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14/11/2019 | FRANCE | N°18/08518

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 2-1, 14 novembre 2019, 18/08518


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 2-1



ARRÊT AU FOND

DU 14 NOVEMBRE 2019



N°2019/441













Rôle N° RG 18/08518 - N° Portalis DBVB-V-B7C-BCO3W







[T] [W] épouse [P]





C/



[N] [S] [P]





































Copie exécutoire délivrée

le :

à : - Me Olivier COURTEAUX

- Me Yannick TYLI

NSKI









Décision déférée à la Cour :



Jugement du Juge aux affaires familiales de DRAGUIGNAN en date du 01 Février 2018 enregistré au répertoire général sous le n° 13/10951.





APPELANTE



Madame [T] [W] épouse [P]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2018/003190 du 19/04/2018 accordée par le...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 2-1

ARRÊT AU FOND

DU 14 NOVEMBRE 2019

N°2019/441

Rôle N° RG 18/08518 - N° Portalis DBVB-V-B7C-BCO3W

[T] [W] épouse [P]

C/

[N] [S] [P]

Copie exécutoire délivrée

le :

à : - Me Olivier COURTEAUX

- Me Yannick TYLINSKI

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Juge aux affaires familiales de DRAGUIGNAN en date du 01 Février 2018 enregistré au répertoire général sous le n° 13/10951.

APPELANTE

Madame [T] [W] épouse [P]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2018/003190 du 19/04/2018 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de AIX-EN-PROVENCE)

née le [Date naissance 2] 1952 à [Localité 6] - HONGRIE

de nationalité Allemande,

demeurant [Adresse 5]

représentée par Me Olivier COURTEAUX, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

INTIME

Monsieur [N] [S] [P]

né le [Date naissance 1] 1949 à [Localité 10]

de nationalité Française,

demeurant [Adresse 3]

représenté par Me Yannick TYLINSKI, avocat au barreau de DRAGUIGNAN

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 785 et 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 24 Septembre 2019, en chambre du conseil, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Christophe RUIN, Président, et Madame Monique RICHARD, Conseiller, chargés du rapport.

Madame Monique RICHARD, Conseiller, a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Christophe RUIN, Président

Madame Christine PEYRACHE, Conseiller

Madame Monique RICHARD, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Jennifer BERNARD.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 14 Novembre 2019..

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcée par mise à disposition au greffe le 14 Novembre 2019.

Signé par Monsieur Christophe RUIN, Président et Madame Jennifer BERNARD, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Vu l'appel interjeté le 23 novembre 2018 par Mme [T] [W] à l'encontre du jugement rendu le 1er février 2018 par le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Draguignan,

Vu l'ordonnance d'incident en date du 26 septembre 2019, aux termes de laquelle le conseiller de la mise en état a déclaré les juridictions françaises compétentes pour connaître du litige familial et la loi française applicable, en réservant les dépens de l'incident en fin de cause,

Vu les conclusions au fond de Mme [T] [W] en date du 30 août 2019,

Vu les conclusions au fond de M. [N] [P] en date du 7 septembre 2019,

Vu l'ordonnance en date du 10 septembre 2019 fixant l'affaire à bref délai à l'audience du 24 septembre 2019 en application de l'article 905-1 du code de procédure civile,

EXPOSE DU LITIGE

Mme [T] [W], de nationalité allemande, et M. [N] [P], de nationalité française, se sont mariés le [Date mariage 4] 2000 devant l'officier d'état civil de [Localité 8] (83), sans contrat de mariage préalable.

Aucun enfant n'est issu de cette union.

M. [P] a déposé une requête en divorce le 13 décembre 2013.

Par ordonnance de non conciliation en date du 24 mars 2015, le juge aux affaires familiales de Draguignan a pour l'essentiel :

- attribué à l'époux la jouissance du domicile conjugal et des meubles meublants, s'agissant d'un bien propre à celui-ci, en précisant que Mme [W] devra quitter ce domicile au plus tard le 24 juillet 2015,

- condamné l'époux à verser à l'épouse la somme de 450 euros par mois au titre du devoir de secours,

- et attribué la jouissance des véhicules Peugeot 306 et MGB et de la moto de marque Suzuki SV 650 à l'époux.

Mme [W] a interjeté appel de cette décision.

