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13/02/2020 | FRANCE | N°17/19424

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 3-3, 13 février 2020, 17/19424


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 3-3



ARRÊT AU FOND

DU 13 FEVRIER 2020



N° 2020/55













Rôle N° RG 17/19424 - N° Portalis DBVB-V-B7B-BBMMV







SA CAISSE D'EPARGNE CEPAC





C/



[B] [P]

[T] [U]

SELARL DE [Localité 8] - [Localité 6]

SARL FJ ARTS

SARL LES ARTS





















Copie exécutoire délivrée

le :

à :
>Me Gilles MATHIEU

Me Philippe KLEIN













Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal de Commerce d'AIX-EN-PROVENCE en date du 13 Juin 2017 enregistré au répertoire général sous le n° 2015006243.





APPELANTE



SA CAISSE D'EPARGNE CEPAC, poursuites et diligences de son repré...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 3-3

ARRÊT AU FOND

DU 13 FEVRIER 2020

N° 2020/55

Rôle N° RG 17/19424 - N° Portalis DBVB-V-B7B-BBMMV

SA CAISSE D'EPARGNE CEPAC

C/

[B] [P]

[T] [U]

SELARL DE [Localité 8] - [Localité 6]

SARL FJ ARTS

SARL LES ARTS

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Gilles MATHIEU

Me Philippe KLEIN

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Commerce d'AIX-EN-PROVENCE en date du 13 Juin 2017 enregistré au répertoire général sous le n° 2015006243.

APPELANTE

SA CAISSE D'EPARGNE CEPAC, poursuites et diligences de son représentant légal,

dont le siège social est [Adresse 9]

représentée et assistée de Me Gilles MATHIEU de la SELARL MATHIEU-DABOT-BONFILS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

INTIMES

Monsieur [B] [P]

né le [Date naissance 1] 1972 à [Localité 7],

demeurant [Adresse 4]

représenté et assisté de Me Philippe KLEIN de la SCP RIBON KLEIN, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

SARL FJ ARTS, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux,

dont le siège social est sis [Adresse 3]

représentée et assistée de Me Philippe KLEIN de la SCP RIBON KLEIN, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

SARL LES ARTS, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux,

dont le siège social est sis [Adresse 3]

représentée et assistée de Me Philippe KLEIN de la SCP RIBON KLEIN, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

PARTIE(S) INTERVENANTE(S)

Maître [T] [U], assigné en intervention forcée en sa qualité de liquidateur judiciaire des sociétés SARL FJ ARTS et SARL LES ARTS

demeurant [Adresse 2]

représenté et assisté de Me Philippe KLEIN de la SCP RIBON KLEIN, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

SELARL DE [Localité 8] - [Localité 6], assigné en intervention forcée en sa qualité d'administrateur judiciaire des sociétés SARL FJ ARTS et SARL LES ARTS,

dont le siège social est sis [Adresse 5]

représentée et assistée de Me Philippe KLEIN de la SCP RIBON KLEIN, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 10 Décembre 2019 en audience publique. Conformément à l'article 785 du code de procédure civile, Mme DUBOIS, conseiller, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Madame Valérie GERARD, Président de chambre

Madame Françoise PETEL, Conseiller

Madame Anne DUBOIS, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Laure METGE.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 13 Février 2020.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 13 Février 2020,

Signé par Madame Valérie GERARD, Président de chambre et Madame Laure METGE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

[B] [P] est le gérant des SARL Les Arts et SARL TDB Holding, deux sociétés holding détenant :

- pour la première 99 % des parts des SARL FJ Arts, FJ Cathédrale et Aux artisans boulangers pâtissiers dont il est également le gérant, avec 1 % des parts sociales pour chacune des sociétés,

- pour la seconde, 99 % des parts des SARL TDB Paluds, TDB Félix Barret, [Adresse 10], TDB Prod et TDB Gibbes, dont il est aussi le gérant avec 1 % des parts sociales.

Ces sociétés ont pour activité la boulangerie pâtisserie ou la restauration rapide et il existe des relations croisées client-fournisseur, entre sociétés mères et filles, entre sociétés filles et entre les deux holdings.

