COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-3
ARRÊT AU FOND
DU 08 NOVEMBRE 2019
N° 2019/ 280
RG 17/10069
N° Portalis DBVB-V-B7B-BATHC
SA SOLOCAL, anciennement dénommée SA PAGES JAUNES
C/
[G] [O]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
- Me Pierre-yves IMPERATORE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
- Me Thierry CABELLO, avocat au barreau de TOULON
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE en date du 11 Mai 2017 enregistré au répertoire général sous le n° F 15/03064.
APPELANTE
SA SOLOCAL, anciennement dénommée SA PAGES JAUNES, demeurant [Adresse 3]
représentée par Me Hortense GEBEL, avocat au barreau de PARIS substituée à l'audience par Me Gaïa SANCHEZ, avocat au barreau de PARIS et Me Pierre-yves IMPERATORE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
INTIME
Monsieur [G] [O], né le [Date naissance 2] 1960 à [Localité 4], demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Thierry CABELLO de la SELARL CABELLO ET ASSOCIES, avocat au barreau de TOULON
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 01 Octobre 2019 en audience publique. Conformément à l'article 785 du code de procédure civile, Madame Dominique DUBOIS, Président de chambre a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Dominique DUBOIS, Président de Chambre
Madame Frédérique BEAUSSART, Conseiller
Madame Erika BROCHE, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Florence ALLEMANN-FAGNI.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 08 Novembre 2019.
ARRÊT
CONTRADICTOIRE,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 08 Novembre 2019,
Signé par Madame Dominique DUBOIS, Président de Chambre et Madame Florence ALLEMANN-FAGNI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Monsieur [G] [O] est entré le 10 février 1992 au sein du groupe PAGES JAUNES.
Son contrat de travail a fait l'objet de plusieurs avenants dont le dernier le 14 avril 2009 aux termes duquel Monsieur [G] [O] occupait le poste de responsable de vente conseillers commerciaux, catégorie cadre selon les dispositions de la convention collective nationale de la publicité française et l'article 7 de l'accord d'entreprise du 20 mars 2000.
Son salaire brut mensuel de référence était de 4991,26 € brut.
Le 30 avril 2014, dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi concernant plusieurs centaines de salariés de la société PAGES JAUNES, cette dernière a notifié à Monsieur [G] [O] son licenciement pour motif économique avec proposition d'un congé de reclassement accepté par le salarié, congé qui s'est terminé le 16 août 2015.
Entre-temps, le plan social mis en place par la société PAGES JAUNES a été judiciairement contesté devant le Tribunal administratif de CERGY-PONTOISE puis l'a déféré à Cour administrative d'appel de VERSAILLES qui par arrêt du 22 octobre 2014 a annulé le PSE de la société PAGES JAUNES.
Par arrêt du 22 juillet 2015, le Conseil d'État a rejeté le pourvoi de la société PAGES JAUNES et a confirmé l'invalidation du plan de sauvegarde de l'emploi qui visait les salariés parmi lesquels Monsieur [G] [O].
Cette décision a amené la société PAGES JAUNES à diffuser le 28 juillet 2015 par le biais de son Directeur Général une note à tous les salariés rappelant le contexte de cette annulation qui « ouvre la possibilité pour les salariés licenciés de percevoir des indemnités complémentaires» .
Consciente des répercussions financières des procédures intentées par les salariés, la société a provisionné de 35 000 0000 €.
Parallèlement, le 9 octobre 2015, Monsieur [G] [O] a saisi amiablement son ancien employeur d'une demande d'indemnisation amiable rappelant le contexte ci-dessus exposé.
En l'absence de réponse favorable, Monsieur [G] [O] a saisi le conseil des prud'hommes de MARSEILLE le 23 novembre 2015 au visa principal des articles L 1235-10 et L1235-11 du Code du Travail, subsidiairement vu l'article L1235-16 et à titre infiniment subsidiaire au visa de l'article L 1232-2 du Code du Travail tout en sollicitant :
« 1°) Constater que par Arrêt du 22 juillet 2015 devenu définitif, le Conseil d'État a confirmé l'invalidation du plan de sauvegarde de l'emploi de la société PAGES JAUNES.
