COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 3-3
ARRÊT AU FOND
DU 04 JUILLET 2019
N° 2019/ 311
N° RG 17/10015
N° Portalis DBVB-V-B7B-BATB3
SA ENEDIS
C/
Société SAPRIMEX
Compagnie d'assurances AXA CORPORATE SOLUTIONS
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
- Me Alexandra BOISRAME, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE
- Me Ludovic ROUSSEAU de la SCP ROUSSEAU & ASSOCIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
- Me Pierre-yves IMPERATORE de la SELARL LEXAVOUE BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Commerce de TARASCON en date du 22 Mai 2017 enregistré au répertoire général sous le n° 2015/6810.
APPELANTE
SA ENEDIS
anciennement ELECTRICITE RESEAU DISTRIBUTION FRANCE - ERDF - prise en la personne de ses représentants légaux
dont le siège social est [Adresse 4]
représentée par Me Alexandra BOISRAME, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE
et assistée de Me Pascal CERMOLACCE, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMÉES
SAS SAPRIMEX
agissant poursuites et diligences de son représentant légal
dont le siège social est [Adresse 1]
représentée par Me Ludovic ROUSSEAU de la SCP ROUSSEAU & ASSOCIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
et assistée de Me François FERRARI, avocat au barreau de BEZIERS
Compagnie d'assurances AXA CORPORATE SOLUTIONS
prise en la personne de son représentant légal
dont le siège social est [Adresse 2]
représentée par Me Pierre-yves IMPERATORE de la SELARL LEXAVOUE BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
et assistée de Me Olivier LOIZON, avocat au barreau de PARIS
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 30 Avril 2019 en audience publique. Conformément à l'article 785 du code de procédure civile, Madame Valérie GERARD, Président de chambre, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Valérie GERARD, Président de chambre
Madame Françoise PETEL, Conseiller
Madame Anne DUBOIS, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Lydie BERENGUIER.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 04 Juillet 2019.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 04 Juillet 2019,
Signé par Madame Valérie GERARD, Président de chambre et Madame Lydie BERENGUIER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSÉ DU LITIGE
L'article 10 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000, relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité, dispose que « sous réserve de la nécessité de préserver le bon fonctionnement des réseaux, Électricité de France et, dans le cadre de leur objet légal et dès lors que les installations de production sont raccordées aux réseaux publics de distribution qu'ils exploitent, les distributeurs non nationalisés mentionnés à l'article 23 de la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 précitée sont tenus de conclure, si les producteurs intéressés en font la demande, un contrat pour l'achat de l'électricité produite sur le territoire national par : (') les installations de production d'électricité qui utilisent des énergies renouvelables.
Le tarif d'achat de l'électricité produite par ces installations était selon l'article 8 du décret n°2001-410 du 10 mai 2001, fixé par arrêté des ministres chargés de l'économie et de l'énergie. Pour assurer le développement des énergies renouvelables le prix initialement fixé était supérieur au prix du marché.
Pour bénéficier de ce dispositif, l'exploitant d'une installation de production d'énergie renouvelable devait adresser à ERDF devenue Enedis, filiale d'EDF, ayant pour objet l'exploitation et l'entretien du réseau public d'électricité, une demande de raccordement au réseau et Enedis disposait d'un délai de trois mois pour traiter sa demande. À l'issue, si la demande était complète, Enedis devait adresser une proposition technique et financière (PTF) et l'exploitant disposait alors lui-même d'un délai de trois mois pour l'accepter.
Compte tenu du tarif très avantageux de rachat de l'électricité ainsi produite, la rentabilité des projets était très élevée et dans le courant de l'année 2010, tant la commission de régulation de l'énergie, qu'une mission ministérielle ont conclu à la nécessité d'une baisse des tarifs et d'une évaluation de ce dispositif.
Un arrêté du 31 août 2010 a entériné une baisse avec application immédiate, le décret n° 2010-1510 du 9 décembre 2010 a institué un moratoire emportant suspension provisoire de l'obligation d'achat d'électricité à la charge d'EDF et par arrêté du 4 mars 2011, de nouveaux tarifs ont été fixés.
