COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-5
ARRÊT SUR RENVOI
DE CASSATION
DU 19 SEPTEMBRE 2019
N° 2019/
MS
Rôle N° RG 18/13705 - N° Portalis DBVB-V-B7C-BC6IA
[W] [P]
C/
SA SOCIETE TOTAL
SAS ADECCO FRANCE
SAS BP FRANCE
SNC SOCIETE D'AVITAILLEMENT ET DE STOCKAGE DE CARBURAN TS AVIATION
Copie exécutoire délivrée
le : 19 septembre 2019.
à :
- Me Fabio FERRANTELLI, avocat au barreau de NICE
- Me Romain CHERFILS, avocat au barreau d'AIX EN PROVENCE
- Me John JOHNSON, avocat au barreau de PARIS
([Adresse 5]
[Localité 7])
- Me Michaël DAHAN, avocat au barreau de PARIS
([Adresse 6] )
Arrêt en date du 4 juillet 2019, prononcé sur saisine de la cour suite à l'arrêt rendu par la Cour de Cassation le 9 Juin 2017, qui a cassé l'arrêt rendu le 13 janvier 2015 par la 17ème chambre de la cour d'appel d'AIX EN PROVENCE.
APPELANT
Monsieur [W] [P], demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Fabio FERRANTELLI de la SELARL POLI MONDOLONI ROMANI & ASSOCIES, avocat au barreau de NICE, substituée par Me Christine GAILHBAUD, avocat au barreau de GRASSE,
INTIMEES
SAS ADECCO FRANCE, demeurant [Adresse 4]
représentée par Me Romain CHERFILS de la SELARL LEXAVOUE BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Emilie VIELZEUF, avocat au barreau de GRASSE
SAS BP FRANCE, demeurant [Adresse 14]
représentée par Me John JOHNSON, avocat au barreau de PARIS et par Me Dominique ALLEGRINI, avocat au barreau de MARSEILLE,
SA SOCIETE TOTAL, demeurant [Adresse 3]
représentée par Me Michaël DAHAN, avocat au barreau de PARIS et par Me Alexandra BOISRAME, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
SNC SOCIETE D'AVITAILLEMENT ET DE STOCKAGE DE CARBURAN TS AVIATION, demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Michaël DAHAN, avocat au barreau de PARIS et par Me Alexandra BOISRAME, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 25 Avril 2019 en audience publique devant la Cour composée de :
Madame Michelle SALVAN, Président de Chambre
Monsieur Thierry LAURENT, Conseiller
Madame Mariane ALVARADE, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Mme Pascale ROCK.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 04 Juillet 2019 puis prorogé au 19 septembre 2019..
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 19 septembre 2019.
Signé par Madame Michelle SALVAN, Président de Chambre et Mme Pascale ROCK, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*-*-*-*-*
EXPOSE DES FAITS ET PROCÉDURE
M. [P] a soutenu avoir été engagé à compter du 4 mai 1991 en qualité d'avitailleur et chauffeur semi poids-lourds par contrat de travail temporaire avec l'entreprise de travail temporaire Adecco pour être affecté au sein du GIE Ganca, aux droits duquel vient la société Sasca, notamment composé des compagnies pétrolières Bp, Total ; ces contrats se sont poursuivis jusqu'au 30 novembre 2005.
Le 30 septembre 2010, M. [P] a saisi le conseil de prud'hommes de Nice à l'encontre du GIE Ganca, des sociétés Total, Bp France, Adecco France et de la chambre de commerce et d'industrie Nice côte d'azur pour obtenir la requalification de sa relation contractuelle en contrat à durée indéterminée et la condamnation des défendeurs au paiement de diverses sommes au titre de la requalification et de la rupture du contrat de travail.
Par jugement du 19 novembre 2013 le conseil de prud'hommes a :
- pris 'acte de l'intervention volontaire de la société Sasca se déclarant subrogée dans les droits et devoirs du GIE Ganca, de la société Bp France et de la société Total dans le cadre de la garantie des créances fixées par le conseil de prud'hommes de Nice',
- pris acte du désistement d'instance et d'action de M. [P] à l'encontre de chambre de commerce et d'industrie [Localité 17] Côte d'[Localité 9].
