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24/10/2019 | FRANCE | N°17/07598

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-6, 24 octobre 2019, 17/07598


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-6

(anciennement dénommée la 10ème chambre).

ARRÊT AU FOND

DU 24 OCTOBRE 2019



N° 2019/390













N° RG 17/07598



N° Portalis DBVB-V-B7B-BAMY7







[G] [Y] veuve [U]

[N] [U] épouse [J]





C/



[J] [M]

SA [Établissement 1]

Société CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES [Localité 1]





Copie exécutoire délivrée

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-Me Bernard MAGNALDI



-SELARL PLANTAVIN REINA ET ASSOCIES



- SELARL LEXAVOUE BOULAN CHERFILS IMPERATORE



-SCP BBLM









Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal de Grande Instance de [Localité 2] en date du 09 Mars 2017 enregistré...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-6

(anciennement dénommée la 10ème chambre).

ARRÊT AU FOND

DU 24 OCTOBRE 2019

N° 2019/390

N° RG 17/07598

N° Portalis DBVB-V-B7B-BAMY7

[G] [Y] veuve [U]

[N] [U] épouse [J]

C/

[J] [M]

SA [Établissement 1]

Société CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES [Localité 1]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

-Me Bernard MAGNALDI

-SELARL PLANTAVIN REINA ET ASSOCIES

- SELARL LEXAVOUE BOULAN CHERFILS IMPERATORE

-SCP BBLM

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de [Localité 2] en date du 09 Mars 2017 enregistré au répertoire général sous le n° 15/01477.

APPELANTES

Madame [G] [Y] VEUVE [U]

En son nom et ès-qualités d'ayant-droit de [R] [U] -

Intervenante volontaire

née le [Date naissance 1] 1950 à [Localité 3],

demeurant [Adresse 1]

représentée et assistée par Me Bernard MAGNALDI, avocat au barreau de [Localité 2], plaidant.

Madame [N] [U] épouse [J]

En son nom et en qualité d'ayant droit de [R] [U] -

Intervenante volontaire

née le [Date naissance 2] 1974 à [Localité 2],

demeurant [Adresse 1]

représentée et assistée par Me Bernard MAGNALDI, avocat au barreau de [Localité 2], plaidant.

INTIMES

Monsieur [J] [M],

demeurant [Établissement 2] - [Adresse 2]

représenté par Me Joanne REINA de la SELARL PLANTAVIN REINA ET ASSOCIES, avocat au barreau de [Localité 2] postulant et assisté par Me Philip COHEN de la SELARL CABINET AUBER, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Julie SODE, avocat au barreau de PARIS, plaidant.

SA [Établissement 1],

demeurant [Adresse 3]

représentée par Me Romain CHERFILS de la SELARL LEXAVOUE BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, postulant et assistée par Me Marie-Christine MANTE SAROLI de la SELARL MANTE-SAROLI ET COULOMBEAU, avocat au barreau de LYON, plaidant.

CPCAM DES [Localité 1],

demeurant [Adresse 4]

représentée par Me Gilles MARTHA de la SCP BBLM, avocat au barreau de [Localité 2].

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 785,786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 10 SEPTEMBRE 2019, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Françoise GILLY-ESCOFFIER, Conseiller et Madame Anne VELLA, Conseiller.

Madame Françoise GILLY-ESCOFFIER, Conseiller, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries. 

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Jean-Wilfrid NOEL, Président

Madame Françoise GILLY-ESCOFFIER, Conseiller

Madame Anne VELLA, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Charlotte COMBARET.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 24 Octobre 2019.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 24 Octobre 2019,

Signé par Monsieur Jean-Wilfrid NOEL, Président et Madame Charlotte COMBARET, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS ET PROCÉDURE

[R] [U] né le [Date naissance 3] 1950, infirmier libéral, en arrêt de travail depuis l'année 2006 a été opéré pour une discopathie par le docteur [B] le 25 juin 2007.

En novembre 2008, une sciatique L5 gauche a été diagnostiquée et a donné lieu à une intervention chirurgicale réalisée au sein de la SA [Établissement 1] le 26 novembre 2008 par le docteur [B], l'anesthésie étant dispensée par M. [J] [M].

L'intervention s'est déroulée normalement sur le plan chirurgical ; M. [M] procédait à son extubation ; dans les suites immédiates de celle-ci [R] [U] a présenté une gêne respiratoire ; il a été transféré en salle de surveillance post-interventionnelle (SSPI) où lui a été administré un traitement par aérosol ; 1h20 après son admission SSPI à 11h43, l'état de [R] [U] s'est dégradé ; il a présenté une détresse respiratoire associée à une hypertension artérielle et une altération majeure de la conscience avec asymétrie pupillaire ayant nécessité des man'uvres de réanimation.

[R] [U] a séjourné au sein de la SA [Établissement 1] jusqu'au 30 décembre 2008.

Il a présenté un état tétraplégique avec hypertonie des quatre membres et algodystrophie de la main droite et des troubles cognitifs importants et a bénéficié d'une prise en charge dans un établissement spécialisé pour personnes dépendantes.

[R] [U] a saisi la CRCI [Localité 4] le 10 juin 2009, qui a mis en place une expertise confiée au docteur [F], neurochirurgien, qui s'est adjoint en tant que sapiteur le docteur [O], anesthésiste réanimateur, et a rendu son rapport le 9 octobre 2009 au terme duquel il a estimé que :

- les soins ont été dispensés conformément aux règles de l'art pour le docteur [B],

- l'extubation par M. [M] a été probablement trop précoce et la surveillance en SSPI par l'infirmier, M. [E] [Z], a été défectueuse et n'a pas respecté le protocole de surveillance des patients.

Selon avis des 25 janvier 2010 et 8 mars 2010 la CRCI [Localité 4] s'estimant insuffisamment informée sur les conditions de la prise en charge de [R] [U] au sein de la SA [Établissement 1] a mis en place une nouvelle expertise médicale confiée au docteur [X], anesthésiste réanimateur et au docteur [T], neurochirurgien.