La SAS Saprimex, qui a pour activité la production d'électricité d'origine renouvelable, a souhaité bénéficier de ces dispositions pour une centrale photovoltaïque à [Localité 3]. Elle a adressé une demande de raccordement à Enedis le 31 août 2010 laquelle n'a pas fait l'objet d'une proposition technique et financière dans le délai de trois mois.
Soutenant que ce défaut de réponse était fautif et lui avait causé un préjudice, les nouvelles conditions tarifaires ne permettant plus la viabilité économique de son projet, la SAS Saprimex a fait assigner la SA Enedis et la SA Axa Corporate Solutions, assureur d'Enedis, devant le tribunal de commerce de Tarascon, lequel a statué en ces termes par jugement du 22 mai 2017 :
- déboute la SA Enedis et la SA Axa Corporate Solutions de leurs demandes aux fins de sursis à statuer dans l'attente de la décision de la Cour de Justice de l'Union Européenne saisie d'une question préjudicielle par la cour d'appel de Versailles,
- déclare la SA Saprimex partiellement fondée en ses demandes,
- condamne la SA Enedis à payer à la SAS Saprimex :
* la somme de 838 000 euros en réparation de son préjudice,
* la somme de 3 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile
- déclare la SA Enedis mal fondée en son appel en garantie à l'encontre de la SA Axa Corporate Solutions,
- déboute la SAS Saprimex de sa demande aux fins de voir condamner les parties défenderesses à lui verser des dommages et intérêts au titre d'une défense dilatoire et abusive,
- déboute les parties de leurs conclusions plus amples ou contraires,
- ordonne l'exécution provisoire du jugement et la subordonne à la constitution par la SAS Saprimex d'un engagement de caution solidaire devant être consenti par un établissement bancaire ayant son siège en France et bénéficiant au 1er janvier 2017, de l'agrément visé par les dispositions de l'article L511-10 du code monétaire et financier, au bénéfice de la SA Enedis d'un montant égal aux condamnations susvisées soit la somme de 841 000 euros,
- laisse les dépens à la charge de la SA Enedis.
La SA Enedis a interjeté appel le 24 mai 2017.
Vu les conclusions de la SA Enedis du 16 juin 2018, auxquelles il est expressément référé en application de l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles elle demande à la cour :
1) Sur l'absence de discrimination dans le traitement du dossier
dire et juger que les accusations de discrimination formulées par la société Saprimex ne sont ni démontrées ni fondées.
2) Sur le défaut de lien de causalité
dire et juger que la société Saprimex ne démontre pas que, en l'absence de retard d'Enedis dans la transmission de la PTF, elle aurait nécessairement matérialisé son accord sur ce document avant le 2 décembre 2010,
dire et juger, en conséquence, qu'il n'existe pas de lien de causalité entre le dépassement du délai de trois mois dans la transmission de la PTF et le préjudice allégué, qui résulte exclusivement de l'application du décret du 9 décembre 2010 au projet,
3) Subsidiairement, sur le caractère non réparable du préjudice allégué
dire et juger que l'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative du soleil à un prix supérieur à sa valeur de marché, dans les conditions définies par l'arrêté du 12 janvier 2010, a le caractère d'une aide d'État,
constater que cet arrêté n'a pas été notifié préalablement à la Commission européenne en violation de 1'article 108 § 3 du TFUE,
dire et juger que cet arrêté est illégal et que son application doit, en tout état de cause, être écartée,
Au besoin, écarter l'application de 1'article 88 de la loi du 12 juillet 2010 en raison de sa contrariété avec l'article 108 § 3 du TFUE,
rejeter, en conséquence, les demandes de la société Saprimex fondées sur une cause illicite,
4) Plus subsidiairement, sur la perte de chance inexistante