- dit les demandes de M. [P] frappées par la péremption d'instance,
- débouté M. [P] et les autres parties de l'ensemble de leurs demandes.
Par arrêt du 13 janvier 2015, la cour d'appel d'Aix en Provence a infirmé le jugement, a dit que les demandes de M. [P] n'étaient pas atteintes par la péremption d'instance et les a déclarées recevables et l'a débouté de l'ensemble de celles-ci.
Statuant sur le pourvoi formé par M. [P], la Cour de cassation, par arrêt rendu le 9 juin 2017 au visa des articles 4 et 16 du code de procédure civile, L1251-16 du code du travail a cassé l'arrêt rendu le 13 janvier 2015 par la cour d'appel d'Aix en Provence, mais seulement en ce qu'il déboute M. [P] de ses demandes indemnitaires, de rappel de salaires et de congés payés à l'égard des sociétés Adecco, BP France, Total et Sasca et a renvoyé la cause et les parties, devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée.
L'arrêt est cassé aux motifs :
- que pour débouter le salarié de ses demandes, l'arrêt retient que les contrats de missions confiés par Adecco ne l'étaient qu'à compter du 13 janvier 1997, qu'il n'y avait pas lieu d'examiner la période antérieure alors qu'aucune partie ne contestait que M. [P] avait été engagé à compter de 1991 par la société Adecco sous son ancienne dénomination sociale Ecco ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu les termes du litige ;
- que pour débouter le salarié de ses demandes, l'arrêt retient qu'à compter du 13 janvier 1997, il avait signé des contrats de mission pour être engagé au sein des sociétés utilisatrices Total, Bp mais également Elf qui n'est pas membre du GIE Ganca et qu'il avait en conséquence soutenu à tort avoir travaillé pour le GIE Ganca, Total et Bp, alors qu'il ressortait tant des conclusions d'appel de la société Total et du GIE Ganca, que des pièces versées aux débats par le salarié notamment des exemplaires salariés des relevés d'heures ainsi que des exemplaires de contrats de mission émis par Adecco et signés du client Ganca, que ce GIE y figurait comme société utilisatrice, que la société Elf était membre du GIE Ganca ; que la cour d'appel a ainsi dénaturé par omission lesdits documents ;
- que pour débouter le salarié de sa demande de requalification, l'arrêt retient que le nom du salarié absent a manifestement été omis au profit du motif détaillé de son absence, que cette omission ne saurait justifier la requalification en contrat à durée indéterminée et que c'est uniquement par négligence que le nom du salarié parti en stage n'a pas été mentionné, cette erreur ne pouvant dès lors, dans l'esprit de la loi, justifier la requalification sollicitée ;qu'en statuant ainsi, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article L1251-16 du code du travail.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Monsieur [W] [P] fait valoir qu'il a été engagé à compter du 4 mai 1991 en qualité d'avitailleur et chauffeur semi poids-lourds par contrat de travail temporaire avec l'entreprise de travail temporaire Adecco pour être affecté au sein du GIE Ganca aux droits duquel vient la société Sasca, notamment composé des compagnies pétrolières Bp et Toral mais n'ayant aucune activité propre; que pour tous ces contrats qui se sont poursuivis jusqu'au 30 novembre 2005, il a en réalité, de manière alternative ou cumulative, été toujours affecté soit au sein de la société Toral, en majorité, soit au sein de la société Bp, lesquelles étaient les réelles utilisatrices ; que les contrats de mission étaient soumis à la convention collective nationale de l'industrie du pétrole;qu'après une période de carence il a été de nouveau embauché et mis à disposition de la CCI qui gérait alors l'aéroport de [Localité 17].
Il soutient :
Sur l'étendue de la saisine :
- que les dispositions de l'arrêt donnant acte à la société Sasca de son intervention comme venant aux droits du GIE Ganca et prenant acte du désistement de M. [P] de ses demandes dirigées contre la CCI de Nice ne font pas l'objet de la cassation partielle,
- que le moyen tiré de la prescription de l'action a été définitivement écarté par l'arrêt,
Sur les 'fins de non recevoir' soulevées par la société Bp France :
- que le moyen tiré de l'application du régime des scissions soulevé par la société Bp France, en ce que cette société aurait fait apport partiel de son actif emportant transmission universelle de son patrimoine à la société Sasca, ce qui entraîne sa mise hors de cause ne tend pas à faire déclarer l'action irrecevable au sens de l'article 122 du code de procédure civile,
-que son action à l'encontre de la société Bp France n'est pas soumise aux exigences de l'article L251-6 du code de commerce et est recevable à défaut de mise en demeure préalable du GIE Sasca.
Sur le prêt de main d'oeuvre illicite :
- que le GIE Ganca bien qu'il n'ait pas la qualité d'entreprise de travail temporaire servait d'intermédiaire entre les salariés et les sociétés pétrolières utilisatrices qui réalisaient ainsi des économies même si le GIE ne faisait aucun profit, alors même qu'il travaillait sous les seules directives des sociétés Bp et Total, ce qui constitue le délit de prêt de main d'oeuvre illicite.
Sur la demande de requalification des contrats de missions:
A/ à l'encontre des entreprises utilisatrices Ganca (Sasca)Bp et Total:
- que la société Adecco (ancienne société Ecco) l'a engagé durant 14 années suivant 365 contrats d'intérim dont 195 étaient conclus pour le remplacement d'un salarié absent ce qui démontre qu'il s'agissait en réalité de pourvoir à l'activité normale et permanente des entreprises utilisatrices le GIE Ganca notamment composé des sociétés Total et Bp.
- que la requalification de la relation en un contrat de droit commun s'impose tant du fait du non respect des règles liées à l'aménagement du terme du contrat (L1251-30 du code du travail), que des irrégularités liées au motif des contrats litigieux ( L1251-6 du code du travail).
B/ à l'encontre de l'entreprise de travail temporaire Adecco:
- que l'apposition sur les contrats de signatures imputées à M. [P] mais qui ne sont jamais identiques fait douter de la qualité du signataire et valent absence de contrat de travail écrit,
- qu'il en est de même de l'absence de mention de la qualification professionnelle des salariés absents remplacés,
- que le non-respect du délai de carence entre les contrats de mission successifs enfreint dispositions de l'article 1251-36 du code du travail,
Sur les demandes indemnitaires et salariales :
- qu'il a droit à une indemnité de requalification équivalente à 6 mois de salaire en application de l'article L1251-41 du code du travail,
- que de manière inexpliqué ses fiches de paie font apparaître des différences de taux horaire , qu'un autre salarié M. [D] avait un taux horaire de 11,84 euros bien qu'étant moins ancien que lui,
- qu'il a droit à des indemnités de rupture calculées par référence à la convention collective nationale des industries du pétrole ainsi qu'à des dommages-intérêts tant pour irrégularité de la procédure qu'en raison de la perte brutale et injustifiée de son emploi,
- que le nombre d'heures de droit individuel à la formation auxquelles il pouvait prétendre n'a jamais été mentionné ce qui lui fait perdre une chance.
En conséquence, l'appelant demande de requalifier les contrats de mission litigieux en un contrat à durée indéterminée à temps plein à l'encontre des entreprises de travail temporaire et des sociétés utilisatrices, coupables du délit de prêt de main d'oeuvre illicite, de dire et juger que la rupture des relations professionnelles s'analyse en un licenciement irrégulier et sans cause réelle et sérieuse, en conséquence, de condamner solidairement la société Bp France, la société Total, la société Sasca, et la société Adecco à lui verser les sommes suivantes :
20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour prêt de main-d'oeuvre illicite,
12.000 euros d'indemnité de requalification,
29.619,27 euros à titre de rappel de salaire,
2.961,92 euros au titre des congés payés y afférents,
1.911,62 euros à titre de dommages et intérêts pour absence de procédure de licenciement,
3.823,24 euros au titre de l'indemnité de préavis,
382,32 euros de congés payés y afférents,
13.763,70 euros au titre de l'indemnité de licenciement
45 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
5000 euros à titre de dommages et intérêts pour perte du droit individuel à la formation, ainsi qu'à lui remettre des documents de fin de contrat sous astreinte de 500 € par jour de retard à compter de la décision à intervenir et de condamner les sociétés défenderesses à lui verser la somme de 3000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en ce compris l'article 10 du décret numéro 96-1080 du 12 décembre 1996.
La société Total et la société Sasca venant aux droits du GIE Ganca font d'abord valoir :
- que la péremption d'instance est acquise, s'agissant des deux saisines postérieures de M. [P],en date du 22 février 2012 et du 18 janvier 2013, en application de l'article 383 du code de procédure civile, même en l'absence de justification de l'accomplissement des diligences dont le défaut avait entraîné la radiation du rôle de l'instance ;
- que les demandes de M. [P] sont irrecevables en l'absence de mise en demeure préalable du GIE Ganca en application de l'article L251-6 du code de commerce qui impose à tout créancier d'un groupement économique une mise en demeure par acte extrajudiciaire pour la poursuite de ses membres ;
- que s'agissant de la mise en jeu de la responsabilité des associés d'une société en nom collectif, l'article L221-1 du code de commerce prévoit une mise en demeure préalable par le créancier d'un membre d'une telle société en nom collectif ce qui est le cas de la société Sasca ;
À titre subsidiaire, sur le fond, ils font valoir que le Ganca est un GIE qui n'a jamais été utilisateur de M. [P] en qualité d'intérimaire, que seules les sociétés Total et BP étaient des sociétés utilisatrices et n'avaient signé de contrat qu'avec la société Adecco, Monsieur [P] signant de son côté un contrat avec son employeur, la société Adecco ; qu'il ressort des pièces fournies par M.[P]( qui sont les copies des contrats de mission que le GIE ne connaissait pas jusqu'alors) , qu'ilexiste de longues périodes pendant lesquelles celui-ci n'intervenait pas en qualité d'intérimaire, périodes correspondant à 37 mois sans activité qui n'ont pas à être décomptés dans le cadre des réclamations de M.[P] ; qu'il ressort également de ce tableau que la société Adecco plaçait M.[P] suivant les besoins des sociétés Elf, BP, Total ou même de la chambre de commerce et d'industrie de [Localité 17] ; que Monsieur [P] ne justifie donc pas de son activité professionnelle pendant les longues périodes où il n' intervenait pas comme intérimairedans l'une ou l'autre de ces sociétés ; que tous les contrats de mission avaient pour objet soit le remplacement d'un salarié absent soit un accroissement d'activité et n'étaient en aucun cas continus pour la même société utilisatrice ; que compte tenu de la multiplicité des sociétés utilisatrices Monsieur [P] ne pourrait prétendre à un contrat de travail à durée indéterminée que vis-à-vis de la dernière d'entre elles à savoir la chambre de commerce et d'industrie de mois de longues missions ne concernent que la CCI de Nice pour laquelle il a effectué 39 missions et avec laquelle il a opportunément transigé; que les périodes durant lesquelles M. [P] ne s'est pas tenu à disposition doivent être décomptées pour le calcul de son ancienneté ;
- concernant la demande formée au titre du prêt de main-d'oeuvre illicite que le GIE Ganca n'a jamais servi d'intermédiaire, n'intervenant que pour ses deux membres, la société Total et la société BP ; que le GIE Ganca n'a jamais eu recours à la main d'oeuvre de Monsieur [P] ni prêté des salariés qui n'étaient pas les siens ;
Ils demandent à la cour de débouter Monsieur [P] de toutes ses demandes et de le condamner à leur verser chacune la somme de 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La société BP France soulève diverses fins de non recevoir tirées de l'application du régime des scissions entre sociétés, du défaut de mise en demeure préalable du GIE, de la prescription. Au fond, elle conclut à la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a dit que les demandesde Monsieur [P] étaient frappées par la péremption d'instance et en ce qu'il a débouté l'intéressé de l'ensemble de ses demandes.