Comme chacune des sociétés du groupe, la SARL FJ Arts a ouvert un compte courant professionnel dans les livres de la Caisse d'Épargne CEPAC (la CEPAC), agence de Venelles le 8 juin 2010.

Selon acte sous signatures privées du 7 juillet 2010, la CEPAC a consenti à la SARL FJ Arts un prêt professionnel d'un montant de 250 000 euros destiné à l'acquisition d'un fonds de commerce garanti par un nantissement sur ledit fonds de commerce, la caution solidaire de la SARL Les Arts et la caution personnelle et solidaire de [B] [P].

La SARL Les Arts a conclu, par acte du 2 janvier 2013 et avenant du 1er octobre 2013, une convention de gestion centralisée de trésorerie et d'avance intra-groupe, avec ses sociétés filles auxquelles s'est jointe la SARL Le Temps des tartines.

La SARL TDB Holding a fait de même avec ses propres sociétés filles, par acte du 2 janvier 2013.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 10 octobre 2014, la CEPAC a informé la SARL FJ Arts de ce qu'elle mettait en place immédiatement un délai d'encaissement pour les chèques déposés sur le compte, à raison du volume anormalement élevé des flux. Cette décision a eu pour conséquence la contre-passation des chèques émis par la SARL FJ Arts s'avérant sans provision.

Le 20 mai 2015, la banque a déposé plainte contre [B] [P] pour des faits d'escroquerie, plainte réitérée le 22 septembre 2015 entre les mains du procureur de la République près le tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence. Cette plainte a été classée sans suite le 31 janvier 2019 en l'absence d'élément intentionnel de la part de [B] [P] et eu égard à la connaissance par la banque du système de financement mis en place au niveau du groupe.

La CEPAC a déposé une plainte avec constitution de partie civile entre les mains du doyen des juges d'instruction du tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence le 18 juin 2019.

Parallèlement, par lettres recommandées avec accusé de réception des 29 décembre 2014, 20 février 2015, 13 et 14 avril 2015, la CEPAC a mis la SARL FJ Arts en demeure de régulariser le solde débiteur du compte courant et les sommes dues au titre du prêt et prononcé la déchéance du terme du prêt.

Par actes du 12 juin 2015, la CEPAC a fait assigner les SARL FJ arts, Les Arts et [B] [P] en paiement devant le tribunal de commerce d'Aix-en-Provence.

Par jugement du 13 juin 2017, ce tribunal a :

- dit que la Caisse d'Épargne et de prévoyance Provence Alpes Corse a accordé aux sociétés du groupe [P] dont la SARL FJ Arts un concours bancaire par le biais d'un système de décalage de jours de valeur dans le traitement des remises de chèques intra-groupe ;

- dit que ce concours bancaire a été rompu brutalement par la Caisse d'Épargne et de prévoyance Provence Alpes Corse sans respecter le préavis de 60 jours prévu à l'article L.313-12 du code monétaire et financier ;

- dit que la rupture du concours bancaire est frappée de nullité et rejeté les demandes de la Caisse d'Épargne relatives au paiement de la somme de 33.908,43 euros au titre du solde débiteur du compte courant, celle-ci n'étant pas exigible ;

- constaté que la Caisse d'Épargne et de prévoyance Provence Alpes Corse a refusé de restituer aux sociétés du groupe [P], dont la SARL FJ Arts, les chèques rejetés ;

- dit que ces deux éléments constituent des fautes imputables à la Caisse d'Épargne et de prévoyance Provence Alpes Corse qui ont entraîné des préjudices ;

- dit que le non-remboursement du prêt est causé par les fautes de la Caisse d'Épargne et de prévoyance Provence Alpes Corse, qu'en conséquence il n'y a pas lieu à déchéance du terme ni à l'application du taux contractuel majoré ;

- condamné solidairement la SARL FJ Arts, Monsieur [B] [P], celui-ci dans la limite de son engagement de caution soit 250.000 euros et la SARL Les Arts celle-ci dans la limite de son engagement de caution soit 325.000 euros, à s'acquitter des échéances du prêt moyen terme échues et impayées jusqu'au jour du présent jugement en une ou plusieurs fois dans un délai de vingt-quatre mois à compter de la signification du présent jugement sans intérêt de retard ni application d'un taux contractuel majoré ;

