COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-8
ARRET SUR RENVOI DE CASSATION
ARRÊT AU FOND
DU 09 JANVIER 2020
N°2020/15
N° RG 19/05053 -
N° Portalis DBVB-V-B7D-BEAT7
SARL LA CORRIDA
C/
[V] [C]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON
SCP MAGNAN PAUL MAGNAN JOSEPH
Arrêt en date du 09 Janvier 2020 prononcé sur saisine de la cour suite à l'arrêt rendu par la Cour de Cassation le 07 février 2019, qui a cassé et annulé l'arrêt n° 516/2017 rendu le 16 novembre 2017 par la Cour d'Appel d'Aix-en-Provence (Chambre 11°A).
DEMANDEUR SUR RENVOI DE CASSATION
SARL LA CORRIDA, représentée par Maître [H] [W], en qualité de liquidateur, domicilié [Adresse 4], demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Sébastien BADIE de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
Plaidé par Me Nicolas CASTELLAN, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Isabelle BENETTI, avocat au barreau de MARSEILLE
DEFENDEUR SUR RENVOI DE CASSATION
Monsieur [V] [C]
né le [Date naissance 1] 1943 à [Localité 1], demeurant [Adresse 3]
représenté par Me Joseph MAGNAN de la SCP MAGNAN PAUL MAGNAN JOSEPH, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Micheline DREVET DE TRETAIGNE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
Plaidé par Me Audrey BABIN de la SELARL BERGER-GENTIL - BABIN, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 05 Novembre 2019 en audience publique. Conformément à l'article 785 du code de procédure civile, M. philippe COULANGE, Président, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries devant la cour composée de :
Monsieur Philippe COULANGE, Président, rapporteur,
Madame Françoise FILLIOUX, Conseiller,
Madame Laurence DEPARIS, Conseiller,
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Marcy FEDJAKH.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 09 Janvier 2020.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 09 Janvier 2020
Signé par Monsieur Philippe COULANGE, Président et Madame Marcy FEDJAKH, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Mme [N] [I] épouse [C] est propriétaire d'un bien immobilier consistant en un local commercial et d'habitation situé [Adresse 2].
Mme [C] a signé un bail commercial à effet du 1er décembre 1993 pour se terminer le 30 novembre 2002 avec la société RESTAURANT DE LA POINTE ROUGE dont le fonds de commerce avait fait l'objet d'un contrat de location gérance au profit de la société P.H. puis d'une cession par acte du 2 août 1996. La société P.H. a ensuite cédé le fonds de commerce avec le bail en cours à la SARL LA CORRIDA qui l'a donné en location gérance à M. [U] à compter du 1er mai 2006.
Mme [C] étant décédée le [Date décès 1] 2008, son fils M. [V] [C] est venu aux droits de sa mère.
M. [V] [C] en l'état d'impayés a fait délivrer un commandement de payer le 22 septembre 2009 correspondant à des sommes dues pour les années 1997 à 2008 puis un second commandement de payer le 16 octobre 2009 pour des charges impayées à compter de l'année 2004.
La SARL LA CORRIDA, par actes des 16 octobre et 13 novembre 2009, a saisi le Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE pour faire opposition aux commandements délivrés.
M. [V] [C] a, de son côté, par acte du 18 juin 2010, asssigné la société COUDRE, administrateur de biens, lui reprochant divers manquements dans la gestion des biens de sa mère et l'ensemble de ces procédures ont été jointes en mise en état.
Par jugement rendu le 23 février 2012, le Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE a condamné la SARL LA CORRIDA à payer à M. [C] la somme de 568,71 € au titre de la régularisation des charges pour la période du 16 octobre 2004 au 31 décembre 2010, a condamné la société COUDRE à lui payer la somme de 1 316,55 € au titre de la régularisation des charges pour la période de 1997 au 16 octobre 2004 et a dit que les commandements de payer délivrés le 22 septembre 2009 et le 16 octobre 2009 sont sans effet et qu'il n'y avait pas lieu à constatation de l'acquisition de la clause résolutoire.