Par arrêt en date du 24 mai 2016, la cour d'appel a confirmé l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions et, statuant par de nouvelles dispositions, a fixé la pension alimentaire due par l'époux à l'épouse à 800 euros par mois à la condition que l'épouse quitte le domicile conjugal ou en soit expulsée.

Par acte d'huissier en date du 17 mars 2016, Mme [W] a fait assigner son époux en divorce pour faute sur le fondement de l'article 242 du code civil.

Mme [W] a ensuite saisi le juge de la mise en état par voie de conclusions pour solliciter une provision ad litem.

Par ordonnance d'incident en date du 17 janvier 2017, le juge de la mise en état a débouté Mme [W] de sa demande et la procédure a suivi son cours.

Par jugement du 1er février 2018 dont appel, le juge aux affaires familiales de Draguignan a :

- rejeté la demande principale en divorce formée par Mme [T] [W],

- rejeté la demande reconventionnelle en divorce de M. [N] [P],

- dit n'y avoir lieu à statuer sur les demandes relatives aux conséquences du divorce,

- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- et condamné Mme [W] aux dépens.

Mme [W] a interjeté appel de ce jugement.

Elle reprend l'ensemble de ses demandes et sollicite :

- le prononcé du divorce sur le fondement de l'article 242 du code civil aux torts exclusifs de l'époux,

- le report des effets du divorce entre époux au 13 décembre 2013,

- la liquidation des intérêts patrimoniaux des époux,

- l'attribution à son profit de la moitié indivise du bien immobilier situé [Adresse 3] ou, à défaut, une prestation compensatoire en capital d'un montant de 200 000 euros,

- et la condamnation de l'intimé à lui payer :

* la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,

* et la somme de 3 600 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

L'appelante fait valoir que, depuis 1997, elle habite en France où elle a travaillé dans le secteur du tourisme.

Mais s'agissant souvent d'emplois précaires et indépendants pour lesquels elle a peu cotisé, ses droits à la retraite sont faibles (31 euros par mois). Agée de 66 ans, elle ne peut exercer une activité professionnelle.

Elle ajoute avoir toujours vécu [Adresse 11], dans une maison appartenant à son époux, mais qu'elle a largement contribué à rénover pour en faire une maison d'habitation avec un studio indépendant.

Elle reproche à son époux d'avoir entretenu une relation adultère et de lui avoir imposé une séparation de fait qui a eu pour conséquence de l'isoler et d'être parfois menacée et agressée verbalement et physiquement par son époux, qui a pris l'initiative de déposer une requête en divorce lorsqu'elle a découvert l'identité de sa maîtresse en août 2013.

Elle verse aux débats à l'appui de ses prétentions des attestations, une plainte déposée le 23 novembre 2013 précédée d'une main courante du 11 octobre 2013, des mains courantes du 1er, 6 et 20 décembre 2013, des pièces médicales.

Elle précise qu'elle souffre encore des dernières violences conjugales ont eu pour conséquence de lui percer le tympan et de lui provoquer des acouphènes.

Elle ajoute avoir été délaissée par un époux qui s'affichait avec sa maîtresse et avoir ressenti une grande solitude.

Elle a enfin subi une procédure humiliante d'expulsion de la maison, alors que son époux aurait pu lui louer le studio attenant à la maison.

L'appelante expose sa situation personnelle et matérielle qu'elle compare à celle de l'intimée et estime ses demandes financières parfaitement fondées.

M. [P] demande pour sa part à la cour de réformer le jugement entrepris et :

- de prononcer le divorce pour faute aux torts exclusifs de l'épouse,

- et de débouter l'appelante de l'ensemble de ses demandes, en la condamnant au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Sur la cause du divorce, l'intimé fait valoir que depuis des années, son épouse, excessivement jalouse, n'a cessé de l'harceler, de l'espionner et de le malmener. Il en veut pour preuve la pièce que l'appelante communique sous l'intitulé « reportage photographique. »

Il explique avoir été victime du dénigrement, du mépris et des bassesses de son épouse, qui n'a jamais contribué au bon fonctionnement du couple, ni aux dépenses du ménage et faisait disparaître ou détruisait ce qui lui appartenait lors d'épisodes coléreux.

Il ajoute que la famille et les amis ne venaient plus au domicile conjugal en raison du climat délétère qui y régnait.

M. [P] admet avoir rencontré, depuis l'ordonnance de non conciliation, une autre femme qui lui permet d'oublier ce passé douloureux.