- et de même suite condamné la Caisse d'Épargne et de prévoyance Provence Alpes Corse à remettre en gestion normale le prêt à moyen terme dont les échéances restant à courir devront être réglées par la SARL FJ Arts selon le plan de remboursement initial ;

- condamné la Caisse d'Épargne et de prévoyance Provence Alpes Corse à restituer à la SARL FJ Arts l'ensemble des chèques rejetés dont elle était le bénéficiaire sous astreinte de 15 euros par jour de retard qui commencera à courir à compter du 1er jour du mois suivant la signification du présent jugement ;

- condamné la Caisse d'Épargne et de prévoyance Provence Alpes Corse à payer à la SARL FJ Arts la somme de 25.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale du concours bancaire ;

- condamné la Caisse d'Épargne et de prévoyance Provence Alpes Corse à payer à la SARL FJ Arts la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la déclaration fautive de chèques sans provision à la Banque de France ;

- condamné la Caisse d'Épargne et de prévoyance Provence Alpes Corse à payer à la SARL FJ Arts la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la non restitution des chèques rejetés, ce qui l'a privée d'une chance de régulariser et de faire annuler l'interdiction d'émettre des chèques et par voie de conséquence d'obtenir du crédit auprès d'une autre banque ;

- rejeté les demandes en dommages et intérêts de la SARL FJ Arts de 16.428,40 euros au titre des frais bancaires ;

- condamné la Caisse d'Épargne et de prévoyance Provence Alpes Corse à payer à la SARL FJ Arts la somme 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens de l'instance,

- ordonné la compensation entre les sommes dues par la SARL FJ Arts à la Caisse d'Épargne et de prévoyance Provence Alpes Corse et les sommes dues par celle-ci à la SARL Arts au titre des condamnations au paiement de dommages et intérêts qui viennent d'être prononcées,

- ordonné l'exécution provisoire.

La CEPAC a interjeté appel le 26 octobre 2017.

Le 25 octobre 2018, les SARL FJ Arts et Les Arts ont été placées en redressement judiciaire. Me [T] [U] et la SELARL de Saint Rapt [Localité 6] ont été respectivement désignés mandataire judiciaire et administrateur judiciaire pour chacune des sociétés.

Vu les dernières conclusions de la CEPAC du 15 novembre 2019, auxquelles il est expressément référé en application de l'article 455 du code de procédure civile,

Vu les dernières conclusions de la SARL FJ Arts, la SARL Les Arts, [B] [P], la SELARL de Saint Rapt [Localité 6] et Me Vincent de Carrière du 14 novembre 2019, auxquelles il est expressément référé en application de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Contrairement à ce que soutient la CEPAC, les intimés ne fondent pas leur demande sur les dispositions de l'article L650-1 du code de commerce, il ne sera donc pas répondu aux moyens de la banque sur ce point.

- Sur l'application de l'article L313-12 du code monétaire et financier :

La CEPAC soutient d'abord que c'est à tort que les premiers juges ont considéré que la banque avait accordé un concours bancaire par le biais d'un système de décalage de jours de valeur dans le traitement des remises de chèques intra-groupe. Elle indique qu'en réalité [B] [P] a mis en place, entre les différentes sociétés du groupe, des faits de cavalerie par des opérations croisées entre comptes masquant l'insuffisance des ressources du groupe en jouant sur les dates de compensation pour se créer fictivement de la trésorerie par des remises alternées de chèques sans provision tirés sur les comptes des sociétés mère et filles. Elle fait valoir que ces chèques, de montants ronds, ne correspondaient à aucune prestation et que les flux constitués par ces remises n'avaient aucune explication financière ou comptable, un volume anormal ayant été constaté en septembre et octobre 2014.

Elle affirme que contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, elle n'a réalisé aucune gestion de fait de la trésorerie du groupe de sociétés, que les délais pour les débits des chèques sont ceux de la pratique bancaire et qu'elle informait ses clients pour qu'ils puissent régulariser la provision des chèques avant leur contre-passation éventuelle. Elle conteste avoir octroyé un quelconque concours bancaire et soutient qu'elle n'avait donc pas à respecter le délai de préavis de l'article L313-12 du code monétaire et financier, rappelant que comme le font valoir eux-mêmes les intimés, jusqu'au 10 octobre 2014 le compte fonctionnait en position créditrice parce qu'elle refusait tout solde débiteur.

