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03/03/2020 | FRANCE | N°18/05696

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-1, 03 mars 2020, 18/05696


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-1



ARRÊT AU FOND

DU 03 MARS 2020

AV

N° 2020/













Rôle N° RG 18/05696 - N° Portalis DBVB-V-B7C-BCGVC







[P] [C]

Société BOYSSON-FERRE MICHEL [Z]FIORINI AVOUSTEN





C/



[T] [L] épouse [D]

[H] [D]

[K] [D] épouse [F]

[A] [F]





















Copie exécutoire délivrée

le :

à :




Me Maud DAVAL-GUEDJ

Me Lise TRUPHEME











Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de NICE en date du 07 Mars 2018 enregistré au répertoire général sous le n° 13/01528.



APPELANTS



Maître [P] [C]

ancien Notaire poursuites et diligences de son représe...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-1

ARRÊT AU FOND

DU 03 MARS 2020

AV

N° 2020/

Rôle N° RG 18/05696 - N° Portalis DBVB-V-B7C-BCGVC

[P] [C]

Société BOYSSON-FERRE MICHEL [Z]FIORINI AVOUSTEN

C/

[T] [L] épouse [D]

[H] [D]

[K] [D] épouse [F]

[A] [F]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Maud DAVAL-GUEDJ

Me Lise TRUPHEME

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de NICE en date du 07 Mars 2018 enregistré au répertoire général sous le n° 13/01528.

APPELANTS

Maître [P] [C]

ancien Notaire poursuites et diligences de son représentant légal en exercice domicilié ès qualité au siège social sis

né le [Date naissance 1] 1946 à [Localité 10], demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Maud DAVAL-GUEDJ de la SCP COHEN GUEDJ MONTERO DAVAL GUEDJ, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

assisté par Me François DE MOUSTIER, avocat au barreau de PARIS, plaidant

S.C.P. BOYSSON-FERRE MICHEL DAMIANOFIORINI AVOUSTEN titulaire d'un office notarial poursuites et diligences de son représentant légal en exercice domicilié ès qualité au siège social sis, demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Maud DAVAL-GUEDJ de la SCP COHEN GUEDJ MONTERO DAVAL GUEDJ, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

assisté par Me François DE MOUSTIER, avocat au barreau de PARIS, plaidant

INTIMES

Madame [T] [L] épouse [D]

demeurant [Adresse 5]

représentée par Me Lise TRUPHEME, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

assisté par Maître Yann COLIN, membre de la SCP Franklin, Avocat au barreau de Paris substitué par Me Victor CRACAN, avocat au barreau de PARIS, plaidant

Monsieur [H] [D], demeurant [Adresse 4]

représenté par Me Lise TRUPHEME, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

assisté par Maître Yann COLIN, membre de la SCP Franklin, Avocat au barreau de Paris substitué par Me Victor CRACAN, avocat au barreau de PARIS, plaidant

Madame [K] [D] épouse [F], demeurant [Adresse 3]

représentée par Me Lise TRUPHEME, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

assisté par Maître Yann COLIN, membre de la SCP Franklin, Avocat au barreau de Paris substitué par Me Victor CRACAN, avocat au barreau de PARIS, plaidant

Monsieur [A] [F], demeurant [Adresse 3]

représenté par Me Lise TRUPHEME, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

assisté par Maître Yann COLIN, membre de la SCP Franklin, Avocat au barreau de Paris substitué par Me Victor CRACAN, avocat au barreau de PARIS, plaidant

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 20 Janvier 2020 en audience publique. Conformément à l'article 785 du code de procédure civile, Madame Anne VIDAL, Présidente, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Madame Anne VIDAL, Présidente

Madame Anne DAMPFHOFFER, Conseiller

Mme Danielle DEMONT, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Mme Agnès SOULIER.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 03 Mars 2020.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 03 Mars 2020,

Signé par Madame Anne VIDAL, Présidente et Mme Agnès SOULIER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES :

Les époux [F] et les époux [D] (parents de Mme [K] [F]) ont acquis plusieurs appartements dans des résidences pour séniors dans un objectif de défiscalisation auprès de la société Résidence Pasteur :

- M. et Mme [F] : 5 studios au sein de la résidence Castel Emeraude à [Localité 7] suivant acte authentique reçu par Me [P] [C] le 26 décembre 2007 au prix de 550 096 euros, grâce à un prêt consenti par la BPI,

- M. et Mme [D] : 5 studios au sein de la résidence Castel Emeraude à [Localité 7] suivant acte authentique reçu par Me [C] le 3 juillet 2008 au prix de 433 100 euros, grâce à un prêt consenti par le Crédit Agricole,

- M. et Mme [F] : 4 studios au sein de la résidence Pasteur à [Localité 11] suivant acte authentique reçu par Me [Z] le 31 décembre 2008 au prix de 501 953 euros, grâce à un prêt consenti par la BPI.

La société MGI à laquelle un bail commercial en vue de la location en meublés desdits appartements avait été donné, a été placée en redressement judiciaire le 30 juin 2009 et la société Résidence Pasteur l'a été à son tour le 6 août 2009, puis a été placée en liquidation judiciaire le 6 mai 2010.

Suivant acte d'huissier du 29 octobre 2010, M. et Mme [F] et M. et Mme [D] ont fait assigner la société ACB Patrimoine et M. [U], son gérant, par l'entremise de laquelle les acquisitions ont été faites, ainsi que Me [P] [C] devant le tribunal de grande instance de Perpignan pour obtenir leur condamnation à les indemniser des préjudices subis et l'affaire a été renvoyée devant le tribunal de grande instance de Nice par ordonnance du juge de la mise en état du 3 novembre 2011. Les consorts [F] / [D] ont repris leurs demandes en assignant également la SCP notariale [C]. La société AIG Europe Limited, assureur de la société ACB Patrimoine, est intervenue volontairement et la société ASSURWEST a été appelée en cause par la société ACB Patrimoine en qualité de courtier.