Dans leurs rapports du 25 avril 2010, les experts ont conclu à :

- la survenance d'une ischémie cérébrale dont l'origine n'est pas formellement prouvée la seule hypothèse formulée étant un étirement des vaisseaux carotidiens lié à la position sur la table d'opération sans qu'il soit possible de confirmer cette hypothèse,

- l'absence de faute de l'anesthésiste ou du personnel soignant, l'accident étant survenu brutalement et n'ayant pas été la conséquence progressive d'un défaut de surveillance,

- l'accident survenu à 11h43 a été immédiatement diagnostiqué par l'infirmier, M. [Z] qui a alerté en urgence M. [M] qui est intervenu sans délai,

- les lésions cérébrales identifiées lors des I.R.M. du 27 novembre 2008 et du 3 décembre 2008, pouvaient être rattachées à une pathologie distincte affectant le patient et ayant évolué de façon autonome.

La CRCI [Localité 4] a rejeté la demande d'indemnisation de [R] [U] selon avis du 17 juin 2010, au motif de l'absence de lien de causalité direct et certain entre les séquelles qu'il présentait et sa prise en charge au sein de la SA [Établissement 1].

Par acte du 29 juillet 2011, M. [U] et son épouse Mme [G] [U] ont saisi le juge des référés qui par ordonnance du 20 janvier 2012, a mis en place une nouvelle expertise médicale confiée au professeur [V] et au docteur [S].

Ces experts ont déposé leur rapport le 12 avril 2014 ; ils ont estimé que l'état clinique du patient au jour de leur examen a représenté la séquelle d'une encéphalopathie anoxique ayant pour origine une complication de la phase du réveil anesthésique soit une obstruction des voies aériennes du fait de la persistance des effets des médicaments utilisés pour l'anesthésie.

Ils ont regretté l'absence de feuille d'anesthésie correctement renseignée et le délai d'une dizaine de minutes écoulé avant la mise en route de la thérapeutique appropriée à la suite de la difficulté respiratoire survenue à la détubation et que M. [M] n'ait pas cherché à vérifier l'état de son patient en SSPI ; ils ont néanmoins exclu tout lien de causalité, entre l'état actuel de [R] [U] et l'incident survenu en SSPI.

Ils ont relevé la mauvaise tenue du dossier infirmier qui ne permettait pas de connaître l'évolution de l'état clinique du patient, les thérapeutiques administrées et leurs horaires ainsi qu'une surveillance inefficace en SSPI, la détresse respiratoire ayant été reconnue tardivement alors que le personnel était en nombre suffisant ; ils ont ajouté que la surveillance en SSPI avait été inadaptée compte tenu de l'état de conscience évalué à 0/2 à l'arrivée du patient en SSPI qui nécessitait d'être réévalué régulièrement ; ils ont estimé que le retard à la reconnaissance de la complication est à l'origine des séquelles présentées par [R] [U].

Par acte d'huissier du 27 janvier 2015, Mme [G] [U] agissant tant à titre personnel qu'en qualité de tutrice de [R] [U] et Mme [D] [U] épouse [J], leur fille, ont fait assigner devant le tribunal de Grande instance de [Localité 2] M. [M], la SA [Établissement 1] et la caisse primaire d'assurance maladie des [Localité 1] (CPAM) pour obtenir la réparation de leurs préjudices.

Par jugement du 9 mars 2017, cette juridiction a :

- débouté [R] [U] représenté par sa tutrice Mme [G] [U], Mme [G] [U] et Mme [D] [U] épouse [J] de leurs demandes,

- débouté la CPAM de ses demandes,

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné [R] [U] représenté par sa tutrice Mme [G] [U], Mme [G] [U] et Mme [D] [U] épouse [J] aux dépens,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

Pour statuer ainsi, le tribunal a considéré que :

- il ne pouvait être retenu avec certitude notamment au regard des dires de M. [Z] sur l'état du patient en SSPI et de l'avis du docteur [L] fourni après l'expertise judiciaire par la SA [Établissement 1] que l'état du patient s'était dégradé pendant plusieurs minutes avant que les infirmiers de la SSPI ne donnent l'alerte,

- le défaut de surveillance en SSPI pointé par les experts, n'était pas suffisamment établi pour considérer qu'il y avait eu un manquement de la part du personnel infirmier de la SA [Établissement 1] dans la mesure où il était établi que [R] [U] prenait des médicaments à base de morphine en doses très importantes dans la période précédant l'intervention de sorte que l'hypothèse avancée par le sapiteur anesthésiste d'une dégradation progressive de l'état du patient dès son extubation ne pouvait être totalement écartée et qu'en outre, les interrogations persistaient concernant l'origine de l'encéphalopathie anoxique du patient ce qui ne permettait pas de retenir un lien de causalité direct et certain entre l'incident survenu en SSPI et les séquelles actuelles du patient qui pouvaient trouver leur origine antérieurement à l'arrivée de [R] [U] en SSPI,

- en l'état des avis divergents des divers experts désignés par la CRCI et par le juge des référés les manquements reprochés à M. [M] n'étaient pas suffisamment établis.

Par déclaration du 18 avril 2017, Mme [G] [U] agissant tant à titre personnel qu'en qualité de tutrice de [R] [U] et Mme [D] [U] épouse [J] ont interjeté un appel général de cette décision.

[R] [U] est décédé le [Date décès 1] 2018.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Mme [G] [U] et Mme [D] [U] épouse [J] demandent à la cour dans leurs conclusions du 19 octobre 2018, en application des articles 1134 devenu 1103 et suivants et 1147 devenu 1212, 1231, 1231-1 et suivants du code civil, de :

- réformer le jugement en toutes ses dispositions,

- juger que M. [M] et la SA [Établissement 1] ont commis une faute d'abord d'interprétation des difficultés respiratoires puis de surveillance seules à l'origine de la privation d'oxygène dont [R] [U] a été victime et par voie de conséquence, seules à l'origine de l'état pauci-relationnel qui en est résulté,

- les condamner en conséquence au paiement d'une indemnité de 453'261,42 €, en réparation des préjudices subis par [R] [U], frais de séjour dans les divers é0tablissements médicaux compris, courant de la date d'admission dans le premier établissement d'hébergement (soit la résidence [Établissement 3] en juillet 2011) puis dans d'autres établissements jusqu'à son placement dans l'annexe de l'hôpital de [Localité 5] jusqu'à son décès survenu le [Date décès 2] 2018 s'élevant à 151'718,92 €,

- les condamner au paiement d'indemnités de 50'000 € et de 25'000 € en indemnisation des préjudices moraux respectifs subis par Mme [G] [U] et par Mme [D] [U] épouse [J],

- les condamner au paiement de la somme de 10'000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile (deux procédures de référé, procédure de fond, procédure d'appel, deux expertises [Localité 5] et [Localité 6], frais de reprographie etc...),

- condamner tout succombant aux dépens avec distraction.