Il conteste les griefs formulés à son encontre par l'appelante, en soulignant qu'il n'a jamais été poursuivi ou condamné et accuse celle-ci d'avoir sollicité de faux témoignages.

Il expose ensuite sa situation : à la retraite depuis le mois de mars 2014, il a vu ses ressources diminuer de moitié.

Sur les conséquences financières du divorce, il rappelle que le bien immobilier situé à [Localité 8] lui appartient en propre et que Mme [W] qui avait initié en 2004 une action en contribution aux charges du mariage a été déboutée de sa demande par le juge aux affaires familiales dont la décision a été confirmée en appel.

Il expose enfin ses ressources et ses charges et fait état de ses difficultés financières.

Selon avis du 27 novembre 2018, le conseiller de la mise en état a demandé aux parties de conclure sur la compétence et la loi applicable, au vu de l'élément d'extranéité résultant de la nationalité allemande de l'appelante.

Par conclusions d'incident déposées le 28 décembre 2018, Mme [T] [W] a conclu à la compétence des juridictions françaises pour connaître du litige et à l'application de la loi française.

Par conclusions d'incident en réponse déposées le 24 avril 2019, M. [N] [P] a également conclu à la compétence des juridictions françaises et à l'application du droit français.

Par ordonnance d'incident en date du 26 septembre 2019, le conseiller de la mise en état a déclaré les juridictions françaises compétentes pour connaître du litige pendant devant la cour et la loi française applicable, en réservant les dépens de l'incident en fin de cause.

L'affaire revient en l'état sur le fond devant la cour.

En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, au delà de ce qui sera repris pour les besoins de la discussion, la cour entend se référer, pour l'exposé plus ample des moyens et prétentions des parties, à leurs dernières écritures ci-dessus visées.

SUR CE :

Les parties débattent essentiellement sur la cause et les conséquences matérielles du divorce.

Sur le prononcé du divorce

Aux termes de l'article 242 du code civil, le divorce peut être demandé par l'un des époux lorsque des faits constitutifs d'une violation grave ou renouvelée des devoirs et obligations du mariage sont imputables à son conjoint et rendent intolérable le maintien de la vie commune.

Les fautes de l'époux qui a pris l'initiative du divorce n'empêchent pas d'examiner sa demande; elles peuvent, cependant, enlever aux faits qu'il reproche à son conjoint le caractère de gravité qui en aurait fait une cause de divorce.

Ces fautes peuvent aussi être invoquées par l'autre époux à l'appui d'une demande reconventionnelle en divorce. Si les deux demandes sont accueillies, le divorce est prononcé aux torts partagés.

Même en l'absence de demande reconventionnelle, le divorce peut être prononcé aux torts partagés des deux époux, si les débats font apparaître des torts à la charge de l'un ou de l'autre.

Sur la demande principale formée par l'épouse

Mme [W] articule à l'encontre de son mari deux violations des obligations et devoirs du mariage, à savoir des violences répétées et une relation adultère.

Si elle dénonce plusieurs actes de violences sur sa personne, à des différentes dates, seules sont parfaitement établies, par la production de photographies, par des certificats médicaux et la plainte déposée aux services de police ou au parquet contre son époux, les violences commises le 12 juin 2015 et celles du 3 mai 2016.

Les premières ont occasionné une ecchymose sous l''il droit et sur l'avant -bras gauche, tandis que les secondes ont entraîné une perforation tympanique de l'oreille gauche.

Si M. [P] conteste la réalité des violences du 12 juin 2015, expliquant les blessures constatées par la survenance d'un accident de la route, il n'apporte aucun élément sur la réalité d'un tel évènement. Quant aux violences du 3 mai 2016, il ne les évoque même pas dans ses écritures.

Ces faits, quoique postérieurs à l'ordonnance de non-conciliation, constituent une faute au sens de l'article 242 du code civil, l'obligation de respect envers le conjoint perdurant jusqu'au prononcé du divorce.

En ce qui concerne le grief d'adultère, il est établi par les attestations établies par deux témoins, qui affirment avoir vu M. [N] [P] en compagnie d'une personne de sexe féminin qui n'était pas son épouse, sur le port ou la plage de [Localité 7], en février, mars, septembre et novembre 2015. Selon l'un des témoins, le couple ne faisait pas mystère de l'intimité de sa relation, s'embrassant et s'enlaçant passionnément de façon ostensible.