2°) En conséquence, prononcer la nullité du licenciement de Monsieur [G] [O] par la société PAGES JAUNES.
3°) Constater que Monsieur [G] [O] ne sollicite pas sa réintégration au sein de la société PAGES JAUNES
4°) condamner la société PAGES JAUNES à régler à Monsieur [G] [O] la somme de 150 000 € à titre de dommages et intérêts
A titre subsidiaire,
5°) dire que le licenciement économique de Monsieur [G] [O] ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse.
6°) Condamner la société PAGES JAUNES au paiement de la somme de 150 000 € à titre de dommages-intérêts.
En tout état de cause,
7°) Condamner la société PAGES JAUNES au paiement de la somme de 3000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
8°) Prononcer l'exécution provisoire du jugement à intervenir
9°) Condamner la société PAGES JAUNES aux entiers dépens ».
Par jugement du 11 mai 2017, le conseil des prud'hommes a rendu la décision suivante :
- Constate que par un arrêt du 22 juillet 2015 le conseil d'état a annulé la décision de validation par l'administration du Plan de Sauvegarde de l'Emploi de la société PAGES JAUNES ;
- Déclare l'action de M. [O] recevable devant le conseil de prud'hommes ;
- Constate que M. [O] n'a pas sollicité sa réintégration au sein de la société PAGES JAUNES ;
- Condamne par application de l'article L 1235-6 du code du travail la société PAGES JAUNES à verser à M. [O] la somme de 29.946 € par effet de l'annulation de la validation du Plan de Sauvegarde de l'Emploi .
- Condamne la société PAGES JAUNES à verser à M. [O] la somme de 1500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
- Dit que les sommes concernant des créances de nature indemnitaire porteront intérêt de droit à compter de la présente décision.
- Déboute les parties de toutes leurs autres demandes.
- Dit n'y avoir lieu à prononcer l'exécution provisoire de la présente décision.
- Condamne la société PAGES JAUNES au paiement des dépens de l'instance.
La société PAGES JAUNES a interjeté appel le 24 mai 2017.
Dans ses dernières conclusions en date du 30 novembre 2017, auxquelles il est expressément référé pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens, la société PAGES JAUNES devenue SOLOCAL demande à la cour de :
- Infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'homes de Marseille le 11 mai 2017, en ce qu'il a condamné la société PAGES JAUNES au versement des sommes suivantes à M. [O] :
- 29.946 € sur le fondement de l'article L 1235-16 du code du travail.
- 1000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Et statuant à nouveau :
A titre principal :
- Juger les demandes de M. [O] sur le fondement des articles L 1235-10 , 11 et 16 du code du travail irrecevables du fait de l'acquisition de la prescription en application de l'article L 1235-7 du code du travail,
- Débouter M. [O] de ses autres demandes,
- Le condamner aux entiers dépens,
- Faire application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
A titre subsidiaire,
- Confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'homes de Marseille en ce qu'il a limité l'indemnité allouée à M. [O] en application de l'article L 1235-16 du code du travail au plancher légal, soit au montant des six derniers mois de salaire, soit 29.846 € bruts
- Débouter M. [O] de ses autres demandes
- Faire application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
- Le condamner aux entiers dépens d'appel, distraits au profit de la SELARL LEXAVOUE AIX EN PROVENCE représentée par Maître Pierre-Yves IMPERATORE, avocat postulant, sur justification d'en avoir fait l'avance.