dire et juger que le seul préjudice dont pourrait se prévaloir la société Saprimex est la perte d'une chance (i) d'avoir pu matérialiser son accord sur une PTF avant le 1er décembre 2010 minuit (ii) puis d'avoir obtenu un contrat d'achat après avoir réalisé et mis en service sa centrale dans un délai de 18 mois et (iii) enfin d'avoir pu exploiter sur 20 ans sa centrale virtuelle ; que cette perte de chance est inexistante et, dès lors, non indemnisable,
5) Encore plus subsidiairement, sur l'assiette de la perte de chance
dire et juger que les hypothèses de calcul de l'assiette de préjudice sont totalement injustifiées en leur principe et leur quantum,
6) En conséquence
réformer purement et simplement en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce de Tarascon le 22 mai 2017,
débouter la société Saprimex de l'ensemble de ses demandes et de sa requête d'appel,
7) à titre très infiniment subsidiaire
dans l'hypothèse où une condamnation devrait intervenir à l'encontre de la société Enedis,
condamner la compagnie Axa Corporate Solutions à garantir la compagnie Enedis de l'ensemble des condamnations mises à sa charge en principal, frais, intérêts ou accessoires,
8) Reconventionnellement
condamner la société Saprimex à payer à la société Enedis d'une somme de 20.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens conformément aux dispositions des articles 695 et suivants du code de procédure civile,
condamner la compagnie Axa Corporate Solutions à payer a la société Enedis d'une somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens conformément aux dispositions des articles 695 et suivants du code de procédure civile,
Vu les conclusions de la SAS Saprimex du 25 mars 2019, auxquelles il est expressément référé en application de l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles elle demande à la cour de :
- jugeant que le propre de la responsabilité civile est de replacer la victime dans la situation qui aurait été la sienne si la faute n'avait pas été commise et, par voie de conséquence, en l'absence d'annulation des contrats en cours, que la concluante aurait obtenu un contrat d'achat insusceptible d'être remis en cause,
- jugeant que par sa validation législative du 12 juillet 2010, l'arrêté du 12 janvier 2010 n'a plus le caractère réglementaire,
- jugeant l'impossibilité pour le tribunal de commerce puis la cour de céans de remettre en cause une disposition législative,
- jugeant l'absence de démonstration de la réunion des trois critères de l'aide d'État exclus par la CJUE au visa de l'article 9 du code de procédure civile,
- constatant que ERDF comme ses assureurs n'invoquent pas que les contrats en cours soient annulables,
- jugeant que même une illégalité de l'arrêté ne peut avoir pour effet de remettre les contrats conclus en cause et que le contrat d'achat aurait nécessairement été conclu en 2011 sans difficulté puisque l'arrêté du 12 janvier 2010 ne fait l'objet d'aucun recours et qu'il est définitif,
- jugeant que même dans l'hypothèse d'une invalidation de l'arrêté du 12 janvier 2010, celle-ci ne peut être rétroactive au vu de la jurisprudence de la CJUE et du nombre de contrats impactés,
- en tout état de cause, jugeant la conformité avec le droit européen de l'aide d'État apportée aux énergies renouvelables et au secteur photovoltaïque en particulier excluant que l'arrêté du 12 janvier 2010 puisse être invalidé, même s'il devait être considéré comme une aide d'État et avait organisé la CSPE,
- jugeant que la notification d'un arrêté vise uniquement à permettre le contrôle de sa compatibilité avec le droit communautaire mais que seule l'incompatibilité avec ce droit est susceptible d'entraîner l'illicéité de la demande,
- constatant que la demande ne consiste pas à obtenir un contrat d'achat en application de l'arrêté du 12 janvier 2010,
