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28/06/2019 | FRANCE | N°19/00255

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-3, 28 juin 2019, 19/00255


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-3



ARRÊT



DU 28 JUIN 2019



N° 2019/ 210



RG 19/00255

N° Portalis DBVB-V-B7D-BDSUF







S.A. ALLIANZ VIE





C/



[H] [G]

























Copie exécutoire délivrée

le :



à :



-Me Philippe- laurent SIDER, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE



- Me Jérôme FERRARO, avocat au barreau de

MARSEILLE





























Décision déférée à la Cour :



Ordonnance du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARTIGUES en date du 21 Décembre 2018 enregistré au répertoire général sous le n° 18/00130.





APPELANTE



S.A. ALLIANZ VIE, demeurant [Adresse 1]



repr...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-3

ARRÊT

DU 28 JUIN 2019

N° 2019/ 210

RG 19/00255

N° Portalis DBVB-V-B7D-BDSUF

S.A. ALLIANZ VIE

C/

[H] [G]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

-Me Philippe- laurent SIDER, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

- Me Jérôme FERRARO, avocat au barreau de MARSEILLE

Décision déférée à la Cour :

Ordonnance du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARTIGUES en date du 21 Décembre 2018 enregistré au répertoire général sous le n° 18/00130.

APPELANTE

S.A. ALLIANZ VIE, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Philippe- laurent SIDER, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE et Me Grégory BUCHETON, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE substitué par Me Nadia HAMIDA, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE

INTIMEE

Madame [H] [G], née le [Date naissance 1] 1950 à France, demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Jérôme FERRARO, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 785 et 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 30 Avril 2019, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Catherine LE LAY, Président de Chambre, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Catherine LE LAY, Président de Chambre

Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller faisant fonction de Président

Madame Hélène FILLIOL, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Florence ALLEMANN-FAGNI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 28 Juin 2019.

ARRÊT

CONTRADICTOIRE,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 28 Juin 2019

Signé par Madame Catherine LE LAY, Président de Chambre et Madame Florence ALLEMANN-FAGNI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS ET PROCÉDURE

Madame [H] [G] est titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée depuis le 5 janvier 1980 au sein de la SA ALLIANZ VIE ; dans le dernier état de la relation contractuelle, elle occupait les fonctions d'inspecteur commercial formateur à [Localité 1] ;

Elle exerce parallèlement les fonctions de conseillère prud'homale auprès du conseil de prud'hommes de [Localité 1] ;

Saisie par la SA ALLIANZ VIE aux fins d'autoriser le licenciement de Madame [H] [G], l'inspectrice du travail a refusé par décision du 23 mars 2018 de faire droit à la demande de l'employeur ;

Un recours hiérarchique et contentieux a été élevé par la SA ALLIANZ VIE ;

En l'absence de décision de la ministre du travail dans les deux mois du recours, une décision implicite de rejet de ce dernier a été prise le 6 octobre 2018 ;

Par décision du 21 novembre 2018, la ministre du travail a retiré la décision implicite de rejet et a autorisé le licenciement de Madame [H] [G] ;

Le 30 novembre 2018, le conseil de Madame [H] [G] a avisé son contradicteur du dépôt devant le tribunal administratif de Marseille d'une requête en référé suspension de la décision de la ministre en date du 21 novembre 2018 ;

Par courrier du 30 novembre 2018, posté le 3 décembre 2018, la SA ALLIANZ VIE a notifié à Madame [H] [G] son licenciement pour faute grave ;

Par assignation du 10 décembre 2018, Madame [H] [G] a également saisi le juge des référés du conseil de prud'hommes de Martigues aux fins de suspendre à titre conservatoire les effets du licenciement prononcé ;

Averti de l'instance prud'homale, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a suspendu sa décision jusqu'à celle de la juridiction judiciaire ;

Par ordonnance en date du 21 décembre 2018, la formation des référés du conseil de prud'hommes de Martigues a, au visa des articles 6.1 de la Convention européenne des droits de l'Homme et 16 de la déclaration des droits de l'Homme de 1789 :

- reçu Madame [H] [G] en sa demande

- vu le trouble manifestement illicite de la décision de la ministre du travail en date du 21 novembre 2018

- dit que le conseil de prud'hommes en sa formation de référé est compétent pour connaître du litige

- dit avoir à suspendre immédiatement à titre conservatoire en application de l'article R1455-5 et 7 du code du travail les effets du licenciement notifié à Madame [H] [G] par la SA ALLIANZ VIE du 3 décembre 2018 et ce jusqu'à la décision devant intervenir par devant le juge administratif saisi du litige.