Dans ses dernières conclusions en date du 19 avril 2019 , auxquelles il est expressément référé pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens, M. [O] demande à la cour de :
- 1°) Confirmer le jugement du Conseil des Prud'hommes de MARSEILLE du 11 mai 2017 en ce qu'il a:
- Constaté que par un arrêt du 22 juillet 2015, le Conseil d'État a annulé la décision de validation par l'administration du Plan de Sauvegarde de l'emploi de la société PAGES JAUNES
- déclaré que l'action de Monsieur [G] [O] recevable devant le conseil des prud'hommes
- constaté que Monsieur [G] [O] n'a pas sollicité sa réintégration sein de la société PAGES JAUNES
- condamner la société PAGES a versé à Monsieur [G] [O] la somme de 1500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- dit que les sommes concernant les créances de nature indemnitaire porteront intérêts de droit à compter de la présente décision
Statuant à nouveau,
2°) Au principal, vu les articles L 1235-10 et L1235-11 du Code du Travail
- Prononcer la nullité du licenciement de Monsieur [G] [O] par la société PAGES JAUNES.
- Constater que Monsieur [G] [O] ne sollicite pas sa réintégration au sein de la société PAGES JAUNES
- Condamner la société PAGES JAUNES à régler à Monsieur [G] [O] la somme de 150 000 € à titre de dommages et intérêts
3°) A titre subsidiaire, vu L1235-16 du Code du Travail
- Constater que Monsieur [G] [O] ne sollicite pas sa réintégration au sein de la société PAGES JAUNES
- Condamner la société PAGES JAUNES à régler à Monsieur [G] [O] la somme de 150 000 €
à titre de dommages et intérêts
4°) À titre infiniment subsidiaire, vu l'article L 1232-2 du Code du Travail
- Dire que le licenciement économique de Monsieur [G] [O] ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse.
- Condamner la société PAGES JAUNES au paiement de la somme de 150 000 € à titre de dommages intérêts.
5°) En tout état de cause,
- Condamner la société PAGES JAUNES au paiement de la somme de 3000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
- Condamner la société PAGES JAUNES aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Les moyens soumis à la cour :
1) dans le cadre de la demande principale
L'action relative aux conséquences de l'irrégularité du PSE est elle prescrite en application de l'article L 1235-7 , dans sa version au moment des faits, qui prévoit que 'toute contestation portant sur la régularité ou la validité du licenciement se prescrit par douze mois à compter de la dernière réunion du comité d'entreprise ou, dans le cadre de l'exercice par le salarié de son droit individuel à contester la régularité ou la validité de son licenciement à compter de la notification de celui-ci. Ce délai n'est opposable au salarié que s'il en a été fait mention dans la lettre de licenciement.' ou convient t'il d'appliquer les dispositions de l'article L 1471-1 du code du travail selon lequel 'toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.'
Dans le premier cas, l'action de M. [O] tendant à l'application des dispositions des articles 1235-10 et 1235-11 au principal, de l'article 1235-16 au subsidiaire est prescrite puisque M. [O] a été licencié le 30 avril 2014 et a saisi le CPH le 23 novembre 2015;
Dans le second cas, l'action de M. [O] est recevable et il s'agit alors de déterminer si les dispositions des articles 1235-10 et 1235-11 s'appliquent (annulation du PSE en raison d'une absence ou d'une insuffisance du PSE rendant le licenciement nul) ou celles de l'article L 1235-16 (annulation du PSE pour un motif autre, vice de forme), sachant que les conséquences sont dans le premier cas le versement d'une indemnité au salarié qui ne peut être inférieure aux salaires des douze derniers mois, dans le second cas des six derniers mois.
Puis enfin il s'agit de savoir si M. [O], au regard du préjudice qu'il prétend avoir subi, du fait de la nullité de son licenciement, a droit à une indemnité supérieure au minimum légal prévu (12 ou 6 mois selon le cas).
2) dans le cadre de la demande subsidiaire
M. [O] conteste le caractère réel et sérieux du licenciement économique, à savoir la sauvegarde de la compétitivité alléguée par l'employeur, la modification qu'il a refusé d'éléments essentiels de son contrat de travail, la recherche de reclassement insuffisante faite par l'employeur.