- constatant que si l'arrêté du 12 janvier 2010 devait être écarté, l'arrêté du 10 juillet 2006 s'appliquerait avec un tarif de 60,176 cts/kWh en lieu et place des 42 ou 50 centimes revendiqués,
- jugeant la faute d'ERDF consistant en l'absence de transmission dans le délai réglementaire de trois mois d'une proposition technique et financière et en la violation de l'obligation d'instruction des dossiers de manière non-discriminatoire,
- jugeant l'existence du lien de causalité aussi bien sur la causalité adéquate que sur l'équivalence des conditions,
- constatant l'absence d'une quelconque pièce venant démontrer l'augmentation prétendue par la seule ERDF des demandes de raccordements durant la dernière semaine d'août 2010,
- rappelant que nul ne peut se constituer de preuve à soi-même et qu'il appartenait donc à ERDF de produire la file d'attente des dossiers de demande de raccordement,
- jugeant qu'ERDF est soumise à une obligation de résultat par l'absence d'aléa sur la réalisation de sa prestation et que ceci entraîne l'existence du lien de causalité,
- constatant qu'ERDF n'a pas même respecté une obligation de moyen en embauchant uniquement 18 intérimaires à l'automne 2010 alors que la période était prétendument critique,
- constatant la parfaite connaissance par ERDF du problème des retards dans le traitement des demandes de raccordement excluant toute imprévisibilité et toute extériorité, et par voie de conséquence toute force majeure,
- constatant la baisse très importante des demandes de raccordement en soutirage et l'application de la même documentation technique aux demandes de raccordement en injection, excluant toute irrésistibilité, et par voie de conséquence toute force majeure,
- constatant l'aveu d'ERDF devant l'Autorité de la concurrence de ne pas avoir traité les dossiers dans l'ordre chronologique, fait constitutif de discrimination,
- jugeant qu'il est démontré qu'il était possible de se déplacer dans les locaux d'ERDF pour retourner sa PTF acceptée le mercredi 1er décembre 2010, et confirmant ainsi le lien de causalité,
- rejeter l'argument de l'illégitimité et de l'illicéité de la demande,
- confirmer le jugement en ce qu'il a retenu la faute commise par ERDF et la responsabilité de celle-ci,
- constatant la pérennité du tarif d'achat et la fiabilité de la technologie photovoltaïque,
- constatant la fiabilité des prévisions de production d'énergie par la transmission de pièces afférentes à plusieurs dizaines de centrales en fonctionnement,
- jugeant que la jurisprudence indemnise dans une telle hypothèse (contrat d'achat obligatoire à un tarif connu pour une durée déterminée) la perte de marge sur le contrat perdu,
- constatant que même l'application de la théorie de la perte de chance aboutit à l'indemnisation de près de 100% de la perte de marge,
- infirmer partiellement le jugement en ce qu'il a limité le quantum de l'indemnisation à une quote-part du préjudice démontré,
- par voie de conséquence, condamner ERDF devenue Enedis à payer à Saprimex une indemnité sur la base de la somme de 2 516 037 € outre intérêts au taux légal à compter de l'assignation,
- à titre subsidiaire, si la méthode de la VAN devait être retenue, condamner ERDF devenue Enedis à payer à Saprimex une indemnité sur la base de la somme de 2 512 500 €,
- jugeant qu'en tout état de cause, si l'arrêté du 12 janvier 2010 ne pouvait servir de base au calcul de l'indemnisation, la Cour peut valablement l'évaluer à titre forfaitaire et non plus consécutivement au calcul lié à l'arrêté, à la somme de 2 516 037 € et condamner Enedis sur la base de ce montant,
- condamner en outre ERDF devenue Enedis au paiement de la somme de 10 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, distraits au profit de la SCP Rousseau et Associes.