Contrairement à ce que soutient M. [P], les attestations versées aux débats respectent bien les prescriptions de l'article 202 du code de procédure civile, étant manuscrites, datées et signées par leurs auteurs, lesquels indiquent leur identité et joignent à leur attestation une copie de leur carte nationale d'identité. La formule selon laquelle l'auteur certifie être informé que l'attestation sera produite en justice et qu'il s'expose à des sanctions pénales en cas de fausses déclarations est reproduite de la main de l'auteur.

Seule manque la mention du lien de parenté, alliance ou subordination, mais l'absence de précision à cet égard n'emporte pas nullité de l'attestation.

L'adultère de M. [P] est donc caractérisé à des dates antérieures ou contemporaines du prononcé de l'ordonnance de non-conciliation, ce qui constitue une violation de l'obligation de fidélité.

Sur la demande reconventionnelle du mari

M. [P] reprend, devant la cour, les moyens développés devant le juge de première instance. Il fait valoir qu'il n'a pas pu s'épanouir dans la relation maritale, pour divers motifs :

la multiplication des procédures initiées par l'épouse à son encontre depuis 2004,

l'absence de contribution au bon fonctionnement du couple et aux finances,

la dégradation du domicile conjugal par l'usage excessif du chauffage électrique en hiver, alors que l'épouse vivait fenêtres ouvertes et lumières allumées, ainsi que la disparition d'objets,

l'isolement provoqué par le comportement de l'épouse qui faisait fuir famille et amis, et ses excès de jalousie et de colère.

Les trois premiers griefs ne constituent aucunement une violation des obligations et devoirs du mariage. Les autres griefs ne sont pas établis.

Devant la cour, M. [P] développe d'autres griefs, à savoir l'absence de rapports sexuels, et le fait que l'épouse avait rendu la maison invivable par la présence d'une multitude d'animaux, tels que des chats, des pigeons, voire même des sangliers. Mais ces comportements, s'ils constituent bien une faute au sens de l'article 242 du code civil, ne sont en rien démontrés.

En revanche, deux témoins attestent de la sècheresse de sentiments de Mme [T] [W] envers son mari. Ainsi, M. [L] [Y] explique avoir remarqué que Mme [W] n'avait jamais quelque chose de bien à dire à son mari, ni sur lui. Quant elle évoquait son mari dans une conversation avec des tiers, elle ne le prénommait jamais, mais l'illustrait en disant « cet homme » ou tout simplement « lui ». Mme [M] [F] relate, quant à elle, un incident survenu dans un restaurant où le témoin était attablé en compagnie de son mari et du couple [P]. Lorsque la conversation s'est portée sur le thème du couple en général, Mme [W] s'est exclamée « je hais cet homme ! je le déteste ! » en parlant de son mari assis à ses côtés. Choquée par de telles déclarations, le témoin a pris à part l'épouse pour lui demander des explications face à de tels propos et lui a demandé pourquoi elle ne voulait pas divorcer si elle n'aimait plus son époux. Ce à quoi il a été répondu par Mme [W] : « je veux qu'il s'en aille et qu'il me laisse la maison, je n'ai rien à faire avec cet homme ». Tout comme le premier témoin, Mme [M] [F] affirme n'avoir jamais vu Mme [T] [W] voir le moindre geste tendre à l'égard de son mari.

Une telle froideur et les paroles injurieuses prononcées par l'épouse constituent un manque de respect de l'épouse à l'égard du mari, constitutif d'une faute au sens de l'article 242 du code civil.

Ainsi, bien que chaque époux conteste les griefs allégués par son conjoint, sont néanmoins établis à l'encontre de chacun des faits, qui ne s'excusent pas entre eux et qui constituent une violation grave et renouvelée des devoirs et obligations du mariage rendant intolérable le maintien de la vie commune.

Chacun des époux ayant contribué par son comportement au délitement du lien conjugal, le divorce sera prononcé à leurs torts partagés. Le jugement entrepris sera donc infirmé de ce chef.

Sur la liquidation des intérêts patrimoniaux

L'assignation ayant été délivrée postérieurement au 1erjanvier 2016, le juge aux affaires familiales n'est pas compétent pour ordonner la liquidation et le partage des intérêts patrimoniaux.

En cas d'échec du partage amiable, il appartiendra à la partie la plus diligente de saisir le juge aux affaires familiales par voie d'assignation en partage judiciaire des intérêts patrimoniaux, dans les formes prévues aux articles 1359 et suivants du code de procédure civile.

Sur le report des effets du divorce

Aux termes de l'article 262-1 du code civil, le jugement de divorce prend effet dans les rapports entre les époux, en ce qui concerne leurs biens lorsqu'il est prononcé pour acceptation du principe de la rupture du mariage, pour altération définitive du lien conjugal et pour faute, à la date de l'ordonnance de non-conciliation.

A la demande de l'un des époux, le juge peut fixer les effets du jugement à la date à laquelle ils ont cessé de cohabiter et de collaborer. Cette demande ne peut être formée qu'à l'occasion de l'action en divorce. La jouissance du logement conjugal par un seul des époux conserve un caractère gratuit jusqu'à l'ordonnance de non-conciliation, sauf décision contraire du juge.

En l'espèce, l'appelante demande à ce que les effets du divorce soient reportés au 13 décembre 2013, date à laquelle selon elle la cohabitation des époux a cessé. L'intimité demande le rejet de cette demande sans le motiver.

Le 13 décembre 2013 correspond à la date du dépôt de la requête en divorce par le mari, mais pas à la date de la cessation de la cohabitation, puisque lorsque les époux ont comparu devant le magistrat conciliateur, ils vivaient encore sous le même toit et l'épouse s'est vue accorder un délai de quatre mois pour quitter le domicile conjugal. Cette demande sera donc rejetée.

Sur le nom patronymique de l'épouse

Mme [W] demande qu'il lui soit donné acte qu'elle entend reprendre l'usage de son nom de jeune fille à l'issue de la procédure de divorce.

Il ne s'agit pas là d'une demande, puisque la règle est qu'en l'absence d'autorisation donnée par l'autre conjoint ou par le juge, l'épouse perd l'usage du nom marital.

Sur les dommages et intérêts

Mme [W] n'indique pas sur quel fondement elle formule cette demande de dommages et intérêts, exposant simplement qu'elle repose sur le comportement du mari et les sévices qu'elle a dû endurer.

Aux termes de l'article 266 du code civil, sans préjudice de l'application de l'article 270 du code civil, des dommages-intérêts peuvent être accordés à un époux en réparation des conséquences d'une particulière gravité qu'il subit du fait de la dissolution du mariage, soit lorsqu'il était défendeur à un divorce prononcé pour altération définitive du lien conjugal et n'avait lui-même formé aucune demande en divorce, soit lorsque le divorce est prononcé aux torts exclusifs de son conjoint.

Le divorce étant prononcé aux torts partagés, Mme [W] n'est pas recevable à former une demande de dommages et intérêts sur le fondement de cet article.

Aux termes de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme qui cause un dommage à autrui, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer.

Mme [W] motive cette demande par le comportement de l'époux et les sévices endurés.

Toutefois, les parties, entre lesquelles régnait une profonde mésentente, ont chacune commis des excès expliquant le comportement en réponse de l'autre. Mme [W] ne démontre pas en l'état avoir subi un préjudice matériel ou moral spécifique, distinct de celui né de la dissolution du mariage du fait des griefs retenus à l'encontre de l'autre conjoint.

Il est constant que l'accumulation de tensions et de rancoeurs au fil des années est à l'origine d'une grande souffrance pour les ex-époux.

Mais cette souffrance de part et d'autre ne justifie pas en l'espèce les demandes de dommages et intérêts formulées par l'appelante.

Sur la prestation compensatoire

Il résulte des articles 270 et suivants du code civil que l'un des époux peut être tenu de verser à l'autre une prestation destinée à compenser autant qu'il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives. La prestation compensatoire est fixée selon les besoins de l'époux à qui elle est versée et les ressources de l'autre en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l'évolution de celle-ci dans un avenir prévisible. Pour ce faire, le juge prend en considération un certain nombre d'éléments non limitativement énumérés par l'alinéa 2 de l'article 271 du code Civil, à savoir notamment :

la durée du mariage

l'âge et l'état de santé des époux

leur qualification et leur situation professionnelle

les conséquences des choix professionnels faits par l'un des époux pendant la vie commune pour l'éducation des enfants et du temps qu'il faudra encore y consacrer ou pour favoriser la carrière de son conjoint au détriment de la sienne

le patrimoine estimé ou prévisible des époux, tant en capital qu'en revenu, après la liquidation du régime matrimonial

leurs droits existants et prévisibles

leur situation respective en matière de pensions de retraite en ayant estimé autant qu'il est possible, la diminution des droits à retraite qui aura pu être causée, pour l'époux créancier de la prestation compensatoire, par les circonstances visées au sixième alinéa.

Aux termes de l'article 274 du code civil, la prestation compensatoire est versée en capital parmi les formes suivantes :

le versement d'une somme d'argent,

l'attribution de biens en propriété, ou d'un droit temporaire ou viager d'usage, d'habitation ou d'usufruit, le jugement opérant cession forcée en faveur du créancier.

L'atteinte au droit de propriété, qui résulte de l'attribution forcée prévue au 2° dudit article, ne peut être regardée comme une mesure proportionnée au but d'intérêt général poursuivi, que si elle constitue une modalité subsidiaire d'exécution de la prestation compensatoire en capital. Par conséquent, elle ne saurait être ordonnée par le juge que dans le cas où, au regard des circonstances de l'espèce, les modalités prévues au 1° n'apparaissent pas suffisantes pour garantir le versement de cette prestation.

La situation des parties se présente comme suit.

M. [P] est âgé de 70 ans et Mme [W] de 67 ans.

Le mariage a été célébré le [Date mariage 4] 2000. A l'époque, M. [P] était âgé de 51 ans et Mme [W] de 48 ans.

L'ordonnance de non-conciliation a été prononcée le 24 mars 2015. La vie commune dans les liens du mariage a donc duré près de quinze ans.

Le couple n'a pas eu d'enfant en commun.

M. [P] est à la retraite. Son dernier employeur était la société S.E.M Saint Tropez Tourisme qui lui a versé, en mars 2014, lorsqu'il a pris sa retraite, la somme de 9 808, 85 euros pour solde de tout compte, dont une indemnité de départ en retraite imposable d'un montant de 7 869, 02 euros.

Ses revenus mensuels se décomposent ainsi :

une pension de retraite versée par la CARSAT : 598, 56 euros et une pension complémentaire ARRCO : 304, 58 euros

les revenus fonciers provenant d'un studio : 360 euros par mois

et des dividendes versés par la Barclays Bank : 50 euros par mois

Mme [W] produit un échange de mails datant du début de l'année 2014 entre l'intimé et GKN Group Pensions, dans lesquels l'intimé demande à faire valider ses droits pour avoir travaillé dans la société GKN de 1968 à 1970. La suite donnée à ces échanges n'est pas connue, si bien qu'il est impossible de savoir si M. [P] perçoit une pension mensuelle de cet organisme ou s'il lui a été versé un capital, vu la durée limitée de l'activité concernée.

M. [P] occupe le domicile conjugal qui est un bien propre. Ses charges incompressibles se déclinent ainsi que suit :

La taxe foncière : 56 euros par mois

Les mensualités EDF : 156, 18 euros et de distribution de l'eau : 21, 12 euros

Un abonnement SFR : 34, 99 euros

Des cotisations d'assurance pour deux véhicules : 21 euros et habitation : 14, 50 euros

Il n'est pas redevable de l'IRPP.

Mme [W] perçoit pour l'heure, outre la pension alimentaire versée par M. [P] ramenée à la somme de 500 euros mensuels par décision du juge aux affaires familiales de Draguignan en date du 31 octobre 2018, le revenu de solidarité active, soit 550, 93 euros par mois jusqu'en septembre 2018.

Elle indique dans sa déclaration sur l'honneur régler un loyer mensuel de 400 euros.

Depuis 1997, date à laquelle elle s'est installée en France, Mme [W] n'a travaillé que de manière très occasionnelle, si bien qu'elle a très peu cotisé pour sa retraite. Elle n'indique pas quelles étaient ses activités antérieurement à son arrivée en France et si celles-ci lui ont permis de cumuler des droits à retraite.

Elle n'a pas travaillé après le mariage. En 2004, elle avait initié une demande en contribution aux charges du mariage dont elle a été déboutée par jugement du 4 novembre 2004, confirmé par arrêt de la cour d'appel du 2 février 2008.

Toutefois, dans la mesure où elle avait décidé une remise à niveau de ses connaissances professionnelles, la cour avait donné acte à M. [P] de son offre de verser à son épouse, pendant deux ans, la somme de 2 340 euros pour la période allant du 1eravril 2004 au 31 mai 2005 et celle de 3 960 euros pour la période allant du 1erjuin 2005 au 31 mai 2006, afin de lui assurer les moyens propres à démarrer une activité nouvelle.