L'employeur soutient quant à lui qu'il était nécessaire pour la société PAGES JAUNES de sauvegarder le compétitivité du secteur d'activité du groupe SOLOCAL dont il fait partie au regard de l'accroissement de la digitalisation du marché qui mettait en péril son modèle économique et lui imposait de se réorganiser, que les modifications du contrat de travail du salarié lui étaient largement favorables et qu'il a accompli son obligation de reclassement.
Vu l'article 455 du code de procédure civile ;
Vu l'ordonnance de clôture du 13 septembre 2019 ayant fixé l'audience à la date du 1er octobre 2019 ;
SUR CE
- Sur la demande principale
M. [O], salarié de la société PAGES JAUNES, a été licencié pour motif économique le 30 avril 2014 dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi contenu dans un accord collectif majoritaire signé le 20 novembre 2013 et validé par le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Île de France le 2 janvier 2014 ;
Par arrêt du 22 octobre 2014, statuant sur le recours d'un autre salarié, une cour administrative d'appel a annulé cette décision de validation, au motif que l'accord du 20 novembre 2013 ne revêtait pas le caractère majoritaire requis par les dispositions de l'article L 1233-24-1 du code du travail.
Le Conseil d'Etat a, le 22 juillet 2015, rejeté les pourvois formés contre cet arrêt.
Le salarié a saisi la juridiction prud'homale le 23 novembre 2015.
Il se prévaut du fait que le délai de l'article L 1235-7 du code du travail n'a pu valablement commencer à courir, conformément au principe général de l'article 2224 du code civil repris à l'article L 1471-1 du code du travail, qu'au jour où il a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit et que c'est donc au jour de l'arrêt du Conseil d'Etat que le point de départ du délai de l'article L 1235-7 a été reporté, en sorte que l'action a été introduite en temps non couvert par la prescription.
Mais, de principe, le délai de prescription de douze mois prévu par l'article L 1235-7 du code du travail, dans sa version issue de la loi n°2013-504 du 14 juin 2013 et applicable du 1er juillet 2013 au 24 septembre 2017, qui concerne les contestations, de la compétence du juge judiciaire, fondées sur une irrégularité de la procédure de licenciement en raison de l'absence ou de l'insuffisance d'un tel plan, telles les contestations fondées sur les articles L 1235-11 et L 1235-16 du code du travail, court à compter de la notification du licenciement.
Le salarié ne peut donc pas plus soutenir utilement que ce délai courrait seulement à compter de la fin du congé de reclassement.
Il s'en suit que le salarié ayant saisi la juridiction prud'homale plus de douze mois après la notification de son licenciement, ses demandes d'indemnisation fondée sur les articles L 1235-11 et L 1235-16 du code du travail sont irrecevables comme prescrites.
- Sur la demande subsidiaire en contestation du licenciement économique
En application de l'article L 1233-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable à l'espèce, constitue un licenciement économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification refusée par le salarié d'un élément essentiel de son contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques.
De principe, le licenciement économique justifié par la sauvegarde de la compétitivité repose sur une cause réelle et sérieuse à moins que la nécessité de cette sauvegarde ait pour origine la fraude, la légèreté blâmable, ou la faute de l'employeur dès lors que celle-ci, qui ne se confond pas avec la simple erreur de gestion, est caractérisée par des décisions pouvant être qualifiées de préjudiciables à lui-même.
Dans la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige, la société PAGES JAUNES évoque la nécessité de reconsidérer son organisation afin de sauvegarder sa compétitivité et garantir sa pérennité ainsi que celle du groupe SOLOCAL.
Elle indique que, face aux mutations du marché et à de nouveaux besoins clients et utilisateurs, la société PAGES JAUNES a vu sa compétitivité menacée.