Elle ajoute qu'à supposer qu'un concours soit caractérisé, il ne pouvait être qu'occasionnel et le comportement du titulaire du compte constituait un comportement gravement répréhensible, s'agissant de faits de cavalerie de nature délictuelle, l'autorisant à mettre fin immédiatement au concours. Enfin, elle précise que, contrairement à ce qu'affirment les intimés, l'avis de classement du parquet est sans incidence.

Les intimés répliquent que le système mis en place conduisait à l'absence de délai d'encaissement sur les chèques déposés jusqu'au 10 octobre 2014, le gestionnaire du compte avertissant quasi quotidiennement la société des chèques se présentant à l'encaissement et l'invitant alors à déposer un chèque correspondant au cumul des débits à compenser. Ce dépôt émanait d'une autre société du groupe en parfait accord avec la banque laquelle en différait donc le débit sur le compte de la société émettrice.

Ils affirment que la banque gérait et contrôlait seule ce système de paiement se rémunérant par de substantielles commissions, que ce système, qui fonctionnait depuis 2013, générait de la trésorerie de manière permanente afin de conserver à l'équilibre les comptes de l'ensemble des sociétés du groupe et ils en déduisent qu'il constituait bien un concours bancaire rompu brutalement le 10 octobre 2014.

Ils ajoutent qu'aucun comportement gravement répréhensible ne peut être imputé à la SARL FJ Arts dès lors que ce mode de financement était réalisé avec l'assentiment et la participation active de la banque.

En application de l'article L313-12 du code monétaire et financier, tout concours à durée indéterminée, autre qu'occasionnel, qu'un établissement de crédit ou une société de financement consent à une entreprise, ne peut être réduit ou interrompu que sur notification écrite et à l'expiration d'un délai de préavis fixé lors de l'octroi du concours. Ce délai ne peut, sous peine de nullité de la rupture du concours, être inférieur à soixante jours.

La remise d'un chèque, même de banque, ne vaut paiement que sous réserve de son encaissement. S'il est d'usage que la banque le porte immédiatement au crédit du compte, il ne s'agit que d'une avance consentie au bénéficiaire dont la banque est fondée à obtenir le remboursement par voie de contre-passation. Les dates de valeur, qui ne peuvent être fixées que conformément aux dispositions de l'article L131-1-1 du code monétaire et financier, ne servent qu'à calculer les intérêts afférents à l'avance ainsi consentie.

En application de l'article L131-73 du code monétaire et financier, le banquier tiré peut, après avoir informé par tout moyen approprié mis à disposition par lui le titulaire du compte des conséquences du défaut de provision, refuser le paiement d'un chèque pour défaut de provision.

Contrairement à ce qu'affirment les intimés, la convention de compte ne démontre pas que la banque n'appliquait aucun délai d'encaissement sur les chèques déposés.

En effet, il résulte de la pièce n°29, extraite des conditions générales de la convention de compte « libre convergence » dont la SARL FJ Arts a reconnu avoir reçu un exemplaire lors de l'ouverture du compte courant le 8 juin 2010, non discutée, qu'en principe le montant du chèque que le client a remis à l'encaissement est disponible dès que l'écriture apparaît sur son compte à la date de valeur indiquée. Toutefois, la banque du tireur du chèque bénéficie d'un délai pendant lequel elle peut en refuser le paiement. Aussi, la Caisse d'Épargne fait-elle une avance sur le chèque remis à l'encaissement aussi longtemps que ce délai d'encaissement existe et permet ainsi au client d'utiliser la provision apportée par ce chèque. La Caisse d'Épargne peut, à tout moment, et nonobstant toute pratique antérieure, refuser de faire une avance sur un chèque tant que le délai d'encaissement n'est pas écoulé la provision étant alors indisponible. La Caisse d'Épargne en informera le client par tous moyens, les délais d'encaissement sont précisés dans les conditions et tarifs des principaux services bancaires applicables.

