COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-6
(anciennement dénommée la 10ème chambre)
ARRÊT AU FOND
DU 30 JANVIER 2020
N° 2020/47
N° RG 19/00636
N° Portalis DBVB-V-B7D-BDTVM
[H] [D]
C/
[O] [Z] épouse [R]
Organisme CPAM DU VAUCLUSE
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
-Me Joseph MAGNAN
-l'ASSOCIATION FAURE & HAMDI
Décision déférée à la Cour :
Jugement du tribunal de grande instance de MARSEILLE en date du 13 Novembre 2018 enregistré au répertoire général sous le n° 14/14087.
APPELANT
Monsieur [H] [D],
demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Joseph MAGNAN de la SCP MAGNAN PAUL MAGNAN JOSEPH, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE (postulant), et assisté par Me Paul GUILLET, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMÉS
Madame [O] [Z] épouse [R]
Élisant domicilie pour le besoin de la procédure chez Maître [J] [P], Avocat au barreau d'Avignon
Assignée le 05/03/2019, Assignée le 24/04/2019.
Assigné portant signification de conclusions d'intimé le 02/10/2019 à personne habilitée,
demeurant Chez Maître [J] [P], [Adresse 2]
Défaillante.
CPAM DU VAUCLUSE,
Sise [Adresse 3]
représentée par Me Ahmed-cherif HAMDI de l'ASSOCIATION FAURE & HAMDI, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 04 Décembre 2019 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Monsieur Jean-Wilfrid NOEL, Président, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur Jean-Wilfrid NOEL, Président
Madame Françoise GILLY-ESCOFFIER, Conseiller
Madame Anne VELLA, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Charlotte COMBARET.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 30 Janvier 2020.
ARRÊT
Par défaut,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 30 Janvier 2020,
Signé par Monsieur Jean-Wilfrid NOEL, Président et Madame Charlotte COMBARET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
FAITS ET PROCÉDURE
Le 28 février 2000 à [Localité 4] (Vaucluse), M. [D] a agressé Mme [Z] au centre hospitalier de Montfavet, précision étant faite que l'un et l'autre y travaillaient en qualité de médecin au sein du même service. M. [D] a été condamné pénalement pour violences volontaires ayant entraîné une incapacité temporaire totale de travail supérieure à huit jours, en vertu d'un arrêt de la cour d'appel de Nîmes du 27 janvier 2004. Par arrêt du 16 novembre 2004, la cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par M. [D].
Par jugements du 9 décembre 2005 et 5 mars 2006, le TGI d'Avignon a commis le docteur [T] aux fins d'expertise judiciaire. L'expert judiciaire s'est adjoint la compétence d'un sapiteur en la personne du docteur [N]. Le rapport a été déposé le 24 mai 2006.
Par assignation du 14 novembre 2014, la caisse primaire d'assurance-maladie du Vaucluse a assigné M. [D] devant le TGI de Marseille dans le cadre du recours subrogatoire prévu par l'article L.454-1 du code de la sécurité sociale.
Par jugement du 4 octobre 2016, le TGI de Marseille a déclaré l'action de la caisse primaire d'assurance-maladie recevable mais a sursis à statuer pour permettre à la caisse de produire sous quatre mois tout justificatif permettant d'apprécier l'importance du préjudice corporel de Mme [Z] consécutif aux violences du 28 février 2000.
Par jugement réputé contradictoire du 13 novembre 2018, le TGI de Marseille a :
- condamné M. [D] à payer à la caisse primaire d'assurance-maladie du Vaucluse les sommes de 747337,59 €, de 1055 € au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue par l'article L.376-1 du code de la sécurité sociale, et de 3000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- déclaré le jugement commun et opposable à Mme [Z],
- condamné M. [D] aux entiers dépens, avec distraction au profit de Maître Vincent Pinatel, avocat, sur son affirmation de droit.
Pour statuer ainsi, le TGI de Marseille, après avoir croisé le décompte de créance de la caisse et les termes de l'attestation d'imputabilité du médecin-conseil, a considéré que ce dernier (qui appartient à un service de contrôle indépendant de la caisse) a validé le montant de la demande, soit :
- frais d'hospitalisation : 40731,53 €,
- frais médicaux et frais pharmaceutiques : 13124,77 €,
- indemnités journalières : 140871,55 €,
- frais futurs : 2322,25 €,
- rente accident du travail (capital constitutif + arrérages échus au 31 décembre 2006) : 550287,49 €.