Vu les conclusions de la SA Axa Corporate Solutions du 14 mars 2019, auxquelles il est expressément référé en application de l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles elle demande à la cour :
à titre principal,
- dire et juger que Saprimex ne justifie pas du lien de causalité entre la faute imputée à Enedis et le préjudice allégué, ni de l'existence de ce préjudice ;
- dire et juger que le préjudice allégué par Saprimex n'est pas réparable dès lors que l'arrêté du 12 janvier 2010 fondant le calcul de ce préjudice est illégal pour défaut de notification préalable à la Commission européenne ;
en conséquence et pour toutes les raisons qui précèdent,
- infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Tarascon le 22 mai 2017 en ce qu'il a fait droit au principe d'indemnisation de Saprimex et débouter Saprimex de ses demandes ;
à titre subsidiaire, et si, par extraordinaire, la cour reconnaissait l'existence d'un préjudice réparable,
- ordonner une expertise et désigner un expert afin que ce dernier donne à la cour les éléments nécessaires pour apprécier la réalité et le quantum de l'éventuel préjudice subi par Saprimex ;
en tout état de cause,
- rejeter les demandes de Saprimex ;
- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Tarascon le 22 mai 2017 en ce qu'il a jugé que la garantie d'AXA CS n'était pas due et, à défaut, faire application du seuil d'intervention de 1.500.000 euros ;
- condamner la partie succombante à verser à AXA CS la somme de 10.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens distraits au profit de la SELARL Lexavoue Aix-en-Provence, avocats associés aux offres de droit.
La SAS Saprimex a adressé une note en délibéré le 20 mai 2019, accompagnée de nouvelles pièces, sollicitant la réouverture des débats.
Les SA Axa CS et SA Enedis ont répondu respectivement par notes des 22 et 28 mai 2019 en s'opposant à la demande.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1. Sur la demande de réouverture des débats :
La SAS Saprimex indique que, pour contester l'argument de la SA Enedis et de la SA Axa CS sur le caractère illicite du préjudice fondé sur un arrêté constitutif d'une aide d'État que la France n'aurait pas notifié à la Commission en violation des dispositions de l'article 108 TFUE, elle a sollicité une consultation d'un professeur de droit, lequel a rendu un avis dont il résulte que l'arrêté litigieux a bien été notifié. Elle ajoute deux pièces supplémentaires permettant selon elle de confirmer cette notification.
La SA Enedis conteste cette interprétation des documents, rappelle son argumentation sur l'absence de notification de cet arrêté constituant une aide d'État par principe illégale en application de l'article 107 du TFUE et fait valoir qu'il n'existe en conséquence aucun élément nouveau justifiant une réouverture des débats.
La SA Axa CS fait observer que l'avis du consultant est inexact tant en ce qui concerne la notification de l'arrêté, cette notification ne pouvant s'entendre que de celle prévue à l'article 108 du TFUE, laquelle doit, en application de l'article 107 être préalable, qu'en ce qui concerne la prétendue admission en jurisprudence de l'indemnisation d'un préjudice illicite. Elle fait valoir qu'il n'existe aucune élément nouveau justifiant une réouverture des débats.
En application de l'article 445 du code de procédure civile, les parties ne peuvent déposer aucune note à l'appui de leurs observations, si ce n'est en vue de répondre aux arguments développés par le ministère public, ou à la demande du président dans les cas prévus aux articles 442 et 444.
Il n'existe en l'espèce aucun élément nouveau justifiant une réouverture des débats, dès lors qu'il appartenait à la société intimée de produire en cours d'instruction de l'affaire, laquelle a duré deux années, la consultation dont elle entend aujourd'hui faire état et que les pièces produites à l'appui de la demande sont antérieures à l'ordonnance de clôture. Faute d'avoir été autorisée, cette note en délibéré est irrecevable en application de l'article 445 du code de procédure civile sus-visé.
2. Sur les fautes commises par la SA Enedis :
2.1 Le non-respect du délai de trois mois pour la transmission de la PTF :
Il résulte de la délibération de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) du 11 juin 2009 portant décision sur les règles d'élaboration des procédures de traitement des demandes de raccordement aux réseaux publics de distribution d'électricité et de l'article 1.4.2, applicable aux raccordements de puissance supérieure à 36 kVA, de l'annexe 1 de cette délibération que le délai maximum de trois mois dans lequel la PTF doit être transmise au demandeur, qui court à compter de la réception par le gestionnaire de réseau de la demande de raccordement complétée, s'apprécie à la date de réception de la PTF par le demandeur.
Il n'est pas discuté en l'espèce que, d'une part, la demande de raccordement formulée par la SAS Saprimex a été reçue par la SA Enedis le 30 août 2010, laquelle disposait par conséquent d'un délai expirant le 30 novembre pour lui adresser la PTF et que, d'autre part, la SA Enedis a failli à cette obligation.
