COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-1
ARRÊT AU FOND
DU 22 NOVEMBRE 2019
N° 2019/477
Rôle N° RG 17/10963 -
N° Portalis DBVB-V-B7B-BAVVT
[H] [S]
C/
SAS SEA TPI
Copie exécutoire délivrée le :
22 NOVEMBRE 2019
à :
Me Frédéric PASCAL, avocat au barreau de MARSEILLE
Me Virginie SAUVAT-BOURLANDavocat au barreau de MARSEILLE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE en date du 29 Mai 2017 enregistré au répertoire général .
APPELANT
Monsieur [H] [S], demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Frédéric PASCAL, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMÉE
SAS SEA TPI Prise en la personne de son Président en exercice, domicilié en cette qualité audit siège, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Virginie SAUVAT-BOURLAND, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 785 et 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 Septembre 2019, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Stéphanie BOUZIGE, Conseiller, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller faisant fonction de Président
Mme Nathalie FRENOY, Conseiller
Mme Stéphanie BOUZIGE, Conseiller
Greffier lors des débats : Monsieur Kamel BENKHIRA.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 22 Novembre 2019.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 22 Novembre 2019
Signé par Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller faisant fonction de Président et Monsieur Kamel BENKHIRA, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
M. [H] [S] a été engagé par la SAS SEA TPI suivant contrat de travail à durée indéterminée du 1er décembre 2003 en qualité de technicien d'exploitation Unix NT.
A compter du 27 avril 2005 il a été en arrêt de travail sans discontinuer et à compter du 27 avril 2008 il a été classé en invalidité 2ème catégorie.
Estimant ne pas avoir été rempli de ses droits en ce qui concerne le paiement du complément de salaire et d'une prime, M. [S] a saisi le conseil de prud'hommes de Marseille le 21 mars 2011, lequel, par jugement du 27 février 2012, a débouté le salarié de l'ensemble de ses demandes. Par arrêt du 12 juillet 2013, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a infirmé le jugement et a condamné la SAS SEA TPI à payer à M. [S] diverses sommes à titre de complément de salaire, d'indemnité de congés payés et de prime.
Par requête du 1er juin 2016, M. [S] a saisi le conseil de prud'hommes de Marseille notamment de demandes de résiliation judiciaire du contrat de travail, d'indemnisation d'un licenciement irrégulier et sans cause réelle et sérieuse, d'une privation du droit individuel à la formation et d'une perte d'une chance de cotiser pleinement pour la retraite.
Par jugement du 29 mai 2017, le conseil de prud'hommes a dit que les demandes de M. [S] ne se heurtent pas à l'unicité d'instance, a débouté M. [S] de l'ensemble de ses demandes, a débouté l'employeur de sa demande reconventionnelle et a condamné
M. [S] aux entiers dépens.
M. [S] a interjeté appel de ce jugement.
Suivant conclusions signifiées par voie électronique le 20 décembre 2017, il demande à la cour de :
- dire recevable et bien fondé son appel,
- réformer le jugement sauf en ce qu'il a rejeté le moyen tiré de l'unicité de l'instance,
- prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail,
- condamner la SAS SEA TPI à lui payer les sommes de :
*7 572,30 € au titre de l'indemnité de préavis,
* 757,23 € au titre des congés payés afférents,
* 1 367,22 € au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,
* 75 723 € au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 2 542,10 € au titre de l'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement,
* 2 000 € au titre de l'indemnité pour privation du droit individuel à la formation,
* 10 000 € au titre de l'indemnité pour perte d'une chance de cotiser pleinement pour la retraite,
* 1 500 € au titre l'article 700 du code de procédure civile,
- dire que les intérêts courront à compter de la réception du billet d'avis par le conseil de prud'hommes,
- ordonner la capitalisation des intérêts à compter de cette même date,
- condamner la SAS SEA TPI aux dépens.