M. [C] a interjeté appel de cette décision et par un arrêt en date du 14 novembre 2013, la Cour d'appel de céans a infirmé le jugement entrepris et a déclaré valable le commandement délivré le 16 octobre 2016. La Cour a également condamné la SARL LA CORRIDA à payer à M. [C] la somme de 17 820,25 € au titre des charges locatives pour la période du 16 octobre 2004 au 31 décembre 2012 avec intérêts au taux légal, constaté l'acquisition de la clause résolutoire du bail à compter du 17 novembre 2009, ordonné l'expulsion de la locataire et condamné celle-ci au paiement d'une indemnité d'occupation de 5 500 € par mois, condamnant la société COUDRE au paiement de la somme de 2 000 € à titre de dommages-intérêts.
Le 1er mai 2014 la SARL LA CORRIDA a quitté les lieux.
Par acte du 1er septembre 2014, M. [C] a conclu avec le locataire gérant une convention d'occupation précaire pour un loyer mensuel de 3 500 € HT.
La SARL LA CORRIDA ayant formé un pourvoi, la Cour de cassation, par un arrêt rendu le 5 novembre 2015 a cassé partiellement l'arrêt attaqué en ce qu'il a constaté l'acquisition de la clause résolutoire du bail à compter du 17 novembre 2009, ordonné l'expulsion de la locataire et l'a condamnée au paiement d'une indemnité mensuelle d'occupation de 5 500 € jusqu'à libération des lieux, l'affaire étant renvoyée devant la Cour de céans autrement composée.
Statuant sur renvoi après cassation dans un arrêt du 16 novembre 2017, la Cour d'appel a déclaré la SARL LA CORRIDA irrecevable à invoquer en appel la nullité du congé, confirmé le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [C] de sa demande tendant à voir constater l'acquisition de la clause résolutoire, de celle tendant à la validation du congé pour refus de renouvellement du bail sans indemnité d'éviction et de celle en rejet de la demande de la SARL LA CORRIDA en dommages-intérêts.
Elle a également dit que le congé doit être considéré comme un congé avec refus de renouvellement avec indemnité d'éviction, dit que la demande d'indemnité d'éviction de la SARL CORRIDA était prescrite, a ordonné son expulsion, a fixé l'indemnité d'occupation à la somme de 5 500 €, débouté la SARL LA CORRIDA au titre des redevances de location gérance, déclaré irrecevable l'intervention volontaire de Mme [E] en son nom personnel et débouté M. [C] de sa demande tendant à être relevé et garanti par la SARL LA CORRIDA.
La SARL LA CORRIDA a formé un nouveau pourvoi en cassation et par une décision du 7 février 2019, la Cour de cassation a de nouveau cassé partiellement l'arrêt attaqué mais seulement en ce qu'il a déclaré prescrite la demande en paiement d'une indemnité d'éviction et celle présentée au titre des redevances de location gérance.
La SARL LA CORRIDA représentée par Maître [H] [W], mandataire judiciaire, a repris l'instance après l'arrêt de cassation et demande à la Cour de fixer l'indemnité d'éviction, proposant plusieurs valeurs, et à défaut d'ordonner une mesure d'expertise, de condamner M. [C] au paiement d'une indemnité mensuelle de 5 500 € au titre de la perte des redevances de location gérance à compter du mois de mai 2014 et jusqu'à complet paiement de l'indemnité d'éviction.
Elle demande que soit ordonnée la compensation entre les sommes dues par M. [C] et les sommes auxquelles elle a été condamnée au titre des décisions de justice successives.
Elle sollicite l'allocation de la somme de 20 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Elle fait valoir :
- que la demande en paiement d'une indemnité d'éviction n'est pas prescrite.
- que cette demande portant sur la valeur du fonds perdu est justifiée par les pièces versées au dossier.
- qu'à défaut une expertise peut être ordonnée.
- que la demande en paiement des redevances de location gérance est recevable et distincte de la précédente.
- que s'il s'agit d'une perte de chance, celle-ci est totale.
- qu'il n'y a pas lieu à paiement d'une indemnité d'occupation au profit de M. [C].
- qu'il y a lieu à compensation judiciaire.