Elles soutiennent que :

' sur les fautes de M. [M] et du personnel infirmier :

- les experts judiciaires ont expliqué l'origine du défaut d'apport en oxygène du cerveau par une obstruction des voies respiratoires due à un effet résiduel des médicaments de l'anesthésie ; une hypoxie cérébrale s'est produite du fait d'un défaut de ventilation qui aurait dû conduire à une réintubation ou à l'antagonisation du curare par administration de produits adéquats,

- [R] [U] a été conduit en SSPI avec des difficultés persistantes de ventilation liées à une obstruction des voies aériennes supérieures, du fait de l'apport d'oxygène à haut débit (12 litres par minute) ; ces difficultés ne se sont pas traduites immédiatement par une désaturation artérielle en oxygène mais par une hypercapnie qui a pu majorer la sédation résultant de l'effet résiduel des agents anesthésiques ; ensuite à un stade avancé et du fait de l'absence de surveillance, une désaturation artérielle en oxygène a pu se produire en même temps que les difficultés respiratoires, qui a enfin été reconnue et a conduit à une réintubation,

- ce mécanisme reste compatible avec la période de réveil qui a permis la détubation en salle d'opération,

- cette hypothèse se trouve confortée par les dires de l'anesthésiste qui obtint une ventilation d'amplitude satisfaisante par la simple luxation de la mâchoire ce qui permet d'écarter une reprise de l''dème laryngé après l'épuisement du traitement institué en début de séjour en SSPI,

- aucun élément ne permet de retenir que [R] [U] prenait des médicaments à base de morphine en doses très importantes puisque le docteur [B] a déclaré lors de la consultation du 10 août 2007, que [R] [U] avait pu baisser de moitié le dosage morphinique et s'orienter vers un sevrage progressif,

- les experts ont relevé la difficulté d'identifier les paramètres qui devraient être normalement colligés dans le dossier de surveillance en SSPI ce qui atteste à la fois d'un défaut de surveillance et de la difficulté à préciser le moment exact de la survenue de l'hypoxie cérébrale ; il est ainsi impossible de savoir quelles thérapeutiques ont été administrées en SSPI,

- ainsi les experts ont retenu un défaut de surveillance car une surveillance attentive suppose que le patient qui a tendance à dormir soit stimulé, qu'un encombrement pharyngé ou une difficulté respiratoire soit reconnue et que le médecin anesthésiste soit prévenu du retard de réveil ; la tachycardie, l'hypertension et l'oxymétrie du pouls imprenable ont alerté mais ces troubles ont été découverts par hasard et ils ne peuvent survenir brutalement,

- les difficultés respiratoires ont ainsi été mal interprétées par le médecin anesthésiste et mal surveillées par le personnel infirmier ce qui a conduit à un retard dans la prise en charge du patient.

' sur l'indemnisation :

- les frais de séjour de [R] [U] en établissement spécialisé jusqu'à son décès ont été de 151 718,92 €,

- perte de gains professionnels actuels : si [R] [U] était en invalidité, le but de l'intervention était de lui permettre de reprendre son activité d'infirmier libéral et on peut raisonnablement considérer, l'intervention ayant eu lieu en novembre 2008, qu'il aurait pu retravailler à partir du début de l'année 2009 ; en considérant un départ à la retraite en 2015, il est sollicité une indemnité de 15'000 € par an sur une durée de six ans soit 90'000 €,

- le déficit fonctionnel temporaire doit être indemnisé sur une base journalière de 25 € ce qui représente un total de 27'375 €,

- les souffrances endurées doivent être réparées à hauteur de 50'000 €,

- le déficit fonctionnel permanent : pour un déficit fonctionnel permanent de 85 % une indemnité de 297.500 € devrait être allouée mais il y a lieu de tenir compte du délai de survie de 6,5 ans et de convertir le capital par un euro de rente viagère pour un homme âgé de 58 ans selon le barème de capitalisation publié le 28 novembre 2017 par la Gazette du palais soit 29,173 ce qui représente une indemnité de 87 899,50 € (297 500 € / 22 000 = 1 522,72 € par an arrondis à 13 523 € x 6,5 ans),

- le préjudice esthétique de [R] [U] devenu grabataire incontinent justifie une indemnité tenant compte du temps écoulé de la consolidation au décès soit une somme de 11 817 € (40 000 € / 22 000 € = 1 818 x 6,5 ans),

- le préjudice sexuel pour un homme de 57 ans moment des faits doit être réparé par une somme de 25'591,50 € (90 000 € / 22 000 = 4 091 € × 6,5 ans)

- le préjudice d'agrément doit être réparé par une somme de 8 859,50 € (30'000 € /22'000 = 1 363 € × 6,5 ans).

M. [M] demande à la cour dans ses conclusions du 12 février 2019, en application des articles L. 1142-1 alinéa 1 et suivants du code de la santé publique, de :

- le recevoir en ses écritures et les disant bien fondées,

- constater qu'aucun manquement ne saurait être retenu à son encontre en lien avec le dommage dont il est demandé réparation,

en conséquence :

- confirmer le dispositif du jugement en ce qu'il a écarté sa responsabilité,

- prononcer sa mise hors de cause,

- débouter les consorts [U], la SA [Établissement 1] et la CPAM de leurs demandes dirigées à son encontre,

- débouter la SA [Établissement 1] de sa demande de contre-expertise en l'absence de motif légitime,

- condamner les consorts [U] ou tout autre succombant à lui verser la somme de 4 000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner les consorts [U] ou tout autre succombant aux dépens dont les frais d'expertise avec distraction.

Il estime que la SA [Établissement 1] n'apporte aucun élément nouveau susceptible de justifier une demande de nouvelle expertise et que le rapport d'expertise judiciaire est complet et répond entièrement aux questions de la mission.

Il rappelle qu'il n'est tenu en application de l'article L. 1142-1 alinéa 1 du code de la santé publique que d'une obligation de moyens et qu'il incombe au demandeur de rapporter la preuve d'une faute, d'un préjudice certain et d'un lien de causalité direct et certain avec la survenue de la complication.

Il explique que les experts ont écarté tout manquement de sa part à l'origine de la complication qu'ils ont imputée exclusivement à la SA [Établissement 1] sur la base d'un défaut de surveillance du personnel de la salle de surveillance post-interventionnelle.