Suivant conclusions signifiées par voie électronique le 18 janvier 2018, la SAS SEA TPI demande à la cour :
- à titre principal, de réformer le jugement en ce qu'il a rejeté l'argument tiré de l'unicité de l'instance,
- à titre subsidiaire, de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [S] de l'ensemble de ses demandes,
- en conséquence :
- à titre principal, de dire que les demandes de M. [S] se heurtent au principe de l'unicité de l'instance en application de l'article R1452-6 du code du travail et de les déclarer irrecevables,
- à titre subsidiaire, de débouter M. [S] de l'ensemble de ses demandes,
- à titre infiniment subsidiaire, de procéder à une stricte application du code du travail,
- en tout état de cause, de condamner M. [S] à verser la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 29 août 2019.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la fin de non-recevoir tirée du principe de l'unicité de l'instance
La SAS SEA TPI fait valoir que lorsque M.[S] a saisi le conseil de prud'hommes le 21 mars 2011de demandes relatives à des rappels de salaire, celui-ci était déjà placé en invalidité depuis le 27 avril 2008; que de la même manière, lorsque les débats ont eu lieu en cause d'appel et ont donné lieu à un arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence le 12 juillet 2013, cela faisait cinq années que M. [S] était en invalidité; que M. [S] avait donc parfaitement la possibilité de formuler au cours de la première instance sa demande en résiliation judiciaire du contrat de travail au motif que l'employeur n'a pas organisé de visite médicale de reprise dès qu'il a eu l'information du placement du salarié en invalidité en 2008; que le fondement de la demande formulée dans la présente instance réside exclusivement dans l'absence de visite médicale suite au classement en invalidité et est donc né et a été connu du salarié antérieurement à la clôture des débats devant le conseil de prud'hommes.
M. [S] invoque un nouvel événement intervenu le 6 avril 2016 selon lequel la SAS SEA TPI lui a écrit qu'elle souhaitait mettre fin au contrat de travail dans le cadre des dispositions relatives à la rupture conventionnelle sans faire allusion à la nécessité d'organiser une visite médicale; que c'est à ce moment là qu'il s'est rendu compte que l'employeur voulait rompre le contrat de travail; qu'il est donc en droit de demander pour la première fois la résiliation judiciaire du contrat de travail suite à la proposition de rupture conventionnelle qui s'analyse en une tentative de fraude et constitue un événement nouveau bien postérieur à la première procédure ayant existé entre les parties; qu'en effet, lorsque le salarié est encore en période de suspension du contrat de travail pour maladie ou invalidité, le consentement de celui-ci à une rupture conventionnelle ne peut être recueilli valablement tant qu'il n'a pas bénéficié d'une visite médicale de reprise; que n'ayant jamais bénéficié de visite médicale, la tentative de rupture conventionnelle est frauduleuse et il devient fondé à se rendre compte de la volonté définitive de l'employeur de ne pas faire face à son obligation de mettre en oeuvre la visite médicale de reprise avant de rompre le contrat de travail; que cet événement a provoqué la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail.
***
Selon les dispositions de l'article R1452-6 du code du travail, dans sa version applicable au cas d'espèce en l'état d'une instance engagée le 1er juin 2016, 'toutes demandes liées au contrat de travail entre les mêmes parties font, qu'elles émanent du demandeur ou du défendeur, l'objet d'une seule instance.
Cette règle n'est pas applicable lorsque le fondement des prétentions est né ou révélé postérieurement à la saisine du conseil de prud'hommes'.
En l'espèce, l'Assurance Maladie des Bouches-du Rhône a notifié le 2 avril 2008 à M. [S] un titre de pension d'invalidité suite à son classement en invalidité 2ème catégorie.
Il ressort du courrier du 28 avril 2008 de la SAS SEA TPI que celle-ci a eu connaissance du classement en invalidité 2ème catégorie du salarié.