À titre subsidiaire, elle demande de dire et juger qu'elle a eu valablement recours à l'intérim, qu'il n'y a pas lieu de requalifier les contrats intérimaires de M.[P] en contrat à durée indéterminée, en conséquence, de rejeter l'intégralité des demandes de l'intéressé et en tout état de cause de constater que M.[P] n'apporte aucun élément démontrant un préjudice qui pourrait justifier l'octroi d'une indemnité de requalification équivalente à 12 mois de salaire ainsi qu' une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse équivalant à plus de 2 ans de salaire, de constater que M.[P] n'apporte aucun élément démontrant un préjudice qui pourrait justifier l'octroi d'une indemnité au titre du DIF qui serait supérieure à 376 €, réduire en conséquence ses demandes à de plus justes proportions et condamner Monsieur [P] à lui verser la somme de 2000 € sur le fondementde l'article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir l'absence de collusion frauduleuse entre le GIE Ganca, la société Total et la société BP, l'absence de prêt demain-d'oeuvre illicite, la réalité des motifs du recours au contrat intérimaire à savoir le remplacement de salariés absents ou suspendus et l'accroissement temporaire d'activité, le fait qu'aucune disposition du code du travail n'interdit de conclure plusieurs contrats de mission avec le même salarié pour des motifs différents, le fait que lorsque la société Bp et plus largement le Ganca avaient un besoin temporaire de main-d'oeuvre ils s'adressaient à la société Adecco qui proposait alors la mission de façon prioritaire aux intérimaires ayant été spécifiquement formés, dont M.[P], qui était libre d'accepter ou de refuser la mission proposée; qu'elle ne faisait donc pas spécifiquementappel à M.[P] ; que l'on ne saurait globaliser les demandes de M.[P] alors même qu'il a travaillé alternativement pour chacune des deux sociétés et non de manière continue pour l'une d'elles ; qu'il n'y a pas d'irrégularité dans les contrats, que ce soit au titre de la prétendue absence de mention obligatoire, de la prétendue absence de signature, des règles liées à l'aménagement du terme ou du respect du délai de carence ; que M.[P] fait état du taux horaire de 11,84 euros bruts appliqué à un certain M. [D] alors que ce dernier a travaillé postérieurement à la période travaillée par M.[P].
A titre subsidiaire, il est soutenu qu'une transmission universelle de l'ensemble du patrimoine de la branche d'activité de Bp a été apportée à la société Sasca le 25 novembre 2011 de sorte que cette dernière est responsable de l'ensemble des dettes de la branche absorbée.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens et de l'argumentation des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux conclusions déposées et oralement reprises.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l'étendue de la saisine :
Les dispositions de l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 13 janvier 2015, partiellement cassé, donnant acte à la société Sasca venant aux droits du GIE Ganca, de son intervention volontaire à l'instance, ainsi que celles prenant acte du désistement d'instance de M. [P] de ses demandes dirigées contre la Cci de Nice sont définitives.
Le moyen tiré de la prescription de l'action de M. [P] a été définitivement rejeté par l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 13 janvier 2015 s'agissant de la première saisine de M. [P].
Sur les moyens d'irrecevabilité :
M. [P] a saisi à nouveau la juridiction prud'homale le 22 février 2012, puis le 18 janvier 2013. Il est soutenu que l' action est irrecevable car le demandeur n'a accompli aucune diligence pendant qu'une ordonnance de radiation avait été rendue. Cependant, aucune diligence n'étant à accomplir par M. [P] agissant dans le cadre d'une procédure orale, le moyen tiré de la prescription de son action n'est pas fondé.
La présente action prud'homale formée par M. [P] à l'encontre de la société BP France n'est pas soumise aux exigences prescrites par le code de commerce pour sa recevabilité. Elle n'est pas irrecevable en raison d'un défaut de mise en demeure préalable du GIE comme d'un défaut de mis en cause du membre associé de la société en nom collectif intimé.