La banque a ainsi formalisé l'avance faite lors de la remise d'un chèque par chacun de ses clients en rappelant la contre-passation possible.

Les conditions et tarifs applicables en 2013 et 2014 indiquent que la date de valeur pour la remise d'un chèque est la date de remise +1 jour ouvré.

Les intimés ne produisent pas les relevés de leur compte courant, mais la liste des mouvements en suspens de régularisation (pièce 9) montrant, pour chaque période considérée, non seulement les chèques présentés à l'encaissement s'avérant sans provision, mais également les prélèvements non couverts par le solde du compte ainsi qu'au regard de chaque opération, la date limite de régularisation de chacune de ces opérations. Si effectivement les soldes sont indiqués comme créditeurs, la banque ne fait qu'aviser son client de ce que les chèques et prélèvements présentés vont le rendre débiteur et l'invite par là même à régulariser. Cette pièce ne concerne que les mouvements à régulariser pour la période de juin à octobre 2014, aucun relevé de compte ou aucune autre pièce n'étant produite pour les mouvements du compte concernant l'année 2013.

La banque a produit le relevé du compte de la SARL FJ Arts (pièce 21) pour la période du 1er juillet au 30 septembre 2014 montrant l'application de dates de valeur, pour la remise de chèques au crédit, conforme aux conditions contractuelles, par exemple remise du 3 juillet, date de valeur au 4 juillet, remise du 31 juillet date de valeur au 1er août, remise du 13 août, date de valeur au 14 août ' Il n'est donc démontré « aucun forçage manuel » ni application de conditions anormales dans le fonctionnement du compte.

Les courriels échangés entre la banque et [B] [P], ès qualités de dirigeant de la société concernée par ces mouvements (pièces 10 et 11) montrent qu'effectivement, la banque l'avisait de la présentation de chèques ou prélèvements au paiement susceptibles d'entraîner un solde débiteur en l'invitant à régulariser les mouvements en suspens.

Cette invitation à régulariser ne procède, pour les chèques litigieux, que de l'obligation ci-dessus rappelée, issue de l'article L131-73 du code monétaire et financier. La banque demande à chaque fois de « couvrir » les comptes pour éviter un solde débiteur ce qui a été effectivement fait par le dépôt de chèques émis par les autres sociétés du groupe et il ne peut en être déduit que la banque exerçait une quelconque gestion de fait de ces sociétés.

Par ailleurs, aucun de ces échanges ne montre que la banque avait, d'un commun accord avec le dirigeant de toutes les sociétés, accepté, comme les intimés le prétendent, que la couverture de ces comptes s'effectue au moyen de chèques eux-mêmes sans provision émis par les sociétés du groupe. Il est d'ailleurs relevé que des incidents de paiement ont eu lieu et des interdictions bancaires ont été prononcées en juin 2014 (courriels des 29 juin et 1er juillet 2014), démontrant ainsi que la banque n'accordait aucun découvert en compte.

Si les conventions de gestion centralisée de trésorerie et d'avance intra-groupe autorisent un système visant à « centraliser les opérations de trésorerie des sociétés signataires sur les comptes bancaires de la société centralisatrice, de façon à éviter des immobilisations coûteuses et à favoriser une gestion optimale aussi bien du recours au crédit que du placement des excédents de trésorerie », et permettent effectivement des flux de trésorerie intra-groupe, elles n'autorisent en aucune manière la mise en place d'un système de circulation de chèques bancaires émis par chacune des sociétés du groupe tendant à « couvrir » un solde débiteur du compte d'une autre société du groupe sans que la provision des chèques ainsi émis ne soit assurée.

Le relevé des frais prélevés par la banque, établi par les intimés eux-mêmes, est totalement inopérant en ce qu'il ne rend pas compte des opérations pour lesquelles ces frais ont été prélevés et qu'il n'est que l'exécution de la convention de compte courant professionnel conclue le 8 juin 2010 (pièce 20 CEPAC).

La seule avance faite par la banque lors de la remise de chèques par l'inscription en compte du montant des chèques sous réserve de contre-passation ne caractérise pas l'octroi d'un concours bancaire soumis aux dispositions de l'article L313-12 du code monétaire et financier et c'est à tort que les premiers juges ont considéré que le courrier du 10 octobre 2014 était constitutif d'une rupture brutale d'un tel concours.