Le 21 mars 2011, M. [S] a saisi le conseil de prud'hommes de Marseille aux fins de solliciter la condamnation de la SAS SEA TPI à payer diverses sommes de nature salariale (reliquats de la garantie de revenus, de la prime de vacances, des congés payés) et de nature indemnitaire pour résistance abusive. Par jugement du 27 février 2012, le conseil de prud'hommes a débouté M. [S] de l'ensemble de ses demandes.
Ayant interjeté appel de ce jugement, M. [S] a présenté à la cour les mêmes demandes. Par arrêt du 12 juillet 2013, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a infirmé partiellement le jugement et a condamné la SAS SEA TPI à payer à M. [S] diverses sommes au titre du reliquat de la garantie de revenus, des congés payés et de la prime de vacances.
Par courrier du 6 avril 2016, la SAS SEA TPI a proposé à M. [S] une rupture conventionnelle de contrat de travail.
Par requête du 1er juin 2016, M. [S] a de nouveau saisi le conseil de prud'hommes de Marseille d'une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur pour absence de visite médicale de reprise après le classement en invalidité 2ème catégorie et alors que l'employeur venait de proposer une rupture conventionnelle du contrat de travail.
La prétention du salarié relative à la résiliation judiciaire du contrat de travail est fondée sur le manquement de l'employeur à son obligation d'organiser sans délai une visite médicale de reprise du salarié placé en invalidité mais manifestement également sur la fraude commise par l'employeur qui se serait dispensé d'organiser une visite médicale de reprise au moment de solliciter la conclusion d'une rupture conventionnelle du contrat de travail et éviter ainsi les conséquences d'un licenciement pour inaptitude résultant de la visite médicale de reprise. Ce dernier fondement s'est révélé postérieurement à la clôture des débats, tant devant le conseil de prud'hommes le 3 octobre 2012 que devant la cour d'appel, le 30 mai 2013, de sorte que la fin de non-recevoir tirée de l'unicité de l'instance doit être écartée. Le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail
Par application des articles 1224 et 1227 du code civil, le salarié est admis à demander la résiliation judiciaire du contrat de travail en cas d'inexécution par l'employeur des obligations découlant du contrat.
Les manquements de l'employeur susceptibles de justifier la résiliation judiciaire à ses torts doivent être établis par le salarié et d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail.
M. [S] fonde sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail sur les manquements suivants :
- l'employeur, qui a eu connaissance de son placement en invalidité, n'a pas organisé de visite médicale de reprise, peu importe que le salarié ait repris ou pas le travail ou qu'il ait ou pas manifesté son intention de le reprendre; que le salarié n'a pas à exprimer sa volonté de reprendre le travail, son silence suffit; que cette visite médicale de reprise s'impose même lorsque le salarié fait l'objet, durant un arrêt de travail, d'un classement en invalidité 2ème catégorie; qu'il était à la disposition de son employeur pour effectuer cette visite médicale de reprise et que c'est par une interprétation tout à fait personnelle que la SAS SEA TPI affirme qu'adresser des arrêts de travail n'est pas se tenir à la disposition de l'employeur pour reprendre le travail; que d'ailleurs, il a été à la disposition de l'employeur pour effectuer une visite médicale de reprise le 8 septembre 2005 alors que son contrat de travail était suspendu;
- la fraude commise par l'employeur qui se serait dispensé d'organiser une visite médicale de reprise pour pouvoir conclure une rupture conventionnelle du contrat de travail et éviter ainsi les conséquences d'un licenciement pour inaptitude résultant de la visite médicale de reprise; que lorsque le salarié est encore en période de suspension du contrat de travail pour maladie ou invalidité, le consentement du salarié à une rupture conventionnelle ne peut être recueilli.