M. [V] [C] demande à la Cour de déclarer prescrite la demande de la SARL LA CORRIDA en fixation et paiement de l'indemnité d'éviction, conteste le montant des sommes réclamées et subsidiarement sollicite que soit ordonnée une expertise judiciaire. Il conclut à l'irrecevabilité et subsidiairement au débouté de la demande de l'appelante en paiement d'une indemnité de 5 500 € par mois à compter du mois de mai 2014 et rappelle qu'a été fixée à son profit une indemnité d'occupation de 5 500 € par mois.
Il demande la fixation au passif de la SARL LA CORRIDA de la somme de 163 218,54 € et de condamner celle-ci au règlement de la somme de 335 500 € au titre de l'indemnité d'occupation pour la période du 1er juillet 2014 au 31 juillet 2019.
Il sollicite l'allocation de la somme de 20 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Il soutient :
- que la demande de la SARL LA CORRIDA en fixation et paiement de l'indemnité d'éviction est prescrite.
- que si cette demande n'était pas prescrite les sommes allouées à ce titre devraient être réduites.
- que la demande en paiement d'indemnités de location gérance est une prétention nouvelle en appel.
- que cette demande si elle était recevable devrait être rejetée et n'est en aucun cas liée au maintien dans les lieux.
- qu'elle ne peut s'analyser que comme une perte de chance.
- que la SARL LA CORRIDA demeure redevable de diverses sommes.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 novembre 2019.
MOTIFS DE LA DECISION :
Attendu que dans son arrêt du 7 février 2019 la Cour de cassation a cassé l'arrêt rendu le 16 novembre 2017, entre les parties, par la Cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE mais seulement en ce qu'il déclare prescrite la demande de la société LA CORRIDA en paiement d'une indemnité d'éviction et rejeté la demande de la société LA CORRIDA contre M. [C] au titre des redevances de la location-gérance et a remis sur ces points les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et les a renvoyées devant la même Cour, autrement composée ;
Que la haute Cour a décidé, au visa de l'article L. 145-9 alinéa 5 du Code de commerce que 'pour déclarer prescrite cette demande (en paiement de l'indemnité d'éviction), l'arrêt retient que le locataire qui entend solliciter le paiement d'une indemnité d'éviction doit agir avant l'expiration du délai de deux années à compter de la date pour laquelle le congé a été donné et que le fait pour celui-ci de conclure au rejet des prétentions du bailleur au titre du congé avec refus de renouvellement sans offre d'indemnité d'éviction ne s'analyse pas en une demande en paiement de cette indemnité';
'qu'en statuant ainsi, alors qu'elle constatait que le congé donné pour le 30 novembre 2011 avait été contesté par le preneur par conclusions du 3 avril 2013, soit dans le délai de deux ans, la cour d'appel, a violé le texte susvisé';
Que la Cour de cassation a rajouté que 'la cassation de la disposition sur la prescription de la demande en paiement de l'indemnité d'éviction entraîne la cassation, par voie de conséquence, de la disposition ayant rejeté la demande de la société LA CORRIDA au titre des redevances de location-gérance, laquelle s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire';
Attendu que l'objet de la discussion soumise à la Cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE dans sa composition présente porte sur ces deux points seulement ;
Attendu que s'agissant de la demande en paiement d'une indemnité d'éviction, il ressort de l'arrêt rendu par la Cour de cassation que celle-ci ne pouvait être considérée comme prescrite;
Que par conséquent cette demande pouvant prospérer et la SARL LA CORRIDA ayant effectivement perdu son fonds de commerce se pose alors la question de l'évaluation de cette indemnité d'éviction ;
Attendu que les pièces versées aux débats sont insuffisantes pour permettre à la Cour d'apprécier sereinement la valeur réelle du fonds perdu ;
Que de surcroît la SARL LA CORRIDA elle-même propose trois modes de calcul différents à la Cour évaluant l'indemnité d'éviction à 430 000 €, ou bien 271 922,40 € ou encore 293 854,33 € ;
Attendu que la demande de paiement des loyers de location-gérance ne constitue pas une prétention nouvelle en appel ;