En conséquence, les divers moyens d'irrecevabilité soulevés ne sont pas fondés.
Sur l'action en requalification exercée concurremment contre l'entreprise de travail temporaire et les entreprises utilisatrices
Selon l'article L 1251-5 du code du travail, 'le contrat de mission, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement à un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice' ;
Selon l'article L1251-6 du même code, 'sous réserve des dispositions de l'article L 1251-7, il ne peut être fait appel à un salarié temporaire que pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire dénommée 'mission' et seulement dans les cas suivants :
1° Remplacement d'un salarié en cas :
a) d'absence
b) de passage provisoire à temps partiel conclu par avenant à son contrat de travail ou par échange écrit entre ce salarié et l'employeur
c) de suspension de son contrat de travail (...)' ;
Enfin, l'article L1251-40 du code du travail dispose que 'lorsqu'une entreprise utilisatrice a recours à un salarié d'une entreprise de travail temporaire en méconnaissance des dispositions des articles L 1251-5 à L 1251-7, L 1251-10 à L 1251-12, L 1251-30 et L 1251-35, ce salarié peut faire valoir auprès de l'entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa mission' ;
Les actions en requalification exercées par M. [P], l'une contre l'entreprise de travail temporaire Adecco sur le fondement de l'article L1251-5,L1252-6,L1251-16 et L1251-17 du code du travail, l'autre contre les entreprises utilisatrices Sasca venant aux droits de Ganca, Bp France et Total, sur le fondement de l'article L1251-40 du même code cont des fondements diffrénts et peuvent être exércées concurremment.
En l'espèce, 365 contrats de mission ont été conclus entre M. [P] et la société Adecco entre le 4 mai 1991 et le 30 novembre 2005 . Ces contrats ont tous été conclus au motif du remplacement d'un salarié absent ou d'un surcroît temporaire d'activité.
L'examen détaillé des exemplaires de ces contrats permet d'établir qu'ils se sont succédé régulièrement depuis le début des relations contractuelles, avec une fréquence particulièrement importante durant les périodes estivales, que le salarié intérimaire était toujours employé avec la même qualification afin d'assurer des tâches identiques, soit le ravitaillement des avions suivant les directives données par Total et Bp et que le renouvellement des absences entraînait un renouvellement systématique des engagements conclus avec lui ; que le constat de l'utilisation du contrat de mission pour pourvoir un poste permanent est encore conforté par la durée exceptionnelle de l'emploi de M. [P] afin de faire face à un besoin structurel de main d'oeuvre.
Il ressort des pièces versées aux débats par le salarié notamment des exemplaires salariés des relevés d'heures ainsi que des exemplaires de contrats de mission émis par Adecco et signés du client Ganca, que ce GIE y figurait comme société utilisatrice.
Le fait que M. [P] ait pu effectuer des missions ponctuelles et limitées pour le compte d'autres entreprises est donc sans incidence sur la régularité avec laquelle il a été mis à disposition des entreprises utilisatrices Ganca, Total et Bp France.
Il convient de déduire de cette succession de contrats que l'emploi occupé par M. [P] n'avait pour objet que de permettre le fonctionnement normal et permanent desdites entreprises utilisatrices.
Par ailleurs, l'examen des exemplaires des contrats de mission montre à diverses reprises (ex:contrats n° 142, 144, 262,263, 269, 270, 341) qu'ils sont conclus pour deux motifs distincts cumulatifs (la saison et l'accroissement temporaire d'activité), qu'à quatre reprises le salarié a conclu plusieurs contrats de travail d'une journée à temps plein (contrats n° 85 et 86 conclus le 31 octobre 1993 contrats n° 92 et 93 conclus le 11 janvier 1994, contrats n°127 et 128 conclus du 13 au 14 avril 96), et que le 22 juillet 1991 il a remplacé à la fois M. [E] et M.[Z]; qu'en outre les contrats prévoient une 'souplesse' dépassant les deux jours prévus par ce texte pour les missions inférieures à 10 jours (ex:contrats n° 373, 374, 379).
Le défaut de mention, notamment sur le contrat numéro 299, figurant parmi les 195 contrats conclus pour assurer le remplacement d'un salarié absent de manière temporaire, des nom et prénom du salarié remplacé, suffit à lui seul à entraîner la requalification de la relation de travail en un contrat à durée indéterminée, vis à vis de la société Adecco.
Il s'ensuit que la demande de requalification doit être accueillie tant à l'encontre de l'entreprise Adecco qu'à l'encontre des sociétés Bp, France, Total et Sasca venant aux droits de Ganca ; qu'il y a lieu d'infirmer la décision déférée en ce sens.
Conformément aux dispositions de l'article L1251-41, M. [P] est en droit d'obtenir le paiement d'une indemnité de requalification d'un montant au moins égal à un mois de salaire ; il y a donc lieu de lui allouer la somme de 1.911,62 euros à ce titre.
Sur le prêt de main d'oeuvre illicite
L'article L. 8241-1, alinéa 1, du code du travail prohibe le prêt illicite de main d'oeuvre, défini comme : 'Toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main-d'oeuvre'.
Il apparaît que salarié concluait de très nombreux contrat de travail temporaire avec la société Adecco anciennement Ecco pour être affecté d'après ses contrats de travail au sein du GIE Ganca qui n'a pourtant aucune activité propre.En réalité, M. [P] a travaillé successivement ou cumulativement pour les sociétés Total et Bp afin d'assurer le ravitaillement des avions suivant les directives données par ces seules sociétés. Il en est résulté pour elles un bénéfice, un profit ou d'un gain pécuniaire.
Par les irrégularités constatées la société Adecco s'est placée en dehors du champ d'application du travail temporaire en violation des dispositions combinées des articles L1251-42 et L1251-16 du code du travail.
La seule constatation de la violation en connaissance de cause d'une prescription légale ou réglementaire implique, de la part de son auteur, l'intention coupable exigée par les articles L. 8241-1 sus visé.
Cette situation constitue un prêt de main-d''uvre illicite qui cause un préjudice au salarié.
La cour allouera à ce dernier, une somme de 12 000 € à titre de dommages-intérêts.
Sur la rupture du contrat de travail
En cas de rupture des relations de travail les règles de rupture propres au contrat à durée indéterminée doivent être mises en 'uvre.
Le contrat de M. [P] n'ayant pas été renouvelé après le 30 novembre 2005, ce fait marque la rupture des relations contractuelles . Cette rupture, réalisée sans forme, doit s'analyser comme un licenciement irrégulier et sans cause réelle et sérieuse.
Sur les conséquences du licenciement, M. [P] est en droit de percevoir conformément aux dispositions conventionnelles applicables une indemnité compensatrice de préavis égale à deux mois de salaire, outre une indemnité de congés payés sur préavis et une indemnité de licenciement calculée par année d'ancienneté ; le salarié a exactement calculé les sommes qui lui étaient dues à ce titre.
Il est en outre en droit de percevoir une indemnité qui ne peut être inférieure à 6 mois de salaire conformément aux dispositions de l'article L 1235-3 du code du Travail ; il y a lieu de lui allouer de ce chef la somme de 35.000 € à titre d'indemnité pour licenciement irrégulier et sans cause réelle et sérieuse.
Sur la condamnation solidaire :
Les conditions à défaut desquelles toute opération de prêt de main-d''uvre est interdite n'ayant pas été respectées du fait d'une entente illicite entre les sociétés intimées celles-ci seront tenues in solidum des condamnations ainsi prononcées.
La charge finale desdites condamnations sera répartie entre elles, à concurrence de la moitié à la charge des société utilisatrices et à concurrence de la moitié à la charge de l'entreprise de travail intérimaire Adecco.
Les autres sociétés de travail temporaire ayant employé M. [P] (Onepi, Bis) n'étant pas dans la cause il n'y a pas lieu de procéder à une répartition entre elles du montant de la condamnation.
Sur le rappel de salaire en considération d'un taux brut de 11,84 euros
Le salarié soutient que la rémunération versée par l'entreprise de travail intérimaire était inférieure à la rémunération versée à d'autres salarié, en particulier M. [D] qui était avitailleur comme lui et était moins ancien. Alors que son taux horaire était de 11,84€, ce dernier percevait 11,84 €. Par ailleurs les bulletins de paie montrent une variation du taux appliqué.
L'examen des bulletins de salaire de M. [D] montre que le taux horaire appliqué à ce salarié intérimaire variait de 11,14 à 11,84 €. Mais surtout, les bulletins de salaire de ce dernier sont ceux de l'année 2010, et sont donc bien postérriures à l'embauche de M. [P].
Il s'en déduit que le salarié ne présente pas les éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de traitement de telle sorte qu'il n'y a pas lieu à rappel de salaire.
Sur le défaut de mention du droit individuel à la formation
Le salarié sollicite 5000 € à titre de dommages et intérêts pour perte du droit individuel à la formation.
La mention relative aux droits acquis par le salarié au titre du DIF ne figure dans aucun document.
En l'espèce, le salarié démontre subir un préjudice causé par ce défaut d'information, que la cour évaluera à 500 euros.
Sur les autres demandes
La cour ordonnera aux sociétés Adecco, BP France, Total et Sasca, ensemble de remettre à M.[P] l'attestation destinée au Pôle emploi, le certificat de travail et un bulletin de salaire conformes à la présente décision.
Il n'est pas nécessaire d'assortir cette obligation d'une astreinte.
Sur le droit proportionnel
La demande tendant à voir juger que les sommes retenues par l'huissier en application de l'article 10 du décret du 8 mars 2001 seront supportées par tout succombant en plus des frais irrépétibles et des dépens, est sans objet dès lors que s'agissant de créances nées de l'exécution du contrat de travail, le droit proportionnel de l'article 10 du décret du 8 mars 2001 n'est pas dû.
PAR CES MOTIFS
La Cour, après en avoir délibéré, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, en matière prud'homale, sur renvoi de cassation,
Vu l'arrêt rendu le 9 juin 2017 par la Cour de cassation,
Infirme le jugement rendu le 19 novembre 2013 par le conseil de prud'hommes de Nice en ce qu'il déclare les demandes de M. [P] irrecevables en raison de la péremption d'instance,
Statuant à nouveau ;
Déclare M. [P] recevable en ses demandes,
Requalifie les contrats de missions en un contrat de travail à durée indéterminée,
Dit que la rupture des relations contractuelles s'analyse en un licenciement irrégulier et sans cause réelle et sérieuse,
Condamne in solidum, les sociétés Adecco, Bp France, Total et Sasca à payer à M. [P] la somme de 12 000 € à titre de dommages et intérêts pour prêt de main-d'oeuvre illicite,
Condamne in solidum, les sociétés Adecco, BP France, Total et Sasca à payer à M. [P] les sommes de :
- 1.911,62 € à titre d'indemnité de requalification
- 35 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 3.823,24 € à titre d'indemnité de préavis,
- 382,32 € de congés payés y afférents,
- 13.763,70€ à titre d'indemnité de licenciement,
- 500 € à titre de dommages-intérêts pour perte du droit individuel à la formation.
Dit que la charge finale desdites condamnations sera répartie à concurrence de la moitié à la charge des sociétés BP France, Total et Sasca, et à concurrence de la moitié à la charge de la société Adecco,
Ordonne aux sociétés Adecco, BP France, Total et Sasca, de remettre à M. [P] l'attestation destinée au Pôle emploi, le certificat de travail et un bulletin de salaire conformes à la présente décision,
Déboute les parties de leurs plus amples demandes,
Condamne in solidum les sociétés Adecco, BP France, Total et Sasc à payer à M. [P] la somme de 2.500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne in solidum les sociétés Adecco, BP France, Total et Sasca aux dépens de première instance et d'appel.
Rejette toute autre demande.
LE GREFFIERLE PRESIDENT