Le jugement est infirmé de ce chef et du chef des conséquences qu'en ont tiré les premiers juges.

- Sur la non restitution des chèques :

Les intimés reprochent à la CEPAC d'avoir violé les dispositions des articles R131-46 et R131-47 du code monétaire et financier en ne restituant pas les chèques rejetés faute de provision et en n'établissant pas d'attestation de rejet desdits chèques. Ils précisent que le refus de fournir les attestations de rejet ne peut être justifié par la plainte pénale qu'elle a diligentée. Ils soutiennent que ces fautes ont entraîné un préjudice propre à chaque société du groupe et distinct du préjudice subi par les créanciers de la procédure collective, caractérisé par l'impossibilité pour le gérant de procéder à la régularisation de la situation ce qui a empêché la poursuite de certaines activités, entraînant une baisse du chiffre d'affaires et la fermeture de certains secteurs d'activité, ainsi qu'en atteste le bilan économique établi par le mandataire judiciaire.

Il est réclamé à ce titre la somme de 8 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de la non restitution des chèques.

La CEPAC fait valoir qu'elle était dans l'impossibilité de restituer les originaux des chèques en l'état de la procédure pénale en cours dont ils constituaient une pièce essentielle et que lorsque les services de police lui ont remis les chèques en janvier 2018, elle a, selon procès-verbaux de constat des 14 et 16 février 2018, restitué les chèques aux intimés. Elle ajoute que la restitution des chèques aurait permis de lever l'interdiction bancaire de manière fictive, qu'en l'état des soldes fortement négatifs des comptes bancaires des sociétés émettrices, ces dernières n'avaient aucun intérêt à tenter d'obtenir paiement des créances par une nouvelle présentation du chèque. Elle précise qu'elle a restitué l'intégralité des chèques contrairement à ce que soutiennent les intimés.

Étant rappelé que la CEPAC a, pour l'ensemble des sociétés du groupe, la double qualité de banquier tiré et présentateur, il n'est pas discuté qu'en sa qualité de banquier tiré, elle n'a pas respecté les dispositions des articles R131-46 et R131-47 du code monétaire et financier et n'a ni établi l'attestation de rejet visée par ces textes, ni restitué les chèques concernés, en procédant néanmoins, ce qui n'est pas contesté non plus, à la déclaration des incidents de paiement à la Banque de France.

La CEPAC ne peut pas, pour justifier la violation de ces obligations légales, se retrancher derrière la procédure pénale qu'elle a initiée, dès lors que d'une part, il lui était loisible de faire procéder, préalablement au respect desdites obligations à tout constat ou reproduction des chèques litigieux, ce qu'elle a d'ailleurs fait lors de leur restitution aux intimés, et que, d'autre part, les services de police pouvaient dans le cadre de l'enquête procéder à toute réquisition de manière à obtenir ces documents, ce qu'ils ont d'ailleurs fait.

La régularisation des chèques a été sollicitée dès novembre 2015 (pièce 17 des intimés) mais la CEPAC n'a procédé à l'encaissement effectif des règlements qu'en juillet 2016.

S'agissant du préjudice, il est à noter que le rapport établi par Me [T] [U] et figurant en pièce 28 des intimés, précise en page 8 que lors de la procédure de conciliation aucun protocole d'accord n'avait pu être régularisé en raison tant de la position de la banque que de celle du dirigeant « peu enclin à apurer la dette CT générée par les conditions anormales de fonctionnement des comptes courants de la Caisse d'Épargne et refusant d'effectuer un apport de fonds ».

Le mandataire judiciaire a également, au titre de l'historique et de l'origine des difficultés de la SARL FJ Arts, relevé qu'outre l'important contentieux rencontré avec la CEPAC depuis 2014, « la SARL FJ Arts avait enregistré une baisse de fréquentation à raison des travaux du centre-ville et que le modèle économique de la société et du groupe ne permettait plus de développer l'activité dans le contexte actuel ».