En effet, faisant le constat d'une position en recul structurel sur le marché de la publicité, de résultats commerciaux en baisse, situation également constatée au niveau du groupe, elle se devait pour reconquérir des parts de marché et renouer avec une situation de croissance, opérer une transformation de son organisation afin d'être en mesure de répondre aux nouveaux enjeux du marché publicitaire.
Car son modèle, caractérisé par une organisation généraliste centralisée et éloignée des besoins des clients, était déconnecté des besoins du marché et menaçait la pérennité de l'entreprise, ce qui l'a conduit à bâtir un projet d'évolution du modèle et de l'organisation de l'entreprise capable de réactivité et d'innovation afin de faire face à la concurrence croissante d'acteurs spécialisés et de renforcer la relation client.
Elle produit de nombreuses pièces à l'appui de son analyse qui confirment effectivement l'inadaptation de son modèle économique à l'évolution du marché et la nécessité de le faire évoluer.
Mais à aucun moment, la lettre de licenciement ne prévoit la nécessité de sauvegarder la compétitivité du secteur d'activité du groupe dont elle relève, contrairement à ce qu'écrit dans ses conclusions la société PAGES JAUNES.
De plus, la société PAGES JAUNES se garde bien de répondre au moyen soulevé par le salarié quant à la faute qu'elle aurait commise caractérisée par des décisions récurrentes de mises à disposition de liquidités au profit du seul groupe.
Or, la société PAGES JAUNES est une filiale à 100% au sens de l'article L 233-1 du code de commerce de PAGES JAUNES GROUPE, aujourd'hui dénommé SOLOCAL.
Et il résulte du rapport de l'expert comptable du comité d'entreprise, fort précis et détaillé qu'en dépit d'une baisse structurelle de ses résultats, le problème de PAGES JAUNES n'est pas sa rentabilité en soi qui reste attractive avec des niveaux de rentabilité largement supérieurs à ceux observés dans d'autres secteurs économiques mais que les ressources de PAGES JAUNES ont été détournées à des fins spéculatives, ainsi :
Le 11 octobre 2006, 54% du capital et des droits de vote de PAGES JAUNES GROUPE détenues par la société FRANCE TÉLÉCOM devenue ORANGE, a été vendu pour 3.312.000.000 € à une société MEDIANNUAIRE HOLDING propriété à 80% des sociétés KKR EUROP II LTD et KKR MILLENIUM LTD et à 20% à la division Principal Investment Area du groupe GOLDMANN SACHS, dans le cadre d'une opération de rachat d'entreprise par endettement dite 'LBO' ( leverage buy-out ), la holding ayant contracté un emprunt bancaire pour financer 84% de l'acquisition en cause.
Dans le cadre de cette opération, les dividendes versés par la société PAGES JAUNES étaient destinés à assurer le remboursement de l'emprunt.
Très peu de temps après cette cession, le 24 novembre 2006, la société PAGES JAUNES GROUPE a procédé à une distribution exceptionnelle de 2,5 milliards d'euros, prélevés sur des postes de réserves figurant au bilan de la société PAGES JAUNES, celle-ci ayant par la suite continué à financer des versements de dividendes jusqu'en 2011.
L'expert comptable précise que les dividendes reçus par SOLOCAL étaient constitués en moyenne et à plus de 98% par les dividendes de la société PAGES JAUNES, soit environ 300 millions d'euros sur huit ans.
De plus, le groupe PAGES JAUNES a également emprunté à sa filiale la société PAGES JAUNES en 2006 un montant total de 580 millions d'euros.
L'expert comptable indique encore que la situation de la société PAGES JAUNES est indissociable de celle du groupe dont elle est filiale à 100% , dans la mesure où 99% de la marge brute du groupe qui sert à payer les intérêts de la dette et à rembourser les échéances de la société PAGES JAUNES provient de la société PAGES JAUNES, situation non démentie par cette dernière qui mentionne dans ses écritures 'l'importance écrasante de la société PAGES JAUNES à l'échelle du groupe.'