La SAS SEA TPI fait valoir que :
- M. [S] a été placé en invalidité le 17 avril 2008 et n'a saisi le conseil de prud'hommes d'une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail qu'en juin 2016 pour reprocher à son employeur de ne pas avoir organisé de visite médicale de reprise de sorte que ce manquement n'a nullement empêché la poursuite du contrat de travail pendant huit années;
- M. [S] n'a jamais manifesté son intention de retravailler; au contraire, il a fourni sans discontinuer des arrêts de travail depuis son classement en invalidité; l'employeur ne peut organiser de visite médicale de reprise alors que le contrat de travail persiste à être suspendu par le biais d'arrêts de travail; continuer à adresser des arrêts de travail n'est pas se tenir à la disposition de l'employeur pour reprendre le travail; en septembre 2005, elle avait mandaté le médecin du travail afin d'effectuer une contre-visite visant à vérifier le bien-fondé de l'arrêt de travail du salarié; le médecin du travail n'avait pas délivré d'avis considérant qu'à partir du moment où un arrêt de travail était encore pendant, aucune visite médicale susceptible de statuer sur l'aptitude du salarié ne pouvait avoir lieu;
- la conclusion d'une rupture conventionnelle est parfaitement possible lorsque le salarié est en arrêt maladie de sorte qu'aucune fraude ne peut lui être reprochée.
***
Si M. [S] a adressé à son employeur son classement en invalidité 2ème catégorie en avril 2008, la SAS SEA TPI justifie qu'il lui a également adressé, depuis 2005, des arrêts de travail sans discontinuer. Il en résulte que le contrat de travail se trouve toujours suspendu et que le salarié a, par là-même, manifesté sa volonté de ne pas reprendre le travail de sorte que l'employeur n'était pas tenu, dans ces circonstances, d'organiser une visite médicale de reprise.
De plus, sauf fraude ou vice du consentement, une rupture conventionnelle du contrat de travail peut être valablement conclue en période de suspension du contrat de travail pour cause de maladie et dans cette hypothèse, le salarié peut valablement exprimer son consentement à une telle rupture, expression qui n'est nullement conditionnée par l'obligation de l'employeur d'organiser une visite médicale de reprise.
N'ayant pas l'obligation d'organiser une visite médicale de reprise et étant en droit de proposer à son salarié une rupture conventionnelle de contrat de travail, M. [S], à défaut d'autres éléments, ne rapporte pas la preuve que la SAS SEA TPI a usé de moyens déloyaux destinés à surprendre son consentement ou a tenté d'échapper à l'application de la loi.
Les manquements de la SAS SEA TPI n'étant pas établis, la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail sera rejetée et le jugement sera donc confirmé.
Par conséquent, seront également confirmées les dispositions du jugement qui ont rejeté les demandes en paiement au titre de l'indemnité de préavis, des congés payés afférents, de l'indemnité conventionnelle de licenciement, de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de l'indemnité pour non respect de la procédure de licenciement.
Sur des demandes de dommages-intérêts pour privation du droit individuel à la
formation et pour perte de droit à la retraite (demandes nouvelles en cause d'appel)
Celui qui réclame l'indemnisation d'un manquement doit prouver cumulativement l'existence d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre la faute et le préjudice.
En l'espèce, M. [S] fonde ses deux demandes sur l'absence de visite médicale de reprise qui l'aurait privé de la possibilité de profiter du droit individuel à la formation et aurait abouti à la perte d'une chance de travailler et donc de cotiser pleinement pour la retraite.
Cependant, dès lors qu'il a été jugé que l'employeur n'avait pas commis de manquement en n'organisant pas de visite médicale de reprise, il convient de rejeter la demande de dommages-intérêts.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et sur les dépens
Les dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles et aux dépens seront confirmées et il est équitable de laisser à la charge de la SAS SEA TPI les frais non compris dans les dépens qu'elle a engagés en cause d'appel.
Les dépens d'appel seront à la charge de M. [S], partie succombante par application de l'article 696 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Déboute M. [H] [S] de ses demandes de dommages-intérêts pour privation
du droit individuel à la formation et pour perte de droit à la retraite,
Déboute la SAS SEA TPI de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [H] [S] aux dépens d'appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
Ghislaine POIRINE faisant fonction