En l'état de leurs dernières écritures devant le tribunal, les demandes des consorts [F] / [D] ont été portées contre l'ensemble des défendeurs et de leurs assureurs en la cause aux sommes de :

- pour M. et Mme [F] : 1 120 945,85 euros au titre de leur préjudice financier et 100  000 euros au titre de leur préjudice moral,

- pour M. et Mme [D] : 567 880,75 euros au titre de leur préjudice financier et 100  000 euros au titre de leur préjudice moral,

les demandeurs reprochant à la société ACB Patrimoine et à M. [U] un manquement à leur devoir d'investigation et à leur obligation d'indépendance et à Me [P] [C] et la SCP [C] un manquement à leur devoir de conseil et de mise en garde et en raison de l'inefficacité des actes qui n'ont pas pris la forme de ventes en état futur d'achèvement.

Par jugement du 7 mars 2018, le tribunal de grande instance de Nice a :

- débouté les consorts [F] / [D] de toutes leurs demandes à l'encontre de la société ACB Patrimoine et de M. [U] ainsi qu'à l'encontre de l'assureur, la société AIG Europe Limited, et du courtier, la société ASSURWEST,

- dit que Me [P] [C] et la SCP [C] ont manqué à leur devoir d'information et de conseil,

- condamné in solidum Me [P] [C] et la SCP [C] à payer à M. et Mme [D] la somme de 100 000 euros de dommages et intérêts mais rejeté la demande des époux [D] au titre d'un préjudice moral,

- condamné in solidum la SCP [C] et Me [P] [C], ce dernier dans la limite de 100 000 euros, à payer à M. et Mme [F] la somme de 200 000 euros en réparation de leur préjudice mais rejeté la demande des époux [F] au titre d'un préjudice moral,

- condamné les consorts [F] / [D] à payer une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à la société AIG Europe Limited, d'une part, à la société ASSURWEST, d'autre part, à M. [U] et la société ACB Patrimoine ensemble, de troisième part,

- condamné in solidum Me [P] [C] et la SCP [C] à payer aux consorts [F] / [D] ensemble la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens.

Il a rejeté les demandes contre la société ACB Patrimoine à défaut de démonstration d'un lien contractuel avce cette société, le mandat de recherche ayant été signé avec la société ACB Foncière, et il a dit que la responsabilité de M. [U], gérant, ne pouvait être recherchée à titre personnel.

Il a retenu que le notaire avait engagé sa responsabilité dès lors qu'il ressortait des actes authentiques que les biens immobiliers vendus devaient faire l'objet de travaux de rénovation à la charge du vendeur détaillés dans une notice jointe mais qui n'a pas été annexée aux actes, alors qu'il s'agissait de travaux de grande importance et que de leur achèvement dépendait la mise en location des appartements qui constituait la cause de l'investissement fait par les acquéreurs. Il a considéré que le préjudice à réparer devait être évalué sur la base d'une perte de chance pour les acquéreurs de renoncer à l'opération, que le préjudice ne pouvait être équivalent au prix payé, les consorts [F] / [D] restant propriétaires des appartements acquis qu'ils exploitent désormais avec les bénéfices escomptés et que les dommages et intérêts qui leur sont dus doivent être chiffrés à hauteur de 100 000 euros par opération à raison du fait qu'ils ont été, suite à la faillite du vendeur et de la société MGI, dans l'obligation de suppléer la carence de leur vendeur et dans l'impossibilité de rentabiliser les biens achetés pendant quelques années.

Me [P] [C] et la SCP BOYSSON-FERRE MICHEL [Z] FIORINI AVOUSTEN, venant aux droits de la SCP [C] MICHEL BOISSON-FERRE [Z] FIORONI, ont interjeté appel de cette décision suivant déclaration en date du 29 mars 2018 à l'encontre de M. et Mme [F] et de M. et Mme [D].

¿¿¿¿¿¿¿¿¿¿¿¿¿¿¿¿¿

Me [P] [C] et la SCP BOYSSON-FERRE MICHEL [Z] FIORINI AVOUSTEN, suivant leurs conclusions récapitulatives notifiées le 18 décembre 2018, demandent à la cour d'infirmer le jugement rendu en toutes ses dispositions et de :

- dire les consorts [F] / [D] tant irrecevables que mal fondés en toutes leurs demandes, fins et conclusions à l'encontre de Me [P] [C] et de la SCP BOYSSON-FERRE MICHEL [Z] FIORINI AVOUSTEN,

- dire que Me [P] [C] et Me [J] [Z] n'ont commis aucune faute,

- dire que les consorts [F] / [D] ne caractérisent pas le lien de causalité qui doit exister entre la faute invoquée et le préjudice allégué et ne caractérisent pas le dommage ni dans son principe ni dans son quantum,

- les débouter en conséquence de toutes leurs demandes,

- les condamner in solidum à verser une somme de 50 000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive et vexatoire à la SCP BOYSSON-FERRE MICHEL [Z] FIORINI AVOUSTEN d'une part et à Me [P] [C] d'autre part,

- les condamner également in solidum à verser une somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à la SCP BOYSSON-FERRE MICHEL [Z] FIORINI AVOUSTEN d'une part et à Me [P] [C] d'autre part, outre les entiers dépens.

Ils s'opposent à titre préalable à certaines affirmations des consorts [F] / [D] en faisant valoir, d'une part que les copies authentiques des actes qu'ils versent aux débats font foi et comportent, notamment pour les annexes qui ne sont pas toutes publiées au service des hypothèques, le paraphe ou la signature des acquéreurs, notamment les descriptifs sommaires des travaux, d'autre part que la lecture des actes établit que les acquéreurs ont reçu copie des règlements de copropriété avant la vente.