Qu'elle s'analyse en une demande indemnitaire directe ou en une demande au titre de la perte de chance totale, elle suppose également que soit estimé le montant des redevances de location-gérance susceptibles d'avoir été perdues en raison de la fin du contrat de bail ;
Que ces estimations nécessitent la compétence d'un technicien, les éléments versés au dossier ne permettant pas à la Cour de statuer sur ces demandes sans un avis technique ;
Qu'il y a lieu en conséquence d'ordonner une mesure d'expertise aux frais avancés de la SARL LA CORRIDA représentée par Maître [H] [W] ;
Attendu que M. [C] n'a pas vu remise en cause par la Cour de cassation la décision prise par la Cour de céans dans son arrêt rendu le 16 novembre 2017 qui a définitivement fixé à la somme mensuelle de 5 500 € le montant de l'indemnité d'occupation due par la société LA CORRIDA du 30 novembre 2011 au 1er mai 2014 ;
Que cette indemnité d'occupation n'est pas due au delà de cette date ;
Que M. [C] n'a besoin de l'autorisation de la Cour pour faire fixer sa créance ;
Attendu que toutes les autres demandes et les dépens seront réservés ;
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, rendu par mise à disposition au greffe, en dernier ressort,
Vu l'arrêt de la Cour de cassation en date du 7 février 2019,
Vu l'arrêt de la Cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE en date du 16 novembre 2017 dans ses dispositions non censurées,
DIT que la demande de la société LA CORRIDA n'est pas prescrite ;
DIT que la société LA CORRIDA qui a perdu son fonds de commerce du fait du congé signifié le 26 mai 2011 à effet du 30 novembre 2011 pour motifs graves et légitimes a été considéré comme un congé avec refus de renouvellement avec indemnité d'éviction par les dispositions non censurées de l'arrêt de la Cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE en date du 16 novembre 2017 peut prétendre à bénéficier d'une indemnité d'éviction ;
DIT que la demande de paiement des loyers de location-gérance présentée par la société LA CORRIDA qu'elle s'analyse en une demande indemnitaire directe ou en une demande au titre de la perte de chance suppose également que soit estimé le montant des redevances de location-gérance susceptibles d'avoir été perdues en raison de la fin du contrat de bail ;
DIT qu'une indemnité mensuelle d'occupation d'un montant de 5 500 € décidée par des dispositions non censurées de l'arrêt rendu par la Cour de céans le 16 novembre 2017 est due par la SARL LA CORRIDA à M. [C] entre le 30 novembre 2011 et le 1er mai 2014 ;
ORDONNE une mesure d'expertise qui sera confiée à M. [F] [O], expert près la Cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE , demeurant [Adresse 1], tél [XXXXXXXX01] mail: [Courriel 1]
avec pour mission :
- de prendre connaissance du dossier,
- d'entendre les parties après les avoir régulièrement convoquées et de leur réclamer toutes pièces qu'il estimera utiles à l'accomplissement de sa mission,
- de donner son avis sur le montant de l'indemnité d'éviction à laquelle la SARL LA CORRIDA peut prétendre du fait de la perte de son fonds de commerce,
- de donner son avis sur l'indemnité compensant la privation de la perception des redevances de location-gérance ou de la perte de chance de les percevoir résultant de la disparition de son fonds de commerce,
- de dresser un pré rapport qui sera communiqué aux parties,
- de répondre aux dires que celles-ci auront déposé dans le délai que l'expert leur aura imparti.
DIT que l'expert déposera son rapport définitif dans un délai de 6 mois à compter de sa saisine laquelle n'interviendra qu'après versement intégral de la consignation initiale ;
DESIGNE M. Philippe COULANGE, Président de la chambre 1-8, pour surveiller les opérations d'expertise ;
ORDONNE la consignation par la SARL LA CORRIDA représentée par son liquidateur Maître [H] [W] demeurant [Adresse 4] de la somme de 5 500 € entre les mains du régisseur d'avances et de recettes de la Cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE pour le 15 mars 2020 au plus tard ;
DIT qu'à défaut de consignation dans le délai prescrit la décision relative à l'expertise deviendra caduque et l'expert ne sera pas saisi de sa mission ;
RESERVE toutes autres demandes et les dépens.
LE GREFFIERLE PRESIDENT