'audience de plaidoirie pour faire état de ces nouveaux éléments dans ses dernières conclusions déposées le 10 février 2020, et n'a pas mis ses adversaires en mesure d'en prendre connaissance et d'y répondre en temps utile.

Sa demande de révocation de l'ordonnance de clôture sera par conséquent rejetée.

Sur l'application du règlement UE 2017/745 du 5 avril 2017 :

La société Depil tech se réfère au règlement UE 2017/745 du 5 avril 2017, relatif aux dispositifs médicaux, qui modifie la directive 2001/83/CE, le règlement CE n° 178/2002 et le règlement CE n° 1223/2009, et abroge les directives du Conseil 90/385/CEE et 93/42/CEE, en complétant la dé'nition des dispositifs médicaux tout en incluant les dispositifs non médicaux tels que les lasers et les équipements à lumière intense pulsée utilisés pour le resurfaçage cutané, la suppression de tatouages, l'épilation ou d'autres traitements cutanés.

Elle considère qu'il ressort du paragraphe 5 de son article XVI que la dépilation à lumière pulsée est à visée purement esthétique et non médicale et ne peut donc relever du monopole des médecins.

Elle veut le voir appliquer au présent litige au motif qu'il est de portée générale, obligatoire, directement applicable dans tous les États membres et qu'il écarte donc tout acte national contraire et notamment l'arrêté du 6 janvier 1962.

Mais les intimés lui opposent à bon droit qu'en vertu de son article 123, le règlement en cause n'est applicable qu'à partir du 26 mai 2020 de sorte qu'il ne régit pas l'affaire en cours.

Sur le renvoi préjudiciel devant la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) :

Selon l'article L1151-2 du code de la santé publique, la pratique des actes, procédés, techniques et méthodes à visée esthétique autres que ceux relevant de l'article L. 6322-1 peut, si elle présente des risques sérieux pour la santé des personnes, être soumise à des règles, définies par décret, relatives à la formation et la qualification des professionnels pouvant les mettre en 'uvre, à la déclaration des activités exercées et à des conditions techniques de réalisation. Elle peut également être soumise à des règles de bonnes pratiques de sécurité fixées par arrêté du ministre chargé de la santé.

L'article L1151-3 du dit code précise que les actes à visée esthétique dont la mise en 'uvre présente un danger grave ou une suspicion de danger grave pour la santé humaine peuvent être interdits par décret après avis de la Haute Autorité de santé. Toute décision de levée de l'interdiction est prise en la même forme.

La société Depil tech fait valoir que le décret d'application permettant la mise en 'uvre effective de ces deux articles n'a toujours pas été adopté.

Elle estime qu'un renvoi préjudiciel est aussi indispensable que nécessaire puisque le droit européen et la CJUE n'ont pas statué sur la conformité au droit européen d'une interdiction totale de l'exercice de la dépilation tant du point de vue de la liberté d'établissement que de l'application du règlement 2017/745.

Elle souhaite ainsi que la CJUE confirme l'application du règlement UE 2017/745 au cas d'espèce et tranche la question relative au fait que les appareils à lumière pulsée ne sont pas des appareils à destination médicale, en répondant aux six questions préjudicielles suivantes qu'elle veut lui voir soumettre :

- l'activité de photo dépilation constitue-t-elle un acte médical ou un acte à visée purement esthétique selon le règlement UE 2017/745 '

- la restriction par un État membre de toute activité de dépilation aux seules techniques de la cire ou de la pince, à l'exclusion des médecins, constitue-t-elle une restriction à l'article 49 du TFUE '

- l'usage des appareils à lumière pulsée a-t-il vocation à être le monopole des seuls médecins, en vertu de supposées considérations tirées de la santé publique '

- la distinction opérée par le règlement 2017/745 entre appareil à destination médicale et non médicale permet-elle de rendre nul tout texte national restreignant l'usage des machines à lumière pulsée aux seuls médecins '

- un état membre peut-il déroger aux dispositions du règlement UE 2017/745 pourtant d'application directe ' Si oui, dans quelle mesure '

- quelle est la valeur légale de la distinction entre un acte à visée purement médicale et un acte à visée purement esthétique '

Toutefois, [L] [G] et la SARL Beauty pulse rappellent valablement les dispositions de l'article 168 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, aux termes desquelles l'action de l'Union est menée dans le respect des responsabilités des États membres en ce qui concerne la définition de leur politique de santé ainsi que l'organisation et la fourniture de services de santé et de soins médicaux.

Il s'ensuit que les règles relatives à la santé publique relèvent de la compétence des États membres qui apprécient librement les mesures de protection qu'ils entendent ériger afin de garantir la santé de leur population pourvu que les mesures adoptées soient proportionnées et non discriminatoires.

L'Union européenne n'intervient donc, conformément au principe de subsidiarité, que si et dans la mesure où les objectifs de l'action envisagée ne peuvent être réalisés de manière suffisante par les États membres et peuvent donc, en raison des dimensions ou des effets de l'action envisagée, être mieux réalisés au niveau communautaire.

Enfin, contrairement à ce qu'allègue l'appelante, le présent litige qui ne concerne que deux personnes françaises liées par un contrat de nature commerciale de droit interne, ne présente aucun élément d'extranéité.

La société Depil tech sera donc déboutée de sa demande tendant à voir saisir la CJUE de questions préjudicielles qui sont au demeurant non formalisées dans le dispositif de ses écritures.

Sur la demande de sursis à statuer :

L'appelante sollicite qu'il soit sursis à statuer dans l'attente de la décision du Conseil d'état visant l'abrogation de l'arrêté du 6 janvier 1962.

Mais sa demande doit être rejetée dans la mesure où par arrêt du 28 mars 2013, le Conseil d'état a confirmé la légalité de cet arrêté.

Sur la nullité du contrat de franchise :

En vertu des anciens articles 1131 et 1133 du code civil applicables au litige, l'obligation sans cause ou sur une fausse cause ou sur une cause illicite ne peut avoir aucun effet ; la cause est illicite quand elle est prohibée par la loi, quand elle est contraire aux bonnes m'urs ou à l'ordre public.

Les intimés, qui rappellent qu'il convient de se placer au jour de la signature de la convention, déduisent des articles L.4161-1.1° du code de la santé publique et 2 de l'arrêté du 6 janvier 1962, que l'activité de dépilation à la lumière pulsée proposée par la société Depil tech est une activité illicite relevant d'un exercice illégal de la médecine.

Selon le premier de ces textes, est considérée comme exerçant illégalement la médecine toute personne qui (') pratique l'un des actes professionnels prévus dans une nomenclature fixée par arrêté du ministre chargé de la santé, pris après avis de l'Académie nationale de médecine.

La nomenclature réside dans l'arrêté du 6 janvier 1962 fixant la liste des actes médicaux ne pouvant être pratiqués que par des médecins ou pouvant être pratiqués également par des auxiliaires médicaux ou des directeurs de laboratoires d'analyses médicales non médecins.

Aux termes de l'article 2 de l'arrêté du 6 janvier 1962, ne peuvent être pratiqués que par les docteurs en médecine, conformément à l'article L. 372 (1°) du code de la santé publique, les actes médicaux suivants : (')

5° Tout mode d'épilation, sauf les épilations à la pince ou à la cire (').

L'appelante répond que l'objet du contrat concerne non seulement la dépilation par lumière pulsée mais aussi le photo rajeunissement, légal, de sorte que les intimés qui ne peuvent démontrer une impossibilité absolue affectant l'obligation dans sa totalité, ne peuvent réclamer la nullité du contrat.

Elle considère que ce sont les articles L1151-2 et L1151-3 du code de la santé publique encadrant les actes à visée esthétique, qui s'appliquent au présent litige et non l'article 2 de l'arrêté du 6 janvier 1962, obsolète et corporatiste, et souligne que le règlement européen 2017/8745 du 5 avril 2017 fait entrer l'usage des appareils à lumière pulsée dans la catégorie des actes à vocation esthétique et non médicaux.

Elle ajoute qu'à ce jour, aucun décret d'application n'est venu encadrer l'épilation au moyen de la vente flash ni limiter ou interdire la dépilation à la lumière pulsée.

Elle précise que l'illicéité ne peut donc être retenue d'autant que les textes sont peu clairs, se contredisent, que la jurisprudence est loin d'être homogène et vise surtout la technologie du laser qui relève bien du monopole des médecins mais qui est distincte de la lumière pulsée.

Elle souligne que le caractère licite de l'activité est renforcé par le fait que les appareils de dépilation à la lumière pulsée sont en libre service dans le commerce et utilisables par les particuliers hors tout de contrôle des médecins.

Cependant, il convient de se placer au 10 novembre 2014, date de la signature des deux contratsde franchise pour en apprécier leur validité.

Or, au 10 novembre 2014, les articles L.4161-1.1° du code de la santé publique et 2 de l'arrêté du 6 janvier 1962 étaient en vigueur, à l'inverse du règlement européen 2017/8745 intervenu seulement le 5 avril 2017 et applicable uniquement à compter de mai 2020.

Au surplus, la légalité de l'arrêté de 1962 précité a été retenue par le Conseil d'état dans son arrêt du 28 mars 2013.