Par ailleurs, sans être contredit, l'expert comptable écrit dans son rapport que PAGES JAUNES SA a engrangé entre 2008 et 2012 environ 2 milliards d'euros de résultat d'exploitation cumulés qui ont été confisqués pour être détournés de l'entreprise afin de payer des intérêts bancaires et rembourser une dette héritée du montage en 'LBO' organisée par les actionnaires du groupe.
Compte tenu de l'imbrication de la société PAGES JAUNES avec le groupe PAGES JAUNES, cette utilisation des ressources financières du groupe constituées essentiellement par les ressources financières de la société PAGES JAUNES, n'a été rendue possible que parce que cette dernière a accepté de prendre des décisions permettant de nourrir les besoins de sa holding, à son détriment, cette holding asséchant la source de financement des investissements stratégiques indispensables nécessités par l'essor d'un marché on line surtout depuis 2008 qui impose de proposer des prestations spécialisées et adaptées outre la multiplication d'entreprises au modèle innovant ou spécialisées ayant une activité concurrentielle.
Et l'expert comptable, sans être contredit, s'il relève qu'une ébauche de transformation et d'adaptation a été lancée en 2011 avec le projet 'JUMP' pour répondre au besoin de spécialisation du marché, souligne la tardiveté et l'insuffisance de cette restructuration.
Il en résulte dès lors que, du fait de la mise à disposition de ses liquidités depuis 2006 et des versements continus de dividendes jusqu'en 2011, la société PAGES JAUNES n'a pu financer, comme le souligne l'expert comptable, les évolutions nécessaires à la mise en place de barrières à l'entrée dans un marché évoluant très rapidement et faire les indispensables investissements en recherche et développement depuis 2008.
Dès lors, la sauvegarde de la compétitivité invoquée par la société PAGES JAUNES en 2014 , ayant conduit au licenciement de M. [O], sauvegarde nécessaire du fait du caractère obsolète du modèle opérationnel et du changement de paradigme de la publicité en ligne, modifiant la structure du marché et imposant ses règles, nécessité également relevée par l'expert comptable, découle directement de la faute de la société PAGES JAUNES, qui, par des décisions récurrentes de mises à disposition de ses liquidités et ressources financières, ont empêché ou limité les nécessaires investissements alors que ces décisions étaient préjudiciables à l'employeur pour être prises dans le seul intérêt de l'actionnaire et ne pas se confondre avec une simple erreur de gestion.
Il s'en suit que le licenciement de M. [O] est sans cause réelle et sérieuse, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens développés par le salarié.
- Sur les conséquences du licenciement sans cause réelle et sérieuse
Le salarié avait plus de 22 ans d'ancienneté , il est âgé de 58 ans et n'a pas retrouvé d'emploi.
Il perçoit les allocations de chômage.
Il percevait une rémunération mensuelle brute de 4991 €.
Il ne pourra partir à la retraite qu'à l'âge de 62 ans et sa retraite sera calculée sur les 25 meilleures années alors que depuis 5 ans, il n'a plus d'emploi et a peu de chances d'en retrouver un au vu de la situation de l'emploi et de son âge.
Il lui sera donc alloué en réparation de son préjudice résultant de la perte de son emploi la somme de 80.000 € .
- Sur les autres demandes
La société SOLOCAL qui succombe principalement supportera les entiers dépens et sera en outre condamnée à payer à M. [O] la somme de 3000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, en matière prud'homale,
Infirme le jugement déféré dans toutes ses dispositions
Statuant à nouveau, y ajoutant,
Déclare irrecevables les demandes de M. [O] fondées sur les articles L 1235-10, 11 et 16 du code du travail comme étant prescrites en application de l'article L 1235-7 du même code.
Dit que le licenciement économique de Monsieur [G] [O] est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Condamne la société SOLOCAL à payer à M. [O] la somme de 80.000 € à titre de dommages intérêts.
Condamne la société SOLOCAL au paiement de la somme de 3000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Condamne la société SOLOCAL aux entiers dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIERLE PRESIDENT