Le préjudice né de la non-restitution des chèques ne peut donc, comme l'ont exactement énoncé les premiers juges, qu'être constitué de la perte d'une chance de régulariser et de faire annuler l'interdiction d'émettre des chèques et par voie de conséquence d'obtenir du crédit auprès d'une autre banque et, à défaut de tout document comptable et/ou financier produit aux débats, c'est par des motifs pertinents que la cour adopte qu'ils ont évalué les dommages et intérêts dus en réparation de ce préjudice à la somme de 5 000 euros.

Les intimés sollicitent la condamnation sous astreinte de la CEPAC à lui restituer l'intégralité des chèques sans provision, faisant valoir que lors de la restitution en février 2018, 51 chèques étaient manquants.

Mais comme le fait observer justement la CEPAC, il n'est justifié par aucune pièce de ce qu'il manquait 51 chèques lors de la restitution opérée les 14 et 16 février 2018, le tableau établi par les intimés eux-mêmes n'étant aucunement probant et il y a lieu de constater que la demande en restitution est devenue sans objet depuis le 16 février 2018.

- Sur la demande en paiement des sommes dues au titre du solde débiteur du compte et du prêt :

Les intimés soutiennent que, la CEPAC ayant fait obstacle à la régularisation des sommes dues au titre du prêt, ni le solde débiteur du compte, ni la déchéance du terme du prêt ne sont exigibles.

Cependant, par lettre recommandée avec accusé de réception du 26 janvier 2015, la CEPAC précisait que, s'il n'était plus possible, compte tenu du conflit existant, d'ouvrir de nouveaux comptes dans ses livres, il était loisible à chacune des sociétés concernées de lui adresser des relevés d'identités bancaires de comptes extérieurs afin que les prélèvements relatifs au prêt soient opérés.

Il n'est justifié par aucune des sociétés du groupe de vaines démarches auprès d'établissements bancaires pour obtenir un nouveau compte ou procéder à un quelconque règlement.

Le décompte des sommes réclamées tant au titre du solde débiteur du compte que du prêt professionnel n'étant pas autrement contesté, la créance de la CEPAC doit être fixée au passif de la procédure collective de la SARL FJ Arts :

*au titre du prêt, à titre privilégié, à la somme de 152 791,52 euros avec intérêts au taux contractuel à compter du 26 octobre 2018

(principal : 115 950,66 euros et intérêts majorés courus du 14 avril 2015 au 25 octobre 2018 : 36 840,86 euros)

*au titre du solde débiteur du compte courant, à titre chirographaire la somme de 32 008,81 euros outre intérêts au taux contractuel.

- Sur le grief de disproportion du cautionnement de [B] [P] :

Invoquant les dispositions de l'article L 341-4, devenu L 332-1, du code de la consommation, [B] [P] fait valoir que, lors de la conclusion des contrats de cautionnement pour lesquels il est recherché, son engagement était manifestement disproportionné à ses biens et revenus, alors que le montant total de ses engagements de caution envers la CEPAC s'élève à 698 500 euros.

Selon le texte précité, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.

Pour l'application de ces dispositions, c'est à la caution qu'il incombe de rapporter la preuve de la disproportion qu'elle allègue et au créancier qui entend se prévaloir d'un contrat de cautionnement manifestement disproportionné d'établir qu'au moment où il appelle la caution, le patrimoine de celle-ci lui permet de faire face à son obligation.

Le caractère manifestement disproportionné du cautionnement s'apprécie au regard, d'une part, de l'ensemble des engagements souscrits par la caution, d'autre part de ses biens et revenus, sans tenir compte des revenus escomptés de l'opération garantie.

[B] [P] ne produit aucune pièce relative à ses biens et revenus au moment de la souscription de son engagement de caution et ne justifie, pour l'année 2010, d'aucun autre engagement de caution que celui souscrit au profit de la SARL FJ Arts.

La CEPAC produit quant à elle une déclaration de situation patrimoniale et fiscale souscrite par [B] [P] le 27 mai 2011 et l'avis d'imposition de ce dernier sur les revenus de 2010 desquels il résulte qu'il percevait des revenus d'un montant annuel de 164 627 euros et des revenus de capitaux mobiliers, qu'il était porteur de parts dans 2 SCI détentrices de biens immobiliers dont la valeur nette a été évaluée à 612 000 euros.