Ils soutiennent pour contester toute faute :

¿ sur le prix : les consorts [F] / [D] ne démontrent pas une surévaluation du prix d'acquisition lequel en tout état de cause est librement négocié entre les parties, sans que le notaire ait une quelconque responsabilité dans sa fixation ni un quelconque devoir de conseil à l'égard de l'acquéreur qui reste maître de l'opportunité économique de l'opération ;

¿ sur les conséquences fiscales des opérations : les résidences Castel Emeraude et Jardins du Lac étaient achevées lors des ventes ; les notaires sont totalement étrangers à l'échec réel ou supposé de l'opération souscrite et n'ont aucune obligation de conseil financier ou économique ; le fait que l'opération ait été consacrée par un acte notarié ne l'exempte pas du moindre risque et en tout état de cause, les acquéreurs n'ont pas perdu le bénéfice des avantages fiscaux du fait de la défaillance de la société gestionnaire puisque la société RCA a repris la gestion de la résidence ;

¿ sur les erreurs ou omissions des actes : aucune faute ne peut être reprochée aux notaires du fait que la venderesse est restée propriétaire des lots de service, cette technique étant d'emploi courant dans ce type de résidences ;

¿ sur l'absence de recours à la VEFA : aucune des conditions de recours à la VEFA n'était remplie puisque l'immeuble était ancien et que les travaux à réaliser ne portaient pas sur le gros oeuvre et étaient mineurs ; les travaux de rénovation figurant dans le descriptif remis aux acquéreurs (ainsi qu'en atteste la présence de leur signature et ainsi que mentionné dans les actes authentiques qui font foi jusqu'à inscription de faux) étaient terminés au moment des actes authentiques ; le fait qu'une division ait été effectuée sur la base d'un règlement de copropriété ne signifie aucunement qu'une rénovation lourde était nécessaire, le permis de construire faisant uniquement état d'un changement de destination et de la création d'une piscine ; il est inopérant de soutenir que les travaux auraient présenté un coût plus important qu'annoncé dans le descriptif dès lors que ce coût devait être supporté par le vendeur et que Me [P] [C] n'avait pas à juger de leur évaluation ; l'avis défavorable de la commission de sécurité intervenu en mars 2009 et les conclusions du rapport d'expertise des lieux établi en 2013-2014 sont sans incidence sur l'appréciation de la nécessité ou non de recourir à une VEFA en 2007-2008.

Ils soutiennent les moyens suivants, s'agissant du préjudice en lien de causalité avec la prétendue faute :

- le descriptif annexé aux actes permettait aux acquéreurs de se faire une idée précise de la nature et de l'étendue des travaux nécessaires pour respecter la destination locative des biens ; en outre, les résidences ont été effectivement exploitées depuis 2008, générant des revenus locatifs de manière quasi constante et les intimés ont bénéficié des déductions fiscales et de la récupération de la TVA ;

- il importe peu que les travaux réalisés se soient révélés plus coûteux que prévu puisqu'ils devaient être supportés par le vendeur et qu'ils étaient achevés lors des ventes ; le fait qu'ils n'auraient pas été correctement effectués est indépendant de la responsabilité du notaire ;

- les demandes au titre des préjudices matériels doivent toutes être rejetées : le rachat des lots de la Résidence Pasteur n'est pas constitutif d'un préjudice ; les charges de travaux ne sont pas excessives ; les dommages nés de la non-perception de loyers résultent de la carence de la société MGI et non des notaires ; la prétendue impossibilité d'imputer les déficits n'est pas rapportée, les demandeurs ne produisant pas leurs avis d'imposition ; en réalité, ils entendent obtenir des notaires l'intégralité des gains qu'ils espéraient retirer de l'opération, sans rien déduire des avantages qu'ils en ont retirés ;

- le tribunal a retenu à tort un préjudice de perte de chance de renoncer à l'opération, sans en caractériser la réalité, alors qu'on ignore les informations reçues par les acquéreurs lors des avant-contrats qui ne sont pas communiqués et qu'ils avaient reçu notification des descriptifs de travaux lors de la signature des procurations, sans renoncer pour autant à leur projet ; ils auraient encore moins renoncé lors de la signature des actes de vente puisque ces travaux étaient achevés ou quasi-achevés ;

- la situation personnelle des intimés ne permet pas de retenir qu'ils justifient d'un préjudice moral.

Ils réclament la condamnation des intimés à leur verser des dommages et intérêts en mettant en avant l'argumentation artificielle développée par eux, les réclamations outrancières présentées et les insultes proférées dans leurs écritures à l'encontre de Me [P] [C], lui imputant notamment la fabrication de pièces pour les besoins de la procédure.

M. et Mme [F] et M. et Mme [D], en l'état de leurs conclusions d'intimés et d'appelants incidents notifiées le 20 septembre 2018, demandent à la cour, au visa de l'article 1382 du code civil et des articles L 261-10 et L 261-11 du code de la construction et de l'habitation, de :

- confirmer le jugement du tribunal de grande instance de Nice en ce qu'il a considéré que Me [P] [C] et la SCP BOYSSON-FERRE MICHEL [Z] FIORINI AVOUSTEN avaient manqué à leur obligation d'information et de conseil à l'égard des consorts [F] / [D] et en ce qu'il a débouté Me [P] [C] et la SCP BOYSSON-FERRE MICHEL [Z] FIORINI AVOUSTEN de leur demande de dommages et intérêts pour procédure prétendument abusive,

sur leur appel incident,

- infirmer le jugement en ce qu'il n'a pas engagé la responsabilité de Me [P] [C] et de la SCP BOYSSON-FERRE MICHEL [Z] FIORINI AVOUSTEN pour manquement à l'obligation d'assurer la validité et l'efficacité des actes authentiques de vente des 26 décembre 2007, 3 juillet 2008 et 31 décembre 2008,

- l'infirmer en ce qu'il a limité le préjudice des consorts [F] / [D] à une perte de chance d'avoir pu renoncer aux opérations, allouant ainsi les sommes de 200 000 euros aux époux [F] et de 100 000 euros aux époux [D], et l'infirmer en ce qu'il a limité l'indemnité accordée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à la somme totale de 10 000 euros,

Statuant à nouveau,

- dire que Me [P] [C] et la SCP BOYSSON-FERRE MICHEL [Z] FIORINI AVOUSTEN ont manqué à leur obligation d'assurer la validité et l'efficacité des actes authentiques de vente des 26 décembre 2007, 3 juillet 2008 et 31 décembre 2008,

- les condamner in solidum à payer la somme de 1 245 522,84 euros aux époux [F] et la somme de 601 849,23 euros aux époux [D] au titre du préjudice économique qu'ils ont respectivement subi,

- les condamner in solidum à payer la somme de 100 000 euros aux époux [F] et celle de 100 000 euros aux époux [D] au titre du préjudice moral qu'ils ont subi,

- les condamner in solidum au paiement d'une somme de 100 000 euros à chacun sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Ils demandent la confirmation du jugement en ce qu'il a retenu un manquement des notaires à leur obligation d'information et à leur devoir de conseil en faisant valoir les moyens suivants :

¿ les notaires ne rapportent en aucune manière la preuve qu'ils ont satisfait à leur devoir d'investigation et à leur obligation de mise en garde, alors même que Me [P] [C] était étroitement associé au projet, ayant rédigé le règlement de copropriété et ayant associé son nom à l'étude du projet immobilier ;

¿ les actes produits par les notaires ne sont pas conformes à ceux obtenus du bureau des hypothèques ; Me [P] [C] et la SCP BOYSSON-FERRE MICHEL [Z] FIORINI AVOUSTEN 'en sont réduits à commettre des faux pour tenter de se dédouaner' ; par ailleurs, si les actes indiquent que les acquéreurs ont reçu une copie du règlement de copropriété, force est de constater que ce document n'est pas annexé aux actes, de sorte que les consorts [F] / [D] n'ont pas été en mesure d'apprécier les modalités d'usage des résidences et n'ont pas su que la venderesse était toujours propriétaire des lots de services que le syndicat des copropriétaires a donc dû acquérir pour trouver un nouvel exploitant ; enfin, ainsi que l'a retenu le tribunal, la notice descriptive des travaux visée par les actes comme annexée n'a pas été jointe et ne leur a pas été remise, les descriptifs sommaires produits étant particulièrement imprécis et ne pouvant y suppléer ;

¿ les notaires ne les ont pas mis en garde s'agissant de l'opportunité économique de l'opération alors qu'ils savaient qu'elle était compromise ; ils ne les ont pas alertés sur les prix exorbitants des studios ; ils ont 'délibérément reçu par acte authentique des informations trompeuses dans le seul dessein de tromper la confiance des époux [F] et [D]'.

Ils réclament son infirmation en soutenant que les notaires ont également manqué à leur obligation d'assurer la validité et l'efficacité des actes reçus :

¿ les notaires auraient dû soumettre les ventes au régime de la VEFA : les travaux nécessaires étaient des travaux lourds, s'agissant de la restructuration d'une ancienne résidence hôtelière en résidence pour personnes âgées et donc d'opérer des travaux portant sur la structure des ouvrages et la sécurité des personnes ; à tout le moins, Me [P] [C] aurait-il dû mettre en garde les acquéreurs qui payaient le prix de vente alors que le vendeur devait exécuter divers travaux de rénovation, sur la nécessité de s'assurer de leur achèvement ;

¿ les notaires devaient s'assurer de l'efficacité des conséquences fiscales : or les consorts [F] / [D] ont non seulement perdu leur investissement mais n'ont pas pu bénéficier de l'avantage fiscal attendu.

Ils présentent leurs demandes de dommages et intérêts en faisant valoir que les résidences fonctionnent à perte comme des hôtels et non comme des résidences de luxe pour personnes âgées. Ils font état des éléments suivants :

Pour les époux [F] :

- achat des studios à un prix très supérieur au marché : soit 256 569,56 euros pour la résidence Castel Emeraude et 260 252,48 euros pour la résidence les Jardins du Lac,

- frais d'établissement versés PHD Invest : 62 640 euros pour la résidence Castel Emeraude et 84 715 euros pour la résidence les Jardins du Lac,

- rachat des lots de services : la liquidation judiciaire de la société MGI et de la société Résidences Pasteur a contraint les copropriétaires d'acquérir les lots de service, soit un préjudice de 6 681,15 euros pour la résidence Castel Emeraude et de 5 793,41 euros pour la résidence les Jardins du Lac,

- prise en charge des travaux non effectués mais nécessaires à la poursuite de l'exploitation des résidences, soit 34 789 euros pour la résidence Castel Emeraude et 26 442,19 euros pour la résidence les Jardins du Lac,

- charges communes de la copropriété du fait de l'absence de gestionnaire, soit 3 150 euros pour la résidence Castel Emeraude et 6 779,64 euros pour la résidence les Jardins du Lac,

- pertes de loyers sur la base des loyers garantis : 237 664,58 euros pour la résidence Castel Emeraude et 260 046,80 euros pour la résidence les Jardins du Lac,

soit un préjudice économique total de 1 245 522,84 euros,

Pour les époux [D] :

- surcoût des studios acquis à un prix très supérieur au marché : soit 247 677,16 euros,

- frais d'établissement versés PHD Invest : 75 649 euros,

- rachat des lots de services : la liquidation judiciaire de la société MGI et de la société Résidences Pasteur a contraint les copropriétaires d'acquérir les lots de service, soit un préjudice de 6 787,20 euros,

- prise en charge des travaux non effectués mais nécessaires à la poursuite de l'exploitation de la résidence Castel Emeraude, soit 35 341,22 euros,

- charges communes de la copropriété du fait de l'absence de gestionnaire, soit 3 200 euros,

- pertes de loyers sur la base des loyers garantis : 233 194,65 euros,

soit un préjudice économique total de 601 849,23 euros

Ils réclament également une somme de 100 000 euros en réparation de leur préjudice moral, ayant été contraints d'investir un temps et une énergie considérable pour protéger leurs intérêts et porter à bout de bras un projet sans rendement.

La procédure a été clôturée par ordonnance en date du 17 décembre 2019.

MOTIFS DE LA DECISION :

Attendu que le conseil des consorts [F]/[D] a adressé à la Cour une note en délibéré, le 04 février 2020, ainsi que diverses pièces nouvelles, alors qu'aucune note en délibéré n'avait été autorisée et que toutes les pièces devaient être versées aux débats avant l'ordonnance de clôture.

Qu'il convient en conséquence de déclarer la note en délibéré et les documents joints irrecevables.