Par décision du 28 décembre 2018, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a suspendu la décision de la ministre du travail ; celle-ci ainsi que la SA ALLIANZ VIE ont saisi le Conseil d'Etat d'un recours pour excès de pouvoir ;

C'est dans ces conditions que la SA ALLIANZ VIE a également relevé appel le 7 janvier 2019 de l'ordonnance rendue par la formation de référés ;

Suivant ses conclusions en date du 29 avril 2019, la SA ALLIANZ VIE demande à la cour de :

- de réformer l'ordonnance de référé du Conseil de prud'hommes de Martigues en ce qu'elle a suspendu les effets du licenciement notifié à Madame [G].

Ainsi :

- In limine litis et à titre principal, constater l'incompétence de l'Ordre Judiciaire au profit des juridictions de l'ordre administratif ;

- A titre subsidiaire, constater l'absence d'un dommage imminent ou d'un trouble manifestement illicite ;

- A titre infiniment subsidiaire, considérer que l'action de la salariée est dilatoire et abusive ;

En conséquence :

- Faire droit à la demande de la société ALLIANZ VIE et réformer  l'ordonnance de référé du Conseil de prud'hommes de Martigues;

- Rejeter la demande reconventionnelle de réintégration ainsi que la demande portant sur l'astreinte dont le montant constitue manifestement un enrichissement sans cause compte tenu de son montant,

- Rejeter la demande de Madame [G] au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner Madame [G] à 1000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- La condamner aux entiers dépens.

Suivant ses conclusions en date du 5 mars 2019, Madame [H] [G] sollicite de la cour qu'elle :

Vus, ensemble, les articles L.1411-1, R.1455-5 et 6 du Code du travail, 16 de la Déclaration des Droits de l'Homme de 1789, 66 de la Constitution et 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'Homme,

- Dise et juge que la Juridiction prud'homale est compétente pour ordonner en référé, à titre conservatoire et temporaire, la suspension des effets d'un licenciement pour permettre à un salarié dit « protégé » de pouvoir mener à terme une procédure de « référé suspension » introduite devant le Juge administratif avant la notification du licenciement,

- Confirme l'Ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,

Y ajoutant, à titre incident,

- Enjoigne la société «ALLIANZ VIE», sous astreinte de 500 € par jour de retard à compter de la signification de l'Ordonnance à intervenir, d'avoir à réintégrer Mme [G] dans son emploi antérieur ou un emploi similaire, compte tenu de la suspension de la Décision de retrait ayant autorisé son licenciement,

- Se réserve, expressément, la faculté de liquider l'astreinte éventuellement ordonnées,

- Condamne la société «ALLIANZ VIE», au paiement de la somme de 2 500 € au titre de l'article 700 du C.P.C.

MOTIFS

Attendu que pour conclure à l'infirmation de l'ordonnance prononcée, la SA ALLIANZ VIE fait valoir à titre principal que le conseil de prud'hommes s'est reconnu à tort compétent pour statuer sur le litige;

Attendu qu'à cet égard, la SA ALLIANZ VIE soutient :

- que Madame [H] [G] a demandé au conseil de prud'hommes de se prononcer implicitement sur la légalité de la décision administrative de la ministre ayant autorisé le licenciement

- que solliciter la suspension des effets du courrier de licenciement revient à préjuger de la légalité de la décision elle-même, domaine qui échappe à la compétence du juge judiciaire

- que ce principe fondamental fait officiellement partie du 'bloc de constitutionnalité' depuis 1987 (Cons Const 23 janvier 1987)

- que le juge judiciaire ne peut en l'état de l'autorisation administrative accordée à l'employeur de licencier un salarié protégé et sans violer le principe de séparation des pouvoirs apprécier le caractère réel et sérieux des motifs retenus pour justifier le licenciement

- que le juge judiciaire peut seulement apprécier le degré de gravité de la faute au regard du droit aux indemnités de préavis et de licenciement et est compétent pour apprécier les fautes commises par l'employeur dans la période antérieure au licenciement ;

Attendu que Madame [H] [G] rappelle :

- que tant que le licenciement n'est pas prononcé le salarié peut saisir le tribunal administratif d'un référé suspension,

- que factuellement la SA ALLIANZ VIE aurait pu licencier Madame [H] [G] dès le 22 novembre 2018 à la réception de la décision de la ministre

- qu'avertie par son contradicteur le 30 novembre 2018 vers 19h30 du dépôt de la requête en référé, la SA ALLIANZ VIE a établi un courrier de licenciement daté du même jour mais qui ne va être posté que le 3 décembre

- qu'il a été seulement demandé une suspension temporaire des effets du licenciement dans l'attente de la décision des juridictions administratives, c'est à dire un décalage à titre conservatoire dans le temps de la rupture du contrat de travail

- que la jurisprudence selon laquelle la décision de licencier interdit ipso facto au salarié de saisir le juge administratif d'une demande de suspension de la décision administrative est très largement critiquée en doctrine

- qu'en effet le droit d'agir en justice et d'accéder au juge est un droit fondamental consacré au niveau interne par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et au niveau international par l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'Homme

-que la Cour de cassation a estimé que le juge des référés pouvait, même en l'absence de disposition l'y autorisant, ordonner la poursuite des relations contractuelles en cas de violation d'une liberté fondamentale par l'employeur

- que la décision de licenciement prise par l'employeur a pour effet sinon pour objet de priver le salarié de la possibilité de soumettre au président du tribunal administratif sa demande de suspension de l'autorisation de licenciement ;

Attendu que si le contrat est la loi des parties, la liberté qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen justifie qu'un contrat de droit privé à durée indéterminée puisse être rompu unilatéralement par l'un ou l'autre des contractants ;

Attendu qu'une fois l'autorisation de licenciement accordée, le juge administratif saisi d'une demande de suspension de la décision ne peut statuer que pour autant le salarié n'ait pas été dans l'intervalle licencié par son employeur ; que le courrier de rupture a pour effet de rendre la mesure immédiate, de contraindre le salarié à attendre l'issue de la procédure administrative au fond avant de pouvoir en cas d'annulation réclamer ensuite la réparation du préjudice qui lui a été causé devant la juridiction judiciaire ;

Attendu qu'il en résulte que la mise en oeuvre par l'employeur, personne privée, de son pouvoir disciplinaire, a pour effet d'une part d'empêcher le juge administratif, autorité indépendante, d'apprécier la situation et de suspendre éventuellement les effets d'une décision administrative et d'autre part de provoquer au moins jusqu'à l'issue des recours administratifs au fond la perte de l'emploi et du salaire correspondant;

Attendu que tant en première instance qu'en appel le juge des référés doit se placer pour ordonner ou refuser des mesures urgentes à la date à laquelle il rend sa décision ;

Attendu que le conseil de prud'hommes dans la motivation de sa décision du 21 décembre 2018 a entendu suspendre les effets du licenciement 'jusqu'à la décision devant intervenir après que le président du tribunal administratif ait statué sur le demande de référé-suspension' ;

Attendu que le juge des référés du tribunal administratif a suspendu l'exécution de la décision de la ministre du travail suivant décision du 28 décembre 2018 ; que seule cette décision de la ministre autorisait l'employeur à user de son pouvoir disciplinaire ;

Mais attendu que la circonstance que le juge administratif en référé ait suspendu les effets de la ministre n'a pas pour effet rétroactif d'anéantir la notification du licenciement qui a emporté rupture du contrat de travail dès la réception du courrier par le salarié ;

Attendu qu'en l'état du droit, le salarié dispose d'un accès au juge administratif pour contester la décision d'autorisation de licenciement dont il fait l'objet, et en cas d'annulation exercer son droit à réintégration et à réparation devant le juge judiciaire ; que par suite, s'il est effectif que le salarié est privé d'un accès immédiat au juge de nature à empêcher les effets de la rupture, la circonstance qu'il faille attendre une décision au fond des juridictions administratives ne caractérise pas une privation d'accès au juge au sens des dispositions du bloc de constitutionnalité invoqué ;

Attendu qu'il en résulte au regard de la séparation des pouvoirs, que le conseil de prud'hommes saisi en référé ne pouvait suspendre à titre conservatoire les effets du licenciement jusqu'à l'issue de la décision du juge administratif saisi du litige sauf à s'arroger une compétence qui ne lui est pas reconnue, la notion de trouble manifestement illicite posée à l'article L 1455-6 du code du travail ne pouvant légitimer l'arrêt des effets d'un licenciement sauf à porter une appréciation implicite sur la validité de l'autorisation de la ministre quel que soit son mérite ;

Attendu qu'il y a lieu dans ces conditions d'infirmer intégralement l'ordonnance prononcée par le conseil de prud'hommes se déclarant compétent pour connaître du litige ;

Attendu qu'il n'existe pas de circonstance d'équité justifiant qu'il soit fait droit aux demandes sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Attendu que les dépens de première instance et d'appel sont mis à la charge de l'appelante ;

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, en matière prud'homale,

Infirme intégralement l'ordonnance de référé

Juge que le conseil de prud'hommes statuant en référé était incompétent matériellement

Déboute les parties de leurs demandes sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

Condamne Madame [H] [G] aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIERLE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-3
Numéro d'arrêt : 19/00255
Date de la décision : 28/06/2019

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence 9C, arrêt n°19/00255 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-06-28;19.00255 ?
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