Il indique ainsi que les experts ont relevé que conformément à la réglementation en cours [R] [U] a bénéficié d'une consultation d'anesthésie et d'une visite pré-anesthésique la veille de l'opération, que la prise en charge anesthésique per-opératoire a été conduite selon les protocoles admis et que l'absence d'une feuille d'anesthésie normalement renseignée n'a eu aucune incidence sur les faits survenus en SSPI.

Ainsi les experts ont validé la phase d'extubation de [R] [U] qui selon eux a été conduite selon les protocoles admis en notant que le patient manifestait des signes francs de réveil et qu'un test avait assuré de l'absence de paralysie musculaire résiduelle liée à la molécule de curare utilisée en début d'intervention et ils ont écarté de manière non équivoque l'éventualité d'une extubation trop précoce en précisant que celle-ci était physiquement impossible eu égard à la durée d'action pharmacologique de la molécule de curare utilisé.

Il précise que si l'extubation avait été trop précoce et que le patient avait alors présenté une anoxie sous l'effet d'une curarisation résiduelle la survenue de la détresse respiratoire aurait été bien plus précoce et ne se serait pas manifestée à 11h43 soit environ 1h30 après l'admission en SSPI et deux heures après la fin de l'anesthésie.

Il explique que les experts ont écarté l'éventualité d'une aggravation de l'état clinique de [R] [U] dès son extubation et qu'ils ont précisé notamment qu'il n'a jamais été mentionné en fin d'intervention ni au cours de l'expertise qu'un score d'Aldrete avait été mesuré à 8-10 bien au contraire ce score n'a pas été évalué à la sortie du bloc opératoire.

De même l'hypothèse avancée par la SA [Établissement 1] de la survenue d'une hypoxémie majeure entre 10h07 et 10h24 a été clairement écartée par les experts qui ont indiqué que le problème ventilatoire n'entraîne pas de détresse respiratoire, que l'absence de trace des données du monitoring entre 10h07 et 10h24 est cohérente et qu'il n'y a eu aucun retard de transfert entre l'extubation et l'admission en SSPI ; sur ce point, les experts ont repris avec précision la chronologie des faits et ont indiqué qu'il n'y a pas eu 17 minutes entre l'extubation et l'entrée en SSPI quelle que soit l'horloge de référence (bloc ou SSPI).

Il affirme que durant sa prise en charge le patient n'a jamais cessé de respirer, que s'il avait été anoxique voire même hypoxique puis transféré sans oxygène en SSPI il n'aurait en aucun cas présenté une saturation normale dès son arrivée dans cette salle.

Il relève que le rapport d'expertise établit que les éléments pertinents ont été transmis au personnel de la SSPI par la feuille de prescription post-interventionnelle, que ce personnel était compétent pour prendre en charge [R] [U], que la surveillance continue de ce patient prévue par les articles D. 6124-91, D. 6124-97 et D. 6124-101 du code de la santé publique incombait au personnel et qu'ainsi les experts ont dit que l'installation de la détresse respiratoire a échappé à la vigilance du personnel de la SSPI.

Enfin, il précise que les experts ont écarté toute faute de sa part dans la prise en charge de la complication car il a réalisé les gestes techniques de réanimation adaptés à la situation clinique, a mis en 'uvre rapidement les moyens de diagnostic approprié puis a fait transférer [R] [U] en service de réanimation.

La SA [Établissement 1] demande à la cour dans ses conclusions du 28 février 2019, en application de l'article 1147 du code civil, de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté les consorts [U] et la CPAM de l'ensemble de leurs demandes,

- juger non probant le rapport d'expertise judiciaire,

- juger qu'elle n'a commis aucune faute dans la prise en charge et la surveillance de [R] [U] en SSPI,

- juger que sa responsabilité n'est pas engagée,

- débouter en conséquence les consorts [U] et la CPAM de leurs demandes à son encontre,

- les condamner in solidum ou tout autre succombant à lui verser la somme de 5 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- les condamner ou tout autre succombant aux dépens,

' subsidiairement :

si la cour ne s'estimait pas suffisamment informée compte tenu des multiples incohérences mises en évidence à la lecture du rapport d'expertise judiciaire et des conclusions de l'analyse critique du docteur [L],

- ordonner une nouvelle expertise confiée a tel collège d'expert, qu'il plaira à la cour avec mission de se prononcer sur l'origine et les causes de l'état de santé de [R] [U] et sur la prise en charge de ce dernier par l'établissement de santé et par M. [M],

' plus subsidiairement :

si par extraordinaire sa responsabilité devait être retenue :

- juger que M. [M] a également engagé sa responsabilité dans la prise en charge de [R] [U] en lien avec son état de santé avant son décès,

- juger que sa responsabilité devra être retenue in solidum avec celle de M. [M],

- juger que les préjudices subis par [R] [U] avant son décès revenant à ses ayants droit au titre de l'action successorale seront justement réparés par l'octroi des sommes suivantes :

- déficit fonctionnel permanent : 74'785,68 €,

- souffrances endurées : 15'000 €,

- préjudice esthétique : 4 887,95 €,

- préjudice sexuel : 6 517,27 €,

- préjudice d'agrément : 3 258,63 €,

- débouter les ayants droit de [R] [U] de leurs demandes au titre des pertes de gains professionnels actuels et du déficit fonctionnel temporaire,

- subsidiairement, sur le déficit fonctionnel temporaire, ordonner un complément d'expertise à l'effet que les experts se prononcent sur ce poste de préjudice particulier,

- plus subsidiairement encore, juger que le déficit fonctionnel temporaire ne saurait être indemnisé sur une base journalière supérieure à 23 €,

- juger que le préjudice moral de Mme [G] [U] sera indemnisé à hauteur de 20'000 €,

- juger que le préjudice moral de Mme [D] [U] sera indemnisé à hauteur de 10'000 €,

- débouter les appelants et toutes autres parties notamment la CPAM dont la créance n'est pas totalement déterminée de toutes autres demandes,

- juger l'arrêt à intervenir commun et opposable à la CPAM,

- ramener à de plus justes proportions les demandes présentées au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

-statuer ce qu'il appartiendra sur les dépens.

La SA [Établissement 1] fait valoir que :

' les conclusions des différents experts intervenus sont contraires dans l'appréciation médicale des faits, notamment sur la prise en charge en SSPI,

' l'analyse des experts judiciaires est critiquable :

- leur explication sur l'origine de l'anoxie n'est pas médicalement cohérente ; en effet, si les effets persistants des médications de l'anesthésie sur le fonctionnement cérébral ont rendu la ventilation moins efficace cela a dû se manifester immédiatement après l'extubation ; ainsi qu'indiqué par le docteur [X] dans son rapport pour la CRCI quant un surdosage en médicaments de l'anesthésie survient, il se manifeste par une dépression respiratoire dès la fin de l'anesthésie, qui va conduire à un accident anoxique dans les minutes qui suivent (c'est la finalité même de la création des SSPI pour éviter ce type de complications) et jamais après un intervalle libre de près de deux heures,

- les experts judiciaires ont estimé que la détresse respiratoire a été constatée par hasard par l'infirmier qui venait mesurer les constantes sans que celui-ci n'ait été alerté par une alarme ce qui est faux, car l'infirmier M. [Z] a toujours déclaré au cours de toutes les expertises, qu'à 11h43 , il avait brutalement entendu [R] [U] avoir des difficultés de respiration ; en outre, si le patient avait été en déficit d'oxygène depuis plusieurs minutes les appareils auraient sonné très longuement ce qui n'a jamais été le cas ; enfin toutes les personnes qui ont vu [R] [U] ont indiqué qu'il ne présentait aucun signe de désaturation (pas de cyanose, sueur, agitation) ce que M. [M] a confirmé dans un courrier du 26 novembre 2008, figurant au dossier médical et adressé à son confrère du service de réanimation, aucune difficulté respiratoire n'a été constatée notamment par M. [M] lorsqu'il est passé 11h35 en SSPI ; ce qui a alerté M. [M] lorsqu'il a été appelé au chevet de [R] [U] a été son tableau neurologique ; la détresse respiratoire a été consécutive à l'installation du coma et non préalable à celui-ci,

- les experts [X] et [T] ont relevé qu'il n'était pas anormal une fois passée la période de stimulation en salle d'opération que [R] [U] en SSPI ne souffre pas, se rendorme et ne bouge pas d'autant que tous les paramètres vitaux mesurés étaient normaux et que sur le plan clinique le patient était calme, somnolent, rose, sans détresse respiratoire ce que l'on observe chez un patient qui va bien ; il n'y avait donc aucune raison pour que l'équipe infirmière stimule le patient pour vérifier son niveau de vigilance ; d'ailleurs, quand M. [M] est revenu en SSPI, il n'a rien observé d'anormal,

- elle rappelle qu'en vertu de l'article D. 6124-101 du code de la santé publique, le personnel paramédical est placé sous la responsabilité médicale d'un médecin anesthésiste réanimateur et que ce dernier est en charge du suivi du patient dès la sortie du bloc opératoire et en SSPI,

- on ne sait rien de la prise en charge de [R] [U] de l'extubation à 10H07 à sa sortie du bloc opératoire à 10h15 puis jusqu'à son arrivée en SSPI à 10h24 ; si M. [M] a écrit que le patient était sous masque à oxygène, M. [Z] a écrit qu'à son arrivée en SSPI [R] [U] était en ventilation spontanée sans oxygène,

- [R] [U] avait un état de conscience coté à deux, en sortie de bloc, mais M. [M] n'a pas donné de consignes de surveillance particulière au personnel infirmier présent et n'a procédé à aucune annotation spécifique dans le dossier ; il ne peut être considéré qu'un signalement aurait dû être fait par le personnel infirmier alors qu'il lui incombait de s'informer de l'état de son patient,

- le rapport critique du docteur [L] praticien hospitalier en réanimation neurochirurgicale à l'hôpital de la Salpêtrière à [Localité 6] a été communiqué aux débats dès la première instance et a été soumis à la libre discussion des parties ; il peut donc être retenu comme probant ; il ressort de ce document, que l'état d'anoxie-ischémie cérébrale post-opératoire à l'origine de séquelles irréversibles est plus la conséquence d'un épisode anoxique survenu à l'extubation que d'une anoxie survenue en SSPI ; en effet, aucune surveillance des constantes vitales, soit pression artérielle et saturation artérielle en oxygène, n'a été consignée après l'extubation sur la table avant de quitter le bloc opératoire contrairement aux bonnes pratiques cliniques, aucun élément dans le dossier médical ne permet de connaître l'horaire d'administration du curare et il est impossible d'éliminer le risque de curarisation résiduelle sans monitorage instrumental ; il appartenait à l'anesthésiste de procéder à cet examen et non au personnel infirmier ; l'étude du docteur [L] souligne que lors de son arrivée en SSPI, [R] [U] présentait un score de Glasgow à 9/15 ce qui correspond à un trouble sévère de la vigilance et que M. [M] n'a pas suivi les bonnes pratiques cliniques en présence d'un trouble de vigilance postopératoire ; en effet, les règles de bonnes pratiques cliniques imposent qu'un opéré souffrant en post-opératoire d'une dyspnée d'origine inexpliquée associée à un trouble sévère de la vigilance bénéficie d'une réintubation et d'une ventilation artifice ; en outre, le tableau clinique présenté par [R] [U] en SSPI n'est pas compatible avec un épisode d'anoxie car il n'y a jamais eu de bradycardie ni de cyanose,

' subsidiairement, une nouvelle expertise s'impose :

- l'analyse du docteur [S] est pauvre,

- cet expert regrette l'absence de feuille d'anesthésie normalement renseignée et le délai estimé d'une dizaine de minutes avant la mise en route de la thérapeutique appropriée de la difficulté respiratoire survenue à la détubation mais n'en tire aucune conséquence,

- cet expert, considère qu'à l'origine du défaut d'apport en oxygène au cerveau, il y a eu une obstruction des voies respiratoires qui s'explique par un effet résiduel des médications de l'anesthésie mais explique parallèlement, qu'il n'y a pas eu de curarisation résiduelle par un calcul simpliste et non probant,

' sur les préjudices :

- perte de gains professionnels actuels : il n'est aucunement établi que malgré son état d'invalidité et eu égard à son important état antérieur, [R] [U] aurait pu reprendre une activité professionnelle si l'intervention avait réussi,

- la demande relative au déficit fonctionnel temporaire repose sur un déficit de 100 % ce qui n'a pu être le cas ; en toute hypothèse, une somme supérieure à 23 € par jour ne pourra être allouée,

- les souffrances endurées doivent être indemnisées à hauteur de 15'000 € et le préjudice esthétique à 15 000 € ce qui représente pour 6,5 années de survie en retenant l'euro de rente applicable pour un homme de 61 ans à la consolidation, soit 19,947, une indemnité de 4 887,95 € (15 000 €/ 19,947 x 6,5 ans),

- le déficit fonctionnel permanent justifierait une indemnité de 229 500 € soit pour 6,5 ans une somme de 74 785,68 € ( 229 500 € / 19,947 x 6,5ans),

- le préjudice sexuel doit être chiffré à 6 517,27 € (20 000 € / 19,9 du coût de la période d'hospitalisation qui de toute façon aurait été nécessaire 47 x 6,5 ans),

- le préjudice d'agrément doit être indemnisé à hauteur de 3 258,63 € (10 000 € / 19,947 x 6,5 ans),

' sur le recours de la CPAM :

- la CPAM ne peut-être indemnisée du coût de l'intervention initiale ni des frais d'hospitalisation afférents à celle-ci qui sans l'accident auraient été nécessaires.

La CPAM demande à la cour dans ses conclusions du 29 octobre 2018, en application de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, de :

- réformer le jugement toutes ses dispositions,

statuant à nouveau :

- fixer sa créance à la somme de 365'862,85 €,

- condamner in solidum M. [M] et la SA [Établissement 1] à lui verser les sommes suivantes :

- dépenses de santé actuelles : 343'263,64 €,

- frais divers : 21'283,60 €,

- dépenses de santé futures : 1315,61 €,

- soit la somme totale de 365'862,85 € avec intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir,

- condamner in solidum M. [M] et la SA [Établissement 1] à lui verser la somme de 1 066 € au titre de l'indemnité forfaitaire de l'article L. 376-1 alinéa 9 du code de la sécurité sociale,

- condamner in solidum M. [M] et la SA [Établissement 1] à lui verser la somme de 1 200 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner in solidum aux dépens.

Elle indique que les dépenses de santé actuelles correspondent aux frais hospitaliers, médicaux pharmaceutiques et d'appareillages, les frais divers à des frais de transport et les dépenses de santé futures à des prestations occasionnelles post consolidation et que l'ensemble de ses débours est intégralement et exclusivement imputable aux faits en cause, ainsi qu'en a attesté son médecin-conseil.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la responsabilité

Il est mentionné à l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, applicable, en vertu de la loi n°2002-1577 du 30 décembre 2002, aux actes de soins postérieurs au 5 septembre 2001, que :

I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute.

En l'espèce, [R] [U] est entré le 25 novembre 2008 à l'Hôpital privé [Établissement 1], pour y subir une cure chirurgicale d'une hernie discale lombaire ; l'intervention a été pratiquée le 26 novembre 2008 par le docteur [B], l'anesthésie étant dispensée par M. [M].

Les experts le professeur [V] et le docteur [S] ont conclu dans leur rapport d'expertise en date du 12 avril 2014, que :

- lors de leur examen [R] [U] a eu un comportement agressif et véhément témoignant d'une détérioration intellectuelle profonde, aucun échange verbal ni réponse à des questions très simples n'ont pu être obtenus et une désinhibition patente a pu être constatée,

- l'ensemble de ce comportement entre dans le cadre d'un syndrome frontal majeur qui a été confirmé par le grasping bilatéral et par les images séquellaires bi-frontales visibles sur les IRM successifs,

- [R] [U] est atteint d'une quadriparésie prédominant du côté droit avec troubles sphinctériens,

- [R] [U] présente un état de dépendance total et définitif,

- le syndrome frontal est la conséquence d'une encéphalopathie anoxique elle-même consécutive à une détresse respiratoire,

- la détresse respiratoire est la conséquence d'une obstruction des voies respiratoires laissant s'accumuler les sécrétions pharyngées et est due à un effet résiduel des médications de l'anesthésie qui a entraîné une baisse de tonus des muscles pharyngés avec chute de la langue et/ou une diminution du réflexe de déglutition,

- cette détresse respiratoire est survenue en salle de réveil, après l'intervention, et a échappé à la surveillance du personnel infirmier qui était pourtant en nombre suffisant,

- le personnel infirmier de la SSPI n'a pas surveillé correctement [R] [U] à la suite de l'intervention du 26 novembre 2008.

Le professeur [V] et le docteur [S] ont établi leur rapport de façon contradictoire, après examen de [R] [U] et consultation non seulement de son dossier médical mais également des expertises diligentées par la CRCI ; ils ont répondu aux dires des parties et leur analyse qui n'est pas utilement remise en cause par les observations du docteur [L] qui n'ont pas été sollicitées avant l'expertise judiciaire pour être soumises aux experts afin qu'ils fournissent leurs réponses dans un cadre contradictoire, ne sont pas de nature à en remettre en cause la pertinence ; en outre, contrairement aux affirmations de la SA [Établissement 1] les conclusions des experts sont complètes, détaillées, claires et exemptes d'incohérences ; il n'y a pas lieu en conséquence de faire droit à la demande de nouvelle expertise.

Ces experts ont pu valablement estimer que si la prise en charge de [R] [U] par M. [M] en per et post opératoire est critiquable sur certains points, ces carences ne sont pas en lien avec la détresse respiratoire qui est survenue en salle de réveil.

En effet, si une dyspnée respiratoire s'est produite au moment de la détubation les experts ont noté que M. [M] a mentionné sur la feuille d'anesthésie une fin de prise en charge à 10H07 avec une ventilation spontanée et une bonne stabilité hémodynamique et les experts ont précisé que les paramètres de surveillance pendant l'anesthésie montrent que l'induction d'anesthésie a été faite à 08H07, que la ventilation mécanique a été effective à 08H10 et que la mise en position ventrale pour l'incision a été réalisée à 08H14 ; ils ont relevé que si l'heure de l'injection de curare et celle de l'incision n'ont pas été renseignées, il doit être considéré compte tenu, d'une part, des tâches à effectuer, qu'un délai de vingt minutes s'est écoulé entre la mise en position ventrale et l'incision et, d'autre part, du fait que l'injection de curare doit intervenir avant l'incision pour détendre les muscles et faciliter le travail du chirurgien, que l'administration du curare a été faite à 08H35 au plus tard.

Ainsi les experts ont pu valablement conclure, eu égard à la masse corporelle de [R] [U] et à la durée d'action du curare qu'il n'y avait pas de curarisation au moment de l'extubation et que celle-ci n'a donc pas été précoce ce qui est confirmé par la ventilation spontanée qui est traduite sur les enregistrements par un volume courant et un CO2 expiré satisfaisant qui démontre qu'elle était efficace.

La feuille de prescription post-interventionnelle établie à la suite de l'intervention mentionne une dyspnée respiratoire sur oedème et la prescription d'un aérosol par M. [M].

Les experts ont relevé qu'il ne peut être considéré que l'état clinique de [R] [U] s'est aggravé entre 10H07 et 10H24, heure de son admission en SSPI, car aucun élément ne permet de l'établir et car le problème ventilatoire n'a pas entraîné de détresse respiratoire ; ainsi le volume courant est resté satisfaisant, il n'y a pas eu de désaturation et il est demeuré un important wheezing. En outre, la feuille de surveillance en SSPI révèle une admission à 10H24 avec une oxymétrie de pouls à 97 et la mise en place de l'aérosol de Solumédrol et Adrenaline qui a amélioré immédiatement l'état de [R] [U] ; en effet, l'oxymétrie de pouls est passée à 100 à 10H34 ; ainsi aucun manque d'oxygène n'est à déplorer lors de l'arrivée en SSPI.

En revanche, la feuille de surveillance post-interventionnelle fait état à 11H32 d'une oxymétrie de pouls à 100 puis à 11H43 de l'absence d'oxymétrie de pouls ; M. [M] a indiqué avoir été appelé en salle de réveil à 11H45 et les experts ont précisé que l'oxymétrie de pouls non mesurable s'est accompagnée d'une tachycardie et d'une hypertension artérielle, que chez un patient réputé sous oxygène, il faut au moins cinq minutes d'obstruction pharyngée pour passer d'une oxymétrie de pouls à 100 à une oxymétrie imprenable et que malgré une intubation trachéale et une ventilation assistée l'oxymétrie mesurable n'a été récupérée qu'après dix minutes ce qui implique que la ventilation n'était pas efficace depuis au moins cinq minutes.

Les experts ont ajouté d'une part, que le trouble respiratoire a bien été dû à une obstruction des voies aériennes car il a suffit à M. [M] de luxer la mâchoire de [R] [U] pour que celui-ci reprenne une ventilation ample et efficace, (ce qui exclut une reprise de l'oedème laryngé), qu'il s'agit d'un geste simple que tous les infirmiers de salle de réveil savent faire dans l'attente de la venue d'un médecin et, d'autre part, que l'infirmier de SSPI qui a renseigné un score d'Aldrete à l'arrivée de [R] [U] (l'activité motrice est notée 0/2 et l'état de conscience est noté 0/2 sur la feuille de soins post-interventionnelle) savait qu'il était endormi et se devait de le surveiller attentivement et de le stimuler.

Ces éléments caractérisent ainsi un défaut de surveillance de [R] [U] en SSPI par le personnel infirmier et une absence de réaction adaptée de ce personnel face à un problème respiratoire, ce qui engage la responsabilité de la SA [Établissement 1].

Il résulte de l'ensemble des motifs qui précèdent que, Mme [G] [U] et Mme [D] [U] épouse [J], la SA [Établissement 1] et la CPAM doivent être déboutées de leurs demandes dirigées contre M. [M] et que la SA [Établissement 1] doit être condamnée à indemniser Mme [G] [U] et Mme [D] [U] épouse [J] ainsi que la CPAM agissant par subrogation de leurs préjudices.

Sur le préjudice corporel de [R] [U]

Les experts ont apprécié les divers postes du dommage corporel de [R] [U] ainsi qu'il suit :

- perte de gains professionnels actuels et déficit fonctionnel temporaire : [R] [U], infirmier libéral était déjà en invalidité depuis trois ans, avant l'opération du docteur [B],

- une consolidation au 26 novembre 2011,

- dépenses de santé futures : [R] [U] doit être maintenu dans une structure spécialisée dans les soins pour personnes dépendantes,

- des souffrances endurées de 4,5/7,

- un déficit fonctionnel permanent de 85 %,

- un préjudice esthétique de 4,5/7 (situation de grabataire incontinent),

- un préjudice d'agrément : non documenté,

- un préjudice sexuel : activité sexuelle définitivement non envisageable,

- incidence professionnelle : [R] [U] est définitivement inapte à l'exercice de toute activité professionnelle,

- un besoin d'assistance de tierce personne : néant [R] [U] est hospitalisé dans une unité de soins pour personnes dépendantes depuis août 2012 après échec d'un retour à domicile de juillet 2010 à juillet 2011.

Préjudices patrimoniaux

- Dépenses de santé actuelles et futures517 581,77 €

Ce poste correspond aux :

° frais d'hospitalisation, frais médicaux et pharmaceutiques et de transport pris en charge par la CPAM soit selon son décompte et l'attestation d'imputabilité à l'accident médical établie par son médecin conseil la somme de 365 862,85 €,

° frais d'hébergement restés à la charge de la victime, soit la somme non contestée de 151 718,92 €,

° total : 517 581,77 €.

- Perte de gains professionnels actuels /

Ce poste vise à compenser une incapacité temporaire spécifique concernant les répercussions du dommage sur la sphère professionnelle de la victime et doit être évalué au regard de la preuve d'une perte effective de revenus.

Les experts ont précisé en page 10 de leur rapport que [R] [U] était en invalidité depuis 2006, pour une pathologie du rachis cervical considérée comme consécutive à un accident du travail ; l'intervention du 26 novembre 2008, a consisté en une cure de hernie lombaire ; elle n'aurait pas eu d'incidence particulière sur la capacité de [R] [U] à reprendre le travail ; aucun élément n'a été fourni par Mme [G] [U] et Mme [D] [U] épouse [J] sur les conditions de la mise en invalidité de [R] [U], sur les observations du médecin conseil de son organisme social sur les contre-indications résultant de sa pathologie cervicale au regard des contraintes de son travail ni sur les revenus que lui procurait son activité professionnelle d'infirmier libéral ; au surplus, [R] [U] était âgé de 58 ans lors de l'intervention du 26 novembre 2008 ; en l'état de l'ensemble de ces données, aucune perte de chance de gains directe et certaine en lien avec l'accident du 26 novembre 2008 n'est établie ; aucune somme ne sera allouée au titre de ce poste de préjudice.

Préjudices extra-patrimoniaux

- Déficit fonctionnel temporaire24 000 €

Ce poste inclut la perte de la qualité de la vie et des joies usuelles de l'existence et le préjudice d'agrément et le préjudice sexuel pendant l'incapacité temporaire.