Attendu que M. et Mme [F], d'une part, et M. et Mme [D], d'autre part, ont réalisé des opérations de défiscalisation sur les conseils de la société ACB Foncière et ont ainsi acquis divers lots de copropriété dans des programmes immobiliers mis en place par la société Résidences Pasteur, l'un à [Localité 7] ([Localité 6]), l'autre à [Localité 11] ; qu'il

s'agissait dans les deux cas d'un hôtel-restaurant transformé en résidence services pour séniors et organisé en copropriété dans lesquels les investisseurs pouvaient acquérir des studios en vue de les donner à bail commercial à une société spécialisée pour obtenir le statut et les avantages fiscaux du loueur de meublé professionnel ; que le notaire chargé par la société Résidences Pasteur de passer les actes authentiques de vente était Me [P] [C] et son étude notariale à [Localité 8] ;

Que M. et Mme [F] ont réalisé deux opérations successives :

- l'achat de 5 studios dans la résidence Castel Emeraude à [Localité 6], suivant acte reçu par Me [P] [C] le 26 décembre 2007 en vertu d'une procuration reçue par Me [O], notaire à [Localité 9], le 14 décembre 2007, moyennant le prix total de 503 816 euros,

- l'achat de 4 studios dans la résidence Les Jardins du Lac à [Localité 11], suivant acte reçu par Me [J] [Z], notaire à l'étude de Me [C], le 31 décembre 2008, en vertu d'une procuration sous seing privé donnée le 18 décembre 2008, moyennant le prix de 501 953 euros ;

Que M. et Mme [D] ont fait l'acquisition, comme leur fille et leur gendre, M. et Mme [F], de 5 studios dans la résidence Castel Emeraude suivant acte reçu par Me [P] [C] le 3 juillet 2008 en vertu d'une procuration reçue par ce même notaire le 27 juin 2008, moyennant le prix total de 433 100 euros ;

Que la société MGI à laquelle un bail commercial avait été donné par les acquéreurs dès la signature de l'acte de vente, a fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire le 11 juin 2009 et d'une liquidation judiciaire le 9 juillet 2009 ; que la société Résidences Pasteur a elle aussi été placée en procédure collective dans le même temps, puisque son redressement judiciaire a été ouvert le 6 août 2009 et converti en liquidation judiciaire le 6 mai 2010 ;

Que les consorts [F] / [D], se plaignant de l'absence d'achèvement des constructions et des pertes de loyers consécutives à la procédure collective de la société MGI et à l'impossibilité d'exploiter les résidences comme résidences pour séniors, recherchent la responsabilité des notaires, tant au titre de leur devoir d'efficacité qu'au titre de leur devoir d'information, de conseil et de mise en garde ;

Que la cour examinera les moyens et les prétentions des acquéreurs en distinguant la résidence Castel Emeraude et la résidence Les Jardins du Lac ;

I - La résidence Castel Emeraude :

Attendu que les consorts [F] / [D] prétendent d'abord que les actes notariés ne comprenaient pas les pièces qui y sont mentionnées comme leur étant annexées, s'agissant de la notice descriptive des travaux et du règlement de copropriété, et qu'ils contestent les avoir reçues au moment de la signature ; que Me [P] [C] produisant des actes différents de ceux qu'ils ont obtenus du service des hypothèques, ils avancent même que des faux auraient été commis ;

Mais qu'il doit être relevé que les intimés n'ont pas engagé de procédure d'inscription de faux en écriture publique contre les actes, de sorte que les mentions de ceux-ci font foi et qu'ils ne peuvent utilement les contester ; qu'il en est ainsi de la mention dans les actes selon laquelle les acquéreurs reconnaissent avoir eu connaissance et avoir reçu copie du règlement de copropriété dès avant la signature de l'acte authentique ; que la cour observe à cet égard que les acquéreurs ne produisent pas aux débats les avant-contrats de vente dont la lecture aurait permis de vérifier si le règlement de copropriété ne leur avait pas été remis à cette occasion ;

Que si les actes remis en copie par le service des hypothèques ne comportent pas toutes les annexes, notamment le descriptif sommaire des travaux (dont il sera vu plus loin s'il correspond ou non à la notice descriptive), il doit être rappelé que les acquéreurs avaient préalablement signé des procurations et que les actes de procuration ont été visés et annexés aux actes de vente, ainsi que les pièces qui leur étaient elles-mêmes annexées ; que c'est ainsi que le descriptif sommaire, paraphé sur toutes ses pages par M. et Mme [F], a été annexé, ainsi qu'il en est fait mention par le notaire le 14 décembre 2007, à l'acte de procuration reçu par Me [O]; que, de la même façon, le descriptif sommaire des travaux de la résidence Castel Emeraude a été signé par M. et Mme [D] et annexé à la procuration authentique du 27 juin 2008 ; que les consorts [F] / [D] ne peuvent donc, ni soutenir ne pas avoir eu connaissance du descriptif de travaux, ni prétendre que cette pièce ne serait pas annexée à leur acte de vente ;

Que les acquéreurs prétendent que les actes authentiques font état de la remise d'une 'notice descriptive' des travaux de rénovation à réaliser par le vendeur et que le 'descriptif sommaire' qui est produit par les notaires ne peut y suppléer ; mais que, même si le document est ainsi dénommé, il rappelle que le projet porte sur l'aménagement d'un bâti existant en résidence services séniors et comporte la présentation des caractéristiques générales de l'immeuble dont les éléments sont pour l'essentiel déjà existants et la description précise, sur 7 pages, des caractéristiques et équipements des locaux privatifs, en indiquant les éléments déjà existants, ceux à rénover, à remplacer ponctuellement ou à vérifier ; que c'est donc à tort que le tribunal a retenu, en l'état de la seule différence de dénomination donnée au document communiqué aux acquéreurs concernant les travaux, que ceux-ci n'avaient pas reçu l'information nécessaire concernant les travaux d'aménagement et d'adaptation de l'immeuble pour le transformer en résidence services ;

Attendu que les consorts [F] / [D] ne peuvent utilement prétendre que Me [P] [C] aurait manqué à son devoir de conseil et de mise en garde concernant l'opportunité économique de l'opération au regard de la valeur des studios dont ils soutiennent que le prix était exorbitant et au regard du caractère compromis du projet ; qu'en effet, le notaire n'a pas à s'immiscer dans l'appréciation du prix de l'immeuble fixé entre le vendeur et l'acquéreur, sauf pour lui à en vérifier le caractère réel et sérieux à défaut duquel l'acte ne serait pas efficace ; que la surévaluation du prix n'est au demeurant pas établie, la comparaison avec le prix de studios isolés et en dehors de toute infrastructure hôtelière n'étant pas pertinente ; que les difficultés économiques de la société MGI puis de la société Résidences Pasteur ne pouvaient être anticipées par le notaire ;