L'appelante ne conteste plus d'ailleurs que ce manquement constitue un faute qui lui soit imputable.
2.2 La discrimination dans l'instruction du dossier :
La SAS Saprimex soutient à nouveau devant la cour que l'appelante n'a pas mené l'instruction du dossier de manière transparente et non discriminatoire, en citant une décision de l'Autorité de la Concurrence du 14 février 2013. Cependant, comme le soulignent justement les SA Enedis et Axa CS, outre que cette Autorité indique seulement qu'il y a lieu de poursuivre les investigations et que la décision concerne EDF, il n'est justifié par la SAS Saprimex d'aucune décision définitive à la suite de celle-ci, ayant reconnu l'existence de pratiques discriminatoires. Aucune faute ne peut être retenue à la charge d'Enedis sur ce fondement.
3. Le lien de causalité :
La SA Enedis et la SA Axa CS soutiennent que la société intimée, même si elle avait reçu la PTF le 30 novembre 2010, n'aurait pas pu matériellement faire parvenir son acceptation et le chèque d'acompte nécessaire avant la date butoir du 2 décembre 2010. Elles ajoutent que le préjudice allégué a pour seule cause l'adoption du décret du 9 décembre 2010, dont les conditions de son entrée en vigueur ne sont pas imputables à Enedis, et que le non-respect du délai de trois mois est en réalité sans aucune incidence sur le choix propre effectué par la SAS Saprimex d'abandonner son projet alors que les conditions tarifaires restaient attractives.
La SAS Saprimex réplique que l'existence du lien de causalité est acquise depuis l'arrêt de la Cour de cassation du 30 mars 2016, que ce lien peut d'autant moins être remis en cause lorsqu'il s'agit comme en l'espèce d'une obligation de résultat et que les SAS Enedis et Axa CS ont reconnu le caractère sériel de ce contentieux.
Le décret n°2010-1510 du 9 décembre 2010 instituant le moratoire impose aux producteurs qui n'ont pas notifié avant le 2 décembre 2010 leur acceptation de la PTF de déposer à l'issue de la période de suspension une nouvelle demande complète de raccordement aux réseaux. Il en résulte que les demandes de raccordement déposées avant le moratoire qui n'ont pas fait l'objet d'une acceptation de la PTF notifiée avant le 2 décembre 2010 sont caduques et que les producteurs concernés perdent le bénéfice des conditions d'achat applicables en 2010.
En ne transmettant pas à la SAS Saprimex une PTF dans le délai de trois mois expirant le 30 novembre 2010, Enedis l'a privée de la possibilité de notifier avant le 2 décembre 2010 son acceptation de la PTF, d'échapper à la caducité de sa demande et de finaliser son projet dans les conditions tarifaires de 2010. Contrairement à ce que soutiennent les SA Enedis et Axa CS, la possibilité pour la SAS Saprimex de pouvoir, à réception d'une PTF le dernier jour du délai de trois mois, soit le 30 novembre 2010, faire parvenir son accord accompagné d'un chèque d'acompte avant le 2 décembre 2010, n'est pas nulle ni inexistante.
Faute d'avoir respecté son obligation, la SA Enedis a fait perdre à la SAS Saprimex une chance de pouvoir adresser dans le délai qui lui restait, son acceptation de la PTF de sorte que le lien de causalité entre ledit manquement et le préjudice de perte de chance allégué est suffisamment établi.
4. Le préjudice :
La SAS Saprimex réclame la réparation d'un préjudice constitué par la perte de chance, évaluée à 80 %, d'obtenir un tarif de rachat de l'électricité produite par la centrale qu'elle projetait d'édifier aux conditions de l'arrêté du 12 janvier 2010, ou à défaut de celui 10 juillet 2006 et qu'elle calcule sur la perte de marge sur exploitation pendant 20 ans.