Il doit être réparé sur la base d'environ 750 € par mois ainsi que demandé par Mme [G] [U] et Mme [D] [U] épouse [J], eu égard à la nature des troubles et de la gêne subie ; il y a lieu de considérer que l'opération, si elle avait réussi, aurait occasionné un déficit fonctionnel temporaire total de 3 mois ; le déficit fonctionnel temporaire en lien avec l'intervention du 26 novembre 2008, doit être considéré comme ayant été total à compter du 26 février 2009 (3 mois après la durée normale du déficit fonctionnel temporaire total en l'absence d'accident) jusqu'au 26 février 2011 puis à 85 % à compter du 27 février 2011, jusqu'à la consolidation du 26 novembre 2011, ce qui justifie l'allocation d'une somme de 23 737,50 € (18 000 € + 5 737,50 €) arrondie à 24 000 €.

- Souffrances endurées25 000 €

Ce poste prend en considération les souffrances physiques et psychiques et les troubles associés supportés par la victime en raison du traumatisme initial, du séjour en service de réanimation, des examens et soins ; évalué à 4,5/7 par les experts, il justifie l'octroi d'une indemnité de 25 000 €.

- Déficit fonctionnel permanent87 899,50 €

Ce poste de dommage vise à indemniser la réduction définitive du potentiel physique, psychosensoriel ou intellectuel résultant de l'atteinte anatomo-physiologique à laquelle s'ajoutent les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques et notamment le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence (personnelles, familiales et sociales).

Il a été caractérisé par un état pauci-relationnel, ce qui a conduit à un taux de 85 % justifiant une indemnité de 297 500 € pour un homme âgé de 61 ans à la consolidation, ce qui représente une indemnité annuelle de 14 914,52 € (297 500 € / 19,947), par division par un euro de rente viagère de 19,947 selon le barème publié par la Gazette du palais le 28 novembre 2017, dont l'application est demandée par Mme [G] [U] et Mme [D] [U] épouse [J] et qui est le plus approprié, et une indemnité de 96 944,38 € (14 914,52 € x 6,5 ans) pour les 6,5 ans de survie près la consolidation, indemnité ramenée à 87 899,50 € pour rester dans la demande.

- Préjudice esthétique10 000 €

Ce poste de dommage cherche à réparer les atteintes physiques et plus généralement, les éléments de nature à altérer l'apparence physique.

Qualifié de 4,5/7 au titre de la situation de grabataire incontinent de [R] [U] jusqu'à son décès, il doit être indemnisé à hauteur de 10 000 €.

- Préjudice d'agrément/

Ce poste de dommage vise exclusivement l'impossibilité ou la difficulté pour la victime à poursuivre la pratique d'une activité spécifique sportive ou de loisir.

Mme [G] [U] et Mme [D] [U] épouse [J] ne justifiant pas que [R] [U] s'adonnait, avant l'accident, à une activité de cette nature, en l'absence du moindre élément produit à ce sujet (attestation ou autre) doivent être déboutées de toute demande à ce titre.

- Préjudice sexuel10 000 €

Ce poste comprend divers types de préjudices touchant à la sphère sexuelle et notamment celui lié à l'acte sexuel lui-même qui repose sur la perte du plaisir lié à l'accomplissement de l'acte sexuel.

Il a été caractérisé par les experts et justifie une indemnisation à hauteur de 10 000 € de la consolidation jusqu'au décès.

Le préjudice corporel global subi par [R] [U] s'établit ainsi à la somme de 674.481,27 € soit, après imputation des débours de la CPAM, une somme de 308 618,42 € revenant à Mme [G] [U] et Mme [D] [U] épouse [J].

La SA [Établissement 1] doit en conséquence être condamnée à leur verser cette somme et à payer à la CPAM celle de 365 862,85 € au titre de ses débours.

Aux termes de l'article L 376-1 du code de la sécurité sociale en contrepartie des frais qu'elle engage pour obtenir le remboursement des prestations mises à sa charge, la caisse d'assurance maladie à laquelle est affiliée la victime recouvre une indemnité forfaitaire de gestion, d'un montant en l'espèce de 1 066 €, à la charge du responsable au profit de l'organisme national d'assurance maladie ; la SA [Établissement 1] doit être condamner à payer cette somme à la CPAM.

Sur les préjudices d'affection

Il doit être alloué à Mme [G] [U] la somme de 30 000 € et à Mme [D] [U] épouse [J] celle de 20 000 € au titre de leurs préjudices d'affection.

Sur les demandes annexes

Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux frais irrépétibles doivent être infirmées.

La SA [Établissement 1] qui succombe partiellement dans ses prétentions et qui est tenue à indemnisation supportera la charge des dépens de première instance et d'appel avec application de l'article 699 du code de procédure civile.

L'équité commande d'allouer à Mme [G] [U] et Mme [D] [U] épouse [J] une indemnité de 4 000 € et à la CPAM une somme de 1 000 € au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel et le rejet de la demande de M. [M] et de la SA [Établissement 1] formulées au même titre.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

- Infirme le jugement,

Sauf en ce qu'il a rejeté les demandes dirigées contre M. [J] [M],

Statuant à nouveau sur les points infirmés et y ajoutant,

- Dit que la SA [Établissement 1] est responsable du dommage subi par [R] [U] à la suite de l'intervention chirurgicale du 26 novembre 2008,

- Fixe le préjudice corporel global de [R] [U] à la somme de 674.481,27 €,

- Dit que l'indemnité revenant à cette victime s'établit à 308 618,42 €,

- Condamne la SA [Établissement 1] à payer à :

*Mme [G] [U] et Mme [D] [U] épouse [J] 308 618,42 €, en réparation du préjudice corporel subi par [R] [U],

*Mme [G] [U] 30 000 € en réparation de son préjudice d'affection,

*Mme [D] [U] épouse [J] 20 000 € en réparation de son préjudice d'affection,

* Mme [G] [U] et Mme [D] [U] épouse [J] 4 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en première instance et en appel,

- Condamne la SA [Établissement 1] à payer à la caisse primaire d'assurance maladie des [Localité 1] les sommes de :

*365 862,85 € au titre de ses débours,

*1 066 € au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion,

*1 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile en première instance et en appel.

- Rejette les demandes de M. [J] [M] et de la SA [Établissement 1] fondées sur l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamne la SA [Établissement 1] aux dépens de première instance et d'appel d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Le greffier Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 1-6
Numéro d'arrêt : 17/07598
Date de la décision : 24/10/2019

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence 10, arrêt n°17/07598 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-10-24;17.07598 ?
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