Par déclaration du 14 janvier 2019, M. [D] a interjeté appel du jugement en ce qu'il a :
- condamné M. [D] à payer à la caisse primaire d'assurance-maladie du Vaucluse les sommes de 747337,59 € en remboursement des prestations servies à Mme [Z] ensuite de l'agression du 28 février 2000, de 1055 € au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue par l'article L.376-1 du code de la sécurité sociale, et de 3000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- déclaré le jugement commun et opposable à Mme [Z],
- condamné M. [D] aux dépens de l'instance, avec distraction au profit de Maître Vincent Pinatel, avocat, sur son affirmation de droit.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 24 septembre 2019, M. [D] demande à la cour de :
À titre principal :
- prononcer la nullité du rapport d'expertise judiciaire du docteur [T] du 24 mai 2006,
- débouter la caisse primaire d'assurance maladie de toutes ses demandes.
À titre subsidiaire :
- réformer partiellement le jugement entrepris en ce qu'il a condamné M. [D] à payer à la caisse primaire d'assurance maladie la somme de 377811,08 €, compte arrêté au 4 janvier 2017, outre les frais futurs occasionnels arrêtés à la somme de 2322,61 €,
En tout état de cause :
- condamner la caisse primaire d'assurance-maladie du Vaucluse à payer à M. [D] la somme de 3000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens de l'instance dont distraction au profit de Maître Jospeh Magnan, avocat, sur son affirmation de droit.
Au soutien de ses demandes, M. [D] fait valoir à titre principal que l'expert judiciaire a méconnu le contradictoire (non-respect des modalités de convocation des parties, non-communication du rapport d'expertise à M. [D] ainsi privé de la possibilité de le produire en première instance)
M. [D] ajoute que :
1. La caisse ne justifie pas de l'assiette de son recours subrogatoire. La caisse n'a produit que tardivement le rapport d'expertise judiciaire qui seul permet d'évaluer les postes de préjudice indemnisable. Et de rappeler qu'il ne peut être statué sur le recours de la caisse avant qu'ait été évaluée la part du préjudice correspondant à l'atteinte physique de la victime (Com, 14 mars 2006). En l'occurrence, plusieurs contradictions patentes affectent le décompte de la caisse : la date de consolidation est acquise depuis le 30 septembre 2003 sur le plan physique (algodystrophie) et le 17 octobre 2003 sur le plan psychologique), alors que la caisse fait état de dépenses de santé actuelles (frais médicaux, frais pharmaceutiques) jusqu'au 28 juillet 2006. Par ailleurs, la caisse a assis la rente servie sur un taux de déficit fonctionnel permanent de 66 % alors que ce taux est fixé par l'expertise judiciaire entre 16 % et 36 %).
2. La caisse ne justifie pas du lien de causalité entre les prestations versées et le fait dommageable. L'intitulé des débours définitifs est particulièrement sybillin. L'attestation d'imputabilité, tardivement communiquée, a été établie le 26 juin 2017, soit plus de 17 ans après les faits. L'expert judiciaire et le sapiteur ont établi un lien de causalité entre les troubles constatés et des faits de harcèlement sexuel et d'agression sexuelle pour lesquels M. [D] n'a nullement été condamné. L'évaluation des frais futurs concerne surtout le coût d'une prise en charge psychologique consécutive à une agression sexuelle pour laquelle M. [D] n'a pas été condamné. Les faits du 28 février 2000 constituent un accident du travail et relèvent de cette législation : les prestations versées doivent être en rapport direct avec l'accident, sans pouvoir relever d'une maladie postérieure.
3. La caisse ne justifie pas de l'absence d'état antérieur de la victime. La cour de cassation a pourtant précisé dans l'un de ses rapports annuels que les tiers payeurs doivent établir que les dépenses engagées sont liées à l'acte médical litigieux et non à l'état antérieur du patient.
4. La caisse ne justifie pas du quantum de l'indemnité forfaitaire auquel elle peut prétendre (cette indemnité est fixée au tiers des sommes dont le remboursement est obtenu, dans la limite d'un plafond de 910 € actualisable. En l'absence d'assiette certaine, l'indemnité ne peut être chiffrée).
* * *
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 18 novembre 2019, la caisse primaire d'assurance-maladie du Vaucluse demande à la cour de :
- rejeter la demande de M. [D] tendant à voir prononcer la nullité du rapport d'expertise judiciaire du docteur [T] du 24 mai 2006,
- confirmer le jugement du TGI de Marseille en ce qu'il a condamné M. [D] à régler à la caisse primaire d'assurance maladie du Vaucluse la somme de 407651,83 € au titre des débours exposés par la caisse du chef de son assurée Mme [Z], au taux légal à compter de l'assignation du 14 novembre 2014,
- constater l'absence d'accord de M. [D] pour se libérer par anticipation du capital représentatif de la rente arrêté le 6 mai 2019, à la somme de 406981,78 € ainsi que des frais futurs occasionnels,
- réformer le jugement en ce qu'il a condamné M. [D] à régler à la caisse primaire d'assurance-maladie du Vaucluse la somme de 377811,08 € au titre du capital constitutif rente et la somme de 2322,61 € au titre des frais futurs occasionnels arrêtés au 4 janvier 2017,
- condamner M. [D] à régler à la caisse primaire d'assurance-maladie du Vaucluse les débours exposés au titre de la rente et des frais futurs occasionnels, au fur et à mesure de leur réalisation,
- condamner M. [D] à régler à la caisse primaire d'assurance-maladie du Vaucluse la somme 1080 € au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion,
- confirmer le jugement rendu par le TGI de Marseille en ce qu'il a condamné M. [D] à régler à la caisse primaire d'assurance-maladie du Vaucluse la somme 3000 € au titre des frais irrépétibles outre les entiers dépens d'instance,
Y ajoutant,
- condamner M. [D] à régler à la caisse primaire d'assurance-maladie du Vaucluse la somme de 3000 € par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, ainsi que les entiers frais et dépens d'appel.
Au soutien de ses demandes, la caisse primaire d'assurance-maladie du Vaucluse fait valoir les arguments suivants :
- la notification définitive des débours de l'organisme payeur est intervenue de façon détaillée, poste par poste, et elle est corroborée par l'attestation d'imputabilité établie le 26 juin 2017 par le docteur [I], médecin-conseil, qui a distrait les soins étrangers aux faits du 28 février 2000 ;
- l'indépendance du docteur [I], médecin-conseil, ne saurait être contestée : il résulte du décret 69-505 du 24 mai 1969 fixant le statut des praticiens conseils chargés du service du contrôle médical du régime général de la sécurité sociale, que le médecin-conseil n'est pas salarié de la caisse concluante, il n'est pas soumis à cette dernière par un lien de subordination hiérarchique ; qu'il est donc un tiers par rapport aux caisses : ses attestations sont donc recevables ainsi que plusieurs juridictions l'ont déjà admis ; que l'attestation ne saurait s'analyser comme une preuve que la caisse s'établit pour elle-même ;
- l'expert judiciaire a convoqué les parties à l'expertise dans le strict respect de l'article 160 du code de procédure civile, qui prévoit expressément que « les parties peuvent être convoquées par remise à leur défenseur d'un simple bulletin » voire verbalement « s'ils sont présents lors de la fixation de la date d'exécution de la mesure » ;
- l'absence d'état antérieur de la victime résulte des expertises judiciaires : aucune pathologie n'était constatée chez Mme [Z] avant l'agression de février 2000 ;
- le droit de la victime à être dédommagée des conséquences de l'agression du 28 février 2000 ne saurait réduit au motif que M. [D] n'a pas été condamné pour agression sexuelle ;
- l'évaluation des frais futurs tient compte du lien de causalité entre l'agression et la prise en charge psychiatrique de la victime ;
- la caisse est fondée à demander le remboursement des prestations en rapport avec l'accident qu'elle a servies à son assurée et qui, selon décompte définitif arrêté au 6 mai 2019, s'élèvent à la somme de 816955,36 €, soit :
* préjudices patrimoniaux temporaires : 194727,85 €
- dépenses de santé actuelles : 53856,30 €
- perte de gains professionnels actuels (indemnités journalières) 140871,55 €
* préjudices patrimoniaux permanents : 622227,51 €
- dépenses de santé futures : 2322,25 €
- perte de gains professionnels actuels (arrérages échus de la rente + arrérages à échoir capitalisés) : 619905,26 €
- sauf accord du tiers responsable sur le paiement d'un capital, les caisses de sécurité sociale ne peuvent prétendre au remboursement de leurs dépenses qu'au fur et à mesure de leur engagement (article L.454-1 du code de la sécurité sociale). Or, M. [D] n'a pas manifesté son accord sur ce point, de sorte que le jugement doit être réformé en ce qu'il l'a condamné à régler le capital constitutif rente arrêté à la somme de 377811,08 € le 4 janvier 2017 et aux frais futurs occasionnels arrêtés à la somme de 2322,61 €.
* * *
Citée à étude d'huissier, Mme [Z] n'a pas constitué avocat.
* * *
La clôture a été prononcée le 19 novembre 2019.
L'affaire a été plaidée le 4 décembre 2019 et mise en délibéré au 30 janvier 2020.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la nature de la décision rendue :
L'arrêt sera rendu par défaut, conformément à l'article 474 du code de procédure civile.
Sur la validité du rapport d'expertise judiciaire du docteur [T] du 24 mai 2006 :
Par jugements du 9 décembre 2005 et 5 mars 2006, le TGI d'Avignon a commis le docteur [T] aux fins d'expertise judiciaire. Les conclusions médico-légales du rapport déposé le 24 mai 2006 sont les suivantes :
- consolidation (sur le plan physiologique) : 30 septembre 2003,
- incapacité temporaire totale professionnelle : jusqu'au 1er avril 2006,
- déficit fonctionnel permanent : 36 %,
- souffrances endurées : 5/7,
- préjudice esthétique permanent : 1,5/7
- Mme [Z] est physiquement et intellectuellement apte à reprendre son activité professionnelle de médecin.
Un avis sapiteur a été demandé au docteur [N], médecin psychiatre, dont les conclusions médico-légales du 20 février 2007 sont les suivantes :
- faits du 28 février 2000,
- absence d'état antérieur,
- consolidation (sur le plan psychologique) : 17 octobre 2003,
- déficit fonctionnel permanent : 16 %,
- souffrances endurées : 4/7,
- Mme [Z] ne pourra probablement pas reprendre son activité professionnelle de médecin.
M. [D] fait grief à l'expert judiciaire d'avoir méconnu le principe du contradictoire, en particulier en s'abstenant de le convoquer en vue de l'examen de Mme [Z]. À la suite d'un courrier véhément de M. [D], daté du 28 juillet 2006 et reçu le 4 août 2006, le docteur [T] a précisé avoir convoqué les conseils des parties par lettre simple ainsi que Mme [Z] par lettre recommandée les 20 avril et 2 mai 2006. Il n'est pas établi que les parties n'aient pas été en mesure de débattre contradictoirement avant le dépôt du rapport des éléments sur lesquels l'expert fonde son appréciation, et aucun dire n'a été transmis par le conseil de M. [D] à l'expert judiciaire au vu du pré-rapport. Aucune critique médicalement fondée n'est formulée contre le rapport qui constitue une base valable d'évaluation du préjudice corporel subi par Mme [Z]. La demande d'annulation du rapport d'expertise sera rejetée.
Sur l'assiette du recours subrogatoire de la caisse primaire d'assurance-maladie du Vaucluse :
Lorsque la lésion dont l'assuré social est atteint est imputable à un tiers, l'assuré conserve contre l'auteur de l'accident le droit de demander la réparation du préjudice causé et resté à sa charge. En tout état de cause, les caisses de sécurité sociale sont tenues de servir à l'assuré les prestations sociales directement liées au fait géénérateur du dommage. De ce fait, elles disposent d'une action récursoire à l'encontre de l'auteur responsable du dommage. Les recours subrogatoires des caisses contre les tiers s'exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'elles ont pris en charge, à l'exclusion des préjudices à caractère personnel (article L.376-1 du code de la sécurité sociale).
Par ailleurs, les pensions d'invalidité versées à l'assuré par la caisse primaire d'assurance-maladie « peuvent être allouées sous forme de capital. Celles qui ne seraient pas allouées en capital doivent, dans les deux mois de la décision définitive ou de l'accord des parties, être constituées par le débiteur à la caisse nationale de prévoyance suivant le tarif résultant du présent code » (article L.454-1 du code de la sécurité sociale).
M. [D] invoque deux contradictions qui affectent selon lui la fiabilité du décompte de créance de la CPAM, en l'occurrence la date de consolidation et le taux d'incapacité permanente partielle de Mme [Z]. Selon le rapport d'expertise judiciaire, en effet, la consolidation est acquise depuis le 30 septembre 2003 sur le plan physique (algodystrophie) et depuis le 17 octobre 2003 sur le plan psychologique), alors que la CPAM retient une date de consolidation au 1er avril 2006. D'autre part, le rapport d'expertise judiciaire retient un taux de déficit fonctionnel permanent de 36 % alors que la caisse a assis la rente servie sur un taux d'incapacité de 66 %.
La différence des taux respectivement retenus par l'expert judiciaire et la caisse primaire tient en réalité à la différence des paramètres adoptés : l'expert judiciaire a estimé exclusivement l'incapacité fonctionnelle, chiffrée en l'occurrence à 36 % dont 16 % sont dus à l'état psychologique de Mme [Z], alors que le docteur [X], praticien conseil de la caisse primaire d'assurance-maladie a pris en compte la notion différente d'incapacité de travail, fixée à 66 %, et a expressément inséré la mention suivante : « taux attribué en tenant compte dommages-intérêts barème indicatif d'invalidité et des éléments prévus à l'article L.434-2 du code de la sécurité sociale » (l'alinéa 1 de ce texte dispose que « le taux de l'incapacité permanente est déterminé d'après la nature de l'infirmité, l'état général, l'âge, les facultés physiques et mentales de la victime ainsi que d'après ses aptitudes et sa qualification professionnelle, compte tenu d'un barème indicatif d'invalidité »).
En revanche, une contradiction existe effectivement entre la date de consolidation fixée par l'expert judiciaire [T] au 17 octobre 2003 (dans sa double composante physiologique et psychologique) et la date de consolidation du 1er avril 2006 retenue par le médecin-conseil. Le docteur [T] a examiné Mme [Z] le 24 mai 2006 à 18 heures à son cabinet (page 2 du rapport). Il ne date la consolidation orthopédique de l'algodystrophie au 30 septembre 2003 qu'en raison de la cessation à cette date du traitement continu à visée antidouleur (Neurontin) par suite de l'absence d'ordonnance prescrivant ce produit depuis le mois de juillet 2003. Toutefois, l'expert judiciaire émet une réserve significative : « un bilan radiologique de l'épaule gauche serait souhaitable, il ne nous a pas été présenté ». L'absence de ce bilan radiologique au dossier fragilise à l'évidence la date de consolidation retenue par le docteur [T] : peu importe l'intervention subséquente de M. [N], médecin psychiatre intervenant en qualité de sapiteur. Qui plus est, le docteur [T] retient un arrêt temporaire des activités professionnelles dont le terme est fixé au 1er avril 2006. Or, cet arrêt temporaire des activités professionnelles ne peut être postérieur à la consolidation puisque celle-ci en constitue à la fois le terme et le point de départ du versement d'une pension d'invalidité.
Il s'ensuit que le 1er avril 2006 correspond nécessairement à la date de consolidation du dommage corporel de Mme [Z], et que la ventilation des préjudices à laquelle la caisse primaire a procédé est exacte. Au vu de la notification de débours définitifs du 6 mai 2019, la CPAM du Vaucluse justifie de ce que :
- le total des préjudices patrimoniaux temporaires s'élève à la somme de 194727,85 € correspondant à 53856,30 € de dépenses de santé actuelles et à 140871,55 € de perte de gains professionnels actuels, et que
- le total des préjudices patrimoniaux permanents inclut une perte de gains professionnels futurs (172476,41 € du 2 avril au 31 décembre 2006, et 40447,07 € du 1er janvier 2017 au 25 avril 2019),
- soit une créance totale de 407651,33 €, compte arrêté au 6 mai 2019.
Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.
Pour autant, la CPAM ne conteste pas que, sur le fondement de l'article L.454-1 précité, M. [D] est en droit de refuser de se libérer par anticipation de sa dette future, et ce :
- tant en ce qui concerne les prestations médicales occasionnelles (chiffrées ad futurum à la somme de 2322,61 €, suivant attestation CPAM du 6 mai 2019 : consultations psychiatriques hebdomadaires pendant un an à 1196 € + traitements psychotropes pendant un an à 452,57 € + consultations psychiatriques mensuelles pendant une année supplémentaire à 411,60 € + traitement psychotrope pendant une année supplémentaire à 78,84 € + séances d'AMS pendant deux ans à 183,60 €),
- qu'en ce qui concerne le capital représentatif de la rente invalidité, arrêté le 4 mai 2019 à la somme de 406981,78 € (rente annuelle 15304,67 € x 26,592 prix de l'euro de rente viagère pour une femme de 52 ans, suivant barème joint à l'arrêté du 27 décembre 2011 relatif à l'application des articles R. 376-1 et R. 454-1 du code de la sécurité sociale).
Le jugement entrepris sera donc infirmé de ce chef.
* * *
M. [D] conteste ces montants au motif que l'expert judiciaire aurait pris en compte, dans l'appréciation du préjudice de Mme [Z], des agressions sexuelles pour lesquelles il n'a été ni condamné ni même poursuivi. En réalité, M. [D] a été condamné uniquement du chef de violences volontaires avec incapacité temporaire totale de travail supérieure à huit jours, lesquelles sont datées très précisément du 28 février 2000.
En effet, l'expert judiciaire se réfère exclusivement à ces faits (pages 16-17) : « Mme [Z], âgée de 39 ans et demi, exerçant la profssion de médecin généraliste, vacataire puis assistant au CHS de Montfavet depuis 1994, a déclaré avoir été victime le 28 février 2000 d'une agression avec violence, coups et blessures de la part de son supérieur hiérarchique, chef de service ». [']. Les lésions décrites dans le certificat médical initial sont : contusion au niveau de la 2ème côte gauche avec contusion de la glande mammaire gauche, excoriations cutanées sous-claviculaire droite, nombreuses plaies de la main gauche avec hématomes métacarpiens gauches, excoriation cutanée de la cheville gauche, lombalgies L3-L4-L5 à la palpation, choc psychologique ». [...]. En conséquence, il existe une relation directe et certaine des lésions décrites et leur évolution avec les faits allégués, à savoir : un traumatisme de la main et du poignet gauche compliqué d'un syndrome algodystrophique sévère post-traumatique du membre supérieur gauche, et un état anxio-dépressif chronique qui entre incontestablement dans le cadre d'un syndrome de stress post-traumatique ».
L'argumentation de M. [D] ne saurait donc prospérer de ce chef.
* * *
M. [D] conteste également les débours définitifs de la caisse primaire d'assurance-maladie du Vaucluse dans la mesure où elle ne justifierait pas de l'absence d'état antérieur de la victime. En réalité, M. [D] inverse totalement la charge de la preuve : c'est à lui qu'incombe la preuve de l'existence d'un état antérieur de Mme [Z]. À cet égard, le rapport du 20 février 2007 du docteur [N], sapiteur, conclut de façon explicite :
- que « l'on ne retrouve pas d'antécédent dans notre spécialité avant les événements de février 2000. Mme [Z] indique n'avoir jamais consulté ni pris de psychotrope avant cette date » (page 5), et
- que « l'examen pratiqué les 29 novembre et 21 décembre 2006 met en évidence chez Mme [O] [Z] un état de stress post-traumatique au sens de la classification internationale des troubles mentaux. Il n'existait pas d'état antérieur au sens médico-légal du terme, et cet état de stress post-traumatique peut être mis en rapport de façon exclusive et certaine avec les agressions dont elle a été victime au mois de février 2000 » (pages 13-14).
L'absence d'état antérieur résulte également de la production de l'attestation d'imputabilité du 26 juin 2017 aux termes de laquelle le docteur [I], médecin-conseil du recours contre tiers, certifie que « si la juridiction reconnaît la responsabilité d'un tiers lors de l'accident du 28 février 2000 subi par la victime citée en référence, la CPAM du Vaucluse demandera au titre de son action récursoire le remboursement des prestations qu'elle a versées en relation avec l'accident en cause. La stricte imputabilité de ces prestations au regard du seul accident du 28 février 2000 a été établie par le médecin-conseil du recours contre tiers de la direction du Service Médical de la CPAM du Vaucluse ». En l'occurrence, ainsi que relevé par le premier juge, l'attestation d'imputabilité dresse un inventaire précis des prestations en rapport avec l'agression du 28 février 2000, à savoir des frais d'hospitalisation (40731,54 €) à [Localité 4], [Localité 6] et [Localité 5] entre février 2000 et novembre 2001, des frais médicaux et pharmaceutiques (13124,77 €) entre avril 2000 et juillet 2006, des indemnités journalières (140871,55 €), outre des dépenses de santé futures (2322,25 €) et une rente accident du travail / pension d'invalidité (172476,41 € d'arrérages échus d'avril à décembre 2006 + 377811,08 € de capital constitutif au 31 décembre 2006 des arrérages à échoir).
Précision étant faite :
- que le contrôle médical institué par l'article L.315-1 du code de la sécurité sociale est un service national extérieur aux caisses primaires d'assurance-maladie et indépendant de celles-ci,
- que l'attestation d'imputabilité fait autorité précisément du fait de l'absence de tout lien de subordination juridique entre le praticien-conseil et la caisse primaire d'assurance-maladie, et
- que l'ancienneté des faits (2000) par rapport à la date d'établissement de l'attestation (2017) ne permet pas en soi d'en contester le bien-fondé.
Sur le chiffrage de la créance de la caisse primaire d'assurance-maladie du Vaucluse :
Le jugement du TGI de Marseille sera confirmé en ce qu'il a condamné M. [D] à régler à la caisse primaire d'assurance maladie du Vaucluse la somme de 407651,83 € au titre des débours exposés par la caisse du chef de son assurée Mme [Z], au taux légal à compter de l'assignation du 14 novembre 2014.
Les dispositions de l'article L.454-1 précité autorisent M. [D] à refuser de se libérer par anticipation de sa dette future au titre des prestations médicales occasionnelles (2322,61 €) et du capital représentatif de la rente invalidité (406981,78 €).
Partant, le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a condamné M. [D] à régler à la caisse primaire d'assurance-maladie du Vaucluse la somme de 377811,08 € au titre du capital constitutif rente et la somme de 2322,61 € au titre des frais futurs occasionnels arrêtés au 4 janvier 2017.
Statuant sur le point infirmé, la cour condamnera M. [D] à régler à la caisse primaire d'assurance-maladie du Vaucluse les débours exposés au titre de la rente et des prestations futures occasionnelles, au fur et à mesure de leur réalisation, et correspondant à ce jour aux sommes de :
* 15304,67 € (quinze mille trois cent quatre € et soixante sept cents), montant annuel de la rente viagère servie chaque année à Mme [Z] à compter du 6 mai 2019, et
* 2322,61 € (deux mille trois cent vingt deux € et soixante et un cents), montant total des prestations futures occasionnelles servies dans un délai de deux ans courant à compter du 6 mai 2019.
Sur le chiffrage de l'indemnité de gestion revenant à la caisse primaire d'assurance-maladie du Vaucluse :
Aux termes de l'article L.376-1 alinéa 9 du code de la sécurité sociale, « en contrepartie des frais qu'elle engage pour obtenir le remboursement mentionné au troisième alinéa ci-dessus, la caisse d'assurance maladie à laquelle est affilié l'assuré social victime de l'accident recouvre une indemnité forfaitaire à la charge du tiers responsable et au profit de l'organisme national d'assurance maladie. Le montant de cette indemnité est égal au tiers des sommes dont le remboursement a été obtenu, dans les limites d'un montant maximum de 910 € et d'un montant minimum de 91 €. A compter du 1er janvier 2007, les montants mentionnés au présent alinéa sont révisés chaque année, par arrêté des ministres chargés de la sécurité sociale et du budget ['] ».
Aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 27 décembre 2018, « les montants maximum et minimum de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L.376-1 et L.454-1 du code de la sécurité sociale sont fixés respectivement à 1080 € et à 107 € au titre des remboursements effectués au cours de l'année 2019 ».
La caisse primaire d'assurance-maladie du Vaucluse justifiant tant du principe que du quantum de sa créance en principal, la liquidation de l'indemnité forfaitaire de gestion ne pose pas de difficulté particulière.
Le jugement sera toutefois infirmé, uniquement en ce que le montant de l'indemnité de gestion qui sera porté de 1055 € à 1080 €.
Sur les demandes accessoires :
Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux frais irrépétibles alloués à la victime doivent être confirmées.
M. [D] qui succombe partiellement dans ses prétentions et qui est tenu à remboursement supportera la charge des entiers dépens d'appel et ne peut, de ce fait, bénéficier des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
L'équité justifie d'allouer à la caisse primaire d'assurance-maladie du Vaucluse la somme de 1000 € au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Statuant publiquement, par défaut,
Dans les limites de sa saisine,
Confirme le jugement du TGI de Marseille du 13 novembre 2018 en ce qu'il a condamné M. [D] à régler à la caisse primaire d'assurance maladie du Vaucluse la somme de 407651,83 € (quatre cent sept mille six cent cinquante et un € et quatre vingt trois cents) au titre des débours exposés par la caisse du chef de son assurée Mme [Z], avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 14 novembre 2014.
Constate le refus de M. [D] de se libérer par anticipation :
- du capital représentatif de la rente arrêté le 6 mai 2019 à la somme de 406981,78 € (quatre cent six mille neuf cent quatre vingt un € et soixante dix huit cents), et
- du montant des prestations médicales occasionnelles, arrêté le 6 mai 2019 à la somme de 2322,61 € (deux mille trois cent vingt deux € et soixante et un cents).
Infirme le jugement du TGI de Marseille du 13 novembre 2018 en ce qu'il a condamné M. [D] à régler à la caisse primaire d'assurance-maladie du Vaucluse la somme de 377811,08 € (trois cent soixante dix sept mille huit cent onze € et huit cents) au titre du capital constitutif rente et la somme de 2322,61 € (deux mille trois cent vingt deux € et soixante et un cents) au titre des frais médicaux futurs arrêtés.
Infirme le jugement du TGI de Marseille du 13 novembre 2018 en ce qu'il a condamné M. [D] à régler à la caisse primaire d'assurance-maladie du Vaucluse la somme de 1055 € (mille cinquante cinq €) au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion instituée par l'article L.376-1 du code de la sécurité sociale.
Statuant sur les points infirmés,
Condamne M. [D] à régler à la caisse primaire d'assurance-maladie du Vaucluse les débours exposés au titre de la rente et des prestations futures occasionnelles, au fur et à mesure de leur réalisation, et correspondant à ce jour aux sommes de :
- 15304,67 € (quinze mille trois cent quatre € et soixante sept cents), montant annuel de la rente viagère servie chaque année à Mme [Z] à compter du 6 mai 2019, et
- 2322,61 € (deux mille trois cent vingt deux € et soixante et un cents), montant total des prestations futures occasionnelles servies dans un délai de deux ans courant à compter du 6 mai 2019.
Déboute M. [D] de sa demande d'annulation du rapport d'expertise judiciaire du docteur [T] du 24 mai 2006.
Confirme le jugement du TGI de Marseille du 13 novembre 2018 en ce qu'il a condamné M. [D] à régler à la caisse primaire d'assurance-maladie du Vaucluse la somme de 3000 € (trois mille €) au titre des frais irrépétibles outre les entiers dépens d'instance,
Condamne M. [D] à régler à la caisse primaire d'assurance-maladie du Vaucluse la somme de 1080 € (mille quatre vingts €) au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion instituée par l'article L.376-1 du code de la sécurité sociale.
Condamne M. [D] à régler à la caisse primaire d'assurance-maladie du Vaucluse la somme de 1000 € (mille €) par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, ainsi que les entiers frais et dépens d'appel.
Le greffier,Le président,