Les SA Enedis et Axa CS font valoir qu'il n'est justifié d'aucun préjudice réparable à raison de l'illégalité de cet arrêté qui institue une aide d'État qui n'a pas été notifiée préalablement à la Commission européenne en violation des dispositions de l'article 108 § 3 du TFUE.
Aux termes de l'article 107§1 du TFUE « Sauf dérogations prévues par les traités, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d'État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions ».
L'article 108 § 3 du TFUE dispose que « la Commission est informée en temps utile pour présenter ses observations des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si elle estime qu'un projet n'est pas compatible avec le marché intérieur, aux termes de l'article 107, elle ouvre sans délai la procédure prévue au paragraphe précédent. L'État membre intéressé ne peut mettre à exécution les mesures projetées avant que cette procédure ait abouti à une décision finale. »
C'est à tort que la SAS Saprimex invoque la prescription, l'illégalité du décret opposée par voie d'exception n'étant pas soumise à la prescription édictée par le règlement 659/1999 du 22 mars 1999 qui ne vise que les pouvoirs de la Commission en matière de récupération d'une aide d'État, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
Sur la question préjudicielle posée par la cour d'appel de Versailles par arrêt rendu le 20 septembre 2016, dans une affaire similaire, la CJUE a, par ordonnance du 15 mars 2017, rappelé que la qualification d'aides d'État au sens de l'article 107 § 1 du TFUE supposait la réunion de 4 conditions, à savoir qu'il existe une intervention de l'État ou au moyen de ressources d'État, que cette intervention soit susceptible d'affecter les échanges entre les États membres, qu'elle accorde un avantage sélectif à son bénéficiaire, et qu'elle fausse ou menace de fausser la concurrence dans le marché intérieur.
Elle a répondu que « l'article 107 § 1 du TFUE doit être interprété en ce sens qu'un mécanisme tel que celui instauré par la réglementation nationale en cause au principal, d'obligation d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative solaire à un prix supérieur à celui du marché et dont le financement est supporté par les consommateurs finals d'électricité doit être considéré comme une intervention de l'État ou au moyen de ressources d'État », précisant qu'il appartenait à la juridiction saisie de déterminer si la mesure en cause constituait une aide d'État en vérifiant si les trois autres conditions étaient remplies.
Elle a ajouté que l'article 108 § 3 du TFUE « doit être interprété en ce sens que, en cas de défaut de notification préalable à la Commission européenne d'une mesure nationale constituant une aide d'État, au sens de l'article 107 § 1 du TFUE, il incombe aux juridictions nationales de tirer toutes les conséquences de cette illégalité, notamment en ce qui concerne la validité des actes d'exécution de cette mesure. »
La CJUE n'a donc pas, comme le prétend la SAS Saprimex, rejeté la qualification d'aide d'État, mais répondu au contraire que la première condition pour qualifier un dispositif d'aide d'État était remplie, invitant les juridictions nationales à vérifier si les trois autres conditions l'étaient.
En l'espèce, ce dispositif s'applique à des bénéficiaires qui opèrent dans un système d'économie de marché, caractérisé par ses échanges transfrontaliers, en leur procurant un avantage qui garantit la rentabilité de leur investissement et favorise de manière sélective un type de production, l'énergie d'origine photovoltaïque.
Ce dispositif est donc susceptible d'affecter les échanges entre États membres, accorde à ses bénéficiaires un avantage sélectif et fausse ou risque de fausser la concurrence sur le marché intérieur.
C'est par conséquent à raison que les SA Enedis et Axa CS soutiennent qu'il s'agit d'une aide d'État.
Elle devait faire l'objet d'une notification préalable à la Commission en application de l'article 108 § 3.
Il ne peut être sérieusement discuté que l'arrêté du 12 janvier 2010, comme celui du 10 juillet 2006, n'a jamais été notifié à la Commission, préalablement à sa mise en 'uvre, dans les conditions de ce texte, ce qu'a d'ailleurs reconnu le secrétaire d'État auprès du ministère des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes répondant à une question écrite du 27 septembre 2016, sur les régimes d'aides accordées aux producteurs d'électricité d'origine photovoltaïque.