Qu'ils ne peuvent non plus reprocher à Me [P] [C] de ne pas avoir assuré l'efficacité des conséquences fiscales des actes de vente ; qu'il est certain que le notaire avait connaissance des finalités fiscales de l'opération d'acquisition de M. et Mme [F] et de M. et Mme [D] puisque l'acte rappelle que les acquéreurs font l'acquisition des studios en vue de la location en meublé avec services ; mais que la résidence Castel Emeraude répondait à cette finalité, que l'exploitation a été effective, à tout le moins pendant l'année 2008, même si elle a rencontré ensuite des difficultés en raison de la procédure collective de la société MGI et des non conformités aux règlements de sécurité ; que M. et Mme [F] ne démontrent pas avoir été privés de tout avantage fiscal lié à cette opération, ces demandeurs ne produisant aucune pièce fiscale, et que M. et Mme [D] produisent quant à eux leurs avis d'imposition desquels il ressort qu'ils ont bien déclaré des déficits de revenus de locations en meublé liés à l'acquisition et à l'exploitation des studios ;

Que la rédaction d'un règlement de copropriété prévoyant que les lots de service resteront la propriété de la venderesse n'est pas constitutive d'une faute, de telles dispositions pouvant présenter un avantage en matière de charges pour les propriétaires de studios, même si elles se sont ensuite révélées défavorables, du fait de la liquidation judiciaire de la société Résidences Pasteur et de l'obligation de procéder au rachat de ces lots ; que le fait que l'expert [E] - désigné par le juge des référés de Perpignan à la demande d'un autre acquéreur - indique avoir constaté pour les locaux communs des distorsions entre entre les aménagements réalisés et ceux prévus par le règlement de copropriété ne suffit pas à caractériser des erreurs ou des omissions du notaire dans la rédaction de cet acte ;

Attendu que les consorts [F] / [D] prétendent ensuite que le notaire aurait dû soumettre les ventes au régime de la vente en état futur d'achèvement (VEFA) en soutenant que toutes les pièces du dossier démontrent que les travaux nécessaires étaient des travaux lourds, s'agissant de la restructuration d'une ancienne résidence hôtelière en résidence pour personnes âgées ; qu'il s'agissait en effet, disent-ils, d'opérer des travaux portant sur la structure des ouvrages et la sécurité des personnes, ce que Me [P] [C] ne pouvait ignorer ; que celui-ci ne pouvait donc pas recevoir les actes en la forme d'une vente ordinaire et aurait dû conseiller la vente sous le régime de la VEFA, parfaitement applicable même à un immeuble déjà construit nécessitant une rénovation lourde ; qu'ils ajoutent que le notaire aurait dû, à tout le moins, les mettre en garde sur le fait que, des travaux devant être réalisés par le vendeur alors que le prix était déjà payé, il n'était prévu aucune garantie d'achèvement ;

Qu'il convient cependant de relever que si les actes de vente évoquent deux permis de construire, l'un concernait la piscine et l'autre portait autorisation de changement de destination de l'immeuble existant, sans que soient envisagés des travaux de gros oeuvre ou de rénovation lourde du bâti ;

Que la mise en copropriété du bâtiment et la rédaction par Me [P] [C] d'un règlement de copropriété n'impliquaient pas que de gros travaux soient nécessaires ;

Que le descriptif des travaux annexé aux actes de vente ne faisait état, s'agissant du bâtiment, que de travaux de rénovation intérieure et d'adaptation des locaux aux exigences de sécurité ; que ces travaux devaient être réalisés par le vendeur et étaient achevés ou en cours de finition puisqu'il était prévu que les acquéreurs avaient la jouissance de leurs lots dès la signature de l'acte de vente, qu'un bail commercial était signé le même jour avec la société MGI pour une mise en exploitation immédiate et que des loyers ont été d'ailleurs versés par cette société à ses bailleurs pendant toute l'année 2008 ;

Que les acquéreurs font observer que la démonstration de l'importance des travaux résulte du coût global de ceux-ci pour un montant de plus de 1 300 000 euros ; mais que le coût de 1 331 817,76 euros a été évoqué par l'expert judiciaire [E] uniquement à partir de la convention de contrôle technique conclue par la société Résidences Pasteur avec l'APAVE, à l'exclusion de la communication d'un quelconque marché de travaux, et qu'il doit être noté, d'une part qu'il incluait le coût de la piscine, d'autre part et surtout que ce coût na jamais été porté à la connaissance du notaire ;

Que des travaux ont bien été réalisés par la société Résidences Pasteur entre le 17 décembre 2007 et le 6 août 2008 et que la mise en location des studios a été possible pendant toute l'année 2008 ; que l'expert [E] rappelle, certes, que les locaux ont fait l'objet d'un rapport de non conformité de l'APAVE en février 2009 et d'un avis défavorable à la poursuite de l'exploitation de la commission de sécurité en mars 2009, mais ne se prononce pas sur le partage à faire entre des inachèvements ou des malfaçons, or la vente en VEFA ne pouvait en tout état de cause prévenir le risque de malfaçons ;

Qu'il doit être ajouté qu'aucun reproche ne peut être fait à Me [P] [C] pour ne pas avoir investigué plus avant sur l'état des constructions lors de la signature de la vente, alors que le notaire n'a pas à se déplacer pour vérifier l'état de l'immeuble et qu'il appartenait au contraire aux acquéreurs de prendre toute précaution avant la signature de l'acte afin de s'assurer de l'état des studios dès lors qu'il était prévu qu'ils en prenaient possession dès cette date ;

Que si aucun reproche ne peut donc être fait à Me [P] [C] au regard des travaux à réaliser sur le bâtiment, il n'en est pas de même concernant les travaux de construction de la piscine ; que le notaire rappelle en effet dans les actes que la société Résidences Pasteur avait obtenu un permis de construire le 16 août 2007 et qu'il écrit, tant dans l'acte du 26 décembre 2007 que dans celui du 3 juillet 2008, que la piscine est 'actuellement en cours de construction', alors que l'expert judiciaire indique qu'en réalité, la société Résidences Pasteur n'a jamais entrepris aucuns travaux concernant la piscine ; que le notaire savait, à tout le moins, que, lors de la rédaction des actes, les travaux de la piscine n'étaient pas achevés et qu'il aurait donc dû, dans le cadre de son devoir de mise en garde, alerter les acquéreurs sur le risque de non réalisation ou de non finition des travaux à défaut de toute garantie donnée par le vendeur sur leur exécution ; que la constitution d'une hypothèque prise par le syndicat des copropriétaires le 17 juillet 2009, soit deux années après les ventes, à hauteur de 30 000 euros sur les lots de service restant appartenir à la société Résidences Pasteur n'était pas de nature à garantir les acquéreurs de la réalisation de la piscine et ne permet pas à Me [P] [C] d'échapper à sa responsabilité sur cette question ;

Que si l'absence de réalisation de la piscine ne portait pas atteinte à la destination du projet qui était l'exploitation de la résidence en location meublée pour séniors, il n'en demeure pas moins que cet élément d'équipement était important dans une résidence présentée comme une résidence séniors de luxe à vocation touristique dans une ville thermale, le permis de construire prévoyant d'ailleurs des prestations 'haut de gamme', à savoir un bassin de 12m sur 6m couvert et encadré de murs avec aménagement paysager ;

Que le risque de non réalisation de cette piscine, une fois le prix payé et l'immeuble livré aux acquéreurs sans aucune garantie d'achèvement de ces travaux, était de nature à influer sur la décision d'acquérir de M. et Mme [F] et de M. et Mme [D] ; que l'absence d'information et de mise en garde leur a donc fait perdre une chance que l'on peut considérer comme sérieuse de renoncer à acquérir dans ces conditions et d'éviter le préjudice consistant à avoir acheté dans une résidence dite de luxe dépourvue de piscine et à avoir ainsi surpayé les studios dont le prix avait été fixé au regard, notamment, de cet équipement ;

Que le préjudice en lien de causalité avec la faute du notaire sera évalué sur la base d'une perte de chance de 60% et d'une surévaluation du prix de 15%, soit donc :

- pour M. et Mme [F] : (503 816 euros x 15%) x 60% = 45 343,44 euros arrondi à 45 350 euros,

- pour M. et Mme [D] : (433 100 euros x 15%) x 60% = 38 979 euros arrondi à 39 000 euros ;

Que toutes les autres demandes présentées par les consorts [F] / [D] sont sans lien avec la seule faute retenue contre Me [P] [C] et seront donc rejetées ;

II - La résidence Les Jardins du Lac :

Attendu que les mêmes observations doivent être faites concernant l'acte de vente du 31 décembre 2008 par lequel M. et Mme [F] ont acquis les studios de la résidence Les Jardins du Lac que celles faites plus haut concernant les mentions portées dans les actes des 26 décembre 2007 et 3 juillet 2008 portant sur les studios de la résidence Castel Emeraude, à savoir que l'acte fait foi jusqu'à inscription de faux de ce que le notaire y consigne ; que le descriptif sommaire des travaux de rénovation (dénommé 'notice' dans l'acte notarié et qui comporte, in fine, la mention 'fin de la notice descriptive') a été signé et paraphé dans toutes ses pages par M. et Mme [F] et qu'il comporte le tampon 'annexé à un acte reçu par le notaire le 31 décembre 2008";

Qu'il n'est donc pas établi par M. et Mme [F], contre les mentions de l'acte, qu'ils auraient été privés de la connaissance du réglement de copropriété et de la notice descriptive des travaux sur la résidence ;

Que le manquement du notaire rédacteur de l'acte, Me [J] [Z], à son devoir de conseil et de mise en garde concernant l'opportunité économique ne peut être retenu, pour les mêmes motifs que ceux développés pour l'opération de la résidence Castel Emeraude;

Que l'absence d'efficacité de l'acte au regard des conséquences fiscales recherchées par les acquéreurs n'est pas démontrée, M. et Mme [F] ne produisant aucun document fiscal et n'établissant donc pas qu'ils n'auraient pas pu bénéficier du régime fiscal recherché ;

Que, comme pour la résidence Castel Emeraude, il ne peut être reproché à Me [P] [C] d'avoir commis une faute dans la rédaction du règlement de copropriété en prévoyant que les lots de service resteraient la propriété de la société venderesse, ces dispositions présentant des avantages pour les acquéreurs, même si, en l'espèce, ceux-ci ont dû, en raison de la liquidation judiciaire de la société Résidences Pasteur, acquérir ces lots avant de trouver un repreneur commercial ;

Attendu, s'agissant des travaux réalisés ou à réaliser par le vendeur, que le descriptif indique que le bâtiment est existant et détaille les caractéristiques générales de l'immeuble, les équipements intérieurs et les parties communes en mentionnant, pour chacun des postes, que les travaux ont déjà été exécutés au titre des existants ; qu'il définit les quelques aménagements et ameublements à apporter aux parties privatives ; qu'une piscine avec terrasse est également existante et que ses caractéristiques y sont définies (ouvrage en maçonnerie et béton armé revêtement intérieur frise carrelage et peinture.....);

Que l'acte rappelle que le bâtiment a fait l'objet d'un permis de construire délivré en 1993 et d'un modificatif de décembre 1994, mais que la société Résidences Pasteur n'a obtenu aucun permis de construire pour les travaux de rénovation intérieurs envisagés sur l'immeuble ;

Qu'aucun élément ne permet de considérer que la vente des lots privatifs aurait dû être passée sous le régime de la VEFA, la construction étant achevée et les travaux à réaliser étant mineurs;

Qu'il n'est pas démontré que ces quelques travaux n'auraient pas été exécutés par la société Résidences Pasteur ; que la production des factures réglées par le syndicat des copropriétaires en 2010 pour entretenir et réparer la piscine et la terrasse et la communication de l'état des travaux dressé par le syndic mentionnant des travaux exceptionnels sur la piscine et la plomberie sont insuffisantes pour établir que la venderesse devait exécuter des travaux plus amples qu'elle n'aurait pas réalisés ; que les travaux de ravalement auxquels la copropriété a dû faire face en 2011 n'étaient ni prévus ni envisagés lors de la vente de l'immeuble en 2008 et que le gérant fait d'ailleurs état, au sujet de ces travaux, dans un mail du 17 mars 2011, de la 'dégradation de la façade depuis l'arrêt d'exploitation de MGI' ;