Il doit être rappelé qu'il est également le seul détenteur des parts sociales de l'ensemble des sociétés du groupe et qu'il n'a pasévalué ce patrimoine mobilier au jour de la souscription des cautionnements. Il n'existe en conséquence aucune disproportion manifeste entre l'engagement de caution de [B] [P] d'un montant de 250 000 euros et ses biens et revenus.

- Sur défaut d'information d'annuelle des cautions :

[B] [P] et la SARL FJ Cathédrale font valoir, au visa de l'article L341-6 du code de la consommation dans sa rédaction applicable au jour de la souscription du cautionnement, que la CEPAC n'a pas respecté à leur égard son obligation d'information annuelle et qu'à défaut elle est déchue des pénalités et intérêts de retard.

La CEPAC n'allègue même pas avoir respecté cette obligation qui ne s'applique cependant qu'à la caution personne physique, soit en l'espèce [B] [P] qui n'est donc pas tenu des pénalités et intérêts de retard depuis le 31 mars 2011.

[B] [P] est par conséquent condamné à payer à la CEPAC :

- échéances échues impayées : 20 921,28 €

- capital restant dû : 91 187,45 €

- intérêts contractuels arrêtés au 13 avril 2015 : 80,85 €

Total : 112 189,58 €.

C e texte, seul visé par les intimés, n'étant pas applicable à la SARL Les Arts, les intimés sont déboutés de toute demande à ce titre.

Compte tenu de la succombance respective des parties, les dépens de première instance et d'appel seront partagés par moitié entre [B] [P] et la CEPAC et il n'est pas équitable de faire application de l'article 700 du code de procédure civile en l'espèce.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement du tribunal de commerce d'Aix-en-Provence en ce qu'il a :

- condamné la Caisse d'Épargne et de prévoyance Provence Alpes Corse à restituer à la SARL FJ Arts l'ensemble des chèques rejetés dont elle était le bénéficiaire sous astreinte de 15 euros par jour de retard qui commencera à courir à compter du 1er jour du mois suivant la signification du jugement ;

- condamné la Caisse d'Épargne et de prévoyance Provence Alpes Corse à payer à la SARL FJ Arts la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la non restitution des chèques rejetés, ce qui l'a privée d'une chance de régulariser et de faire annuler l'interdiction d'émettre des chèques et par voie de conséquence d'obtenir du crédit auprès d'une autre banque ;

- rejeté les demandes en dommages et intérêts de la SARL FJ Arts de 16.428,40 euros au titre des frais bancaires ;

L'infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau,

Déboute la SARL FJ Arts, [B] [P], la SELARL de Saint Rapt [Localité 6] et Me [T] [U] de toutes leurs demandes au titre de la rupture d'un concours bancaire,

Dit que la demande de la SARL FJ Arts, [B] [P], la SELARL de Saint Rapt [Localité 6] et Me [T] [U] en restitution des chèques est sans objet depuis le 16 février 2018,

Fixe la créance de la CEPAC au passif de la SARL FJ Arts à titre chirographaire à la somme de 32 008,81 euros outre intérêts au taux contractuel,

Fixe la créance de la CEPAC au passif de la SARL FJ Arts à titre privilégié au titre du prêt à la somme de 152 791,52 euros outre intérêts au taux contractuel à compter du 25 octobre 2018,

Fixe la créance de la CEPAC au passif de la SARL Les Arts, en sa qualité de caution, à titre chirographaire à la somme de 152 761,52 euros avec intérêts au taux contractuel à compter du 25 octobre 2018,

Condamne [B] [P], en sa qualité de caution solidaire, à payer à la SA CEPAC la somme de 112 189,58 euros, outre intérêts au taux contractuel non majoré, à compter du 14 avril 2015,

- Rappelle que [B] [P] n'est pas tenu des intérêts ou pénalités de retard à compter du 31 mars 2011,

Dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile,

Fait masse des dépens de première instance et d'appel et les partage par moitié entre [B] [P] et la Caisse d'Épargne CEPAC,

Dit qu'ils seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIERLE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 3-3
Numéro d'arrêt : 17/19424
Date de la décision : 13/02/2020

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence 8B, arrêt n°17/19424 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-02-13;17.19424 ?
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