Il en ressort qu'en 2014, la dépilation à la lumière pulsée exercée par des non médecins, proposée par la société Depil tech, était une activité illicite relevant d'un exercice illégal de la médecine, sans qu'il soit besoin de distinguer entre le laser et la lumière pulsée, tout mode d'épilation, sauf à la pince ou à la cire, étant interdit.

L'appelante a d'ailleurs été déclarée coupable de complicité du délit d'exercice illégal de la médecine par fourniture de moyens en signant un contrat de franchise relatif à des actes d'épilation à la lumière pulsée par jugement du tribunal correctionnel de Paris du 15 mars 2016.

Elle n'est donc pas fondée à invoquer les articles L1151-2 et L1151-3 du code de la santé publique qui concernent les actes à visée esthétique.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la cause des deux contrats de franchise querellés est illicite. Enfin, si l'activité de photo rajeunissement est légale, elle reste complètement marginale à celle de dépilation qui constitue l'élément déterminant de l'engagement des parties, comme en témoignent notamment les propos de l'un des dirigeants de la société Depil tech qui indique au journal « profession bien-être » que l'épilation définitive représente 90% de l'activité, la publicité de la société Depil tech et le nom même de celle-ci.

La nullité des contrats, en leur entier, doit par conséquent être prononcée sans qu'il soit autrement besoin de suivre les parties dans le détail de leur argumentation relative aux autres causes de nullité de la convention.

Sur les conséquences de la nullité :

La nullité de la convention fait disparaître l'acte et entraîne la remise des choses en l'état avec restitution des prestations reçues en exécution du contrat.

L'appelante doit donc être déboutée de ses demandes en paiement des redevances mensuelles prévues au contrat de franchise.

C'est à bon droit que le premier juge l'a condamnée à rembourser les sommes suivantes réglées en application des contrats :

- 44.000 euros HT en remboursement des droits d'entrée pour les instituts d'[Localité 1] et de [Localité 2],

- 62.757,75 euros HT au titre des travaux d'aménagement du local,

- 27.985,78 euros HT au titre de l'achat du matériel technique,

- 368,72 euros HT au titre de l'achat du mobilier,

- 464,07 euros HT au titre de l'achat du matériel informatique,

- 14.898,66 euros HT au titre des redevances et des opérations publicitaires engagées.

Il sera en revanche infirmé en ce qu'il a rejeté la demande de remboursement de droit au bail de 16.000 euros, lequel était nécessaire à la mise en 'uvre des conventions de franchise, au même titre que les autres dépenses.

La SARL Beauty pulse et [L] [G] forment aussi appel incident pour obtenir des dommages-intérêts à hauteur respectivement de 20.000 euros, pour perte de chance de faire une meilleure utilisation de ses fonds, et de 30.000 euros, pour perte de chance de mieux investir ses capitaux et manque à gagner en termes de rémunération.

Mais d'une part, ces préjudices ne sont pas démontrés.

D'autre part, les intimés étaient parfaitement conscients du problème juridique posé par la législation en vigueur comme en témoigne le courriel de [L] [G] du 11 octobre 2014 dans lequel il reconnaît que l'arrêté de 1962, certes désuet, reste cependant sans équivoque et n'autorise la dépilation par lumière pulsée que par un médecin généraliste ou spécialiste, soulignant même qu'il n'y a aucune exception à cette règle de droit.

Le jugement qui les a déboutés de ce chef sera par conséquent confirmé.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :

L'issue du procès conduit à condamner la société Depil tech aux dépens d'appel et à payer [L] [G] la somme de 3.000 euros du chef de l'article 700 du code de procédure civile.

***

**

PAR CES MOTIFS

la cour, statuant par arrêt réputé contradictoire, rendu par mise à disposition,

REJETTE la demande de révocation de l'ordonnance de clôture formulée par la société Depil tech,

CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté [L] [G] et la SARL Beauty pulse de leur demande de nullité du contrat pour objet illicite, prononcé la nullité des contrats de franchise pour dol et vice du consentement aux torts exclusifs de la société Depil tech, et débouté la SARL Beauty pulse de sa demande de remboursement du droit au bail,

Le réformant de ces chefs,

PRONONCE la nullité des contrats de franchise pour cause illicite,

CONDAMNE la société Depil tech à payer à la SARL Beauty pulse la somme de 16.000 euros au titre du droit au bail,

Y ajoutant,

CONDAMNE la société Depil tech à payer à [L] [G] la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

REJETTE le surplus des demandes,

CONDAMNE la société Depil tech aux dépens d'appel.

LE GREFFIERLE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 3-3
Numéro d'arrêt : 18/04176
Date de la décision : 28/05/2020

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence 8B, arrêt n°18/04176 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-05-28;18.04176 ?
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