Que dès lors, le notaire n'avait pas à mettre en garde les acquéreurs sur la réalisation par le vendeur des travaux de rénovation minimes prévus au descriptif et qu'il n'a pas à garantir les acheteurs du coût des travaux et charges qu'ils doivent, en leur qualité de propriétaires, assumer pour entretenir l'immeuble après leur acquisition ;

Que M. et Mme [F] seront en conséquence déboutés de la totalité de leurs demandes au titre de l'acquisition des 4 studios de la résidence Les Jardins du Lac à [Localité 11] ;

Attendu que Me [P] [C] et la SCP BOYSSON-FERRE MICHEL [Z] FIORINI AVOUSTEN réclament reconventionnellement la condamnation de M. et Mme [F] et de M. et Mme [D] à leur verser des dommages et intérêts en réparation du préjudice moral et matériel résultant des propos tenus et allégations faites par ceux-ci dans leurs écritures ;

Que si le caractère jugé outrancier de leurs demandes indemnitaires ne peut être considéré comme constitutif d'une faute ou d'un abus, tel n'est pas le cas des accusations violentes portées contre les notaires auxquels il est reproché par les intimés, dans leurs écritures devant la cour, d'en être 'réduits à commettre des faux pour tenter de se dédouaner' et d'avoir 'délibérément reçu par acte authentique des informations trompeuses dans le seul dessein de tromper la confiance des époux [F] et [D] ; qu'il s'agit d'accusations particulièrement graves à l'égard d'un notaire, même si des manquements peuvent lui être reprochés, et qu'elles excédent les propos qui peuvent être tenus par une partie pour assurer une défense ferme et efficace de ses prétentions et discuter les pièces et arguments de son adversaire ; que les allégations de faux ainsi proférées portent atteinte à l'honorabilité des notaires dont la probité est gravement mise en doute ;

Qu'en application de l'article 41 alinéas 4 et 5 de la loi du 29 juillet 1881, si les écrits produits devant les tribunaux ne peuvent donner lieu à aucune action en diffamation, les juges saisis de la cause peuvent néanmoins, en l'état de discours injurieux, outrageants ou diffamatoires, condamner qui il appartiendra à des dommages et intérêts ;

Qu'il convient en conséquence de condamner M. et Mme [F] et M. et Mme [D] in solidum à verser à Me [P] [C] et à la SCP BOYSSON-FERRE MICHEL [Z] FIORINI AVOUSTEN ensemble une somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice occasionné ;

Vu les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Vu l'article 696 du code de procédure civile,

Par ces motifs,

La cour, statuant publiquement, contradictoirement

et en dernier ressort,

Statuant dans la limite de l'appel qui n'intéresse que les prétentions de M. et Mme [F] et M. et Mme [D] à l'encontre de Me [P] [C] et de la SCP BOYSSON-FERRE MICHEL [Z] FIORINI AVOUSTEN,

Déclare la note en délibéré déposée le 04 février 2020 par le conseil des consorts [F]/[D] ainsi que les documents joints irrecevables

Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté M. et Mme [F] et M. et Mme [D] de leurs demandes respectives en réparation d'un préjudice moral ;

Confirme également les dispositions du jugement sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens ;

L'infirme pour le surplus de ses dispositions et statuant à nouveau,

Dit que la SCP BOYSSON-FERRE MICHEL [Z] FIORINI AVOUSTEN n'a pas commis de manquement, ni à son obligation d'efficacité de l'acte, ni à son devoir d'information, de conseil et de mise en garde à l'égard de M. et Mme [F] en recevant l'acte authentique du 31 décembre 2008 portant acquisition par eux des 4 studios de la résidence Les Jardins du Lac à [Localité 11] vendus par la société Résidences Pasteur ;

Déboute en conséquence M. et Mme [F] de toutes leurs demandes au titre de cette acquisition ;

Dit que Me [P] [C] et la SCP BOYSSON-FERRE MICHEL [Z] FIORINI AVOUSTEN ont manqué à leur obligation de conseil et de mise en garde à l'égard de M. et Mme [F] en recevant l'acte authentique du 26 décembre 2007 portant acquisition par eux de 5 studios de la résidence Castel Emeraude à [Localité 7] ([Localité 6]) vendus par la société Résidences Pasteur ;

Dit qu'il en est résulté un préjudice de perte de chance évalué à la somme de 45 350 euros et condamne en conséquence Me [P] [C] et la SCP BOYSSON-FERRE MICHEL [Z] FIORINI AVOUSTEN in solidum à régler cette somme à M. et Mme [F] ;

Déboute M. et Mme [F] de toutes leurs autres demandes indemnitaires au titre de cette opération ;

Dit que Me [P] [C] et la SCP BOYSSON-FERRE MICHEL [Z] FIORINI AVOUSTEN ont manqué à leur obligation de conseil et de mise en garde à l'égard de M. et Mme [D] en recevant l'acte authentique du 3 juillet 2008 portant acquisition par eux de 5 studios de la résidence Castel Emeraude à [Localité 7] ([Localité 6]) vendus par la société Résidences Pasteur ;

Dit qu'il en est résulté un préjudice de perte de chance évalué à la somme de 39 000 euros et condamne en conséquence Me [P] [C] et la SCP BOYSSON-FERRE MICHEL [Z] FIORINI AVOUSTEN in solidum à régler cette somme à M. et Mme [D] ;

Déboute M. et Mme [D] de toutes leurs autres demandes indemnitaires au titre de cette opération ;

Condamne M. et Mme [F] et M. et Mme [D] in solidum à verser à Me [P] [C] et la SCP BOYSSON-FERRE MICHEL [Z] FIORINI AVOUSTEN ensemble une somme de 1 000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant des propos outrageants et diffamatoires portés contre eux dans leurs écritures devant la cour ;

Ajoutant au jugement,

Condamne Me [P] [C] et la SCP BOYSSON-FERRE MICHEL [Z] FIORINI AVOUSTEN in solidum à verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à M. et Mme [F] et M. et Mme [D] ensemble ;

Les condamne aux dépens d'appel qui seront recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIERLE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 1-1
Numéro d'arrêt : 18/05696
Date de la décision : 03/03/2020

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence 1A, arrêt n°18/05696 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-03-03;18.05696 ?
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