Il est constant que Mme [W] n'a rien entrepris et s'est contentée de poursuivre une activité de bénévole dans une association de protection animale, débutée en 2003. Il ressort de l'attestation de l'association « Sans collier Provence » qu'elle travaille régulièrement dans cette structure et y accomplit des tâches diverses et variées. Les problèmes de santé qu'elle invoque pour expliquer l'absence de travail ne l'empêchent pas visiblement d'être très active en qualité de bénévole.

Mme [W] a fait une demande d'allocation de solidarité aux personnes âgées, qui lui a été refusée, non pas parce qu'elle ne remplissait pas les conditions, mais parce qu'elle n'avait pas fourni les documents justifiant de la stabilité de sa résidence en France. Dans la mesure où elle est ressortissante de la communauté européenne, et qu'elle vit de manière stable en France depuis au moins la date du mariage, il apparaît qu'elle remplit les conditions pour obtenir cette allocation.

Sur le plan patrimonial, le couple n'a aucun patrimoine commun.

M. [P] possède en propre l'ancien domicile conjugal qui a été évalué en octobre 2018, par une agence immobilière, à la somme de 250 000 euros.

Mme [W] affirme qu'elle a participé à des travaux de rénovation de cette habitation, mais toutes les factures qu'elle produit sont au nom du mari et datent d'avant le mariage.

M. [P] détient en Grande Bretagne un compte à la Barclays Bank, dont le solde créditeur s'élevait à la somme de 2 722, 22 £ en mars 2019.

Il n'est pas démontré qu'il aurait des avoirs financiers en Suisse.

En ce qui concerne la possession de voiliers, Mme [W] prétend que son mari en a possédé trois ce qui est formellement contesté par M. [P], qui soutient que deux d'entre eux, le Trappeur et l'Escondite, étaient prêtés par des amis qui en étaient les réels propriétaires. Il produit des documents à l'appui de ses affirmations.

Le témoignage de M. [X] [J] sur l'existence d'un troisième bateau est trop vague pour être retenu.

L'exposé de ces éléments démontre que le divorce va bien entraîner une disparité dans les conditions de vie des époux, au détriment de l'épouse. Compte tenu de la durée significative de la vie commune, mais aussi du fait que l'épouse n'a pas du tout travaillé pendant l'union et n'a consenti aucun sacrifice particulier en faveur du mari, le montant de la prestation compensatoire octroyée sera limité à la somme de 15 000 euros.

Sur les demandes annexes

Le divorce étant prononcé aux torts partagés des époux, chacun d'entre eux supportera la charge des dépens par lui exposés.

Il n'y a pas lieu de faire application en l'espèce de l'article 700 du code de procédure civile, vu la situation économique dans laquelle se trouvent les parties.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant en audience publique, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en chambre du conseil,

Infirme la décision entreprise ;

Et statuant à nouveau,

Vu l'ordonnance de non-conciliation en date du 24 mars 2015,

Prononce aux torts partagés des époux le divorce de :

[N] [S] [P], né le [Date naissance 1] 1949 à [Localité 10] (Hauts de Seine)

Et

[T] [W], née le [Date naissance 2] 1952 à [Localité 6] (Hongrie)

Mariés le [Date mariage 4] 2000 à [Localité 8] (Var).

Vu l'article 1082 du code de procédure civile,

Ordonne la mention de cette disposition du présent arrêt en marge de l'acte de mariage et de l'acte de naissance de chacun des époux et ordonne, en tant que de besoin, qu'un extrait du présent arrêt ne comportant que le dispositif soit conservé au répertoire spécial tenu par le service central de l'état civil du ministère des affaires étrangères sis à [Localité 9] ;

Déboute Mme [T] [W] de ses demandes relatives à la liquidation et le partage des intérêts patrimoniaux et au report des effets du divorce ;

Déboute Mme [T] [W] de sa demande de dommages et intérêts ;

Condamne M. [N] [P] à payer à Mme [T] [W] une prestation compensatoire en capital d'un montant de 15 000 euros ;

Déboute les parties de leurs demandes respectives au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 2-1
Numéro d'arrêt : 18/08518
Date de la décision : 14/11/2019

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence 6A, arrêt n°18/08518 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-11-14;18.08518 ?
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