La SAS Saprimex ne peut invoquer la connaissance qu'a pu avoir la Commission de l'arrêté lors des instances devant la CJUE, cette « connaissance » ne pouvant valoir notification, ni le règlement CE 651/2014 lequel est entré en vigueur postérieurement à l'abrogation du décret du 12 janvier 2010 par le décret du 4 mars 2011.
Le règlement d'exemption CE 800/2008, applicable au jour du décret du 12 janvier 2010, ne concernait que les aides transparentes, c'est-à-dire dont il est possible de calculer précisément et préalablement l'équivalent-subvention brut au moment de l'octroi de l'aide, ce qui n'est pas le cas du régime d'aides accordées aux producteurs d'électricité photovoltaïque et les régimes d'aide devaient contenir une référence expresse au règlement par la citation de son titre, ce qui n'est aucunement le cas pour les décrets litigieux.
C'est tout aussi vainement que la SAS Saprimex invoque les dispositions de l'article 88 de la loi de 12 juillet 2010 qui valide l'arrêté du 12 janvier 2010, une disposition du droit interne étant inefficace à écarter l'application du droit de l'Union en vertu du principe de primauté du droit de l'Union sur le droit national, ou les décisions du Conseil d'État, lequel n'a pas statué sur la violation de l'obligation de notification préalable, ou les décisions ultérieures de la Commission, concernant des régimes d'aide différents, plus contraignants et qui instauraient des tarifs inférieurs à ceux des arrêtés de 2006 et 2010.
Les arrêtés de 2006 et 2010 ayant été abrogés et remplacés par l'arrêté du 4 mars 2011, lequel a d'ailleurs fait l'objet d'une procédure de notification à la Commission, aucune régularisation n'est possible.
Si les juridictions nationales sont compétentes pour apprécier le respect par les États membres de la procédure de notification, seule la Commission européenne est compétente pour statuer sur la compatibilité d'une aide d'État avec le marché intérieur et il n'appartient donc pas à une juridiction nationale d'opérer un tel contrôle. Le fait que la Commission a déclaré compatibles les mécanismes d'aide à la production d'électricité photovoltaïque postérieurs est sans incidence sur la validité des dispositifs antérieurs. Il est tout aussi inopérant d'invoquer l'absence de saisine d'office par la Commission européenne pour procéder à un examen de la compatibilité, l'absence de décision sur ce point ne signifiant pas que le décret litigieux bénéficie d'une reconnaissance tacite de compatibilité.
L'arrêté du 12 janvier 2010, tout comme celui du 10 juillet 2006, qui n'ont pas été notifiés à la Commission européenne préalablement à leur mise en 'uvre, sont par conséquent illégaux et cette illégalité fait obstacle, à elle seule, à la demande d'indemnisation formée sur ce seul fondement par la SAS Saprimex.
Le principe de réparation intégrale du préjudice subi à raison d'une faute commise ne peut trouver à s'appliquer dès lors qu'il s'agit de réparer la perte d'un avantage résultant d'une aide illégale. La SAS Saprimex, même lorsqu'elle sollicite à titre subsidiaire, une somme forfaitaire, ce mode de réparation étant en tout état de cause contraire au principe de réparation intégrale ci-dessus rappelé, ne demande pas autre chose que la perte de chance d'obtenir une indemnisation basée sur une aide illégale.
Le jugement déféré est infirmé en toutes ses dispositions et la SAS Saprimex déboutée de toutes ses demandes.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement, contradictoirement,
Dit n'y avoir lieu à réouverture des débats,
Déclare irrecevables la note en délibéré et les pièces visées à l'appui de cette note par la SAS Saprimex,
Infirme en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Tarascon du 22 mai 2017,
Statuant à nouveau,
Déboute la SAS Saprimex de toutes ses demandes,
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la SAS Saprimex à payer à la SA Enedis et à la SA Axa Corporate Solutions, chacune, la somme de quatre mille euros,
Condamne la SAS Saprimex aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT