COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-2
ARRÊT AU FOND
DU 24 JANVIER 2020
N° 2020/
Rôle N° RG 16/21714 - N° Portalis DBVB-V-B7A-7VD7
[U] [Q]
C/
SARL VENTORIS SERVICES
Copie exécutoire délivrée
le : 27/01/20
à :
Me Roland LESCUDIER, avocat au barreau de MARSEILLE
Me Jonathan LAUNE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE (vestiaire 8)
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'AIX-EN-PROVENCE en date du 03 Octobre 2016 enregistré(e) au répertoire général sous le n° F14/01331.
APPELANT
Monsieur [U] [Q]
né le [Date naissance 1] 1976 à [Localité 1], demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Roland LESCUDIER, avocat au barreau de MARSEILLE substituée par Me Deborah ROZE-DELAPLACE, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMEE
SARL VENTORIS SERVICES, demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Jonathan LAUNE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substitué par Me Marianne BALESI, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 785 et 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 09 Décembre 2019, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Rose-Marie PLAKSINE, Président de chambre, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Rose-Marie PLAKSINE, Président de chambre
Monsieur Pascal MATHIS, Conseiller
Madame Gwenaelle LEDOIGT, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Harmonie VIDAL.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 24 Janvier 2020.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 24 Janvier 2020
Signé par Madame Rose-Marie PLAKSINE, Président de chambre et Madame Harmonie VIDAL, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
I. FAITS. PROCÉDURE.
La SARL Ventoris services est une entreprise de portage salarial intervenant dans différents secteurs d'activité telles que le conseil, l'ingénierie, l'informatique, la formation, etc.
Le 3 juillet 2006, Monsieur [U] [Q] a été embauché avec un statut cadre, par la SARL Ventoris services en contrat à durée indéterminée afin d'exercer des fonctions de conception, animation, formation, pour une durée pouvant varier entre 7 et 1600 heures par an. Il a été convenu l'application des conditions générales de la convention collective des prestataires de services dans le secteur tertiaire. Le taux horaire brut initialement de 33,95 euros a été ramené par avenant du 1er février 2011, à 27 euros.
Le 5 Août 2011, suite aux prospections et négociations commerciales de Monsieur [Q], un contrat de production de services a été signé entre la SARL Ventoris Services et la société OSEO, pour la période du 11 février au 03 septembre 2011. La mission a été prolongée jusqu'au 30 mars 2012.
A compter du 30 mars 2012, Monsieur [U] [Q] indique n'avoir plus reçu de mission de la part de la SARL Ventoris services.
Le 5 février 2014, Monsieur [U] [Q] a saisi la formation des référés du conseil de prud'hommes d'Aix-en-Provence afin d'obtenir la remise d'une lettre de licenciement, d'une attestation pôle emploi mentionnant le licenciement comme cause de rupture du contrat de travail, le paiement de dommages-intérêts à titre provisionnel pour résistance abusive.
Par ordonnance du 30 avril 2014, le conseil des prud'hommes statuant en formation de référé a rejeté les demandes de Monsieur [U] [Q], retenant que le contrat de travail de celui-ci n'était pas rompu.
Le 24 juillet 2014, Monsieur [U] [Q] a saisi le conseil des prud'hommes à l'effet d'obtenir le prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur, en raison du défaut de fourniture de travail, la condamnation de la SARL Ventoris services au versement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et résistance abusive, de rappels de salaire et d'une indemnité de licenciement.
Par jugement du 3 octobre 2016, le conseil des prud'hommes a :
- rejeté la demande de prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur,
- constaté qu'il n'y avait pas de défaut de fourniture de travail et de paiement des salaires à compter d'avril 2012,
- rejeté l'ensemble des demandes de Monsieur [U] [Q] et condamné ce dernier à payer à la SARL Ventoris services la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
~*~
Les parties ont conclu ainsi qu'il suit, étant rappelé qu'au visa de l'article 455 du code de procédure civile, l'arrêt doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens.
Monsieur [Q] sollicite l'infirmation en toutes ses dispositions du jugement du 3 octobre 2016, et conclut :
- principalement au prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur en raison des fautes commises dans l'exécution de celui-ci (défaut de fourniture de travail et de paiement des salaires à compter d'avril 2012),
- subsidiairement, à la constatation de la rupture du contrat de travail du fait de l'employeur du 30 mars 2012, cette rupture s'analysant en un licenciement sans cause réelle et sérieuse
Il demande la condamnation de la SARL Ventoris services à lui régler les sommes suivantes:
* 950.60 euros à titre de rappel de salaire pour les années 2013 à 2016, avec intérêts au taux légal à compter de la demande en justice, 95.06 euros à titre de congés payés afférents, avec intérêts au taux légal à compter de la demande en justice,
* 13 035 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, avec intérêts au taux légal à compter de la demande en justice, 1303,50 euros au titre des congés payés y afférents, avec intérêts au taux légal à compter de la demande en justice,
* 15 326.36 euros à titre d'indemnité de licenciement, avec intérêts au taux légal à compter de la demande en justice,
A titre subsidiaire, il demande la condamnation de la SARL Ventoris services à lui régler la somme de 8400,33 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement, dans l'hypothèse d'une rupture de fait fixée au 30 mars 2012,
Et en tout état de cause, il demande la condamnation de la SARL Ventoris services à lui régler les sommes de :
* 30 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir,
* 5000 euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive, avec intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir.
Enfin il demande la remise sous astreinte des bulletins de salaire, d'une lettre de licenciement, d'une attestation pôle emploi mentionnant le licenciement comme cause de rupture, d'une attestation relative au portage salarial destiné à pôle emploi et d'un certificat de travail, ainsi que le paiement d'une somme de 4500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre l'exécution provisoire.
La SARL Ventoris services conclut à :
- la prescription de la demande nouvelle en constatation de la rupture de fait du contrat au 31 mars 2012, par application des dispositions L.1471-1 du code du travail,
- la confirmation du jugement en toutes ses dispositions et le rejet de l'ensemble de ses demandes,
- la condamnation de Monsieur [Q] à lui payer la somme de 3500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
II. MOTIVATION.
A. Sur la résiliation du contrat de travail aux torts de l'employeur.
Monsieur [U] [Q] se prévaut des règles du portage salarial, du travail par intermittence et des dispositions contractuelles et oppose à la SARL Ventoris services un manquement à ses obligations de la SARL Ventoris services de lui fournir du travail d'une part et de lui verser une rémunération d'autre part. La SARL Ventoris services répond que les parties sont liées par un portage salarial, qui ne met à la charge de l'entreprise de portage aucune obligation de fournir du travail aux salariés portés, et par les règles du travail intermittent prévu par l'accord collectif d'entreprise du 21 décembre 2012, lequel prévoit pour chaque nouvelle mission, un avenant spécifique précisant les nouvelles périodes de travail et la répartition des heures de travail à l'intérieur de ces périodes ; faisant observer que Monsieur [U] [Q] à qui il incombait de faire de la prospection, n'a pas rendu compte de son activité.
Le contrat de travail intermittent suppose une relation entre un employeur et un salarié avec faculté de faire alterner des périodes travaillées et des périodes non travaillées, tandis que le contrat de portage salarial est un mécanisme triangulaire constitué d'une part, d'une relation entre une entreprise de portage salarial effectuant une prestation et une entreprise cliente bénéficiant de cette prestation, donnant lieu à la conclusion d'un contrat commercial de prestation de portage salarial, et d'autre part, à un contrat de travail conclu entre l'entreprise de portage salarial et un salarié désigné comme étant le salarié porté, rémunéré par cette entreprise
En l'espèce, si les caractéristiques du contrat du 3 juillet 2006 permettent d'établir qu'il s'agit d'un contrat de portage salarial, en revanche, il convient de constater que le fait que Monsieur [U] [Q] recherche lui-même ses missions et en informe la SARL Ventoris services, et que soient conclus des contrats de prestation de service avec les clients trouvés par Monsieur [U] [Q], exclut la relation employeur/salarié du contrat intermittent.
Il y a lieu par suite d'appliquer les seules règles du contrat de portage salarial, à l'exclusion des règles du contrat intermittent.
Le contrat de portage salarial du 3 juillet 2006 se trouve régi non par l'ordonnance du 2 avril 2015, prise postérieurement à la saisine du conseil de prud'hommes, mais par l'ANI sur le portage salarial étendu du 11 janvier 2008 et la loi n° 2008-596 du 25 juin 2008.
Les dispositions de l'article L. 1251-64 du code du travail, résultant de la loi du 25 juin 2008 édictent que le portage salarial est un ensemble de relations contractuelles organisées entre une entreprise de portage, une personne portée et des entreprises clientes comportant pour la personne portée le régime du salariat et la rémunération de sa prestation chez le client par l'entreprise de portage. Il garantit les droits de la personne portée sur son apport de clientèle.
Les textes ne mettent pas à la charge de l'employeur l'obligation de fournir du travail à son salarié, lequel dispose d'une large autonomie et à qui il incombe de rechercher des missions, de les négocier et de prévoir ses propres périodes de travail.
En revanche, l'employeur, tenu par un contrat à durée indéterminée, a l'obligation de payer un salaire à son salarié, que celui-ci soit ou non en mission. Il appartient à l'employeur ne désirant ne payer de salaire que pendant les périodes précises correspondant aux missions, de conclure non un contrat à durée indéterminée mais des contrats à durée déterminée.
Il est constant que la SARL Ventoris services n'a pas, après le mois de mars 2012, verser un salaire à Monsieur [U] [Q]. Il convient par suite, et après avoir relevé que la SARL Ventoris services reproche à Monsieur [U] [Q] de n'avoir pas rendu compte de son activité sans cependant en tirer de conséquences, de faire droit à la demande de Monsieur [U] [Q] et de prononcer aux torts de l'employeur, la résiliation du contrat de travail ayant les effets d'un licenciement dénué de cause réelle et sérieuse.
B. Sur les demandes financières de Monsieur [U] [Q].
1) Le rappel de salaires : au titre des années 2013, 2014, 2015 et 2016 : Monsieur [U] [Q] réclame un rappel de salaire de 950,60 euros sur la base d'un tarif horaire de 33,95 euros. Cependant, les parties avaient réduit le tarif horaire pour le fixer à 27 euros. Suivant la méthode de calcul du salarié, il convient de fixer le rappel de salaires ainsi qu'il suit : 7 h X 27 euros/h X 4 = 756 euros outre 75.60 euros d'incidence congés payés.
2) L'indemnité de préavis et incidence congés payés : il convient, en l'état de l'accord des parties sur ce point, de retenir l'application de la convention collective nationale Syntec (le contrat de travail visant la convention collective des prestataires de services dans le secteur tertiaire). Monsieur [Q] se prévaut de l'article 15 édictant un préavis de 3 mois pour les ingénieurs et cadres. Le montant de l'indemnité compensatrice de préavis est égal au montant du salaire qu'aurait perçu Monsieur [U] [Q] s'il avait pu travailler pendant la durée de son préavis. Il convient de retenir le montant moyen des salaires versés pendant les périodes effectivement travaillées, soit 4345 euros. L'indemnité de préavis due sera fixée à la somme de 13 035 euros outre 1303,50 euros au titre des congés payés.
3) L'indemnité conventionnelle de licenciement : Monsieur [U] [Q] se prévaut de l'article 19 de la convention collective nationale Syntec, selon lequel après 2 ans d'ancienneté, le salarié a droit à 1/3 de mois par année de présence sans pouvoir excéder un plafond de 12 mois, le mois de rémunération s'entend dans le cas particulier comme 1/12 de la rémunération des 12 derniers mois précédant la notification de la rupture du contrat de travail, cette rémunération incluant les primes prévues par les contrats de travail individuels et excluant les majorations pour heures supplémentaires au-delà de l'horaire normal de l'entreprise et les majorations de salaire ou indemnités liées à un déplacement ou un détachement. Pour les années incomplètes, l'indemnité de licenciement est calculée proportionnellement au nombre de mois de présence. Monsieur [U] [Q] se prévaut d'une ancienneté de 10 ans et 7 mois. Le montant mensuel retenu ci-dessus est de 4345 euros. L'indemnité conventionnelle de licenciement représente la somme de 4345 x 1/3 x 10 + 4345 x 1/3 x7/12 = 14 483,33 + 844,86 = 15 328,19euros. Monsieur [U] [Q] réclame la somme de 15 323,36 euros, il convient d'y faire droit.
4) Les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : Monsieur [U] [Q] avait une ancienneté de 13 ans et 6 mois, il est âgé de 43 ans. Il justifie de revenus en 2012 et 2013, son avis d'imposition 2015 faisant apparaître l'absence de revenus pour 2014 . Il convient de lui allouer la somme de 26 000 euros.
5) Les dommages-intérêts pour résistance abusive : le préjudice invoqué (fragilité psychologique précarité financière) a ci-dessus été indemnisé. Il n'y a pas lieu d'allouer à l'intéressé une indemnisation supplémentaire.
6) Le solde de trésorerie correspondant au compte d'activité : la demande n'est pas contestée par l'employeur, mais le compte d'activité n'est pas prévu par la loi du 25 juin 2008 (il l'est par l'ordonnance de 2015 en applicable en l'espèce). Cette demande doit être rejetée, alors surtout que dans le même temps, Monsieur [U] [Q] a sollicité le paiement de rappel de salaires pour les années 2013, 2014, 2015 et 2016.
7) La délivrance de documents de bulletins de salaire, d'une lettre de licenciement, d'une attestation pôle emploi : la SARL Ventoris services devra délivrer un bulletin de paie mentionnant l'ensemble des sommes allouées au salarié à la présente décision, et une attestation destinée au pôle emploi mentionnant un licenciement à la date de ce jour. En revanche, la demande de délivrance d'une lettre de licenciement doit être rejetée, le présent arrêt contenant prononcé de la résiliation du contrat de travail aux torts de l'employeur. Il n'y a pas lieu de prononcer une astreinte.
~*~
L'équité commande de condamner la SARL Ventoris services à payer à Monsieur [U] [Q] la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. La demande formée par la SARL Ventoris services doit en revanche être rejetée.
La SARL Ventoris services devra supporter les entiers dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, et après en avoir délibéré conformément à la loi,
INFIRME le jugement sauf en ce qu'il a rejeté la demande de dommages-intérêts pour résistance abusive et la demande relative au solde de trésorerie ;
STATUANT À NOUVEAU sur les dispositions infirmées,
PRONONCE la résiliation du contrat de travail du 3 juillet 2006 aux torts de l'employeur, avec effet à compter de ce jour ;
CONDAMNE la SARL Ventoris services à payer à Monsieur [U] [Q] les sommes de :
' 756 euros au titre du rappel des salaires des années 2013,2 1014,2 1015 et 2016, outre 75.60 euros d'incidence congés payés ;
'13 035 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 1303,50 euros au titre des congés payés ;
' 15 323,36 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement ;
'26 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
ORDONNE à la SARL Ventoris services de délivrer un bulletin de paie mentionnant l'ensemble des sommes ci-dessus allouées au salarié et une attestation destinée au Pôle emploi mentionnant le licenciement à la date de ce jour ;
CONDAMNE la SARL Ventoris services à payer à Monsieur [U] [Q] la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
RAPPELLE que les créances salariales sont productrices d'intérêts au taux légal à compter de la notification de la demande à l'employeur et que les demandes indemnitaires le sont à compter de la présente décision ;
ORDONNE le remboursement par la SARL Ventoris services à Pôle Emploi des indemnités de chômage si Monsieur [U] [Q] en bénéficie par suite du prononcé de la résiliation du contrat de travail valant licenciement sans cause réelle et sérieuse, dans la limite de 6 mois d'indemnités;
CONDAMNE la SARL Ventoris services à payer à Monsieur [U] [Q] la somme de 2000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
REJETTE la demande de la SARL Ventoris servicesformées au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la SARL Ventoris services aux entiers dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT